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Décisions

CA Grenoble, ch. com., 7 mars 2024, n° 23/00283

GRENOBLE

Arrêt

Autre

PARTIES

Demandeur :

U Proximité France (SCA)

Défendeur :

Tendis (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Figuet

Conseillers :

M. Bruno, Mme Faivre

Avocats :

Me Tidjani, Me Rosselin, Me Kanedanian, Me Riemain

T. com. Grenoble, du 09 déc. 2022, n° 20…

9 décembre 2022

Faits et procédure :

1. La société Tendis exploite un supermarché sous l'enseigne U Express à [Localité 2] (38) depuis la fin de l'année 2015. Dans ce cadre, elle a adhéré à la société coopérative U Proximité France auprès de laquelle elle s'est fournie en produits et marchandises. Le 9 mai 2016, rencontrant des difficultés, la société Tendis a obtenu un moratoire concernant l'apurement de sa dette contractée au titre de la livraison de marchandises.

2. Le 27 août 2019, la société U Proximité France a mis en demeure la société Tendis de lui régler la somme de 345.769,40 euros, puis l'a assignée le 11 septembre 2019 devant le juge des référés en paiement.

3. Le 22 octobre 2019, la société Tendis a été placée en redressement judiciaire, et le 12 novembre 2019, la société U Proximité France s'est désistée de la procédure de référé.

4. Le 13 décembre 2019, la société U Proximité France a déclaré au passif de la société Tendis une créance à titre échu et privilégié d'un montant de 566.211,85 euros. La société Tendis a contesté cette créance.

5. Le 19 mai 2020, le tribunal de commerce de Grenoble a arrêté le plan de cession de la société Tendis.

6. Par ordonnance du 13 avril 2021, le juge-commissaire a constaté l'existence d'une contestation sérieuse, s'est déclaré incompétent et a invité la société U Proximité France à mieux se pouvoir. Cette dernière a ainsi saisi le tribunal de commerce de Grenoble le 10 mai 2021 afin notamment de voir fixer le montant de sa créance à 566.211,85 euros, et de l'admettre au passif à titre privilégié et échu.

7. Par jugement du 9 décembre 2022, le tribunal de commerce de Grenoble a :

- rejeté la demande de la société U Proximité France au titre de l'admission de sa créance déclarée à l'encontre de la société Tendis;

- condamné la société U Proximité France à payer à maître [X] en qualité de mandataire judiciaire de la société Tendis une somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la société U Proximité France à supporter les dépens de l'instance.

8. La société U Proximité France a interjeté appel de cette décision le 13 janvier 2023 en toutes ses dispositions reprises dans son acte d'appel.

L'instruction de cette procédure a été clôturée le 14 décembre 2023.

Prétentions et moyens de la société U Proximité France :

9. Selon ses conclusions remises le 18 avril 2023, elle demande à la cour, au visa des articles L624-2 et L123-23 du code de commerce :

- d'infirmer le jugement entrepris ;

- à titre principal, de fixer sa créance au passif de la liquidation judiciaire de la société Tendis pour la somme de 566.211,85 euros titre privilégié et échu, ladite créance bénéficiant du privilège de nantissement conventionnel sur le fonds de commerce;

- d'admettre sa créance pour la somme de 566.211,85 euros à titre privilégié et échu, ladite créance bénéficiant du privilège de nantissement conventionnel sur le fonds de commerce et ordonner son inscription sur l'état du passif;

- à titre subsidiaire, de fixer sa créance au passif de la liquidation judiciaire de la société Tendis pour la somme de 394.777,53 euros à titre privilégié et échu, ladite créance bénéficiant du privilège de nantissement conventionnel sur le fonds de commerce;

- d'admettre sa créance pour la somme de 394.777,53 euros à titre privilégié et échu, ladite créance bénéficiant du privilège de nantissement conventionnel sur le fonds de commerce et ordonner son inscription sur l'état du passif;

- en tout état de cause, de laisser les dépens à la charge de la société Tendis.

Elle expose :

10. - que dans le cadre de la préparation de son dossier de déclaration de cessation des paiements, la société Tendis a confirmé que la concluante était créancière de 394.777,53 euros, somme déclarée par la débitrice lors de l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire aux organes de cette procédure en application de l'article L622-6 du code de commerce, ce que le mandataire judiciaire a confirmé à la concluante par courrier du 22 novembre 2019; que lors de la procédure de référé, la débitrice n'a pas contesté devoir la somme de 345.769,40 euros ainsi qu'il résulte d'échanges de courriels ; qu'au mois d'août 2019, lorsque la concluante a informé la débitrice du montant de sa dette et, en application du règlement intérieur de la coopérative, l'a avisée que les livraison seraient désormais faites avec un paiement préalable, la société Tendis n'a pas contesté le montant de sa dette ;

11. - qu'il résulte de l'extrait du compte client de la société Tendis, certifiée conforme par l'expert-comptable de la concluante, que la dette était de 196.385,54 euros au 1er mars 2018 ; que postérieurement, la dette a augmenté pour atteindre au 6 novembre 2019 la somme de 566.211,85 euros selon l'édition du compte client ; que la concluante rapporte la preuve de la réalité de sa créance par la production des factures émises à partir du 24 mai 2019, s'ajoutant au solde existant depuis le mois de mars 2018 ;

12. - que le quantum de la créance est ainsi établi, alors que l'article L123-23 du code de commerce dispose que la comptabilité régulièrement tenue peut être admise en justice pour faire preuve entre commerçants de faits de commerce ; que les intimés ne produisent aucun élément résultant de leur propre comptabilité ;

13. - subsidiairement, que le montant de 394.777,53 euros n'a pas été contesté par la société Tendis lors de la déclaration de cessation des paiements, alors que la créance portée à la connaissance du mandataire par le débiteur, dans le délai fixé par l'article R622-24 du code de commerce, fait présumer la déclaration de créance par son titulaire, dans la limite du contenu de l'information fournie par le débiteur au mandataire judiciaire, selon l'arrêt de la chambre commerciale de la Cour de Cassation du 8 février 2023 (n°21-19.330).

Prétentions et moyens de la société Tendis et de maître [X], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Tendis :

14. Selon leurs conclusions remises le 4 juillet 2023, ils demandent à la cour, au visa des articles L 642-2, L 622-27, L 621-105 et R 624-7 du code de commerce, de l'article 1103 du code civi :

- de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

- de débouter l'appelante de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;

- de condamner l'appelante à leur verser, chacun, la somme de 3.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

- de condamner l'appelante aux entiers dépens.

Ils soutiennent :

15. - concernant la créance initiale ayant fait l'objet d'un moratoire en 2018, que l'appelante tente de la justifier par des factures remontant à 2016, dont certaines établies à un ordre Mistral, sans qu'on puisse les imputer à la société Tendis ; que les sommes figurant dans les éditions de comptes des années 2016 à 2018 ne correspondent pas aux factures 2016 ;

16. - que la société Tendis n'a pas reconnu l'existence d'une créance au profit de l'appelante, alors que les mails produits font état de ristournes ; que le courrier du mandataire invitant l'appelante à déclarer sa créance en lui précisant que la société Tendis l'a déjà fait figurer sur la liste des créanciers ne constitue pas une reconnaissance de dette, d'autant que les montants sont divergents ; que la société Tendis a seulement indiqué au mandataire les réclamations et la procédure de référé dont elle faisait l'objet lors de l'ouverture du redressement judiciaire en application de l'article L622-6 du code de commerce, sans que cela vaille reconnaissance de dette;

17. - que la créance invoquée par l'appelante a augmenté sans explication de plus de 60 % entre la date de son assignation en référé et celle de sa déclaration de créance, passant de 345.769,40 euros à 566.211,85 euros ;

18. - que si lors de l'instance tenue devant le juge-commissaire l'appelante a expliqué cette augmentation par l'intégration du remboursement de budgets qui n'avait pas été demandé initialement, se fondant sur l'article 11 de son règlement intérieur selon lequel l'associé s'engage à rembourser à la coopérative la totalité des aides financières à l'investissement qu'elle lui aura versées pendant toute la durée de son adhésion, en cas de départ volontaire ou forcée dans les cinq ans suivant le dernier versement, cependant le cas de la société Tendis ne rentre pas dans ce cadre, puisqu'il n'y a pas eu de départ volontaire, mais un plan de cession, alors qu'elle n'a pas fait l'objet d'une exclusion et qu'il n'y a pas eu ainsi de départ forcé ; qu'en conséquence, l'appelante ne peut demander le remboursement des aides à l'investissement ;

19. - qu'en outre, l'appelante ne justifie pas de la réalité de ces versements et de leur justification ; qu'elle n'a pas intégré les ristournes dues à la société Tendis en sa qualité d'adhérente de la coopérative après l'année 2017, alors que lors du moratoire conclu en 2018, il avait été prévu que le passif serait apuré par compensation avec les ristournes à percevoir au titre de l'exercice 2018 et des exercices suivants ; que la valeur des parts détenues par la société Tendis dans la coopérative doit venir en déduction du montant de la créance.

*****

20. Il convient en application de l'article 455 du code de procédure civile de se référer aux conclusions susvisées pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.

MOTIFS DE LA DECISION

21. Selon le tribunal de commerce, l'appelante a fourni des explications imprécises et confuses concernant la reprise de divers budgets retenus dans l'édition de compte du 6 novembre 2019 faisant état du solde débiteur réclamé de 566.211,85 euros. Il a relevé que dans le même temps, l'appelante affirme qu'au moment de la déclaration de créance, la société Tendis était toujours associée de la coopérative d'achats, ce qui force à constater que le remboursement des aides financières à l'investissement faites par le groupement ne peut être exigé.

22. Le tribunal a également constaté, concernant l'absence de compensation de la dette par les ristournes à percevoir sur les achats effectués ainsi qu'au titre de l'avance marchandise au-delà de l'année 2017, que l'appelante est taisante sur ce point. Il a noté que les éléments produits ne sont pas exhaustifs, que des opérations ne sont pas retracées, et que ces manquements et absences justifient la contestation sérieuse soulevée par le juge-commissaire et sont de nature à affecter la créance de l'appelante en son principe et en son montant.

23. La cour constate que selon l'échange de lettres et courriels au mois de mars 2018 concernant l'accord pour le règlement de la dette de la société Tendis par compensation avec les remises de fin d'année 2017 devant lui revenir et avec les remises à venir, le solde au 12 mars 2018 a été arrêté à 196.385,54 euros.

24. Par mail du 2 juillet 2019, concernant un solde de 377.548,36 euros, la société U Proximité France a demandé un audit financier pour trouver une solution. Ce montant n'a pas été contesté par la société Tendis dans sa réponse. Le mail de l'appelante du 26 août 2019 a indiqué qu'en raison de la dette de 345.769,40 euros et d'une assignation du bailleur de la société Tendis en résiliation du bail commercial, les livraisons seront payables au comptant. Ce montant de la créance de l'appelante n'a pas plus été contesté par la société Tendis dans sa réponse du 27 août 2019. Aucune contestation n'a été adressée par la société Tendis lors de sa mise en demeure du 27 août 2019 délivrée pour la même somme.

25. L'édition du compte client arrêté au 20 mars 2018 fait état d'un solde de 196.385,54 euros. La cour constate que l'édition du même compte, arrêté au 23 septembre 2019 à 566.211,85 euros, repart bien de ce solde précédent. Cette édition a été jointe à la déclaration de créance.

26. Les factures émises postérieurement au 20 mars 2018, figurant dans l'édition finale du compte, concernent la fourniture de marchandises, outre les redevances dues à l'enseigne. Aucune ne concerne des aides financières avancées par l'appelante.

27. Dans sa lettre du 22 novembre 2019, maître [X] a informé l'appelante que la société Tendis l'a avisé de l'existence de la créance de 394.777,53 euros à titre échu conformément à l'article L622-6 du code de commerce, et il a invité l'appelante à déclarer sa créance.

28. Enfin, la déclaration du 13 décembre 2019 pour 566.211,85 euros concerne une créance calculée à partir de l'édition du compte arrêté suite à l'accord du 8 mars 2018, pour 196.385,44 euros, solde auquel sont rajoutées des factures postérieures. Des avoirs sont déduits au titre de la remise 2017. De nombreuses factures concernant l'année 2016 sont jointes.

29. Il n'est pas contesté que la comptabilité de l'appelante est conforme aux normes comptables et qu'elle est sincère. Elle est ainsi recevable au sens de l'article L123-23 du code de commerce pour faire la preuve de la créance de l'appelante. Si l'article 11 du règlement intérieur de la coopérative stipule que l'associé s'engage à rembourser à la coopérative la totalité des aides financières à l'investissement qu'elle lui aura versées pendant toute la durée de son adhésion, en cas de départ volontaire ou forcée dans les cinq années suivant le dernier des versements, étant précisé que l'obligation de remboursement concerne l'ensemble des aides financières versées depuis moins de cinq ans au jour du retrait volontaire ou forcé, alors que le départ volontaire est défini comme étant la démission de l'associé, la cession du seul fonds de commerce dont l'associé est propriétaire, la mise en location-gérance, la cour constate que la société U Proximité France n'a pas intégré dans sa créance le remboursement de ces aides. Enfin, aucun élément n'indique que la valeur des parts de la société Tendis devrait venir en déduction des factures.

30. Il en résulte que l'appelante rapporte bien la preuve de sa créance pour 566.211,85 euros à titre privilégié au sens des articles 1353 du code civil et L123-23 du code de commerce. En conséquence, le jugement déféré sera infirmé en toutes ses dispositions. Statuant à nouveau, la cour fixera le montant de la créance de la société U Proximité France à cette somme.

31. Il n'appartient par contre pas à la cour d'admettre cette créance au passif de la société Tendis, puisque l'admission d'une créance, après sa fixation, relève du pouvoir exclusif du juge-commissaire, qu'il appartiendra à la société U Proximité France de saisir au besoin.

32. Succombant devant cet appel, la société Tendis sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel, qui seront employés en frais privilégiés de la liquidation judiciaire, par application de l'article 696 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant publiquement, par défaut, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu les articles 1353 du code civil et L123-23 du code de commerce ;

Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions;

statuant à nouveau ;

Dit que la créance de la société U Proximité France sur la société Tendis s'élève à la somme de 566.211,85 euros ;

Dit que l'admission de la créance au passif de la société Tendis ne relève pas du pouvoir de la cour ;

Condamne la société Tendis aux dépens de première instance et d'appel, qui seront employés en frais privilégiés de la liquidation judiciaire;

SIGNÉ par Mme FIGUET, Présidente et par Mme RICHET, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.