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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 3-4, 7 mars 2024, n° 23/07524

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Autre

PARTIES

Défendeur :

O Wine (SARL), Barokk (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Chalbos

Conseillers :

Mme Vignon, Mme Martin

Avocats :

Me Daval-Guedj, Me Ferroni

TJ Toulon, du 23 mai 2023, n° 23/00067

23 mai 2023

***

M. [W] [R] et son fils M. [T] [R] ont acquis indivisément et par moitié le 15 septembre 1958 un ensemble immobilier situé [Localité 5], comportant des locaux à usage de bar hôtel restaurant.

À la suite du décès de M. [W] [R] survenu en 1962, de la donation consentie par sa veuve à leurs deux enfants, Mme [X] [R] et M. [T] [R] en 1981, du décès de M. [T] [R] survenu en 1987, la propriété de l'immeuble précité a été dévolue indivisément à Mme [X] [R] pour un quart et à son neveu M. [U] [R] pour les trois quarts.

Mme [P] [V], veuve de M. [T] [R], est titulaire d'une quote part en usufruit.

Le 1er mai 2014, Mme [P] [R] et M. [U] [R] ont signé un bail

commercial avec la société O Wine SARL concernant les locaux situés [Adresse 2].

Un avenant au contrat de bail commercial a été signé le 5 janvier 2021 entre les parties.

La société O Wine a donné son fonds de commerce en location gérance à la société SAS Barokk

par contrat en date du 2 février 2022.

Par acte du 20 décembre 2022, Mme [X] [R] a fait assigner la SARL O Wine, M. [U] [R], Mme [P] [V] et la SAS Barokk devant la présidente du tribunal judiciaire de Toulon, selon la procédure accélérée au fond, aux fins d'entendre, au visa des articles 815 et suivants du code civil :

- juger que les baux régularisés les 1er mai 2014 et 5 janvier 2021 sont nuls et de nuls effets pour avoir été régularisés hors la présence de [X] [R], indivisaire,

- annuler les baux commerciaux souscrits et la convention de location gérance signée entre O Wine et SAS Barokk,

- condamner la société O Wine à lui payer la somme de 2000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens,

- ordonner l'exécution du jugement à intervenir.

Par jugement du 23 mai 2023, le tribunal judiciaire de Toulon a :

- déclaré irrecevable l'action introduite par [X] [R] pour cause de prescription sans qu'il soit nécessaire de statuer sur les autres moyens,

- déclaré irrecevable l'intervention volontaire au profit de [U] [R],

- rejeté toutes les autres demandes des parties qui deviennent sans objet,

- dit n'y avoir lieu à condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- rappelé que le présent jugement est de plein droit exécutoire par provision,

- condamné [X] [R] aux dépens.

Le tribunal a retenu à cet effet que l'action était soumise à la prescription de 2 ans édictée par l'article L.145-60 du code de commerce, que l'action en nullité du bail du 1er mai 2014 était donc prescrite, que l'acte signé le 5 janvier 2021 intitulé 'avenant au contrat de location entre la SARL O Wine et M. [R] [U]' ne constituait pas un nouveau contrat emportant novation mais un simple avenant au bail initial.

Mme [X] [R] a interjeté appel de cette décision le 6 juin 2023.

Par conclusions déposées le 6 juillet 2023, signifiées les 27 juillet et 1er août 2023, Mme [X] [R] demande à la cour, vu les articles 815-2, 815-3, 1188, 1329 du code civil, 122 et 700 du code de procédure civile, L.145-60 du code de commerce, d'infirmer la décision entreprise en ce qu'elle a déclaré irrecevable l'action introduite par [X] [R] pour cause de prescription sans qu'il soit nécessaire de statuer sur les autres moyens et statuant à nouveau, de :

- juger la procédure introduite par Mme [R] [X] recevable,

- juger que la contrat de bail du 1er mai 2014 a été nové via l'acte régularisé le 5 janvier 2021,

- juger que les baux régularisés les 1er mai 2014 et 5 janvier 2021 sont nuls et de nuls effets pour avoir été régularisés hors la présence de Mme [X] [R] indivisaire,

- annuler les baux commerciaux souscrits et la convention de location gérance signée entre O Wine et Barokk et statuer ce que de droit sur les demandes présentées par [X] [R],

- infirmer le jugement en ce qu'il a condamné [X] [R] à payer les dépens de première instance,

Y ajoutant,

- débouter les intimés de toutes demandes, fins et conclusions,

- condamner la société O Wine à payer à Mme [X] [R] la somme de 5000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel, ces derniers distraits au profit de la SCP Cohen Guedj Montero Daval-Guedj sur son offre de droit.

Par conclusions déposées et notifiées le 28 août 2023, Mme [P] [V] veuve [R] représentée par son tuteur Mme [M] [D], mandataire judiciaire à la protection des majeurs, déclare s'en remettre à la sagesse de la cour.

M. [U] [R], cité à sa personne, la société Barokk, citée à personne habilitée, et la société O Wine, citée dans les formes prévues à l'article 659 du code de procédure civile, n'ont pas constitué avocat.

La procédure a été clôturée le 12 décembre 2023.

MOTIFS :

L'action en nullité intentée par Mme [X] [R] n'est pas née spécifiquement du statut des baux commerciaux ni fondée sur ses règles.

Elle est fondée sur le régime légal de l'indivision et soumise à ce titre à la prescription quinquennale de droit commun et non pas à la prescription biennale édictée par l'article L.145-60 du code de commerce comme l'a retenu à tort le premier juge, cette précision n'ayant toutefois aucune incidence sur la solution du litige.

L'action intentée par acte du 20 décembre 2022 aux fins de faire juger nulle et de nul effet la convention signée le 5 janvier 2021 n'est pas atteinte par la prescription, qu'elle soit biennale ou quinquennale, et doit être déclarée recevable, le jugement étant infirmé sur ce point.

Mme [X] [R] soutient que l'acte régularisé le 5 janvier 2021 constitue non pas un simple avenant au bail de 2014 mais un nouveau bail opérant une novation du bail initial, et que la conclusion d'un tel acte requérait le consentement de tous les indivisaires ; que l'acte passé sans son accord est atteint d'une cause de nullité en application des dispositions de l'article 815-3 du code civil.

Aux termes de l'article 1329 du code civil, la novation est un contrat qui a pour objet de substituer à une obligation, qu'elle éteint, une obligation nouvelle qu'elle crée. Elle peut avoir lieu par substitution d'obligation entre les mêmes parties, par changement de débiteur ou par changement de créancier.

Il résulte par ailleurs de l'article 1330 du même code que la novation ne se présume pas, la volonté de l'opérer doit résulter clairement de l'acte.

Le fait que les parties aient expressément intitulé l'acte du 5 janvier 2021 'avenant au contrat de la location entre la SARL O'Wine et [R] [U]' ne concorde pas avec une volonté de nover et tend au contraire à démentir une telle volonté.

L'avenant n'a pas pour effet de créer un nouveau bail puisqu'il est y est mentionné qu'il porte sur un bail conclu pour une durée de 9 années courant depuis 2014.

La seule modification notable porte sur l'assiette du bail, qui ne comporte plus le local d'habitation accessoire qui figurait au bail initial, et sur un réajustement du loyer.

L'utilisation par les parties en 2021 d'une trame support différente de celle utilisée en 2014 induit des différences de formulation des clauses relatives aux impôts, taxes et réparations, qui n'induisent cependant pas de réelle modification dans les obligations des parties.

L'appelante invoque l'ajout d'une clause résolutoire qui n'aurait pas été insérée en 2014, ce que la cour ne peut vérifier en l'état de la production incomplète du bail de 2014, cet ajout étant en tout état de cause inefficace à caractériser une volonté de nover.

C'est en conséquence à juste titre que le premier juge a considéré que la volonté des parties était de poursuivre le contrat initial auquel il était fait référence dans l'avenant.

La conclusion d'un simple avenant relatif à un bail commercial en cours, qui n'engage pas l'indivision sur une nouvelle durée, ressortit à l'exploitation normale des biens indivis et peut être valablement signée par l'indivisaire titulaire d'au moins deux tiers de ces droits.

L'action en nullité fondée sur l'article 815-3 du code civil n'est donc pas fondée et sera rejetée.

L'action intentée par acte du 20 décembre 2022 aux fins de faire juger nulle et de nul effet la convention signée le 1er mai 2014, dont l'avenant du 5 janvier 2021 ne constitue pas une novation, est atteinte par la prescription et sera déclarée irrecevable, le jugement étant confirmé sur ce point.

Partie succombante, Mme [X] [R] sera condamnée aux dépens.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par défaut,

Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré irrecevable la demande de Mme [R] tendant à faire juger nul et de nul effet l'avenant du 5 janvier 2021,

Statuant à nouveau sur ce point,

Déclare Mme [X] [R] recevable en son action en nullité de l'avenant du 5 janvier 2021 mais l'en déboute,

Confirme le jugement entrepris pour le surplus,

Condamne Mme [X] [R] aux dépens.