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Décisions

CA Poitiers, 2e ch., 12 mars 2024, n° 23/00326

POITIERS

Arrêt

Autre

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pascot

Conseillers :

M. Vetu, M. Lecler

Avocats :

Me Mazaudon, Me Duflos

CA Poitiers n° 23/00326

11 mars 2024

EXPOSÉ DU LITIGE :

Le 29 janvier 2019, le tribunal de commerce de Poitiers a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Centre Ouest Goudronnage et a désigné Maître [I] [Z] en qualité de mandataire judiciaire.

Le 25 septembre 2019, le redressement judiciaire a été converti en liquidation judiciaire.

Le 14 septembre 2022, le liquidateur judiciaire de la société Centre Ouest Goudronnage a attrait Monsieur [K], le gérant, devant le tribunal de commerce de Poitiers.

Dans le dernier état de ses demandes, le liquidateur a demandé de :

- le déclarer recevable et bien fondée en ses demandes,

- déclarer que l'insuffisance d'actif est certaine,

- déclarer que Monsieur [K] a commis, dans l'exercice de ses fonctions de gérant, de graves fautes de gestion qui ont contribué à l'insuffisance d'actif,

- déclarer que Monsieur [K] a commis, dans l'exercice de ses fonctions de gérant, des fautes justifiant une mesure de faillite personnelle,

En conséquence,

- condamner Monsieur [K] à lui payer la somme de 280.000 euros,

- prononcer à l'encontre de Monsieur [E] [K] une mesure de faillite personnelle d'une durée de 10 ans,

En tout état de cause,

- condamner Monsieur [K] à lui payer la somme de 5.000 euros,

- condamner Monsieur [K] aux entiers dépens.

A l'audience, Monsieur [K] n'était pas représenté.

Par jugement réputé contradictoire en date du 24 janvier 2023, le tribunal de commerce de Poitiers a statué ainsi :

- déclare la SELARL [I] [Z] - MJO Mandataires judiciaires ès-qualités de liquidateur judiciaire de la SARL Centre Ouest Goudronnage recevable et bien fondée en ses demandes,

- déclare que l'insuffisance d'actif est certaine,

- déclare que Monsieur [E] [K] a commis, dans l'exercice de ses fonctions de gérant, de graves fautes de gestion qui ont contribué à l'insuffisance d'actif,

- déclare que Monsieur [E] [K] a commis, dans l'exercice de ses fonctions de gérant, ds fautes justifiant une mesure de faillite personnelle,

En conséquence,

- condamne Monsieur [E] [K] à payer la somme de 280.000 euros à la SELARL [I] [Z] - MJO Mandataire judiciaires ès-qualités,

- prononce à l'encontre de Monsieur [E] [K] une mesure de faillite personnelle d'une durée de 10 ans,

- condamne Monsieur [E] [K] à payer la somme de 5.000 euros à la SELARL [I] [Z] - MJO mandataires judiciaires ès-qualités sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonne l'exécution provisoire de la présente décision,

- ordonne l'emploi des dépens en frais privilégiés de liquidation judiciaire.

Par déclaration en date du 03 février 2023, Monsieur [K] a relevé appel de cette décision en visant les chefs expressément critiqués en intimant le liquidateur judiciaire.

Monsieur [K], par dernières conclusions transmises par voie électronique en date du 3 mai 2023, demande à la cour de :

- recevoir Monsieur [E] [K] en son appel et l'y dire bien fondé,

Principalement,

Vu les articles 654 et suivants du code de procédure civile,

Vu les articles 112 et suivants du code de procédure civile,

- annuler l'assignation délivrée à la requête de la SELARL [I] [Z] - MJO - MANDATAIRES JUDICIAIRES ès qualité le 14 septembre 2022,

- annuler en conséquence le jugement du tribunal de commerce de Poitiers du 24 janvier 2023 (RG 2022002430),

- renvoyer la SELARL [I] [Z] - MJO - MANDATAIRES JUDICIAIRES ès-qualité à mieux se pourvoir,

Subsidiairement,

- infirmer le jugement du tribunal de commerce de Poitiers du 24 janvier 2023 (RG 2022002430) en toutes ses dispositions,

- Débouter la SELARL [I] [Z] - MJO - MANDATAIRES JUDICIAIRES ès-qualité de liquidateur judiciaire de la SARL CENTRE OUEST GOUDRONNAGE de toutes ses demandes formées contre Monsieur [E] [K], et notamment de ses demandes tendant à voir :

- condamner Monsieur [E] [K] à lui payer la somme de 280.000 euros, - prononcer à l'encontre de Monsieur [E] [K] une mesure de faillite personnelle d'une durée de 10 ans,

- condamner Monsieur [E] [K] à lui payer la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Très subsidiairement,

- infirmer le jugement du tribunal de commerce de Poitiers du 24 janvier 2023 (RG 2022002430) en toutes ses dispositions,

- réduire le montant de la condamnation susceptible d'être prononcée à l'encontre de Monsieur [E] [K] au titre de la responsabilité pour insuffisance d'actif,

- réduire la durée de la mesure de faillite personnelle susceptible d'être prononcée à l'encontre de Monsieur [E] [K],

En tout état de cause,

- Dire que les dépens seront employés en frais privilégiés de liquidation judiciaire.

Le liquidateur judiciaire, par dernières conclusions transmises par voie électronique en date du 9 juin 2023, demande à la cour de :

Vu l'article L651-2 du Code de commerce

Vu les articles L653-2 et L653-4 du Code de commerce

- déclarer Monsieur [G] [K] mal fondé en son appel,

- rejeter la demande de nullité de l'assignation délivrée le 14 septembre 2022 et la demande de nullité du jugement entrepris,

- confirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Poitiers le 24 janvier 2023 en toutes ses dispositions,

En conséquence,

- débouter Monsieur [E] [K] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

- condamner en outre Monsieur [E] [K] à payer à la SELARL [I] [Z] - MJO MANDATAIRES JUDICIAIRES la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Monsieur [E] [K] aux entiers dépens.

Le parquet général, par avis transmis par voie électronique en date du 19 juillet 2023, demande à la cour de :

- rejeter la demande de nullité de l'assignation délivrée le 14 septembre 2022 et la demande de nullité du jugement entrepris,

- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Poitiers du 24 janvier 2023 en toutes ses dispositions.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie expressément aux dernières conclusions précitées pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 15 janvier 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

I Sur la demande tendant à l'annulation du jugement :

M. [K] sollicite l'annulation du jugement au motif que la signification de l'assignation serait irrégulière en ce que :

- l'assignation a été signifiée le 14 septembre 2022 à la requête du liquidateur au [Adresse 2] alors même que cette adresse n'était plus la sienne depuis plusieurs mois, et qu'à cette date, il demeurait [Adresse 6],

- l'huissier n'a pas effectué toutes les diligences utiles pour permettre une signification à personne ou à son nouveau domicile,

- l'huissier a été en revanche à même de lui signifier le jugement dont appel à son nouveau domicile, avenue de la Libération.

L'intimé et le parquet général répliquent que l'appelant ne justifie pas avoir déménagé à la date de la signification de l'assignation et que cette dernière a donc été valablement délivrée à domicile.

Ces moyens appellent les trois observations suivantes de la part de la cour.

D'une part, c'est à celui qui prétend à l'existence d'une nullité d'en rapporter la preuve. Or la cour constate que M. [K] ne verse nullement aux débats la signification de l'assignation dont il se prévaut pour conclure à sa numlité et à la nullité subséquente du jugement.

D'autre part, si l'appelant prétend que le 14 septembre 2022, il ne demeurait plus au [Adresse 2], il ne conteste pas qu'à cette date, son nom figurait toujours sur la boîte à lettres de cette adresse. Il est certes établi qu'au jour de la signification du jugement, soit le 1er février 2023, il demeurait [Adresse 7]. Pour autant M. [K] n'apporte strictement aucun élément permettant d'établir que son déménagement serait intervenu avant le 14 septembre 2022.

Surtout et en toute hypothèse, il convient d'observer que l'assignation a été délivrée à la dernière adresse connue, déclarée par M. [K] au greffe du tribunal de commerce, et figurant toujours sur un extrait Kbis levé à la date du 3 mai 2023 (pièce intimé n° 57 bis). Or, alors même que la procédure collective était toujours en cours, l'appelant n'a pas cru devoir porter son changement d'adresse à la connaissance du greffe du tribunal et du mandataire. Ce manquement est d'autant plus préjudiciable que le siège de la société en liquidation était fixé au domicile personnel du dirigeant. M. [K] a manifestement manqué à son obligation de collaborer avec les organes de la procédure. Compte tenu du manque de loyauté ainsi caractérisé, M. [K] n'est pas fondé à opposer le changement d'adresse allégué pour reprocher à l'huissier de justice un manque de diligences.

Le moyen tiré de la nullité de l'assignation pour prétendre à la nullité du jugement entrepris sera écarté.

II Sur la responsabilité pour insuffisance d'actif :

En droit, l'article L.651-2 du code de commerce dispose :

'Lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la personne morale, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée.'

En application de ce texte, il appartient au mandataire liquidateur de démontrer la réunion d'un préjudice résultant de l'insuffisance d'actif, d'une ou plusieurs fautes de gestion imputables au gérant ainsi qu'un lien de causalité pour chacune des fautes.

A L'insuffisance d'actif :

En droit, il ne peut être déduit de l'état de cessation des paiements de la société, la preuve de l'existence d'une insuffisance d'actif. La Cour de cassation est venue rappeler que cette preuve s'apprécie au regard de la situation globale du passif et de l'actif de la société à la date à laquelle le dirigeant a cessé ses fonctions (Chambre commerciale 17 février 2021 n°16-27.541).

En l'espèce, il résulte de la pièce n° 18 page 3 produite par Maître [Z], que la société débitrice dispose d'un actif s'élevant à la somme de 37.065,09 €.

Il résulte de la pièce n° 26 page 10 produite par le mandataire liquidateur que le passif définitivement admis s'élève à la somme de 319.441,40 euros se décomposant ainsi :

- 30.248,45€ (passif superprivilégié),

- 64.654,88€ (passif privilégié)

- 224.538,07€ (passif chirographaire).

Il en résulte qu'une insuffisance d'actif est établie de façon certaine à hauteur de la somme de 282.376,31 €, à la date à laquelle le dirigeant a cessé ses fonctions.

B Les fautes de gestion :

Le tribunal de commerce a retenu au titre des fautes de gestion imputable à Monsieur [K] :

- l'absence de demande d'ouverture d'une procédure collective malgré l'état de cessation des paiements ;

- le défaut de tenue de comptabilité complète et régulière ;

- le non-respect des obligations fiscales et sociales ;

- le détournement des actifs de la société Centre Ouest Goudronnage.

1) L'absence de demande d'ouverture d'une procédure collective malgré l'état de cessation des paiements :

L'appelant, Monsieur [K], sollicite l'infirmation du jugement déféré qui a retenu qu'il n'avait pas sollicité l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire de la société Centre Ouest Goudronnage dans le délai de quarante-cinq jours suivant la cessation des paiements. Au soutien de ses prétentions, il fait valoir qu'il pensait que la société serait en mesure de faire face à ses dettes, notamment grâce aux recettes provenant de la sous-traitance mise en place avec la société [S] nouvellement constituée pour se porter candidate à l'obtention de marchés publics, ce que la société Centre Ouest Goudronnage ne pouvait plus faire en raison des difficultés qu'elle rencontrait.

Le liquidateur judiciaire de la société Centre Ouest Goudronnage, répond que :

- la date de cessation des paiements étant fixée au 1er janvier 2018, Monsieur [K] aurait dû demander l'ouverture de la procédure collective au plus tard le 15 février 2018 ;

- Monsieur [K] ne pouvait ignorer la situation compromise de la société puisque des créances étaient en souffrance de longue date et qu'au 1er janvier 2018 la société n'était plus en mesure de faire face aux condamnations judiciaires, à ses charges courantes ainsi qu'à ses obligations fiscales et sociales ;

- Monsieur [K] ayant reconnu avoir cherché à poursuivre l'activité de la société Centre Ouest Goudronnage à travers la société [S] en profitant du crédit de cette dernière société, il avait parfaitement conscience de l'état de cessation des paiements.

Ces moyens appellent les observations suivantes.

En droit, l'article L.631-4 du code de commerce dispose: 'L'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire doit être demandée par le débiteur au plus tard dans les quarante-cinq jours qui suivent la cessation des paiements s'il n'a pas, dans ce délai, demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation.'. Par un arrêt du 4 novembre 2014 (n°13-23.070), la Chambre commerciale de la Cour de cassation a précisé que l'omission de déclaration de la cessation des paiements dans le délai légal, susceptible de constituer une faute de gestion au sens de l'article L.651-2 du code de commerce, s'apprécie au regard de la seule date de la cessation des paiements fixée dans le jugement d'ouverture ou dans un jugement de report. Par un arrêt du 3 février 2021 (n°19.20.004), la Chambre commerciale a rappelé que l'ignorance par le dirigeant de l'état de cessation des paiements ne pouvait constituer une simple négligence de nature à écarter la faute de gestion.

En l'espèce, la date de cessation des paiements de la société Centre Ouest Goudronnage a été fixée par le tribunal de commerce de Poitiers (redressement judiciaire le 29 septembre 2019 et liquidation judiciaire le 25 septembre 2019) au 1er janvier 2018. Dès lors, Monsieur [K] aurait dû demander l'ouverture d'une procédure collective au plus tard le 15 février 2018. Or, il résulte des pièces n°9 et n°34 de l'intimée que la procédure collective n'a été ouverte qu'à l'initiative de créanciers de la société.

Par ailleurs, il résulte pièces n°27 à 56 produites aux débats par l'intimé, que le montant des créances liquides et exigibles impayées par la société débitrice au 15 février 2018 admises définitivement au passif s'élève au total à 81.449,14 euros, se décomposant ainsi :

- 14.874,20 euros au titre des cotisations sociales, impôts et amendes dues aux organismes sociaux et au trésor public ;

- 44.316,74€ au titre de condamnations judiciaires définitives intervenues entre 2013 et 2017 ;

- 22.258,20€ au titre de factures de fournisseurs impayées.

De même, il est démontré par les pièces produites 27 à 32 produites par l'intimé, que la société débitrice n'était plus en mesure de régler :

- la TVA depuis 2015,

- la taxe d'apprentissage et de formation professionnelle depuis 2016,

- les cotisations PRO BTP depuis 2016,

- les charges URSSAF, les cotisations à la caisse de Congés payés ou à la caisse de retraite durant l'année 2018.

Il en résulte que Monsieur [K] ne pouvait ignorer les difficultés financières que rencontrait la société Centre Ouest Goudronnage. Alors qu'elle n'était plus en mesure de faire face à ses condamnations judiciaires ou à ses obligations fiscales, il n'a pas déclaré son état de cessation des paiements. En outre, il a reconnu avoir créé la société [S] pour poursuivre l'activité de la société Centre Ouest Goudronnage. Ainsi, dans un mail adressé le 15 mars 2019 au mandataire liquidateur (pièce n° 63), invité à s'expliquer sur la création de la société [S], il a pu écrire : 'C'est la SAS [S] qui a pu permettre à Centre Ouest Goudronnage de continuer en évitant la liquidation ; une partie des fournisseurs ont pu être réglés par la SAS [S]'. Aussi, son abstention ne relève pas d'une simple négligence mais d'une volonté assumée et délibérée de poursuivre une activité entreprenariale vouée à l'échec.

2) Le défaut de tenue de comptabilité complète et régulière :

L'appelant fait valoir que :

- un projet de comptes annuels a été établi par l'expert comptable de la société Centre Ouest Goudronnage et transmis au liquidateur judiciaire le 19 septembre 2019 ;

- le tribunal de commerce n'explique pas en quoi ce projet de comptes annuels ne serait pas sincère et devrait être considéré comme constituant une 'comptabilité régulière'.

L'intimée répond que :

- Monsieur [K] n'a pas remis au liquidateur de comptabilité approuvée depuis l'exercice 2017 ;

- le bilan et les comptes de l'exercice clôturé au 30/09/2018 auraient dû être établis au plus tard le 31 décembre 2018 et aucun bilan n'a été établi à l'ouverture de la procédure collective fin janvier 2019 ;

- l'expert-comptable mandaté pour établir le bilan au 30/09/2018 a refusé de certifier les comptes au regard des graves anomalies qu'il constatait ;

- l'expert-comptable a remis en cause la sincérité des factures et de certaines opérations saisies en comptabilité pendant l'exercice 2018, ce qui caractérise une comptabilité irrégulière ;

- la réalité d'une situation financière et économique dégradée aurait dû alerter Monsieur [K] et l'inciter à agir avec prudence et à mettre en place des outils de gestion adaptés et un suivi de la comptabilité et de la trésorerie particulièrement strict.

Ces moyens appellent les observations suivantes.

En droit, constitue au sens de l'article L.651-2 du code de commerce une faute de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif le défaut de tenue d'une comptabilité régulière et conforme aux dispositions légales, privant ainsi le dirigeant du moyen de percevoir l'évolution réelle de la situation financière de la société et de contrôler la rentabilité ou de déceler les difficultés que celle-ci ne pouvait plus surmonter (Chambre commerciale, 6 mars 2019).

L'expert-comptable mandaté pour l'établissement de ce bilan a refusé de certifier les comptes en raison de graves anomalies constatées. Ainsi, en pièces n°16 il est indiqué : 'Monsieur [U], expert-comptable, a exprimé son refus de signer la présentation des comptes en raison de l'existence d'anomalies comptables constatées. Monsieur [U] a en outre indiqué que les bilans des exercices précédents sont probablement également erronés'. D'ailleurs, à l'occasion de la présentation des comptes annuels les 23 janvier 2017 et 4 septembre 2017, l'expert-comptable a précisé : 'l'organisation administrative et comptable (...) ne permet pas de s'assurer avec une totale fiabilité de la transcription exhaustive dans les comptes annuels des mouvements financiers de l'exercice' (pièces n°3, 4 et 5).

Le rapport complémentaire du mandataire liquidateur en date du 19 septembre 2019 (pièce n° 16) précise :

'Monsieur [U] (comptabilité COG) a indiqué par entretien téléphonique du 09/09/2019, qu'il refusait de certifier les comptes annuels au 30/09/2018 en raison de l'existence de graves anomalies comptables :

- factures différentes portant le même numéro,

- discordances entre le montant de certaines factures (4 K€) et les règlements clients effectués (14 K€),

- clients ayant déclaré des malfaçons au passif, mais qui n'existent pas en comptabilité,

- factures de 2019 pour des cessions de véhicules réalisées en 2015 et 2017.

En outre, la situation comptable sur la période du 01/10/2018 au 31/08/2019 n'a pas été fournie, de sorte: que le soussigné est dans l'incapacité de déterminer si l'entreprise est rentable ou si elle demeure déficitaire.

Les éléments demandés relatifs à la comptabilité de [S] n'ont été transmis ni par Monsieur [K] ni par le cabinet Fiducial, et ce malgré les nombreuses demandes formulées lors des audiences.'

Il ressort de ces divers éléments que Monsieur [K] a tenu une comptabilité irrégulière pour présenter avantageusement la situation de la société Centre Ouest Goudronnage au titre de l'exercice 2018 et n'a pas tenu de comptabilité ni assuré de suivi de gestion de la société depuis le 1er octobre 2018 alors qu'il n'ignorait pas que la société était en état de cessation des paiements.

3) L'inobservation d'obligations fiscales et sociales :

L'intimée invoque une faute de gestion constituée par le non-respect des obligations fiscales et sociales (cotisations retraite, cotisations URSSAF, cotisations congés payés auprès de la Caisse de l'Ouest), et précise que les seules cotisations dont la société s'est acquittée en 2018 sont les cotisations de prévoyance et de mutuelle dont Monsieur [K] bénéficiait à titre personnel et les redevances d'assurance au titre de la garantie de revenus qu'il avait souscrite à son profit.

La Cour observe que Monsieur [K] ne répond pas sur ce point.

En droit, selon une jurisprudence constante (v. notamment Chambre commerciale 13 novembre 2007 n°06-13.212), l'inobservation par le dirigeant, des obligations sociales et fiscales de la société constitue une faute de gestion.

En l'espèce, il ressort des pièces versées aux débats que :

- de nombreuses dettes fiscales sont impayées depuis 2015 (pièce n°27) ,

- les dettes sociales les plus anciennes remontent à 2016 (pièce n°30),

- depuis janvier 2018 la société débitrice ne paye plus les cotisations URSSAF (pièce n°29) et les cotisations congés payés à la Caisse de l'Ouest (pièce n°31),

- depuis juillet 2018, la société débitrice ne paye plus les cotisations de la médecine du travail (pièce n°32),

- les seules cotisations sociales acquittées par la société débitrice sont celles dont Monsieur [K] bénéficiait personnellement (pièce n°7).

Par ailleurs, alors que les dettes fiscales et sociales de la société débitrice déclarées s'élèvent à la somme de 46.593,29 euros (après renoncement à une part de ses créances par la Caisse du Grand Ouest), Monsieur [K] a bénéficié de la poursuite de l'activité déficitaire de sa société en percevant une rémunération annuelle, en sa qualité de gérant, oscillant entre 19.000 et 24.000 euros, de 2014 à 2017 (pièces n° 28, 3 et 5).

Il en résulte que Monsieur [K] s'est volontairement affranchi des obligations fiscales et sociales de la société Centre Ouest Goudronnage sans pour autant déclarer la cessation des paiements ni mettre un terme à l'activité qu'il a poursuivie dans son intérêt personnel.

4) Le détournement des actifs :

En droit, l'article L.653-4 5° du code de commerce prévoit que le détournement de tout ou partie de l'actif d'une personne morale constitue une faute de gestion susceptible d'entraîner la faillite personnelle du dirigeant. Par ailleurs, de jurisprudence constante, le détournement de l'actif d'une personne morale constitue une faute de gestion qui engage la responsabilité du dirigeant pour insuffisance d'actif.

En l'espèce, il est reproché à Monsieur [K] plusieurs détournements d'actifs au profit des quatre sociétés suivantes : [S], [V], Xénon et [T].

a) La société [S] :

M. [K] se défend en faisant valoir que :

- si la société Centre Ouest Goudronnage et la société [S] ont des objets sociaux similaires, consistant en particulier en tous travaux de goudronnage, elles n'interviennent pas sur les mêmes marchés ;

- notamment, la société [S] n'intervient que sur les marchés publics alors que la société Centre Ouest Goudronnage n'intervient qu'auprès de particuliers ;

- la société [S] a été constituée pour se porter candidate dans des marchés publics, à un moment où la société Centre Ouest Goudronnage ne pouvait plus le faire en raison des difficultés auxquelles elle était confrontée ;

- n'étant pas à jour du paiement de ses cotisations sociales, la société [S] ne pouvait pas fournir l'attestation de vigilance exigée pour pouvoir prétendre à l'obtention des marchés publics.

La cour constate que Monsieur [K] a créé la société [S] en septembre 2018. Il a reconnu que la société Centre Ouest Goudronnage connaissait des difficultés d'approvisionnement et que la société [S] avait payé certaines factures pour cette société (pièce n°63 de l'intimé, mail du 15 mars 2019 déjà évoqué ci-dessus). Il a reconnu en outre avoir créé la société [S] pour pouvoir postuler à des marchés dont la société Centre Ouest Goudronnage était exclue et ainsi poursuivre l'activité par l'intermédiaire cette nouvelle société. Il résulte des pièces versées aux débats par l'intimé que la clientèle (pièces n°65 et 66), les actifs et notamment le matériel et les salariés (pièces n°60 à 62) ont été mis à la disposition de la société [S] avant l'ouverture de la procédure collective. Aussi, la société Centre Ouest Goudronnage n'avait plus les moyens matériels mais également humains d'exercer son activité.

Ainsi, le détournement de l'activité de la société Centre Ouest Goudronnage vers la société [S] nouvellement créée a privé la première de toute chance de redressement et donc d'apurement du passif.

b) La société Clarisse :

La cour constate qu' il ressort des pièces versées aux débats par l'intimé que Monsieur [K] et sa compagne ont créé le 14 avril 2005 la société Clarisse en vue d'acquérir leur résidence principale située [Adresse 4] (pièces n°68 p.10 et n°69 p.10). Le liquidateur judiciaire de la société Centre Ouest Goudronnage a constaté que des loyers intitulés 'Loyer bureau' pour un montant de 7.560 euros ont été versés au profit de la société Clarisse au titre des années 2014 à 2017 (pièces n°3 et 5). Il a également constaté l'existence de prélèvements mensuels sur les comptes de la société Centre Ouest Goudronnage au profit de la société Clarisse d'un montant de 630 euros , outre des prélèvements de 1.000 euros par mois (pièce 7).

Monsieur [K] tente de justifier ces prélèvements auprès du mandataire liquidateur par le fait que la société Centre Ouest Goudronnage louerait un bureau au sein de son domicile personnel détenu par la société Clarisse. Toutefois, il n'a produit aux débats ni bail, ni quittance de loyers. Dans ses écritures devant la cour, il est taisant sur les détournements qui lui sont reprochés au profit de cette société.

Il résulte de ces éléments que Monsieur [K] a détourné des actifs de la société Centre Ouest Goudronnage au profit de la société Clarisse, et ne produit aucun élément permettant de justifier ces agissements.

c) La société Xénon :

Monsieur [K] est le dirigeant de la société Xénon, propriétaire des locaux exploités par la société Centre Ouest Goudronnage (pièces n°70 et 71 de l'intimé). Celle-ci a versé une somme mensuelle de 1.200 euros à la société Xénon (pièce n°7 : relevés de comptes bancaires).

Monsieur [K] a tenté de justifier ces versements auprès du mandataire liquidateur en produisant un bail commercial non signé pour un loyer mensuel de 538,20 euros (pièce n°72) ne correspondant à aucun prélèvement indiqué sur les relevés bancaire et dont le bailleur est identifié comme une société dénommée 'Les Chaumes'. Dans ses écritures devant la cour, il est taisant sur les détournements qui lui sont reprochés au profit de la société Xénon.

Il résulte de ces éléments que Monsieur [K] a détourné des actifs de la société Centre Ouest Goudronnage au profit de la société Xénon, et ne produit aucun élément permettant de justifier ces agissements.

d) La société [T] :

Monsieur [K] détient 99,9% du capital social de la société [T] et en est le dirigeant. Il ressort des pièces versées aux débats par l'intimé que durant l'année 2018, Monsieur [K] a prélevé sur les comptes de la société Centre Ouest Goudronnage diverses sommes pour un montant total de 17.800 euros (pièce n°7). En parallèle, la société [T] a consenti des avances de trésorerie à la société Centre Ouest Goudronnage pour un montant de 8.500€ sans que Monsieur [K] ne produise au mandataire liquidateur de justificatif sur ces flux financier. Dans ses écritures devant la cour, il est taisant sur les détournements qui lui sont reprochés au profit de la société [T].

Il résulte de ces éléments que Monsieur [K] a détourné des actifs de la société Centre Ouest Goudronnage au profit de la société [T], et ne produit aucun élément permettant de justifier ces agissements.

C Le lien de causalité :

L'absence de déclaration de la cessation des paiements par la société Centre Ouest Goudronnage dans les délais légaux a eu pour conséquence que de nouvelles dettes sont intervenues entre le 15 février 2018 et le 29 janvier 2019, pour un montant de 89.085,04 euros (pièces 27 à 56 portant déclarations de créances et tableau récapitulatif en page 13 des conclusions de l'intimée). L'absence de déclaration de cessation des paiements a dès lors contribué à l'aggravation du passif.

L'absence de comptabilité, d'outils de gestion et de suivi de l'activité de la trésorerie n'a pas permis de connaître l'évolution réelle de la situation de la société. Cette faute de gestion a conduit à retarder la déclaration de l'état de cessation des paiements et a entraîné une augmentation du volume des dettes.

L'inobservation d'obligations fiscales et sociales à l'exception des cotisations et redevances d'assurance profitant personnellement au dirigeant, et le maintien de sa rémunération en dépit des difficultés économiques rencontrées par l'entreprise ont nécessairement contribué à l'accroissement du passif.

Les détournements d'actifs de la société Centre Ouest Goudronnage au profit de sociétés distinctes dans lesquelles l'appelant avait des intérêts personnel ont eux aussi augmenté le passif de la société en liquidation judiciaire.

D Le montant de la condamnation :

En droit, le dirigeant d'une personne morale peut être condamné sur le fondement de l'article L651-2 du Code de commerce dès lors qu'il a commis une faute de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif. La Chambre commerciale, de jurisprudence constante (v. notamment Com. 1er juillet 2020 n°19-11.849) précise que la condamnation du dirigeant ne peut excéder le montant de l'insuffisance d'actif à la date à laquelle la condamnation est prononcée. Par ailleurs, pour l'appréciation du montant, la Cour de cassation exige de prendre en compte la gravité et le nombre des fautes de gestion retenues ainsi que l'état du patrimoine du dirigeant, les facteurs économiques qui peuvent conduire à la défaillance des entreprises ainsi que les risques inhérents à leur exploitation (Chambre commerciale 9 mai 2018).

En l'espèce, l'insuffisance d'actif certaine s'élève à la somme de 282.414,18 euros. Compte tenu de la gravité des fautes de gestion, de leur nombre, de la recherche de l'intérêt personnel par le dirigeant au détriment de celui des créanciers ainsi que du caractère déloyal du comportement de Monsieur [K], la somme de 280.000 euros telle que retenue par les premiers juges n'est nullement disproportionnée et sera approuvée par la cour. Aucun des moyens développés par l'appelant ne justifie une réduction de ce montant.

La décision déférée sera confirmée de ce chef.

III Sur la faillite personnelle :

Le tribunal de commerce a prononcé à l'encontre de M. [K] une mesure de faillite personnelle d'une durée de 10 ans.

En droit, les articles L.653-3, L.653-4 et L.653-5 du code de commerce prévoient que la juridiction peut prononcer la faillite personnelle de toute personne mentionnée au 1° du I de l'article L.653-1 du code de commerce contre laquelle a été notamment relevé l'un des faits ci-après :

- avoir détourné, dissimulé l'actif ou augmenté frauduleusement le passif,

- avoir tenu une comptabilité irrégulière,

- avoir fait obstacle au bon déroulement de la procédure en s'abstenant volontairement de coopérer avec les organes de la procédure.

L'article L.653-4 du code de commerce dispose :

'Le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de tout dirigeant, de droit ou de fait, d'une personne morale, contre lequel a été relevé l'un des faits ci-après : (...)

5° Avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif ou frauduleusement augmenté le passif de la personne morale'

L'article L.653-5 du code de commerce dispose :

'Le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 contre laquelle a été relevé l'un des faits ci-après : (...)

5° Avoir, en s'abstenant volontairement de coopérer avec les organes de la procédure, fait obstacle à son bon déroulement ;

6° Avoir fait disparaître des documents comptables, ne pas avoir tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation, ou avoir tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables ;'

En l'espèce, il ressort des développements précédents auxquels la cour se réfère et qu'il est inutile de reprendre à ce stade, que Monsieur [K] a tenu une comptabilité incomplète et irrégulière et a également détourné et dissimulé une partie des actifs de la société en liquidation au profit d'autres sociétés dans lesquelles il a des intérêts. Il a ainsi augmenté le passif de la procédure collective.

S'agissant de l'obstacle au bon déroulement de la procédure, il résulte des trois rapports du liquidateur (pièces n°12, 14 et 16 de l'intimé) que Monsieur [K] n'a pas coopéré avec les organes de la procédure, notamment en ne transmettant pas les documents comptables au mandataire judiciaire. En outre, comme il a été vu précédemment, il n'a pris l'initiative d'informer ni le greffe du tribunal de commerce ni le mandataire liquidateur de son changement d'adresse.

Compte tenu du quantum du passif concerné, de la gravité et de la diversité des agissements reprochés, le principe de la condamnation à la faillite personnelle sera approuvé ainsi que la durée de la mesure telle que retenue par les premiers juge. Aucun des moyens développés par l'appelant ne justifie une réduction de cette durée.

La décision déférée sera confirmée de ce chef.

***

Le jugement déféré sera confirmé en ses dispositions relatives à l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

L'appelant qui succombe sera condamné au titre des frais irrépétibles en cause d'appel au paiement de la somme de 3.000 € au profit de la SELARL [I] [Z] - MJO - Mandataires Judiciaires ès-qualité de liquidateur judiciaire de la SARL Centre Ouest Goudronnage.

Les dépens d'appel seront employés en frais privilégiés de procédure collective.

PAR CES MOTIFS:

La Cour,

Rejette la demande de nullité du jugement entrepris,

Confirme le jugement rendu par le tribunal de commerce de Poitiers le 24 janvier 2023 en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne Monsieur [K] au paiement de la somme de 3.000 € à la SELARL [I] [Z] - MJO - Mandataires Judiciaires ès-qualité de liquidateur judiciaire de la SARL Centre Ouest Goudronnage au titre des frais irrépétibles en cause d'appel,

Ordonne l'emploi des dépens d'appel en frais privilégiés de procédure collective,

Rejette toute demande plus ample ou contraire.