CA Paris, Pôle 5 ch. 7, 14 mars 2024, n° 22/03134
PARIS
Arrêt
Autre
PARTIES
Demandeur :
LPL Huissier (SCP), Frank-Alain Szenik, Philippe Martin, Sophie Caille et Pierre Beddouk (SCP)
Défendeur :
Autorité de la concurrence, Ministre chargé de l'Économie
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Barbier
Conseillers :
Mme Fenayrou, Mme Tréard
Avocats :
Me Teytaud, Me Picot, Me Donnedieu de Vabres-Tranié, Me Vever
Vu la décision n° 22-D-02 de l'Autorité de la concurrence du 13 janvier 2022 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur des huissiers de justice ;
Vu la déclaration de recours et l'exposé des moyens, déposés au greffe de la Cour les 18 février et 18 mars 2022 par la SCP LPL Huissier ;
Vu la déclaration de recours et l'exposé des moyens, déposés au greffe les 18 février et 18 mars 2022 par la SCP Marie-Hélène Allirand, [I] [B] et [S] [P] ;
Vu la déclaration de recours et l'exposé des moyens, déposés au greffe les 18 février et 18 mars 2022 par la SCP Michel Chastanier, Alexandre Alleno et [D] [U] ;
Vu la déclaration de recours et l'exposé des moyens, déposés au greffe les 18 février et 18 mars 2022 par la SCP [N] [H] et Alain Boulard ;
Vu la déclaration de recours et l'exposé des moyens, déposés au greffe les 18 février et 18 mars 2022 par la SCP Franck-Alain Szenik, Philippe Martin, Sophie Caille et Pierre Beddouk ;
Vu l'ordonnance du 22 mars 2022 prononçant la jonction des affaires enregistrées sous les numéros de répertoire général 22/3134, 22/3137, 22/3138, 22/3140 et 22/3141 sous le seul numéro de RG 22/3134 ;
Vu les observations déposées au greffe le 13 décembre 2022 par le ministre chargé de l'économie ;
Vu les observations déposées au greffe le 13 décembre 2022 par l'Autorité de la concurrence ;
Vu le mémoire en réplique et récapitulatif déposé au greffe le 27 juin 2023 par la SCP LPL Huissier ;
Vu le mémoire en réplique et récapitulatif déposé au greffe le 27 juin 2023 par la SCP Marie-Hélène Allirand, [I] [B] et [S] [P] ;
Vu le mémoire en réplique et récapitulatif déposé au greffe le 27 juin 2023 par la SCP Michel Chastanier, Alexandre Alleno et [D] [U] ;
Vu le mémoire en réplique et récapitulatif déposé au greffe le 27 juin 2023 par la SCP [N] [H] et Alain Boulard ;
Vu le mémoire en réplique et récapitulatif déposé au greffe le 27 juin 2023 par la SCP Franck-Alain Szenik, Philippe Martin, Sophie Caille et Pierre Beddouk ;
Vu l'avis du ministère public en date du 12 octobre 2023, communiqué le même jour aux requérantes, à l'Autorité de la concurrence et au ministre chargé de l'économie ;
Après avoir entendu à l'audience publique du 19 octobre 2023, en leurs observations orales le conseil de chacune des requérantes, les représentants de l'Autorité de la concurrence et du ministre chargé de l'économie, puis le ministère public, les parties ayant été mises en mesure de répliquer.
FAITS ET PROCÉDURE
1.La Cour est saisie de plusieurs recours formés contre la décision de l'Autorité de la concurrence (ci-après « l'Autorité ») n° 22-D-02 du 13 janvier 2022 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur des huissiers de justice (ci-après « la décision attaquée »).
I. LE SECTEUR ET LES ACTEURS CONCERNÉS
A. Les prestations réalisées par les huissiers de justice : la signification
2.Le secteur est celui des prestations réalisées par les huissiers de justice, devenus commissaires de justice (qui seront désignés dans le présent arrêt comme « les huissiers de justice »), dans le département de Seine-Saint-Denis.
3.Les huissiers de justice sont des officiers ministériels qui ont seuls qualité pour signifier les actes et les exploits. Les clercs assermentés, quant à eux, sont attachés à une étude et prêtent serment devant le juge d'instance dans le ressort duquel réside le titulaire de l'étude.
4.Les huissiers de justice exercent deux types d'activités : les activités monopolistiques et les activités hors monopole.
5.L'activité monopolistique de signification consiste à opérer la remise aux parties des actes de procédure, des décisions de justice et des actes extrajudiciaires, et toutes formalités indispensables au bon déroulement d'un procès et de nature à assurer le respect du principe du contradictoire.
6.L'activité de signification des actes peut être organisée à travers un bureau commun de signification (ci-après « le BCS »), au sein duquel des clercs collectent chaque jour les actes de procédure à signifier auprès des études membres du BCS, avant de procéder eux-mêmes à la signification des actes pour le compte des huissiers titulaires de ces études.
7.Un BCS peut être constitué, en application de l'article 36 de la loi n° 66-879 du 29 novembre 1966 relative aux sociétés civiles professionnelles, sous la forme d'une société civile de moyens (ci-après « SCM ») ayant pour objet exclusif de faciliter à chacun de leurs membres l'exercice de son activité.
8.En 2020, il existait huit BCS : ceux de [Localité 23], des Hauts-de-Seine, du Val-de-Marne, de [Localité 18], du Rhône, de [Localité 21], de [Localité 25] et de Seine-Saint-Denis.
B. Les principales évolutions législatives intervenues en 2015 et 2016 relativement à l'exercice de la profession d'huissier de justice
1. La loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques
9.Le périmètre de la compétence territoriale des huissiers de justice, qui s'étendait à l'origine au seul ressort du tribunal de grande instance de leur résidence professionnelle, a été élargi par la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, au ressort de la cour d'appel au sein duquel ils ont établi leur résidence professionnelle.
10.Cette loi facilite, par ailleurs, la création de nouveaux offices d'huissiers. Alors qu'auparavant la création d'offices restait marginale, l'article 52 de la loi prévoit qu'une carte identifie les secteurs où l'implantation d'offices d'huissiers apparaît utile pour renforcer la proximité ou l'offre de services. Cette carte est établie et révisée tous les deux ans par les ministres de la justice et de l'économie, sur proposition de l'Autorité.
2. La loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIème siècle
11.L'article 3, III. de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIème siècle (ci-après « loi du 18 novembre 2016 ») introduit la sollicitation personnalisée pour « les [huissiers de justice, notaires, commissaires-priseurs judiciaires, avocats, avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation, commissaires aux comptes et experts-comptables qui] peuvent recourir à la sollicitation personnalisée, notamment par voie numérique, et proposer des services en ligne. Les conditions d'application du présent III, notamment les adaptations nécessaires aux règles déontologiques applicables à ces professions dans le respect des principes de dignité, de loyauté, de confraternité et de délicatesse, sont fixées par décret en Conseil d'État ».
12.L'article 2 du décret n° 2019-257 du 29 mars 2019 relatif aux officiers publics ou ministériels, pris en application des dispositions précitées et entré en vigueur le 1er avril 2019 (ci-après « décret du 29 mars 2019 »), modifie l'article 43 du décret n° 73-1202 du 28 décembre 1973 relatif à la discipline et au statut des officiers publics ou ministériels, en ces termes :
« La sollicitation personnalisée ne peut être effectuée que sous la forme d'un envoi postal ou d'un courrier électronique adressé à une personne physique ou morale déterminée, destinataire de l'offre de service. Est en particulier exclu tout démarchage physique ou téléphonique, de même que tout message textuel envoyé sur un terminal téléphonique mobile.
Toute sollicitation personnalisée en rapport avec une affaire particulière est interdite ».
C. Les acteurs concernés
1. La SCM 93
13.Créé le 16 février 1989, le BCS de Seine-Saint-Denis a été placé en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Bobigny du 2 décembre 2021. Ce BCS, constitué sous la forme d'une société civile de moyens immatriculée au RCS de Bobigny sous le n° 378 238 521, était dénommé « la SCM 93 ». Ses associés étaient exclusivement des études d'huissiers de justice du département de Seine-Saint-Denis (93).
14.La SCM 93 employait 23 clercs assermentés, une cheffe de bureau et une secrétaire. Les trois cogérants élus par ses associés assuraient bénévolement leurs fonctions.
15.L'article 5 des statuts du 26 janvier 2017 et du 4 avril 2018 stipulait que la SCM 93 visait à « réduire au bénéfice de ses membres et par l'effort commun de ceux-ci le prix de revient » de prestations telles que la signification des actes d'huissiers de justice.
16.Enfin, l'article 5 des statuts du 10 juillet 2019, en vigueur à la date de la notification de griefs, prévoyait que la SCM 93 avait « pour objectif d'optimiser au bénéfice de ses membres et par l'effort commun de ceux-ci le prix de revient », notamment de la signification des actes d'huissiers de justice.
17.La SCM 93 opérait essentiellement au sein du département de la Seine-Saint-Denis. La SCM 93 se chargeait non seulement de la signification des plis qui lui étaient confiés, mais également d'autres services, tels que la réalisation de comptes-rendus téléphoniques portant sur les conditions de remise par le clerc significateur d'un pli.
18.Lorsqu'elles souhaitaient avoir recours à ces services, les études membres déposaient les plis à signifier dans les locaux de la SCM 93 et s'acquittaient du prix du timbre correspondant à la prestation souhaitée.
19.De 2014 à 2018, la SCM 93 a réalisé, en moyenne, un chiffre d'affaires annuel d'environ 1,7 million d'euros et des bénéfices d'environ 10 000 euros par exercice fiscal. Les années 2014 et 2015 ont toutefois été marquées respectivement par une perte de 38 105 euros et de 54 476 euros.
2. Les associés de la SCM 93
20.En 2017, la SCM 93 comptait 29 offices associés, regroupant ainsi l'intégralité des études du département. Le 9 décembre 2019, date de la notification de griefs de l'Autorité, la SCM 93 ne comptait plus que 26 offices associés, deux des trois repreneurs ' la société par actions simplifiée (ci-après « SAS ») Sinéquae et la SAS ID Facto ' n'ayant pas été agréés par la SCM 93 et le troisième ' la société civile professionnelle (ci-après, « SCP ») Xavier Blanc, Maximilien Grassin et associés ' n'ayant pas demandé à adhérer à la SCM 93.
21.Les cinq requérantes faisaient partie des 26 associés de la SCM 93.
22.La SCP [N] [H] et Alain Boulard, située à [Localité 20] (RCS de Bobigny n° 315 843 250), est une étude de deux huissiers associés.
23.La SCP Marie-Hélène Allirand, [I] [B] et [S] [P], située [Localité 16] (RCS de Bobigny n° 395 137 649), est une étude de trois huissiers associés.
24.La SCP Michel Chastanier, Alexandre Alleno et [D] Layec-Rabany ' précédemment « SCP Alexandre Alleno et [D] [U] », à la date de la décision de l'Autorité ', située à [Localité 22] (RCS de Bobigny n° 450 491 659), est actuellement une étude de trois huissiers associés.
25.La SCP Frank-Alain Szenik, Philippe Martin, Sophie Caille et Pierre Beddouk, située à [Localité 24] (RCS de Bobigny n° 392 293 718), est une étude de quatre huissiers associés.
26.La SCP LPL Huissier, située au Tremblay-en-France (RCS de Bobigny n° 344 948 476), est une étude de deux huissiers associés.
II. LES MODIFICATIONS SUCCESSIVES DES STATUTS DE LA SCM 93 ET L'ADOPTION D'UN RÈGLEMENT INTÉRIEUR
A. Les règles en vigueur du 16 février 1989 au 25 janvier 2017
27.L'article 9.1 des statuts de la SCM 93 en vigueur du 16 février 1989 au 25 janvier 2017 ' intitulé « Conditions d'adhésion à la société » ' prévoyait que tout titulaire d'un office d'huissier de justice près les tribunaux de Seine-Saint-Denis était membre de droit de la SCM 93, à condition qu'il détienne au minimum la fraction du capital social nécessaire au financement des investissements contribuant à la réalisation de l'objet social et qu'il respecte les obligations financières nécessaires aux frais de fonctionnement.
28.Par ailleurs, l'article 11 des mêmes statuts ' intitulé « Cession de parts entre vifs » ' stipulait :
« Toute cession ou projet de cession de parts sociales n'est opposable à la société et aux associés qu'à la condition d'avoir été notifié à la société selon les formes de l'article 1690 du code civil.
Elle n'est opposable aux tiers qu'après accomplissement de ces formalités et après publicité.
Les parts sociales sont librement cessibles à un successeur dans l'Office dès lors que les conditions prévues à l'article 9.1 [relatif aux « Conditions d'adhésion à la société » précité] sont réunies ».
B. La modification des règles en vigueur par l'assemblée générale du 26 janvier 2017
29.Lors de l'assemblée générale du 7 avril 2016, la SCM 93 a décidé d'instituer une commission chargée de la rédaction de nouveaux statuts et d'un règlement intérieur « permettant de parer l'entrée d'arrivants parisiens pouvant se servir » du BCS.
30.Une fois ces textes élaborés, la SCM 93 a inscrit leur adoption à l'ordre du jour de son assemblée générale du 26 janvier 2017, par un courrier du 9 janvier 2017. Le compte-rendu de cette assemblée générale ' rédigé et signé par les deux co-gérants de la SCM 93 ' atteste que les membres de la SCM 93, qui étaient tous présents ou représentés, ont unanimement adopté les nouveaux statuts.
1. Les règles relatives à l'adhésion à la SCM 93
31.L'article 4 des statuts adoptés le 26 janvier 2017, intitulé « Associés et postulants à l'association », posait les conditions suivantes à l'entrée de nouveaux associés :
' être huissier de justice « situé dans le département de la Seine-Saint-Denis, selon la cartographie officielle arrêtée au 15 décembre 2016 » ;
' obtenir « l'agrément de l'assemblée générale ».
32.Cet article prévoyait, par ailleurs :
« L'entrée dans un Office déjà membre de la SCM 93 ['] ne confère pas le droit automatique d'être membre de la SCM 93 ».
33.S'agissant, plus particulièrement, de l'entrée de nouveaux associés par suite de l'instauration de la liberté d'installation par le législateur, il stipulait également :
« L'entrée de tout nouvel associé postulant créateur d'un nouvel office ['] est soumise à l'agrément de l'assemblée générale ['] et moyennant une participation financière dont le montant sera déterminé dans le Règlement intérieur » (en caractères gras dans le texte original).
34.À cet égard, la section intitulée « Droit d'entrée » du règlement intérieur, également adopté le 26 janvier 2017 précisait que le montant du droit d'entrée prévu par les statuts était fixé à 100 000 euros.
35.Enfin, l'article 4 précité ne prévoyait pas d'obligation de motivation des décisions rendues par l'assemblée générale sur les candidatures à l'association.
2. Les règles relatives aux cessions de parts et à l'augmentation de capital
36.L'article 12.1. des statuts du 26 janvier 2017, relatif aux cessions de parts entre vifs, prévoyait :
« Dans l'hypothèse où le successeur de l'associé souhaite intégrer la société, ['] la gérance doit réunir les associés lors d'une assemblée générale extraordinaire aux fins d'agrément de l'associé cessionnaire [']. Dans l'hypothèse où la collectivité des associés refuserait la cession, la société est tenue de racheter la part de l'associé cédant dans les trois mois suivant le refus d'agrément ».
37.En vertu de l'article 12.2. de ces statuts, relatif aux cessions de parts à la suite d'un décès, la cession de parts intervenant dans ce cas était soumise à la même condition d'agrément :
« Cette valeur doit leur être payée par les nouveaux titulaires de sa part, s'ils sont agréés par la société dans les conditions prévues au paragraphe précédent, ou par la société elle-même, si celle-ci l'a rachetée en vue de son annulation ».
38.Enfin, l'article 4 des mêmes statuts prévoyait :
« L'entrée d'un nouvel associé, hors cession de parts préexistantes, nécessite une augmentation de capital à hauteur d'une part si la société ne dispose d'aucune part à céder. Elle doit être approuvée par l'assemblée générale extraordinaire ».
3. Les règles relatives à la concurrence entre membres de la SCM 93
39.Le 26 janvier 2017, la SCM 93 s'est dotée pour la première fois d'un règlement intérieur. La section intitulée « déontologie » de ce règlement intérieur prévoyait :
« Ils doivent respecter la clientèle de leurs confrères et ne faire aucune démarche, d'user d'aucune influence, ne se livrer à aucune sollicitation, n'exercer aucune pression, soit directement soit indirectement dans le but de se procurer des affaires ou de détourner celles dont un confrère serait ou devrait être chargé ».
C. L'assemblée générale du 3 juillet 2019
40.L'assemblée générale du 3 juillet 2019 a conduit à la modification des statuts et du règlement intérieur de la SCM 93, respectivement les 10 et 24 juillet 2019.
41.L'article 12 de ces statuts, relatif aux cessions de parts, demeure inchangé. En revanche, ces statuts, de même que le règlement intérieur adopté le même jour, ne prévoient plus d'obligation d'agrément ou d'acquittement d'une participation financière lors de l'adhésion à la SCM 93.
42.L'article 4 du règlement intérieur du 24 juillet 2019 reprend les termes de la section « déontologie » issue du précédent règlement intérieur et insère, à titre d'exception, les sollicitations autorisées par la loi :
« [les études membres] doivent respecter la clientèle de leurs confrères et ne faire aucune démarche, d'user d'aucune influence, ne se livrer à aucune sollicitation (sauf celle autorisée par la loi), n'exercer aucune pression, soit directement, soit indirectement dans le but de se procurer des affaires ou de détourner celles dont un confrère serait ou devrait être chargé. » (en caractères gras dans le texte original).
43.Cette clause a été supprimée du règlement intérieur lors de l'assemblée générale du 4 mars 2020.
III. LA GENÈSE DE L'AFFAIRE : LES REJETS OPPOSÉS AUX DEMANDES D'AGRÉMENT DES CANDIDATS À L'ADHÉSION
44.Le 27 juillet 2017, la SAS Sinéquae, une société sise à [Localité 19] et titulaire de plusieurs offices d'huissiers de justice, a racheté la part sociale détenue par la SCP Nicole Borota dans la SCM 93 et a signifié ce rachat à la SCM 93.
45.Par un courrier en date du 10 août 2017, la SCM 93 a notifié à la SAS Sinéquae son opposition à la signification de la cession de la part de la SCP Nicole Borota au sein de la SCM 93.
46.Le 13 octobre 2017, la SAS Sinéquae a déposé une première demande d'agrément auprès de la SCM 93, qui a été refusée lors de l'assemblée générale de cette dernière du 6 décembre 2017.
47.Le 12 février 2018, la SCM 93 a racheté la part sociale de la SAS Sinéquae dans la SCM 93.
48.Le 28 mars 2018, la SAS Sinéquae a manifesté auprès de la SCM 93 son souhait d'utiliser ses services.
49.Par courrier du 16 avril 2018, un refus lui a été opposé par la SCM 93, la structure sociétale de celle-ci et ses statuts ne lui permettant pas d'être prestataire de services à titre commercial. La SAS Sinéquae a été invitée à déposer une nouvelle demande d'agrément.
50.À compter de mai 2018, la SCM 93 lui a toutefois donné accès à ses services pendant 94 jours et dans la limite de 15 actes par jour.
51.Le 4 avril 2018, la SAS Sinéquae a déposé une deuxième demande d'agrément, qui a été de nouveau rejetée lors de l'assemblée générale du 26 septembre 2018.
52.Le 17 mai 2019, la SAS Sinéquae a déposé une troisième demande d'agrément.
53.L'assemblée générale du 3 juillet 2019 a rejeté la troisième demande d'agrément de la SAS Sinéquae. Elle a, toutefois, supprimé des statuts de la SCM 93 l'obligation d'agrément ou d'acquittement d'une participation financière lors de l'adhésion à la SCM 93.
54.Par courrier du 18 juillet 2019, la SCM 93 a notifié à l'intéressée le rejet de sa demande par l'assemblée générale du 3 juillet 2019, l'a informée de la création d'une procédure d'accès simplifié et l'a invitée à déposer une nouvelle demande afin de pouvoir en bénéficier.
55.Les 5 et 16 septembre 2019, la SAS Sinéquae a déposé une quatrième demande d'agrément.
56.À partir du 2 octobre 2019, la SAS Sinéquae a été autorisée à signifier via la SCM 93.
57.Lors de l'assemblée générale du 10 octobre 2019, la SCM 93 a décidé de donner accès à ses services à certains candidats à l'adhésion, le temps que leur demande soit instruite.
58.L'adhésion de la SAS Sinéquae a été acceptée le 29 novembre 2019 et finalisée le 17 décembre 2019.
59.Entre temps, le 1er avril 2019, la SCM 93 a refusé les demandes d'agrément de la SCP Teboul & associés ' postulant créateur d'un office dans ce département en application des dispositions de la loi Macron ' et de la SAS ID Facto ' titulaire de plusieurs offices, dont l'un situé en Seine-Saint-Denis.
IV. LA PROCÉDURE DEVANT L'AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
60.Par lettre du 11 février 2019, enregistrée sous le numéro 19/0065 F, la SAS Sinéquae a saisi l'Autorité de pratiques mises en oeuvre dans le secteur des huissiers de justice.
61.Par décision n° 19-SO-17 du 19 septembre 2019, enregistrée sous le numéro 19/0061F, l'Autorité s'est saisie d'office de pratiques mises en oeuvre dans le secteur des huissiers de justice.
62.Par décision du 8 octobre 2019, il a été procédé à la jonction de l'instruction des saisines n°19/0061 F et n°19/0065 F susmentionnées.
63.Une notification de griefs simplifiée a été adressée le 9 décembre 2019, pour des pratiques prohibées au titre de l'article L. 420-1 du code de commerce, à la SCM 93 et à ses membres en qualité d'auteurs de l'infraction.
64.Le grief n° 1 était libellé en ces termes :
« Sur la base des constatations et de l'analyse qui précèdent, il est fait grief à la Société civile de moyens des études et groupement des huissiers de justice de Seine-Saint-Denis, dans le secteur des prestations d'huissier de justice, à tout le moins dans le département de Seine-Saint-Denis, d'avoir conçu le 26 janvier 2017 et mis en oeuvre jusqu'à aujourd'hui, une entente ayant un objet anticoncurrentiel visant à limiter l'accès au marché et le libre exercice de la concurrence par des études d'huissiers de justice par l'adoption de conditions d'adhésion non objectives, non transparentes et discriminatoires. La Société civile de moyens des études et groupement des huissiers de justice de Seine-Saint-Denis est donc mise en cause en sa qualité d'auteur de l'infraction.
Il est fait grief aux personnes suivantes : [26 offices d'huissiers de justice], d'avoir participé personnellement et volontairement, du 26 janvier 2017 à aujourd'hui, en leurs qualités respectives d'auteurs de l'infraction, à la conception et à la mise en oeuvre de l'entente exposée au paragraphe précédent.
Ces pratiques sont prohibées par l'article L. 420-1 du code de commerce ».
65.Le grief n° 2 était ainsi rédigé :
« Sur la base des constatations et de l'analyse qui précèdent, il est fait grief à la Société civile de moyens des études et groupement des huissiers de justice de Seine-Saint-Denis, dans le secteur des prestations d'huissier de justice, à tout le moins dans le département de Seine-Saint-Denis, d'avoir conçu le 26 janvier 2017 et mis en oeuvre jusqu'à aujourd'hui, une entente ayant un objet anticoncurrentiel consistant à répartir la clientèle entre les études d'huissiers de justice associées de cette société. La Société civile de moyens des études et groupement des huissiers de justice de Seine-Saint-Denis est donc mise en cause en sa qualité d'auteur de l'infraction.
Il est fait grief [aux mêmes personnes] d'avoir participé personnellement et volontairement, du 26 janvier 2017 à aujourd'hui, en leurs qualités respectives d'auteurs de l'infraction, à la conception et à la mise en oeuvre de l'entente exposée au paragraphe précédent.
Ces pratiques sont prohibées par l'article L. 420-1 du code de commerce ».
66.L'affaire a été examinée lors d'une séance du Collège de l'Autorité tenue le 17 février 2021.
V. LA DÉCISION ATTAQUÉE ET LES RECOURS ENTREPRIS
67.Par sa décision n° 22-D-02 du 13 janvier 2022, l'Autorité a retenu que la SCM 93 et l'ensemble de ses membres avaient mis en oeuvre deux ententes dans le département de la Seine-Saint-Denis, en violation de l'article L. 420-1 du code de commerce :
' la première entente consistait, depuis le 26 janvier 2017 et jusqu'au 9 décembre 2019, à « limiter l'accès au marché et le libre exercice de la concurrence par l'adoption de conditions d'adhésion non objectives, non transparentes et discriminatoires à la Société civile de moyens des études et groupement des huissiers de justice de Seine-Saint-Denis » (grief 1) ;
' la seconde visait, pendant la même période, à se répartir la clientèle dans le secteur des prestations d'huissier de justice (grief 2).
68.L'Autorité n'a pas prononcé de sanction pécuniaire à l'encontre de la SCM 93, celle-ci ayant été placée en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Bobigny du 2 décembre 2021. Les sociétés membres de la SCM 93, en revanche, ont été condamnées au paiement de sanctions pécuniaires d'un montant total de 485 350 euros. En outre, l'Autorité leur a enjoint de publier un résumé de sa décision dans le Journal des huissiers de justice.
69.Le 18 février 2022, la Cour a été saisie par cinq des vingt-six mis en cause (ci-après « les requérantes »), condamnés au paiement des amendes suivantes (correspondant à un total de 193 200 euros) :
' la SCP LPL HUISSIER, à 4 150 euros ;
' la SCP Marie-Hélène Allirand, [I] [B] et [S] [P], à 48 300 euros ;
' la SCP Michel Chastanier, Alexandre Alleno et [D] [U], à 32 200 euros ;
' la SCP [N] [H] et Alain Boulard, à 32 200 euros ;
' la SCP Franck-Alain Szenik, Philippe Martin, Sophie Caille et Pierre Beddouk, à 56 350 euros.
70.Aux termes de chacune de leurs dernières écritures, les requérantes demandent à la Cour :
' d'annuler la décision n° 22-D-02 du 13 janvier 2022, en son intégralité ;
' d'ordonner à leur bénéfice le remboursement immédiat du trop-perçu des sommes versées au titre du paiement de la sanction pécuniaire, assorti des intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir, avec capitalisation desdits intérêts dans les conditions de l'article 1154 du code civil ;
' de condamner l'Autorité à payer, à chacune d'entre elles, une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les entiers dépens, et en ordonner la distraction au profit de Maître François Teytaud en vertu de l'article 699 du code de procédure civile.
71.À titre subsidiaire, la SCP Marie-Hélène Allirand, [I] [B] et [S] [P] demande à la Cour de réduire la sanction pécuniaire qui lui a été infligée à un montant purement symbolique, au vu de difficultés financières particulières affectant sa capacité à s'en acquitter.
72.Dans ses observations, l'Autorité demande à la Cour d'écarter l'ensemble des moyens et de rejeter tous les recours.
73.Le ministre chargé de l'économie invite la Cour à rejeter l'ensemble des moyens et à confirmer la décision attaquée.
74.Le ministère public partage cet avis.
MOTIVATION
I. SUR LES PRATIQUES DE RESTRICTION D'ACCÈS À LA SCM 93 VISÉES PAR LE GRIEF 1
75.L'Autorité, dans la décision attaquée, a estimé que la SCM 93 et ses membres, en adoptant des conditions d'adhésion non objectives, non transparentes et discriminatoires alors que l'adhésion à la SCM 93 constituait pour les offices d'huissiers de justice du département de Seine-Saint-Denis un avantage concurrentiel déterminant, ont mis en oeuvre, depuis le 26 janvier 2017 et jusqu'au 9 décembre 2019, une entente anti-concurrentielle consistant à limiter l'accès au marché et le libre exercice de la concurrence et enfreignant les dispositions de l'article L. 420-1 du code de commerce.
76.Cette analyse est contestée par les requérantes. Leurs critiques portent, d'une part, sur l'appréciation in concreto de l'avantage concurrentiel déterminant et, d'autre part, sur la caractérisation dudit avantage.
Sur le moyen pris d'un défaut de motivation concernant l'existence d'un avantage concurrentiel déterminant
77.Les requérantes, à titre liminaire, font valoir que la décision attaquée se contente, pour établir que le refus d'adhésion à la SCM 93 est illicite, d'affirmations abstraites sur le marché et de déclarations non étayées du saisissant, en occultant les nombreux éléments factuels et incontestables qui permettent de conclure que l'adhésion à la SCM 93 constituait une simple facilité pour ses membres et en aucun cas « un avantage concurrentiel déterminant », alors que l'appréciation de l'existence d'un tel avantage doit se faire in concreto au regard d'une analyse précise du marché et de l'avantage conféré par l'adhésion à la structure.
78.L'Autorité estime que la décision attaquée identifie concrètement les avantages concurrentiels offerts par l'adhésion à la SCM 93, en indiquant que :
' l'activité de signification, bien que soumise à un tarif réglementé faiblement rémunérateur, revêt une importance primordiale pour les offices nouvellement implantés, dans la mesure où elle permet de débuter une relation avec un mandant puis de la développer sur d'autres matières ;
' mutualiser l'activité de signification permet aux huissiers de réduire leurs coûts, d'augmenter leur réactivité au sein d'une vaste zone de compétence, tout en concentrant leurs efforts sur les activités plus rémunératrices ;
' les avantages procurés par l'adhésion à la SCM 93 ne pouvaient être obtenus par un autre moyen, dès lors qu'il n'existe aucun autre BCS dans le ressort de la cour d'appel de Paris, hors Paris intramuros.
79.Le ministre chargé de l'économie considère que l'avantage concurrentiel déterminant résultant de l'adhésion à la SCM 93 a fait l'objet d'une analyse in concreto se fondant sur plusieurs déclarations des acteurs du secteur étayées par des éléments financiers et que la décision attaquée a rapporté la preuve que l'adhésion à la SCM 93 constituait un avantage concurrentiel déterminant.
80.Le ministère public souscrit à l'analyse de l'Autorité et du ministre chargé de l'économie.
Sur le moyen pris de la caractérisation d'un avantage concurrentiel déterminant
81.Pour contester la décision attaquée (paragraphes 135, 139 et 142), les requérantes soutiennent, en substance, que l'adhésion à la SCM 93 ne constituait pas un avantage concurrentiel déterminant pour ses membres dès lors que :
' la quasi-totalité des huissiers de justice en France fonctionnent sans BCS (1ère branche);
' lorsque la SCM 93 était en activité, de nombreuses études n'y avaient pas recours, ou de manière sporadique, dont le saisissant Sinéquae qui a fait le choix de se passer pour l'immense majorité de ses significations des services de la SCM 93 (2ème branche) ;
' depuis le placement en liquidation judiciaire de la SCM 93, les huissiers de justice en Seine-Saint-Denis fonctionnent sans BCS, et ce sans la moindre difficulté (3ème branche).
82.Sur la première branche du moyen prise de l'inexistence d'un BCS dans la plupart des départements de France, les requérantes relèvent que les BCS n'étaient présents que dans des zones représentant au total 15,3 % de la population française à la date de la décision attaquée. Elles précisent que des alternatives crédibles au BCS existent, telles que la signification des actes par les huissiers de l'étude ou par leurs clercs ou encore la mutualisation d'un clerc entre plusieurs études, et regrettent que les services d'instruction de l'Autorité n'aient pas instruit la question essentielle de ces alternatives. Elles ajoutent que, si l'utilisation d'un BCS constitue un confort ou une facilité, elle n'est pas par principe financièrement avantageuse et qu'un autre mode de fonctionnement peut s'avérer plus rentable, plus qualitatif et plus efficace, en particulier pour les petites études ayant une faible volumétrie d'actes. Elles soulignent qu'aucune étude créée, hormis la SCP Teboul, une étude parisienne de grande taille, n'a sollicité son adhésion à la SCM 93, y compris postérieurement à la suppression du droit d'entrée.
83.Selon l'Autorité,
' l'argument tenant au fait que la SCM 93 ne constituait ni le seul mode de fonctionnement, ni nécessairement le plus avantageux procède d'une lecture erronée de la décision, qui ne déclare pas que tout acte est nécessairement plus avantageux via le recours à la SCM 93 mais que celui-ci permet aux bénéficiaires de consacrer une part plus importante de leur activité aux actes plus rémunérateurs ;
' l'argument tiré de la circonstance qu'aucune étude nouvellement créée du département de Seine-Saint Denis, sauf une, n'a manifesté d'intérêt pour les services de la SCM 93 est dépourvu de pertinence dans la mesure où les requérantes avaient instauré un droit d'entrée prohibitif d'un montant de 100 000 euros, visant à dissuader l'arrivée de nouveaux concurrents ;
' l'argument tenant au fait que les petites études n'ont pas nécessairement intérêt à recourir aux services d'un BCS n'est pas étayé ;
' les exemples avancés par les requérantes pour montrer que les frais induits par le recours aux services de la SCM 93 étaient supérieurs au coût d'embauche de clercs pour le même travail manquent en fait et tendent, en réalité, à confirmer l'avantage représenté par l'utilisation de la SCM 93.
84.Le ministre chargé de l'économie souligne que l'avantage concurrentiel déterminant résultant de l'adhésion à la SCM 93 se doit d'être analysé dans le cadre du marché géographique du département de la Seine-Saint-Denis et non à l'échelle nationale. S'agissant de l'avantage économique tiré de l'utilisation du BCS, le ministre ajoute que l'analyse des requérantes ne semble pas prendre en compte le temps de formation et d'assermentation d'un clerc, ni le fait que certaines jeunes études ne disposent d'aucun clerc assermenté lors du démarrage de leur activité.
85.Le ministère public relève que la décision attaquée s'est attachée à décrire les avantages liés à l'adhésion à la SCM 93 en soulignant le caractère essentiel de cette activité, notamment pour les plus jeunes huissiers, et qu'elle a indiqué à juste titre que la mutualisation à travers un BCS de l'activité de signification, dont la faible rentabilité est étayée par des éléments chiffrés, était seule à même de permettre aux huissiers de réduire leurs coûts, d'augmenter leur réactivité et d'améliorer la qualité du service rendu.
86.Sur la deuxième branche du moyen prise du faible recours au BCS, les requérantes exposent que de nombreuses études effectuaient tout au long de l'année des significations d'actes sans utiliser le BCS, ou seulement de manière sporadique, dont le saisissant Sinéquae qui a fait le choix de se passer des services de la SCM 93 pour l'immense majorité de ses significations pendant les cinq mois où les services du BCS lui ont été ouverts en 2018, puis à compter du 1er octobre 2019.
87.L'Autorité fait valoir que les études se doivent de conserver une activité de signification en propre, certaines significations ne pouvant pas être effectuées par les clercs assermentés et, qu'en tout état de cause, le recours des études de Seine-Saint-Denis au BCS n'était pas « sporadique », une majorité d'entre elles signifiant plus de 50 % de leurs actes via la SCM 93.
88.Concernant le recours au BCS par la société Sinéquae, l'Autorité estime que le nombre de plis confiés par ladite société à la SCM 93 ne paraît pas négligeable par rapport au quota qui lui avait été alloué en 2018, que la période allant du 1er octobre au 31 décembre 2019 est trop courte pour que le chiffre avancé par les requérantes ' au demeurant non justifié ' puisse revêtir une quelconque signification et, enfin, que le faible nombre de plis confiés à la SCM 93 à partir de 2020 s'explique par la baisse d'activité générale induite par l'épidémie de coronavirus.
89.Le ministre chargé de l'économie constate que le BCS de la SCM 93 n'avait pas vocation à prendre en charge l'intégralité des activités de signification et souligne la place prépondérante occupée par la SCM 93 dans le département de Seine-Saint-Denis et la grande fidélité de ses membres, y compris au moment où la SCM 93 a accusé des pertes et effectué des appels de fonds, en 2014 et 2015.
90.En réplique, les requérantes, soutiennent qu'aucun des arguments avancés par l'Autorité, à qui elles reprochent une instruction lacunaire, et par le ministre chargé de l'économie dans leurs observations ne démontre que l'adhésion à la SCM 93 constituait « une condition d'accès au marché ou un avantage concurrentiel déterminant ». Elles considèrent qu'il appartenait aux services d'instruction d'instruire la question du taux d'utilisation de la SCM 93 par les huissiers. Elles ajoutent que l'étude Sinéquae a confié, en proportion, beaucoup moins de plis à la SCM 93 que les autres études qui étaient tout autant touchées par la baisse d'activité liée à l'épidémie de coronavirus.
91.Le ministère public relève qu'il ressort a contrario des écritures des requérantes que 14 études sur les 26 de la SCM 93 lui confiaient plus de 50 % de leurs actes, qu'en tout état de cause, les difficultés de certaines études à différencier au plan statistique les actes passés en fonction de la qualité du significateur tendent à relativiser la pertinence des pourcentages avancés et, enfin, que ces pourcentages doivent être analysés en tenant compte du fait que certaines significations sont de la compétence exclusive des huissiers de justice.
92.Sur la troisième branche du moyen pris du fonctionnement des huissiers de justice en Seine-Saint-Denis après la liquidation judiciaire de la SCM 93 en décembre 2021, les requérantes déduisent du fait que les huissiers de justice en Seine-Saint-Denis n'éprouvent aucune difficulté à fonctionner sans BCS depuis cette date, la preuve que l'adhésion à la SCM 93 ne constituait en aucun cas un avantage concurrentiel déterminant.
93.L'Autorité considère que le fait que toutes les études du département auraient théoriquement pu se dispenser de l'appartenance à la SCM 93 ou qu'elles s'en dispensent effectivement depuis la liquidation de la SCM 93 ne saurait remettre en cause le caractère déterminant de l'avantage concurrentiel représenté par les services proposés par le BCS pour les études qui y avaient accès, pendant la période où la SCM 93 existait et où les comportements incriminés ont été mis en oeuvre.
94.Le ministre chargé de l'économie estime que la liquidation de la SCM 93, dont l'adhésion constituait un avantage concurrentiel déterminant et non une condition préalable d'accès au marché, ne fait pas disparaître le besoin de prestations auparavant assuré par cet organisme et n'enlève rien au fait que, lorsque cette structure existait, son adhésion représentait un avantage déterminant.
95.À l'instar du ministre chargé de l'économie, le ministère public conclut que la liquidation de la SCM 93 n'est pas pertinente pour apprécier le fait que, pendant la durée des pratiques sanctionnées, son adhésion représentait un avantage concurrentiel déterminant.
Sur ce, la Cour :
96.À titre liminaire, la Cour rappelle que la restriction d'accès à un groupement de professionnels ne constitue pas en elle-même une pratique contraire au droit de la concurrence mais qu'une telle pratique peut porter atteinte au fonctionnement de la libre concurrence si, premièrement, l'adhésion à ce groupement est une condition d'accès au marché ou confère un avantage concurrentiel déterminant et si, deuxièmement, les conditions d'adhésion sont définies ou appliquées de façon non objective, non transparente ou discriminatoire.
97.En l'espèce, la Cour n'est saisie que de la caractérisation de la première de ces deux conditions.
98.S'agissant de la seconde condition, l'Autorité a relevé que les conditions d'adhésion à la SCM 93 étaient non objectives, non transparentes et discriminatoires, dans la mesure où, d'une part, aucune stipulation des statuts du 26 janvier 2017 ne précisait les conditions auxquelles la délivrance de l'agrément prévu aux articles 4 et 12 desdits statuts était soumise et, partant, aucune décision de rejet n'était motivée, et où, d'autre part, le droit d'entrée d'un montant de 100 000 euros, proche du revenu moyen des huissiers en 2016, était exclusivement imposé aux offices issus de la liberté d'installation (paragraphes 144 à 151 de la décision attaquée).
99.Compte tenu de ces éléments, non contestés, il y a lieu de considérer que les conditions d'adhésion à la SCM 93 ne satisfaisaient pas au second critère.
100.Sur le moyen pris d'un défaut de motivation concernant l'existence d'un avantage concurrentiel déterminant, la Cour rappelle tout d'abord que l'obligation de motivation à laquelle est soumise l'Autorité impose un énoncé des considérations de fait et de droit qui en constituent le fondement et qui permettent, d'une part, aux sociétés mises en cause de comprendre les raisons pour lesquelles les éléments qu'elles ont invoqués n'ont pas été retenus et, d'autre part, à la juridiction de recours d'en contrôler la légalité.
101.En l'espèce, l'Autorité s'est appuyée sur les réponses de la société Sinéquae (cote 1135) et de la chambre nationale des huissiers de justice (cote 13) aux questionnaires adressés par les services d'instruction pour retenir que « la mutualisation de l'activité de signification organisée par la SCM 93 permet aux huissiers de réduire leurs coûts, tout en augmentant leur réactivité au sein d'une vaste zone de compétence » (paragraphe 136 de la décision attaquée).
102.De même, elle a invoqué les réponses apportées par la chambre nationale des huissiers de justice (cote 9) et par la chambre régionale des huissiers de justice du ressort de la cour d'appel de Paris ' hors Paris ' (cote 1315), ainsi que l'audition du président de la société Sinéquae (cote 1135) pour soutenir que « l'activité de signification était essentielle pour les offices, en particulier pour les plus jeunes d'entre eux, en ce notamment qu'elle leur permet de démarrer leur activité » (paragraphe 137 de la décision attaquée) et que les services de la SCM 93 « représentaient le seul moyen, pour une nouvelle étude, d'accéder immédiatement aux services de clercs assermentés » (paragraphe 138 de la décision attaquée).
103.Au plan financier, l'Autorité a fait référence au faible bénéfice annuel moyen réalisé entre 2014 et 2018 par la SCM 93 malgré la participation de l'intégralité des études de la Seine-Saint-Denis à cette structure, ainsi qu'aux pertes subies par cette dernière en 2014 et 2015 et a retenu que l'activité de signification, peu rémunératrice, avait « donc tout intérêt à être mutualisée, afin de réduire les coûts qui y sont associés » (paragraphes 137 et 141 de la décision attaquée).
104.L'Autorité a constaté, enfin, qu'aucun projet de création d'une structure de même nature n'était envisagé dans le département de Seine-Saint-Denis et conclu que les avantages que procurait la SCM 93 à ses adhérents ne pouvaient être obtenus par un autre moyen (paragraphes 139 et suivants de la décision attaquée).
105.Il ressort donc des motifs de la décision attaquée que, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, l'Autorité a procédé à une appréciation concrète des avantages prodigués par la SCM 93 à la lumière des circonstances particulières de l'espèce.
106.Sur le moyen de fond portant sur la caractérisation d'un avantage concurrentiel déterminant, il y a lieu de rappeler qu'aux termes de l'article 5 des statuts du 26 janvier 2017, la mutualisation de clercs significateurs au bénéfice des membres de la SCM 93, qui représentaient l'intégralité des offices d'huissiers de justice de Seine-Saint-Denis au début des pratiques, visait à la réduction du prix de revient de la signification des actes.
107.La Cour relève que le recours aux clercs assermentés du BCS permettait aux membres de la SCM 93 d'améliorer la qualité du service rendu et leur réactivité sur une vaste zone de compétence, et partant, d'être plus concurrentiels dans un domaine d'activité où le tarif réglementé appliqué exclut toute concurrence par les prix et génère une faible rentabilité des opérations de signification, comme en attestent notamment les pertes subies par la SCM 93 dans les années précédant sa liquidation judiciaire, précisées au paragraphe 37 de la décision attaquée.
108.La Cour relève également que le champ temporel retenu, à bon escient, dans la décision attaquée ' à savoir la période du 26 janvier 2017 au 9 décembre 2019, date à laquelle la notification des griefs est intervenue sans que toutes les stipulations litigieuses n'aient été intégralement retirées des statuts et du règlement intérieur (paragraphe 162 et suivants de la décision attaquée) ' correspond aux premiers temps de la mise en oeuvre de la réforme introduite par la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, instaurant une liberté d'installation régulée par les pouvoirs publics.
109.La Cour précise, à cet égard, que le décret relatif à l'établissement de la carte instituée au I de l'article 52 de la loi précitée date du 26 février 2016 et que l'avis de l'Autorité recommandant la création de 6 offices en Seine-Saint-Denis et la nomination de 11 huissiers de justice dans les 12 premiers mois d'application de ladite carte, plaçant ainsi ce département au 4ème rang des 35 zones d'installation libre en termes de création d'offices, date du 20 décembre 2016.
110.Il s'ensuit que pendant la période des faits reprochés, l'accès à un BCS dans une zone d'installation libre particulièrement sensible revêtait une importance primordiale pour les huissiers de justice des offices nouvellement créés, qui ne pouvaient disposer de clercs assermentés opérationnels qu'à l'issue d'une période de six à neuf mois correspondant au temps de leur recrutement, de leur formation et de la procédure d'assermentation et qui, sans le recours au BCS, devaient prendre en charge eux-mêmes l'activité de signification, plutôt que de se consacrer au développement de leur étude et à des activités hors monopole plus rentables, puisque faisant l'objet d'honoraires libres.
111.La Cour souligne, au surplus, que le procès-verbal de l'assemblée générale du 26 janvier 2017 fait apparaitre de façon claire l'intention des membres de la SCM 93 de « protéger au maximum les confrères » en privant les nouveaux arrivants de l'accès au BCS à travers l'adoption des nouveaux statuts de la société (cote 637), ce qui corrobore le caractère déterminant de l'avantage concurrentiel représenté par la possibilité de recourir aux services du BCS.
112.Il résulte de ces éléments que l'adhésion au groupement en cause constituait un avantage concurrentiel déterminant pendant la durée des pratiques incriminées sur le territoire considéré.
113.Cette analyse ne saurait être remise en cause par les arguments avancés par les requérantes.
114.Concernant le fonctionnement sans BCS de la quasi-totalité des huissiers de justice en France, la Cour relève que la décision attaquée a retenu que la SCM 93 et ses membres ont « enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du code de commerce en mettant en oeuvre, depuis le 26 janvier 2017 et jusqu'au 9 décembre 2019, une entente anticoncurrentielle consistant à limiter l'accès au marché et le libre exercice de la concurrence par l'adoption de conditions d'adhésion non objectives, non transparentes et discriminatoires à la Société civile de moyens des études et groupement des huissiers de justice de Seine-Saint-Denis » (soulignement ajouté par la Cour).
115.Les pratiques litigieuses ayant été examinées par l'Autorité dans le secteur des prestations réalisées par les huissiers de justice dans le département de la Seine-Saint-Denis, c'est à tort que les requérantes invoquent l'absence de BCS dans d'autres départements que celui-ci. Il n'importe que certains de ces départements, tels que les Yvelines, l'Essonne, la Seine et Marne ou le Val-d'Oise, soient situés en Ile de France à l'instar du département de Seine-Saint-Denis et que l'ensemble des territoires bénéficiant d'un BCS ne couvrent que 15,3 % de la population française.
116.Force est de constater, par ailleurs, que les deux exemples donnés par les requérantes en page 12 de leurs conclusions récapitulatives ne démontrent pas que la somme facturée à chacune des études par la SCM 93 pour les prestations réalisées pour leur compte en 2019 ' respectivement 130 136 euros hors taxes à la SCP Szenik, Martin, Caille et Beddouk et 144 067,34 euros hors taxes à la SCP Allirand, [B] et [P] (voire 160 000 euros hors taxes en ajoutant la quote-part afférente aux pertes subies par la SCM 93 en 2019 revenant à cette dernière), ' était supérieure au coût qu'aurait représenté l'embauche de clercs par ces études pour la réalisation du même nombre de significations. En effet, d'une part, le nombre d'actes supposément traités par le clerc significateur d'une étude au cours d'une année n'est pas étayé et, d'autre part, plusieurs facteurs déterminants dans le calcul du coût représenté par l'embauche d'un clerc significateur ne sont pas pris en compte.
117.À cet égard, la Cour relève que la démonstration des requérantes ne tient compte ni du coût représenté pour la SCP par le recrutement et l'intégration du personnel évoqué, par l'administration du personnel (gestion des congés, des absences, des temps, de la paie etc.) et par la gestion de la formation et des carrières, ni de la variabilité de la demande à la hausse ou à la baisse selon les périodes, qui rend difficile l'anticipation des besoins ' tant pour les études de très petite taille que pour les études importantes devant faire face aux demandes massives et fluctuantes de leurs clients institutionnels ' et qui génère des coûts spécifiques, liés à l'embauche d'un nombre de clercs supplémentaires.
118.La Cour relève également que l'évocation de deux cas particuliers ne permet pas de généraliser le résultat du calcul de rentabilité proposé par les requérantes et d'aboutir à la démonstration que l'utilisation du BCS n'était pas nécessairement avantageuse pour les membres de la SCM 93.
119.En outre, c'est à tort que les requérantes présentent certaines solutions ' à savoir l'embauche de clercs significateurs, à mi-temps ou à plein temps, la signification par les huissiers eux-mêmes ou la mutualisation d'un clerc par deux ou trois études ' comme des alternatives au BCS, alors qu'elles ne permettent pas les mêmes économies d'échelle qu'un BCS, qui mutualise l'embauche de clercs significateurs expérimentés intervenant sur une très grande zone de compétence.
120.Ainsi, c'est à juste titre que la décision attaquée a retenu que les avantages procurés par la SCM 93 ne pouvaient pas être obtenus par un autre moyen (paragraphe 139 de la décision attaquée), considérant que seule une structure de même nature que le BCS de la SCM 93, inexistante dans le département de Seine-Saint-Denis, aurait pu présenter les mêmes avantages que le BCS de la SCM 93.
121.Concernant le faible recours au BCS de certaines études, dont le saisissant Sinéquae, la Cour rappelle qu'aux termes de l'article L. 122-1 du code des procédures civiles d'exécution, « seuls peuvent procéder à l'exécution forcée et aux saisies conservatoires les commissaires de justice chargés de l'exécution ».
122.Ainsi, la signification de plusieurs catégories d'actes relève de la compétence exclusive des huissiers de justice, ce qui rend inopérant l'argument tenant au seul fait que les membres de la SCM 93 effectuent par eux-mêmes une partie de la signification des actes qui leur sont confiés, sans passer systématiquement par la SCM 93.
123.La Cour relève, par ailleurs, que les données chiffrées avancées par les requérantes, relatives à l'activité de seulement cinq des vingt-six membres de la SCM 93 ne correspondent pas précisément au champ temporel du grief notifié, qui s'étend du 26 janvier 2017 au 9 décembre 2019.
124.En effet, les requérantes ont produit des données afférentes aux années 2020 et 2021, postérieures à la période incriminée, alors qu'elles n'ont communiqué aucun élément portant sur l'année 2017, première année des pratiques en cause.
125.En outre, il y a lieu de souligner que les années 2020 et 2021 correspondent à la période la plus aigüe de la pandémie du Covid 19 ayant occasionné une chute drastique de l'activité des huissiers de justice et, par voie de conséquence, le placement de la SCM 93 en liquidation judiciaire en décembre 2021, la société ayant « subi de plein fouet les conséquences des deux confinements survenus en 2020 et l'effondrement des significations qui s'en est suivi, accusant une perte de 515 788,35 euros pour 2020 », ladite perte étant venue s'ajouter à un déficit de 205 402 euros intervenu en 2019, dès avant le début de la pandémie (pièces 9 à 11 des requérantes).
126.S'agissant de l'usage du BCS par l'étude Sinéquae, si les plis confiés par cette étude à la SCM 93 en 2020 et 2021 représentaient respectivement 0,83 % et 0,11 % des plis traités par le BCS, ' ce qui plaçait cette étude au 26ème rang sur 32 de ses utilisateurs en 2020, puis au 26ème rang sur 31 en 2021 ', cependant, ce faible nombre de plis n'établit pas que l'étude a fait le choix de se passer très largement des services de la SCM 93, eu égard au contexte sanitaire de cette période, et ne revêt, en tout état de cause, aucune pertinence pour apprécier le grief en cause, qui fixe le terme de la durée des pratiques incriminées au 9 décembre 2019.
127.La Cour relève que les 1 272 plis confiés par cette étude à la SCM 93 au cours des cinq mois durant lesquels elle a pu bénéficier des services du BCS en 2018, représentent une part non négligeable des plis dont elle a eu la charge cette année-là, par comparaison aux 6 800 plis dont elle a elle-même assuré la signification en 2018, d'autant que la brièveté de la période considérée et son occurrence pendant la période estivale n'étaient pas propices à un recours massif au BCS.
128.La Cour ajoute que le nombre de 262 plis par mois confiés à la SCM 93 par l'étude Sinéquae du 1er octobre au 31 décembre 2019 n'est guère significatif s'il n'est pas rapporté au nombre total de plis que cette étude a dû signifier au cours de cette brève période de temps.
129.De même, la circonstance que 12 des 26 études membres de la SCM 93 ont confié moins de 50 % d'actes au BCS en 2018 est indifférente, dès lors que la caractérisation d'un avantage concurrentiel déterminant n'implique pas nécessairement que l'avantage en cause représente « un passage obligé », selon les termes des requérantes, pour accéder au marché concerné.
130.Ces chiffres montrant, en outre, que 14 des 26 études membres de la SCM 93 ont confié plus de la moitié de leurs plis à la SCM 93, ce qui est loin de constituer un usage « sporadique » du BCS, selon les termes des requérantes.
131.Enfin, l'argument tenant à l'absence de demande d'adhésion de la part d'offices nouvellement créés, postérieurement à la suppression de l'obligation d'agrément et d'acquittement d'une participation financière, est inopérant dans la mesure où cette modification statutaire, dont il n'est pas démontré qu'elle ait été portée à leur connaissance, est intervenue tardivement ' le 10 juillet 2019, cinq mois seulement avant la fin des pratiques incriminées ' présentant ainsi un intérêt plus limité pour les offices déjà implantés.
132.Concernant, en troisième lieu, le fonctionnement des huissiers de justice de Seine-Saint-Denis après le placement en liquidation judiciaire de la SCM 93 par jugement du tribunal de commerce de Bobigny du 2 décembre 2021, il convient de rappeler que les pratiques incriminées ont été constatées dans le contexte prévalant sur le secteur des prestations d'huissier de justice dans le département de Seine-Saint-Denis, sur une période allant du 26 janvier 2017 au 9 décembre 2019.
133.Il s'en infère que la circonstance que les huissiers de justice du département de Seine-Saint-Denis ont fonctionné sans difficulté en l'absence de BCS après le 2 décembre 2021 est indifférente, s'agissant de l'examen de l'avantage concurrentiel susceptible d'être représenté par les services dispensés par la SCM 93 pendant la période des pratiques incriminées, antérieure de deux ans à la liquidation de la SCM 93.
134.C'est donc à juste titre que l'Autorité a retenu que l'adhésion à la SCM 93 constituait un avantage concurrentiel déterminant pour les offices d'huissiers de justice du département de Seine-Saint-Denis.
135.Il s'ensuit que l'Autorité était fondée à retenir que les conditions d'adhésion litigieuses étaient de nature à limiter l'accès au marché et le libre jeu de la concurrence et qu'au regard de son analyse de la teneur desdites conditions, de leurs objectifs et du contexte économique et juridique dans lequel elles s'inséraient, les pratiques mises en oeuvre étaient constitutives d'une restriction de concurrence par objet prohibée par l'article L. 420-1 du code de commerce.
136.Dès lors, les moyens sont rejetés.
II. SUR LES PRATIQUES DE RÉPARTITION DE CLIENTÈLE VISÉES PAR LE GRIEF 2
137.L'Autorité, dans la décision attaquée, a retenu que la clause déontologique incriminée, dans ses versions successives du 26 janvier 2017 et du 24 juillet 2019, devait être analysée comme une clause de répartition de clientèle révélant un degré suffisant de nocivité pour être qualifiée de restriction de concurrence par objet au sens de l'article L. 420-1 du code de commerce (décision attaquée, § 153 à 160).
138.Les requérantes soutiennent que la disposition déontologique du règlement intérieur de la SCM 93 ne constituait pas une clause de répartition de clientèle, dès lors que :
' elle était conforme à la réglementation alors applicable (1ère branche) ;
' elle était la simple reprise d'une disposition déontologique figurant dans le manuel de référence des huissiers (2ème branche) ;
' elle était la simple reprise d'une disposition déontologique figurant dans le règlement national de déontologie des huissiers et les règlements intérieurs de chambres départementales d'huissiers, dont celui de la Seine-Saint-Denis (3ème branche) ;
' elle figurait dans trois avis et une décision de l'Autorité, sans avoir été qualifiée d'entente de répartition de clientèle (4ème branche) ;
' l'entente anticoncurrentielle condamnée par l'Autorité n'est étayée par aucun élément autre que la disposition litigieuse (5ème branche).
139.Ces différentes branches seront examinées successivement.
140.S'agissant de la première branche du moyen, les requérantes soutiennent que le nouveau régime relatif à la sollicitation personnalisée est applicable, non pas depuis la loi du 18 novembre 2016, mais seulement depuis son décret d'application du 29 mars 2019, dans la mesure où, d'une part, la loi ne laisse aucune faculté quant à l'adoption d'un décret en Conseil d'État pour son exécution et, d'autre part, ledit décret apporte des précisions nécessaires à la mise en oeuvre de l'article 3, III. de la loi précitée, qui pose une autorisation générale et absolue aux contours trop imprécis pour recevoir une application immédiate.
141.Elles réfutent l'affirmation selon laquelle la faculté de recourir à la sollicitation personnalisée était, en l'absence de texte réglementaire, d'ores et déjà encadrée par les principes fondamentaux applicables à la profession, en particulier par le règlement national de déontologie des huissiers de justice modifié le 5 décembre 2018, puis approuvé par arrêté du 18 décembre 2018 (ci-après « le règlement national de déontologie »), ce règlement déontologique et la loi du 18 novembre 2016 renvoyant tous deux au décret d'application de la définition des conditions dans lesquelles la sollicitation personnalisée est autorisée.
142.L'Autorité soutient, au contraire, que l'article 3, III. de la loi du 18 novembre 2016 était applicable à la date de l'adoption du premier règlement intérieur de la SCM 93, dès lors que cet article ne subordonne pas expressément son entrée en vigueur à celle du décret dont elle prévoit l'adoption et que la possibilité offerte aux huissiers de « recourir à la sollicitation personnalisée, notamment par voie numérique » n'était pas manifestement impossible. À cet égard, l'Autorité ajoute que cette nouvelle faculté était encadrée par les principes fondamentaux applicables à la profession, notamment les principes de dignité, de loyauté, de confraternité et de délicatesse, et souligne que l'article 7 du règlement national de déontologie avait été rédigé en application de ces principes, avant même l'entrée en vigueur du décret d'application de 2019.
143.L'Autorité fait valoir que la réglementation française en vigueur lors de la période infractionnelle n'imposait pas à la SCM 93 et à ses membres d'adopter la clause litigieuse, ce dont atteste, selon elle, le fait que la chambre nationale des huissiers de justice a modifié le règlement national de déontologie sans attendre l'adoption du décret d'application, en supprimant de ce règlement l'interdiction de toute « démarche », « tentative d'influence », « sollicitation » ou « pression », figurant dans la précédente version.
144.L'Autorité considère, en outre, qu'à supposer qu'un doute existât sur la date d'entrée en vigueur de la loi du 18 novembre 2016, il n'était pas de nature à éliminer toute possibilité de comportement concurrentiel de la part des membres de la SCM 93 en vertu de la jurisprudence relative à l'exemption figurant au I de l'article L. 420-4 du code de commerce. Elle ajoute que la SCM 93, qui n'est pas un organe déontologique de la profession, restait libre de ne pas insérer la clause de répartition dans son règlement intérieur, d'autant que la nouvelle réglementation s'appliquait aux huissiers de justice membres de la SCM 93 et non à la SCM 93 elle-même.
145.L'Autorité rappelle que si la SCM 93 a finalement levé l'interdiction de la sollicitation personnalisée le 3 juillet 2019, elle a néanmoins maintenu l'interdiction de toute « démarche », tentative d'« influence », « sollicitation » ou « pression » qu'elle soit directe ou indirecte.
146.Le ministre chargé de l'économie estime que la rédaction de la loi apparaît dépourvue d'ambiguïté quant à la consécration du principe d'autorisation de la sollicitation personnalisée pour les huissiers de justice et en déduit son application immédiate.
147.S'agissant des deuxième et troisième branches du moyen, les requérantes mettent en avant que la disposition litigieuse du règlement intérieur n'a pas été rédigée par la SCM 93 et n'est que la simple reprise d'une clause figurant dans le manuel de référence des huissiers, « L'Huissier de justice : normes et valeurs - Éthique, déontologie, discipline et normes professionnelles » de [R] [M].
148.Les requérantes font également valoir que la clause litigieuse du règlement intérieur n'est que la reprise mot pour mot d'une disposition déontologique figurant, au jour de l'adoption du règlement intérieur du 26 janvier 2017, dans le règlement déontologique national, ainsi que dans les règlements intérieurs des chambres d'huissiers, dont celui de la Seine-Saint-Denis.
149.L'Autorité avance que la disposition déontologique en cause était contraire au cadre juridique applicable et que ni les règlements déontologiques, ni l'« ouvrage de référence » de la profession invoqués par les requérantes, tous antérieurs à la loi du 18 novembre 2016, ni aucun texte législatif ou réglementaire au sens du I de l'article L. 420-4 du code de commerce, ne contraignaient la SCM 93 à l'inclure dans son règlement intérieur.
150.L'Autorité soutient que l'objet anticoncurrentiel de la clause de répartition a été établi à suffisance dans la décision attaquée. À cet égard, elle relève que, dans le procès-verbal de l'assemblée générale du 26 janvier 2017, le bureau commun de la SCM 93 est évoqué comme le seul « organe de contrôle » de la profession demeurant après la suppression des chambres départementales des huissiers de justice au bénéfice des chambres régionales des commissaires de justice, par l'ordonnance n° 2016-728 du 2 juin 2016.
151.Le ministre chargé de l'économie fait valoir que l'existence de dispositions similaires à la clause litigieuse, prévues par d'autres organismes, n'exonère pas la SCM 93 de sa responsabilité. Il ajoute que la SCM 93, en écartant certaines dispositions du règlement intérieur de la chambre des huissiers de [Localité 23] qu'elle invoque par ailleurs, a montré qu'elle ne s'estimait pas liée mécaniquement par toutes les dispositions des règlements auxquels elle fait référence.
152.S'agissant de la quatrième branche du moyen, les requérantes soutiennent que la condamnation infligée par l'Autorité au titre d'une entente de répartition de marché pour la seule adoption d'un règlement intérieur contenant une clause figurant de longue date dans la pratique décisionnelle de l'Autorité ' en particulier dans ses avis n° 95-A-02 du 31 janvier 1995, n° 16-A-25 du 20 décembre 2016 et n° 19-A-16 du 2 décembre 2019 et dans sa décision n° 04-D-69 du 14 décembre 2004, ' sans qu'elle n'ait indiqué son éventuelle contrariété au droit de la concurrence et sans qu'elle ne l'ait jamais sanctionnée, heurte le bon sens et la confiance légitime qu'elles étaient en droit d'avoir dans ladite pratique.
153.L'Autorité estime que, à l'aune de la jurisprudence européenne et nationale, les conditions sont réunies pour écarter l'application du principe de confiance légitime, qui s'applique lorsqu'une administration nationale fait naître chez un particulier des espérances fondées en lui fournissant des assurances précises, inconditionnelles et concordantes, émanant de sources autorisées et fiables.
154.Elle fait valoir que seuls deux des précédents mentionnés par les requérantes sont postérieurs à l'entrée en vigueur de la loi de modernisation de la justice et qu'aucun ne s'est prononcé spécifiquement sur la conformité aux règles de concurrence de la disposition déontologique reprise dans le règlement intérieur de la SCM 93. Elle ajoute que l'absence de prise de position de l'Autorité sur cette question ne saurait valoir constatation implicite de la conformité de cette clause aux règles de concurrence.
155.Le ministre chargé de l'économie considère qu'aucune atteinte au principe de confiance légitime ne peut être relevée, les conditions posées par la jurisprudence n'étant pas remplies. Il précise que, dans sa décision n° 04-D-69 du 14 décembre 2004, le Conseil de la concurrence ne s'est nullement prononcé sur la licéité des dispositions du règlement intérieur de la chambre des huissiers de justice de [Localité 23] au regard du droit de la concurrence et, qu'en tout état de cause, les éléments ressortant de l'instruction de la présente affaire, tels que la volonté de ses membres de conserver un organe chargé de la police des dispositions déontologiques, n'étaient pas connus du Conseil en 2004. S'agissant des avis cités par les requérantes, leur portée demeure limitée selon le ministre, dès lors que « seules une saisine contentieuse et la mise en oeuvre d'une procédure contradictoire prévue au livre IV [du Code de commerce] sont de nature à permettre une appréciation de la licéité de la pratique considérée au regard desdites dispositions ».
156.En réponse aux observations de l'Autorité et du ministre chargé de l'économie portant sur l'absence d'atteinte au principe de confiance légitime, les requérantes précisent qu'elles n'ont jamais invoqué la violation dudit principe et qu'elles ne font que déduire du silence de l'Autorité, dans les avis et décisions précités évoquant la clause litigieuse, qu'aucune répartition de clientèle ne découle de la disposition déontologique en cause.
157.S'agissant de la cinquième branche du moyen, les requérantes font valoir qu'aucun acte d'instruction n'a été effectué sur une soi-disant entente de répartition de clientèle entre les membres de la SCM 93 ' en particulier, ni la SCM 93, ni le saisissant, ni la chambre nationale des huissiers de justice, ni les chambres régionales ou départementales, ni aucun autre huissier de justice n'a été interrogé ' et que la décision attaquée ne contient aucun commencement d'éléments relatifs à une telle entente.
158.Elles reprochent à la décision attaquée d'avoir procédé à « un curieux inversement de la charge de la preuve », en indiquant au paragraphe 158 qu'il n'existait aucune circonstance de fait excluant que la stipulation en cause ait restreint la concurrence.
159.Enfin, elles critiquent la référence faite par l'Autorité à certaines décisions et jurisprudences européennes (notes de bas de page n° 152 et 212 de la décision attaquée) relatives à des cartels sophistiqués couvrant toute l'Union européenne et, de ce fait, totalement déconnectées des faits du dossier.
160.L'Autorité considère qu'en présence d'une preuve directe résultant d'une clause contractuelle, il n'était pas nécessaire, contrairement à ce qu'avancent les requérantes, de corroborer l'entente par des éléments comportementaux et que la clause litigieuse constituait une clause de répartition de clientèle dans la mesure où les conditions d'application de l'article L. 420-4 du code de commerce n'étaient pas réunies.
161.L'Autorité soutient qu'elle n'a procédé à aucun inversement de la charge de la preuve et qu'elle n'a fait que mettre en oeuvre les principes jurisprudentiels encadrant l'identification d'une restriction de concurrence par objet, imposant notamment à l'Autorité de vérifier si une telle qualification doit être exclue compte tenu du contexte juridique et économique applicable.
162.L'Autorité ajoute que les décisions citées dans la décision attaquée le sont à raison, dans la mesure où elles rappellent que, sauf circonstances factuelles particulières, la répartition des marchés est considérée comme une pratique particulièrement grave et nocive, cette nocivité étant liée à la nature même de la pratique, et non à son caractère sophistiqué.
163.Le ministre chargé de l'économie conclut que la pratique en cause est effectivement une restriction par objet, qui ne nécessite, subséquemment, pas d'analyse des effets.
164.S'agissant des cinq branches du moyen, le ministère public partage l'argumentation développée par l'Autorité et le ministre chargé de l'économie et conclut au rejet du moyen.
Sur ce, la Cour :
165.Comme cela a déjà été indiqué, l'article 3, III, de la loi du 18 novembre 2016 dispose :
« les [huissiers de justice, notaires, commissaires-priseurs judiciaires, avocats, avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation, commissaires aux comptes et experts-comptables] peuvent recourir à la sollicitation personnalisée, notamment par voie numérique, et proposer des services en ligne. Les conditions d'application du présent III, notamment les adaptations nécessaires aux règles déontologiques applicables à ces professions dans le respect des principes de dignité, de loyauté, de confraternité et de délicatesse, sont fixées par décret en Conseil d'État ».
166.Comme cela a également été déjà indiqué, la clause déontologique litigieuse, dans sa version du 26 janvier 2017 s'énonçait ainsi :
« Ils doivent respecter la clientèle de leurs confrères et ne faire aucune démarche, d'user d'aucune influence, ne se livrer à aucune sollicitation, n'exercer aucune pression, soit directement soit indirectement dans le but de se procurer des affaires ou de détourner celles dont un confrère serait ou devrait être chargé ».
167.Concernant la première branche du moyen prise de la conformité de la clause déontologique à la règlementation en vigueur, la Cour rappelle qu'une disposition légale entre en vigueur dès le lendemain de sa publication, à condition d'être suffisamment précise et de ne pas indiquer que son entrée en vigueur est subordonnée à celle du décret dont elle prévoit l'adoption aux fins de préciser ses modalités d'application (en ce sens, notamment, 1ère Civ., 12 mai 2016, n° 15-12.120).
168.En l'espèce, s'agissant de la première condition tenant au caractère précis de la disposition légale en cause, la Cour relève que les dispositions de l'article 3, III. de la loi du 18 novembre 2016, en ce qu'elles énoncent que les professions concernées « peuvent recourir à la sollicitation personnalisée, notamment par voie numérique, et proposer des services en ligne », posent clairement le principe de l'autorisation de la sollicitation personnalisée.
169.En outre, en précisant que la sollicitation pourrait emprunter la voie numérique et en faisant référence aux « règles déontologiques applicables à ces professions dans le respect des principes de dignité, de loyauté, de confraternité et de délicatesse », bien connus des officiers publics et ministériels, la loi du 18 novembre 2016 a posé les jalons nécessaires à son application immédiate.
170.De surcroît, dès son avis n° 16-A-25 du 20 décembre 2016 relatif à la liberté d'installation des huissiers de justice et à une proposition de carte des zones d'implantation, rendu un mois après la publication de la loi du 18 novembre 2016, l'Autorité a fait référence à la définition de la sollicitation personnalisée mentionnée au règlement intérieur national de la profession d'avocat (ci-après « le RIN ») ' qui sera celle retenue à l'article 6 alinéa 3 du règlement national de déontologie des huissiers ', en ces termes :
« À défaut de définition légale de la notion de 'sollicitation personnalisée', il semble possible de se reporter au Règlement Intérieur National de la profession d'avocat dont l'article 10.1 précise qu'il s'agit d' 'un mode de publicité personnelle', [qui] s'entend de toute forme de communication directe ou indirecte, dépassant la simple information, destinée à promouvoir les services d'un avocat à l'attention d'une personne physique ou morale déterminée » (paragraphe 500 de l'avis du 20 décembre 2016).
171.S'agissant de la seconde condition tenant à l'absence d'indication de la subordination de l'entrée en vigueur de l'article 3, III. de la loi du 18 novembre 2016 à l'adoption d'un décret d'application, il ressort de l'examen des dispositions de cette loi que ses articles 15 III., 17 II., 29 III., 31 II., 34 III A., 58 II., 104 II., 112 X. et 114 II., III., IV., V., VII., IX., XII., XIV., XV. et XVII. fixent la date d'entrée en vigueur de certaines dispositions législatives, en indiquant :
' soit, une date précise d'entrée en vigueur : « l'article 50 entre en vigueur le 1er janvier 2017 » (article 114 V. de la loi précitée) ;
' soit, un délai de rigueur à compter de la publication ou de la promulgation de la loi : « l'article 14 entre en vigueur le premier jour du sixième mois suivant la publication de la présente loi » (article 114 II. de la loi précitée).
172.Les articles 34 IV. B, 35 V., 37 II., 42 II. et 114 I, VIII et XIII, quant à eux, renvoient la fixation de la date d'entrée en vigueur de certaines dispositions législatives à un décret en Conseil d'État, tout en prescrivant un délai de rigueur. Ainsi, l'article 114 I. dispose que « l'article 12 entre en vigueur à une date fixée par décret, et au plus tard le 1er janvier 2019 ».
173.La Cour relève que la date d'entrée en vigueur de l'article 3, III. de la loi du 18 novembre 2016, n'est en revanche ni prévue explicitement par la loi, ni expressément subordonnée à l'adoption d'un décret en Conseil d'État dans le cadre d'un délai impératif.
174.Si, aux termes du III de l'article 3 de la loi du 18 novembre 2016, « les conditions d'application du présent III, notamment les adaptations nécessaires aux règles déontologiques applicables à ces professions dans le respect des principes de dignité, de loyauté, de confraternité et de délicatesse, sont fixées par décret en Conseil d'État », cette disposition ne saurait avoir pour effet de subordonner l'entrée en vigueur de cet article, dont l'application ne se heurtait à aucune « impossibilité manifeste », à l'intervention d'un décret en Conseil d'État (en ce sens, CE, 28 février 1969, Ministre des Armées c/ Furno, n° 74109 ; CE, Ass, 16 juin 1967, Monod, n°65462).
175.Contrairement à ce que soutiennent les requérantes, les prescriptions ajoutées par le décret du 29 mars 2019 ne constituaient pas des précisions nécessaires à la mise en oeuvre de l'article 3, III. de la loi du 18 novembre 2016, mais des déclinaisons, au niveau réglementaire, des principes déontologiques rappelés dans ladite loi, ainsi qu'il ressort d'un arrêt du Conseil d'État en date du 9 novembre 2015 portant notamment sur les dispositions du décret d'application de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014, ayant autorisé la sollicitation personnalisée pour les avocats :
« que si [l'article 15 alinéa 2 du décret n°2005-790 du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat, modifié par le décret n° 2014-1251 du 28 octobre 2014 pris en application de la loi du 17 mars 2014 précitée] prohibe le recours à la sollicitation personnalisée par message textuel envoyé sur un téléphone mobile, cette restriction tient compte, d'une part, du caractère intrusif de ces minimessages, qui s'apparentent à du démarchage téléphonique, lui-même prohibé par les obligations déontologiques de la profession d'avocat, d'autre part, de ce que, par leurs caractéristiques, ces minimessages ne permettent pas d'assurer, dans tous les cas, un contenu respectant les obligations d'information posées par le règlement intérieur national de la profession [article 10.2 du RIN] ; que les restrictions ainsi prévues par les dispositions réglementaires précitées, qui ['] s'appliquent à l'ensemble des avocats, sont proportionnées aux raisons impérieuses d'intérêt général de protection de l'indépendance, de la dignité et de l'intégrité de la profession d'avocat d'une part, et de bonne information du client, d'autre part » (CE, 6ème - 1ère SSR, 09/11.2015, 386296, souligné par la Cour).
176.La Cour observe que, les professions d'avocat et d'huissier de justice partageant les mêmes principes déontologiques, les termes de l'article 15 alinéa 2 du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005, modifié par le décret du 28 octobre 2014, concernant le régime de la sollicitation personnalisée des avocats, et ceux de l'article 43 alinéa 1 du décret n° 73-1202 du 28 décembre 1973, modifié par le décret du 29 mars 2019, concernant celui de la sollicitation ouverte aux huissiers de justice, ont été rédigés en des termes similaires :
' pour les avocats, « la sollicitation personnalisée prend la forme d'un envoi postal ou d'un courrier électronique adressé au destinataire de l'offre de service, à l'exclusion de tout message textuel envoyé sur un terminal téléphonique mobile » ;
' pour les huissiers de justice, « la sollicitation personnalisée ne peut être effectuée que sous la forme d'un envoi postal ou d'un courrier électronique adressé à une personne physique ou morale déterminée, destinataire de l'offre de service. Est en particulier exclu tout démarchage physique ou téléphonique, de même que tout message textuel envoyé sur un terminal téléphonique mobile ».
177.Force est de constater qu'en plus d'être claires et précises, les dispositions de l'article 3, III. de la loi du 18 novembre 2016 s'inscrivaient dans un contexte législatif et réglementaire de nature à apporter des précisions supplémentaires sur le régime de la sollicitation personnalisée.
178.Il s'ensuit que c'est vainement que les requérantes soutiennent qu'aux termes de l'article 3, III. de la loi du 18 novembre 2016, la sollicitation personnalisée était autorisée sous toutes ses formes, en toutes circonstances, sans souffrir aucune exception et que le décret du 29 mars 2019 est venu apporter des précisions nécessaires à sa mise en oeuvre.
179.Il ressort donc des développements qui précèdent que les conditions posées par la jurisprudence étaient remplies en l'espèce et que, partant, les dispositions de l'article 3, III. de la loi du 18 novembre 2016 étaient d'application immédiate, en sorte que la clause figurant dans le règlement intérieur du 26 janvier 2017, imposant aux membres de la SCM 93 de « ne se livrer à aucune sollicitation », était contraire à la réglementation en vigueur au moment de son adoption.
180.Concernant les deuxième et troisième branches du moyen prises de l'existence de la clause litigieuse dans plusieurs règlements déontologiques et un manuel de référence, la Cour estime que la conformité de la clause déontologique adoptée par l'assemblée générale du 26 janvier 2017 à des dispositions ressortant d'un manuel de référence et de règlements déontologiques, fût-ce le règlement national de déontologie des huissiers, ne saurait être de nature à exonérer ses auteurs de leur responsabilité, dès lors que ces textes n'étaient pas à jour de la réglementation en vigueur à cette date.
181.Il est constant, en effet, que les règlements déontologiques adoptés par la chambre nationale des huissiers de justice et certaines chambres départementales d'huissiers de justice, en particulier celle de Seine-Saint-Denis, ont été rédigés et adoptés antérieurement à la loi du 18 novembre 2016.
182.De même, le manuel « L'Huissier de justice : normes et valeurs - Éthique, déontologie, discipline et normes professionnelles » de [R] [M] dans son édition de 2017 (pièce 13), dont les requérantes ne précisent pas la date de parution exacte, indique explicitement que le texte du règlement déontologique qu'il reproduit est celui de sa « version connue au 15 février 2016 ».
183.S'agissant de la seconde version de la clause déontologique adoptée par l'assemblée générale du 3 juillet 2019 et entrée en vigueur le 24 juillet 2019, elle ne reprend pas les termes de l'article 6 du règlement déontologique national stipulant que la sollicitation personnalisée « est autorisée dans les conditions prévues par décret » mais elle énonce que les membres de la SCM 93 doivent « ne se livrer à aucune sollicitation (sauf celle autorisée par la loi) ». Il ressort de cette énonciation que la SCM 93 a fait le choix de maintenir dans son règlement intérieur du 24 juillet 2019 le principe de l'interdiction de la sollicitation en présentant, entre parenthèses, la possibilité ouverte par la loi comme dérogatoire.
184.En outre, la clause déontologique du règlement du 24 juillet 2019 conserve l'interdiction de toute « démarche », « tentative d'influence » ou « pression » figurant dans sa précédente version, alors même que le règlement national de déontologie a supprimé ces mentions le 18 décembre 2018.
185.Il s'infère de ce qui précède que les requérantes ne sauraient se prévaloir de l'identité des termes entre la clause litigieuse, plusieurs règlements déontologiques et un manuel de référence, pour écarter tout caractère anticoncurrentiel aux pratiques incriminées et s'exonérer de toute responsabilité.
186.Concernant la quatrième branche du moyen prise de la mention de la clause litigieuse dans trois avis et une décision de l'Autorité, la Cour rappelle, à titre liminaire, que l'article L. 462-4 du code de commerce permet à l'Autorité de prendre l'initiative de donner un avis rendu public sur toute question concernant la concurrence.
187.Depuis la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, l'Autorité rend également des avis facultatifs en matière de liberté d'installation concernant plusieurs professions juridiques réglementées, dont les huissiers de justice (article L. 462-2-1 du code de commerce), et des avis obligatoires sur la structure des tarifs et leur méthode de fixation (article L. 444-7 du code de commerce).
188.En premier lieu, force est de constater que les requérantes invoquent en vain l'avis n° 95-A-02 du 31 janvier 1995 relatif à un projet de décret modifiant le décret n° 67-18 du 5 janvier 1967 fixant le tarif des huissiers de justice en matière civile et commerciale, indiquant que « la déontologie telle que consignée dans les règlements des chambres départementales (interdiction de la publicité, respect de la clientèle des confrères, interdiction des remises et commissions) n'interdit pas pour autant l'exercice de toute concurrence par les prix entre les huissiers ».
189.En effet, cet avis est largement antérieur à la loi du 18 novembre 2016 levant l'interdiction absolue de la sollicitation personnalisée. En outre, au cas particulier, le Conseil de la concurrence n'a pas examiné la clause litigieuse au regard des règles de concurrence.
190.En deuxième lieu, force est de constater que, dans l'avis n° 16-A-25 du 20 décembre 2016 relatif à la liberté d'installation des huissiers de justice et à une proposition de carte des zones d'implantation, l'Autorité n'avait pas non plus vocation à se prononcer spécifiquement sur la conformité de la disposition litigieuse aux règles de concurrence.
191.La Cour relève, en revanche, que l'Autorité a livré dans cet avis une première analyse du dispositif en vigueur de nature à éclairer les requérantes sur les évolutions textuelles attendues de la profession d'huissier de justice, en soulignant le caractère restrictif des règlements déontologiques, national et départementaux, antérieurs à la loi du 18 novembre 2016, et en indiquant que ces « réglementations restrictives, en figeant les parts de marché des professionnels en cause, [étaient] peu propices au développement de nouvelles études » et « appelées à évoluer ».
192.En troisième lieu, c'est également en vain que les requérantes se prévalent de l'avis n° 19-A-16 du 2 décembre 2019 relatif à la liberté d'installation des huissiers de justice et à une proposition de carte révisée des zones d'implantation, pour contester leur condamnation au titre d'une entente de répartition de marché, dès lors que cet avis se limite, s'agissant de la sollicitation personnelle, à rappeler son cadre législatif et réglementaire.
193.En tout état de cause, les avis rendus par l'Autorité dans le cadre de sa mission consultative ne sauraient en aucune manière préjuger des appréciations qui pourraient être portées dans le cadre de procédures contentieuses, a fortiori lorsque, comme en l'espèce, les pratiques en cause n'ont pas été examinées dans les avis dont les requérantes se prévalent.
194.Les requérantes citent, en quatrième lieu, la décision n° 04-D-69 du 14 décembre 2004 relative à des pratiques mises en oeuvre par la société Convergence concernant le recouvrement de créances, dans laquelle l'Autorité ne s'est, par définition, pas prononcée sur la conformité de la disposition déontologique litigieuse aux règles de concurrence au regard de la loi du 18 novembre 2016, largement postérieure à la décision invoquée, de sorte que cette décision ne saurait valoir non-lieu implicite sur les pratiques reprochées aux requérantes.
195.Enfin, dans l'hypothèse où les requérantes auraient voulu invoquer le bénéfice du principe de protection de la confiance légitime en indiquant que « la condamnation des études membres de la SCM 93 au titre d'une entente de répartition de marché pour la seule adoption d'un règlement intérieur contenant une clause figurant de longue date dans la pratique décisionnelle de l'Autorité de la concurrence, sans que celle-ci n'ait jamais songé à la sanctionner (elle pouvait se saisir d'office) ou à indiquer qu'elle pouvait être contraire au droit de la concurrence, heurte pour le moins le bon sens et la confiance légitime que l'on est en droit d'avoir dans ladite pratique » (soulignement par la Cour), la Cour rappelle qu'aux termes d'une jurisprudence constante, le principe de protection de la confiance légitime est encadré par trois conditions :
' les assurances fournies par l'administration doivent être précises, inconditionnelles et concordantes, émanant de sources autorisées et fiables ;
' ces assurances doivent être de nature à faire naître une attente légitime dans l'esprit de celui auquel elles s'adressent ;
' les assurances données doivent être conformes aux normes applicables.
196.Au cas d'espèce, les avis et la décision invoqués par les requérantes ne sauraient constituer des assurances précises, inconditionnelles et concordantes, au sens de la jurisprudence relative à l'application du principe de la confiance légitime, aucune validation de la clause litigieuse, précise et inconditionnelle n'étant intervenue en considération de la prohibition posée à l'article L. 420-1 du code de commerce.
197.Il ressort de l'ensemble de ces considérations que les requérantes ne sauraient s'exonérer de toute responsabilité en faisant valoir que la clause litigieuse, figurant dans les avis et décision précités, n'avait jamais été considérée par l'Autorité comme illicite au regard du droit de la concurrence.
198.Concernant la cinquième branche du moyen prise de l'absence d'éléments étayant une entente par répartition de clientèle, il convient, afin d'apprécier si un accord comporte une restriction de concurrence « par objet », de s'attacher à la teneur de ses dispositions, aux objectifs qu'il vise à atteindre ainsi qu'au contexte économique et juridique dans lequel il s'insère (voir arrêt CJUE, 16 septembre 2008, GlaxoSmithKline Services e.a./Commission e.a., C-468/06 à C-478-06., point 58). Dans le cadre de l'appréciation dudit contexte, il y a également lieu de prendre en considération la nature des biens ou des services affectés ainsi que les conditions réelles du fonctionnement et de la structure du marché ou des marchés en question (voir arrêt CJUE, 13 décembre 2012, Expedia Inc. c/ Autorité de la concurrence, C-226/11, point 21).
199.En outre, bien que l'intention des parties ne constitue pas un élément nécessaire pour déterminer le caractère restrictif d'un accord, rien n'interdit aux autorités de la concurrence ou aux juridictions nationales et de l'Union d'en tenir compte (voir, en ce sens, arrêt GlaxoSmithKline Services e.a./Commission e.a., précité, point 58).
200.En l'espèce, concernant la teneur de la clause litigieuse du règlement intérieur, celle-ci énonce que chaque adhérent, du seul fait de son adhésion à la SCM 93, s'engage à ne pas faire de « démarche », tentative d'« influence », de « sollicitation » ou de « pression », qu'elle soit directe ou indirecte, « dans le but de se procurer des affaires ou de détourner celles dont un confrère serait ou devrait être chargé », à l'exception, à compter de l'entrée en vigueur du règlement intérieur de la SCM 93 du 24 juillet 2019, de la sollicitation « autorisée par la loi ».
201.Ainsi, la clause litigieuse interdit aux huissiers de justice membres de la SCM 93 de cibler et de s'adresser directement aux clients d'un autre huissier de justice pour promouvoir les services de leur étude, et ce, en violation des dispositions législatives en vigueur au moment de l'adoption du règlement intérieur du 26 janvier 2017.
202.Concernant les objectifs de la clause, il ressort sans équivoque du compte-rendu de l'assemblée générale du 7 avril 2016 que la modification des statuts et la rédaction d'un règlement intérieur avaient pour finalité « de parer l'entrée d'arrivants parisiens pouvant se servir » du bureau commun de la SCM 93 (cote 627), étant précisé que celui-ci demeurerait, de l'avis de l'un de ses membres repris dans le compte-rendu du 26 janvier 2017 (cote 637), le seul « organe de contrôle » existant après la suppression de la chambre départementale de Seine-Saint-Denis.
203.Ainsi que le relève l'Autorité au paragraphe 156 de la décision attaquée, l'insertion de la clause litigieuse dans le règlement intérieur de la SCM 93 ne peut s'expliquer que par la volonté de ses membres de conserver à l'échelon départemental un organe qui en contrôlera le respect, dès lors que la SCM 93 avait fonctionné depuis sa création, le 16 février 1989, sans aucun règlement intérieur, et que ni son objet social, ni la règlementation en vigueur ne lui imposait de faire sienne, à l'annonce de la suppression des chambres départementales par la loi du 18 novembre 2016, des dispositions déontologiques à la fois contra legem au moment de leur adoption par la SCM 93 et d'ores et déjà prévues dans le règlement national de déontologie des huissiers du 18 décembre 2018.
204.Il s'en déduit qu'en adoptant la clause litigieuse, la SCM 93 et ses membres ont entendu faire perdurer la situation créée par les dispositions antérieures à la loi du 18 novembre 2016, interdisant la publicité et le démarchage, qui ont, aux termes de l'avis n° 16-A-25 du 20 décembre 2016 précité, longtemps figé les parts de marché des professionnels en cause et ont été, ce faisant, peu propices au développement de nouvelles études.
205.Au vu de ces éléments, aucune autre finalité que celle d'empêcher la concurrence entre adhérents et de figer les parts de marchés existantes ne peut être attribuée à l'insertion de la clause litigieuse dans le règlement intérieur de la SCM 93.
206.Il résulte des considérations qui précèdent que tant la teneur que l'objectif des clauses litigieuses conduisent à constater qu'a été mise en place une répartition de clientèle entre les adhérents de la SCM 93.
207.Concernant, enfin, le contexte juridique et économique dans lequel la pratique incriminée s'insère, il résulte de la pratique et de la jurisprudence que des accords qui visent à la répartition des marchés constituent des violations particulièrement graves de la concurrence, sont restrictives de concurrence par objet et relèvent d'une catégorie d'accords expressément interdite par l'article 101, paragraphe 1, du TFUE.
208.Ainsi, l'expérience et la pratique décisionnelle antérieure enseignent que les accords de répartition de marché sont, au regard de leurs conséquences directes sur le libre jeu de la concurrence, d'une particulière nocivité, et ce, peu important le niveau de sophistication des pratiques en cause.
209.En l'espèce, l'Autorité a exactement retenu que la clause litigieuse tendait à freiner l'intensification de la concurrence sur le marché résultant de l'arrivée prochaine de nouveaux concurrents (paragraphe 158 de la décision attaquée), consécutivement à l'entrée en vigueur de la loi du 18 novembre 2016, qui visait à faciliter le démarrage de l'activité des créateurs d'offices en leur permettant de se faire connaître auprès de leurs futurs clients, et, plus généralement, en stimulant la concurrence entre professionnels (paragraphe 501 de l'avis du 20 décembre 2016 précité).
210.C'est également à juste titre que l'Autorité a indiqué qu'il n'existait aucune circonstance de fait excluant que la stipulation en cause ait restreint la concurrence (paragraphe 158 de la décision attaquée), limitant ainsi son analyse du contexte juridique et économique à ce qui s'avère nécessaire en vue de conclure à l'existence d'une restriction de la concurrence par objet, sans qu'un « inversement de la charge de la preuve » ne puisse lui être reproché.
211.Au vu de ce qui précède, les requérantes sont mal fondées à reprocher à l'Autorité de n'avoir effectué aucun acte d'instruction sur la « soi-disant entente de répartition de clientèle ».
212.La Cour observe qu'elles se bornent à souligner que ni la SCM 93, ni le saisissant, ni la chambre nationale des huissiers de justice, ni les chambres régionales ou départementales, ni aucun autre huissier de justice n'a été interrogé sur la problématique de l'entente de répartition de clientèle, sans préciser quels éléments auraient dû être davantage examinés.
213.S'agissant des auditions invoquées, il est de jurisprudence constante que le rapporteur n'est pas tenu de procéder à des auditions s'il s'estime suffisamment informé pour déterminer les griefs susceptibles d'être notifiés, l'audition des personnes intéressées étant une faculté laissée à son appréciation, eu égard au contenu du dossier. En tout état de cause, il n'est pas nécessaire en l'espèce, s'agissant d'un accord de volontés ayant pris la forme d'une clause contractuelle, de recourir à des preuves comportementales impliquant la caractérisation d'une application effective de la clause par les membres de la SCM 93.
214.Il s'ensuit que l'Autorité a justement retenu que la clause litigieuse, dans ses deux rédactions successives, constitue, par son degré de nocivité, une restriction de concurrence par objet, au sens des articles 101, paragraphe 1, du TFUE et L. 420-1 du code de commerce, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les effets que la pratique incriminée a réellement produits.
215.En conclusion de l'ensemble de ces développements, le moyen est rejeté.
III. SUR LA SANCTION INFLIGÉE À LA SCP MARIE-HÉLÈNE ALLIRAND, [I] [B] ET [S] [P]
216.Aux paragraphes 242 et 243 de la décision attaquée, l'Autorité a retenu que les éléments financiers et comptables communiqués par la SCP Marie-Hélène Allirand, [I] [B] et [S] [P] n'attestaient pas de difficultés financières particulières empêchant cette entreprise de s'acquitter de la sanction encourue.
217.Fortement impactée par la crise sanitaire du Covid 19 en raison de sa dépendance à l'égard de son principal client l'URSSAF, la SCP Marie-Hélène Allirand, [I] [B] et [S] [P] reproche à la décision attaquée de ne pas avoir pris en compte l'effondrement de sa situation financière en 2021, caractérisé notamment par la baisse de 87,38 % de son chiffre d'affaires par rapport à l'exercice de 2019 et par une perte de 105 904 euros.
218.Elle fait état de la charge représentée par un prêt garanti par l'État de 170 000 euros, de son incapacité à régler sa cotisation d'assurance des risques professionnels, d'une diminution considérable de sa masse salariale et de l'absence de rémunération prélevée par les associés en 2021.
219.Se fondant sur une attestation de son expert-comptable du 13 mars 2022 portant sur le prévisionnel 2022, elle invoque la possibilité d'une baisse de 250 000 euros de son chiffre d'affaires en 2022 et des pertes prévisionnelles de 132 000 euros pour cet exercice, susceptibles d'une part, d'empêcher à nouveau ses associés de se rémunérer en 2022 et, d'autre part, d'affecter la pérennité de la structure, fragilisée par l'incapacité de ses deux plus jeunes associées de faire face aux charges personnelles et professionnelles pesant sur eux.
220.Dans ces conditions, la SCP Marie-Hélène Allirand, [I] [B] et [S] [P] sollicite une réduction drastique de la sanction qui lui a été infligée et le remboursement à son profit des sommes versées au titre du paiement de la sanction pécuniaire.
221.L'Autorité fait valoir qu'au regard des exigences posées par le point 64 du communiqué sanctions du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires et la jurisprudence en la matière, les pièces produites par la requérante ne sont pas suffisantes pour appréhender la situation économique et financière de l'étude dans son ensemble et conclure à des difficultés empêchant le paiement de la sanction envisagée, dès lors que :
' l'unique document comptable versé par SCM 93 est le compte de résultats de l'étude, qui rend compte de ses performances sans apporter d'éléments précis sur la situation financière de l'entreprise ;
' la SCP Marie-Hélène Allirand, [I] [B] et [S] [P] ne fournit aucune information relative à la distribution du bénéfice net des années antérieures à 2020, alors que la baisse substantielle du résultat en 2020 est susceptible d'être compensée par les résultats antérieurs ' 1,2 million d'euros de bénéfice en 2019, 1,1 million d'euros en 2018, 0,8 million d'euros en 2017 ' qu'ils aient ou non été mis en réserve.
222.Elle souligne que l'attestation datée du 13 mars 2022 produite par la SCP Marie-Hélène Allirand, [I] [B] et [S] [P] se fonde sur les seuls mois de janvier et de février 2022, qui ne permettent pas d'apprécier si la baisse d'activité revêt un caractère conjoncturel ou structurel, ni l'ampleur des contraintes financières et économiques auxquelles elle fait face.
223.Le ministre chargé de l'économie estime que la requérante, qui se fonde uniquement sur une baisse de son chiffre d'affaires par rapport à deux exercices précédents et des pertes subies, n'étaye pas suffisamment les difficultés financières de nature à l'empêcher de s'acquitter de la sanction financière.
224.Le ministère public partage cet avis.
Sur ce, la Cour :
225.À titre liminaire, il convient de rappeler que, ainsi que l'énonce le paragraphe 64 du communiqué sanctions de l'Autorité, il appartient à l'entreprise de justifier l'existence de ses difficultés financières en s'appuyant sur des preuves fiables, complètes et objectives, attestant de leur réalité et de leurs conséquences concrètes sur sa capacité contributive. Si la situation de ladite entreprise est appréciée par l'Autorité au jour de sa prise de décision, en cas de recours contre cette décision, la Cour l'apprécie en revanche à la date à laquelle elle statue.
226.En l'espèce, si la SCM 93 a communiqué à l'Autorité, dans son mémoire relatif à sa capacité contributive du 8 février 2021 (pièce 15), des éléments relatifs à un bénéfice prévisionnel pour 2020 en chute de 82 %, à un chiffre d'affaires en chute de 66 % en 2020 et à un nombre d'actes délivrés par l'étude passé de 30 468 en 2019 à 7 266 en 2020, ainsi qu'à un prêt de 270 000 € lui ayant été accordé par la Caisse des dépôts et consignations le 9 juin 2020, elle n'a fourni qu'une seule pièce comptable interne ' le compte de résultat de l'étude daté du 29 janvier 2021 ', comportant son résultat réel pour les années 2016 à 2019 et son résultat prévisionnel au 31 décembre 2020.
227.À l'appui de son recours, la SCP Marie-Hélène Allirand, [I] [B] et [S] [P] a produit deux attestations de son expert-comptable du 13 mars 2022, accompagnées de pièces justificatives, relatives, pour la première, aux chiffres d'affaires, aux résultats et à l'évolution de la masse salariale de l'étude de 2019 à 2021, à son état d'endettement et à l'absence de rémunération des salariés en 2021 (pièce 16) et, pour la seconde, au chiffre d'affaires prévisionnel de la structure estimé au titre de l'année 2022 (pièce 17).
228.Elle a également fourni l'échéancier des emprunts contractés personnellement par Maître [B] et Maître [P] (pièce 18).
229.Il ressort des éléments versés aux débats que, contrairement aux prescriptions du paragraphe I.1 du questionnaire relatif à la capacité contributive des entreprises et des organismes auquel renvoie l'article 64 du communiqué sanctions précité, la SCP Marie-Hélène Allirand, [I] [B] et [S] [P] n'a pas produit devant la Cour les comptes annuels individuels comprenant les bilans, les comptes de résultats, leurs annexes et les tableaux des flux de trésorerie, pour les trois derniers exercices sociaux.
230.Les éléments portant sur les chiffres d'affaires et les résultats de la SCP Marie-Hélène Allirand, [I] [B] et [S] [P] de 2016 à 2021 et les estimations réalisées au titre de l'année 2022, n'apportent aucune précision sur sa situation patrimoniale, sa solvabilité et sa liquidité et, partant, ne permettent pas de déterminer l'existence d'un bénéfice courant avant impôts, d'actifs mobilisables ou d'une capacité d'endettement envisageable pour le paiement de la sanction prononcée.
231.En outre, alors qu'il appartient à ceux qui invoquent l'existence de difficultés financières particulières de produire en ce sens des éléments actualisés, les éléments les plus récents versés aux débats par la SCP Marie-Hélène Allirand, [I] [B] et [S] [P] datent de mars 2022 et ne font état que de données prévisionnelles pour l'exercice social de 2022, fondées sur les seuls mois de janvier et février 2022.
232.Aucune information n'est communiquée pour l'exercice social de 2023.
233.Il s'ensuit que la SCP Marie-Hélène Allirand, [I] [B] et [S] [P] n'apporte pas la preuve qui lui incombe d'une situation financière obérée tenant à ses capacités contributives réelles et actuelles.
234.Il y a donc lieu de rejeter sa demande de réduction de sanction à ce titre.
IV. SUR LES FRAIS IRRÉPÉTIBLES ET LES DÉPENS
235.Les requérantes succombant en leur recours, elles ne peuvent prétendre à l'octroi d'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile. L'équité commande qu'elles conservent la charge des dépens.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement,
REJETTE les recours formés par la SCP LPL HUISSIER, la SCP Marie-Hélène Allirand, [I] [B] et [S] [P], la SCP Michel Chastanier, Alexandre Alleno et [D] [U], la SCP [N] [H] et Alain Boulard et la SCP Franck-Alain Szenik, Philippe Martin, Sophie Caille et Pierre Beddouk contre la décision de l'Autorité de la concurrence n° 22-D-02 du 13 janvier 2022 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur des huissiers de justice ;
REJETTE la demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;
LAISSE à la SCP LPL HUISSIER, la SCP Marie-Hélène Allirand, [I] [B] et [S] [P], la SCP Michel Chastanier, Alexandre Alleno et [D] [U], la SCP [N] [H] et Alain Boulard et la SCP Franck-Alain Szenik, Philippe Martin, Sophie Caille et Pierre Beddouk la charge des dépens.