CA Reims, 1re ch. sect..civ., 12 mars 2024, n° 23/01649
REIMS
Arrêt
Autre
PARTIES
Défendeur :
Promotive (S.C.I.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mehl-Jungbluth
Conseillers :
Mme Maussire, Mme Mathieu
Avocats :
Me Delgenes, Me Solvel
Selon bail commercial du 20 novembre 2014, la SCI Promotive a donné à bail à M. [V] [L] deux locaux commerciaux dans une galerie marchande sise au [Adresse 3] et au [Adresse 5] à [Localité 1] pour y exercer une activité de restauration vente à emporter, moyennant un loyer mensuel de 1 230 HT outre les charges d'un montant de 180 euros par mois.
Par décision unanime des associés du 18 octobre 2016, la démission de M. [V] [L] de ses fonctions a été acceptée et M. [R] [W] a été nommé en qualité de gérant.
Le bail a été dénoncé le 16 mai 2017 avec effet au 30 novembre 2017.
A cette date, la dette de loyers s'élevait à la somme de 32 687,75 euros.
Le 30 novembre 2017, un bail dérogatoire valant convention d'occupation précaire, a été consenti par la SCI Promotive à la Sarl LO2 représentée par M. [R] pour la période du 1er décembre 2017 au 30 juin 2018. M. [L] est intervenu dans le contrat de convention d'occupation précaire, en tant qu'associé de la SARL LO et intéressé au paiement par celle-ci de loyers et charges devant venir en compensation avec sa propre dette.
Se plaignant de la non-exécution de ses engagements par la SARL LO2, la SCI Promotive a adressé le 12 septembre 2019 à M. [L] une mise en demeure d'avoir à régler la somme due au titre de l'exploitation des lieux avant la signature de la convention d'occupation précaire et arrêtée au 30 novembre 2017 à 32 687,75 euros.
Par exploit d'huissier en date du 3 décembre 2021, la SCI Promotive a fait assigner M. [V] [L] devant le tribunal judiciaire de [Localité 1] au visa des articles 1103, 1194 et 1217 et suivants du code civil ainsi que des articles L.145-1 et suivants du code de commerce aux fins principalement de le voir condamner au paiement de cette somme de 32 687,75 euros au titre de loyers impayés avec intérêt au taux légal à compter de la mise en demeure reçue le 14 septembre 2019.
Par conclusion d'incident du 3 décembre 2021, M. [L] a saisi le juge de la mise en état des demandes suivantes :
- Dire et juger l'action et les demandes dirigées contre lui irrecevables.
Subsidiairement,
- Constater la prescription des demandes de loyers pour un montant de 8.290,26 €.
- Constater la prescription des charges pour un montant de 3.676,42 €.
- Constater la prescription des taxes foncières pour 2.825,94 € et l'année 2015, pour 2.854,46 € pour 2016.
- Dire et juger que la SCI Promotive devra communiquer les justificatifs de taxes foncières pour les années 2015, 2016, 2017.
Par décision du 31 août 2023, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de [Localité 1] a débouté M. [L] de ses demandes et l'a condamné à payer à la SCI Promotive une somme de 500,00 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile outre dépens.
Il a considéré que la demande de communication des pièces relatives aux taxes foncières était sans objet puisque lesdites pièces étaient communiquées en pièces 5 à 7; que l'action diligentée à l'encontre de M. [V] [L] était recevable dans la mesure où le bail, conclu pour le compte de M. [L] sans mention de reprise automatique par la société en cours d'immatriculation, n'avait jamais fait l'objet d'une reprise ultérieure par la SARL LO2 et que les formalités prévues dans le bail n'avaient pas été réalisées ; que l'action en paiement d'arriérés de loyers n'était pas prescrite dès lors qu'un nouveau délai de prescription quinquennal avait commencé à courir à compter de la signature du bail dérogatoire contenant une reconnaissance de dette de la part de M. [L].
M. [V] [L] a interjeté appel de cette décision par déclaration en date du 12 octobre 2023.
Aux termes de ses conclusions récapitulatives du 25 janvier 2024, il demande à la Cour d'infirmer l'ordonnance, de voir juger irrecevable l'action de la SCI Promotive, et subsidiairement de déclarer prescrites un certain nombre de demandes de loyers et charges, d'ordonner la communication par la SCI Promotive de justificatifs de taxes foncières.
A titre principal, il soutient que la SCI Promotive n'a ni qualité ni intérêt à agir contre lui à titre personnel qui n'était pas commerçant lors de la signature et a effectué un acte pour le compte d'une société en cours de création et d'immatriculation.
Il affirme que le second bail dérogatoire ne remet pas en cause cette réalité factuelle et juridique.
A titre subsidiaire, il fait valoir qu'en application du délai quinquennal de l'article 2224 du code civil, les sommes échues avant le 3 décembre 2016 sont prescrites au regard de l'assignation délivrée le 3 décembre 2021.
Il affirme sur le fondement de l'article 2251 du code civil que la renonciation à prescription ne se présume pas et qu'en l'espèce il n'existe aucune volonté non équivoque de refuser la prescription.
La SCI Promotive, par conclusions du 11 décembre 2023, demande à la Cour de :
- Constater que M. [L] ne s'est pas acquitté du paiement des loyers dus au titre du bail commercial conclu le 20 novembre 2014 avec la SCI Promotive entre les mois de septembre 2016 et novembre 2017
- constater que M. [L] est bien le cocontractant de la SCI Promotive
- constater d'ailleurs qu'il a reconnu être débiteur de sa dette selon bail dérogatoire en date du 30 novembre 2017 ;
- constater que les pièces dont il est fait sommation de communiquer l'ont été le 25 mai 2022 et qu'il s'agit uniquement d'une demande dilatoire ;
En conséquence,
- confirmer la décision rendue par le juge de la mise en état près le tribunal judiciaire de [Localité 1], le 31 août 2023 ;
- Condamner M. [L] au paiement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir que son intérêt à agir n'est pas contestable dans la mesure où elle a un intérêt légitime au succès de ses prétentions à voir régler le montant des loyers impayés et occupés en vertu d'un contrat de bail signé par l'appelant le 20 novembre 2014 .
Elle estime que ce bail n'a fait l'objet d'aucune modification par la suite et que M. [L] est donc resté titulaire du bail commercial, ce qu'il n'a pas contesté lors de la signature du bail dérogatoire entre la SCI Promotive et la société LO2, qu'il a signé en qualité d'associé de la société LO2 et au cours duquel il indiquait vouloir négocier une dette qu'il ne contestait pas.
Sur la prescription, elle invoque les dispositions de l'article 2240 du code civil pour considérer que la reconnaissance de dette par M. [L] dans l'acte de bail dérogatoire du 30 novembre 2017 a interrompu le délai de prescription et fait courir un nouveau délai jusqu'au 30 novembre 2022.
MOTIFS
Sur la communication des avis d'impositions relatifs à la taxe foncière
La cour, comme le tribunal, constate que cette demande est sans objet dans la mesure où les avis d'imposition correspondant à cette taxe pour les années 2015 à 2018 soit couvrant la période locative au cours de laquelle l'arriéré locatif est réclamé à M. [L], sont produits.
Sur l'intérêt à agir de la SCI Promotive
L'intérêt à agir de la SCI Promotive n'est pas contestable dans la mesure où elle a la capacité d'agir en justice et un intérêt légitime au succès de ses prétentions à recouvrement de loyers impayés portant sur un local dont elle est propriétaire et donné à bail le 20 novembre 2014 à M. [L].
Sur la recevabilité des demandes dirigées contre M. [L]
Le contrat de bail du 20 novembre 2014 a été conclu entre la SCI Promotive, bailleur, et M. [V] [L] preneur.
M. [V] [L] soutient qu'il a été fait pour le compte de la SARL LO2 et que lors de l'immatriculation postérieure de la société, le transfert du contrat s'est fait automatiquement à son bénéfice.
Aux termes des articles 1843 du Code civil et L210-6 du code de commerce, les personnes qui ont agi au nom d'une société commerciale en formation avant qu'elle ait acquis la jouissance de la personnalité morale par son immatriculation au registre du commerce et des sociétés, sont tenues solidairement et indéfiniment responsables des actes ainsi accomplis, à moins que la société, après avoir été régulièrement constituée et immatriculée, ne reprenne les engagements souscrits. Ces engagements sont alors réputés avoir été souscrits dès l'origine par la société.
Les actes ainsi accomplis inclus notamment la signature d'un contrat de bail de sorte que la personne qui a agi au nom d'une société en cours de formation, est tenue solidairement et indéfiniment responsable des effets de celui-ci.
Le contrat de bail conclu pour une société en formation peut prévoir dès sa signature que la signature des statuts et l'immatriculation emporteront reprise automatique et rétroactive des engagements pris pour son compte durant la période de formation.
Mais en l'espèce, cette reprise automatique des engagements par la société en cours de création n'est pas prévue au contrat de bail signé le 20 novembre 2014 par M.[L].
En effet, celui-ci se limite dans ce contrat à informer le bailleur qu'une Sarl est en " cours de création ", qu'à la réception du numéro d'immatriculation et de l'extrait KBis de la société, une modification sera apportée au bail concernant uniquement le preneur et qu'il sera ensuite procédé à l'enregistrement du bail.
Mais il ne précise pas pour autant que cette modification sera automatique dès l'immatriculation de la société ou la réception du Kbis de celle-ci ni que la société reprendra les engagements souscrits.
C'est dès lors à tort que le preneur de ce bail soutient que du seul fait de l'annonce publiée au Bodacc le 26 décembre 2014 de l'immatriculation de la SARL L02 pour exercer l'activité de restauration rapide sous l'enseigne Coffe Tea Pasta sous sa gérance, la modification du preneur a été opérée de plein droit et l'a dégagé de toute obligation personnelle en sa qualité de preneur du bail commercial.
Ultérieurement, aucun avenant n'a été signé pour modifier le preneur et l'enregistrement d'un nouveau bail portant une nouvelle identité du preneur n'est pas justifié en violation avec la clause du contrat prévoyant ces obligations de régularisation.
Certes la SCI Promotive a signé les quittances au nom de la société et non de M. [L], et les paiements ont été effectués par la société mais la Sarl LO2 n'en a pas pour autant expressément repris les engagements du preneur et le bailleur n'a pas plus exprimé sans équivoque son accord au changement de locataire sans obligation solidaire à la dette du preneur initial, M. [L].
D'ailleurs, il n'est pas démontré que M. [L] ait jamais réclamé son désengagement personnel envers le bailleur et au contraire, il a reconnu dans le bail dérogatoire du 30 novembre 2017 conclu entre la SCI Promotive et la Sarl LO2 pour l'occupation des mêmes locaux, qu'il était personnellement et seul débiteur de la dette locative de 32 887 euros échue à cette date pour l'occupation des locaux commerciaux et pour réclamer, seul, la négociation de celle-ci.
S'il affirme désormais qu'il n'a lui-même pas la qualité de commerçant, qu'à considérer le bail commercial souscrit en son nom propre, il faudrait donc conclure qu'il est nul et de nul effet, ce moyen et cette prétention sont sans effet au stade de la question de la recevabilité des demandes dirigées contre lui en sa qualité de locataire traitée posée au juge de la mise en état.
En conséquence, c'est à juste titre que celui-ci a déclaré la demande recevable.
Sur la prescription de la demande en paiement
Il a été vu que dans le bail dérogatoire du 30 novembre 2017 à la signature duquel M. [V] [L] est intervenu en qualité d'associé, il est précisé qu'il reconnaît être débiteur d'une dette de 32 887,93 euros au titre de l'exploitation des locaux et correspondant aux loyers charges et taxes foncières impayés et sollicite sa compensation avec les paiements ultérieurs de la société LO2.
Cette reconnaissance de dette expresse et non équivoque sur le fait générateur et le montant de la dette a eu pour effet en application des dispositions de l'article 2240 du code civil, d'interrompre le délai de prescription légal quinquennal posé à l'article 2224 du code civil opposable aux actions en recouvrement du bailleur.
Cette interruption a fait courir un nouveau délai de 5 ans.
Or, la dette locative dont le paiement est réclamé porte sur une période d'occupation débutée selon bail de 2014 et donc inscrite dans le premier puis le second délai quinquennal.
En conséquence, cette demande n'est pas prescrite.
PAR CES MOTIFS,
La cour statuant publiquement et contradictoirement,
Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de [Localité 1] le 31 août 2023.
Ajoutant,
Condamne M. [L] à payer à la SCI Promotive la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel.
Condamne M. [L] aux dépens.