CA Besançon, 1re ch., 12 mars 2024, n° 23/01477
BESANÇON
Arrêt
Infirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Wachter
Conseillers :
Mme Manteaux, Mme Willm
Avocats :
Me Lhomme, Me Monnet, Me Cuisinier
Le 1er avril 2012, M. [V] [M] et M. [Y] [F] ont créé le GAEC des [Adresse 7], ayant une activité d'élevage de vaches laitières, dont ils étaient cogérants et respectivement associés à hauteur de 61,91 % et 38,09 %.
Par jugement du 19 octobre 2021, le tribunal judiciaire de Besançon a ordonné la révocation judiciaire de M. [F] de son mandat de gérant.
Par jugement du 1er février 2022, confirmé par arrêt de la cour d'appel de Besançon du 4 janvier 2023, le tribunal judiciaire de Besançon a débouté M. [M] de sa demande de dissolution du GAEC des [Adresse 7].
Par requête du 15 mai 2023, M. [M] a saisi le président du tribunal judiciaire de Besançon d'une demande de désignation d'un mandataire ad hoc chargé d'exercer le droit de vote de M. [F].
Par ordonnance du 16 mai 2023, le président du tribunal judiciaire, saisi par requête de M. [M], a désigné en qualité de mandataire ad hoc l'AJRS, prise en la personne de Maître Philippe Jeannerot, aux fins d'exercer le droit de vote de M. [F] en ses lieux et place à l'assemblée générale du GAEC ayant pour ordre du jour :
- l'approbation des deux exercices comptables 2021 et 2022 ;
- les conséquences du retrait d'agrément par la DDT: transformation du GAEC ou dissolution ;
- nomination d'un liquidateur le cas échéant ; détermination des pouvoirs du liquidateur, fixation du siège de la liquidation.
Par exploit du 15 juin 2023, M. [F] a saisi le président du tribunal judiciaire de Besançon, statuant en référé, aux fins de rétractation de l'ordonnance sur requête du 16 mai 2023, de condamnation de M. [M] à reprendre le versement mensuel correspondant à la rémunération du travail de M. [F] à compter du mois de juillet 2023 pour un montant de 1 550 euros, et à lui payer la somme de 27 900 euros au titre de la rémunération de son travail pour la période de février 2022 à juin 2023.
M. [F] a fait valoir que ni la requête, ni l'ordonnance ne faisaient état de motifs caractérisant une urgence ou justifiant qu'il soit dérogé au principe du contradictoire. Il a ajouté qu'il n'existait pas de motif légitime de désignation d'un administrateur ad'hoc.
M. [M] s'est opposé aux demandes de M. [F], en faisant valoir que, du fait des difficultés de communication entre les associés, le fonctionnement du GAEC était paralysé, et qu'il était nécessaire et urgent qu'un administrateur ad'hoc soit désigné pour exercer le droit de vote de l'associé défaillant, et permettre la prise de décisions dans l'intérêt de la société. Il a ajouté que le retrait de l'agrément privait le GAEC des [Adresse 7] de se prévaloir du régime juridique attaché au GAEC, et l'empêchait de percevoir les primes PAC, de sorte qu'il était urgent et nécessaire de touver une solution en suite de ce retrait d'agrément. Il a fait valoir par ailleurs que le juge saisi d'une demande de rétractation ne pouvait statuer sur une demande de rémunération.
Par ordonnance du 19 septembre 2022, le juge des référés a :
- débouté M. [Y] [F] de sa demande de rétractation de l'ordonnance sur requête du 16 mai
2023, qui conserve son plein effet ;
- débouté M. [Y] [F] de ses demandes en paiement ;
- condamné M. [Y] [F] à payer à M. [V] [M] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné M. [Y] [F] aux dépens.
Pour statuer ainsi, le premier juge a retenu :
- que l'ordonnance renvoyait expressément à la requête et à sa motivation ;
- que les conditions de nomination d'un mandataire ad hoc n'étaient pas identiques à celles d'un administrateur judiciaire, et que le président du tribunal avait la possibilité de nommer un mandataire ad hoc afin que lui soit confiée une mission particulière lorsque l'intérêt social était en jeu ;
- qu'il était établi que M. [F] avait été absent à toutes les assemblées générale du GAEC depuis le 7 octobre 2021 ; qu'il existait une différence de fond entre le fait de ne pas se présenter aux assemblées générales et de bloquer le processus de vote et le fait de s'y présenter en participant au vote, quel qu'en soit le sens ; que par son positionnement, M. [F] avait bloqué tout processus décisionnel au sein du GAEC ; que cette attitude d'opposition systématique à toute prise de décision collective avait justifié l'absence de contradictoire à la demande de désignation d'un mandataire ad hoc ;
- que le retrait de l'agrément du GAEC avait des conséquences financières pour ce dernier, qui ne pouvait plus percevoir les aides de la PAC ; qu'il était urgent pour le GAEC de sortir de cette situation, afin d'éviter le spectre d'une procédure collective ; que l'urgencejustifiait également l'approbation des comptes notamment au 30 septembre 2021, eu égard aux conséquences fiscales encourues ;
- que l'instance en rétractation avait pour seul objet de soumettre à un débat contradictoire les mesures initialement ordonnées à l'initiative d'une partie en l'absence de son adversaire, de sorte que la saisine du juge de la rétractation se trouvait limitée à cet objet ; que, dès lors, M. [F] devait être débouté de toutes ses demandes en paiement.
M. [F] a relevé appel de cette décision le 9 octobre 2023, en déférant à la cour les chefs suivants :
- déboute M. [Y] [F] de sa demande de rétractation de l'ordonnance sur requête du 16 mai 2023, qui conserve son plein effet ;
- 'déboute M. [Y] [F] à payer à M. [V] [M] la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile' (sic) ;
- condamne M. [Y] [F] aux dépens.
Par conclusions n°2 transmises le 18 décembre 2023, l'appelant demande à la cour :
Vu les articles 493 et 845 du code de procédure civile,
- d'infirmer l'ordonnance déférée en la totalité des chefs de jugement critiqués :
* déboute M. [F] [Y] de sa demande de rétractation de l'ordonnance sur requête du 16 mai 2023, qui conserve son plein effet ;
* déboute M. [F] [Y] de ses demandes en paiement ;
* condamne M. [F] [Y] à payer à M. [M] [V] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
* condamne M. [F] aux dépens ;
Statuant à nouveau
- de juger recevables et bien fondées les demandes de M. [F] [Y] ;
- de débouter M. [M] [V] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
- de rétracter l'ordonnance sur requête rendue le 16 mai 2023 ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile,
- de condamner M. [M] [V] à verser à M. [F] [Y] une somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel et de premiere instance ;
Vu l'article 696 du code de procédure civile,
- de condamner M. [M] [V] aux entiers dépens d'appel et de première instance.
Par conclusions récapitulatives notifiées le 29 décembre 2023, M. [M] demande à la cour :
Vu les articles 496 et 497 du code de procédure civile,
Vu les articles 493 et 845 du code de procédure civile,
Vu l'article 32-1 du code de procédure civile,
- de dire et juger recevable mais mal fondée la demande de rétractation de l'ordonnance sur requête rendue le 16 mai 2033 (sic);
- de confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance de référé rendue le 19 septembre 2023 (RG
23/00141) ;
- de débouter M. [Y] [F] de sa demande de rétractation de l'ordonnance sur requête rendue le 16 mai 2033 (sic) ;
- de débouter M. [Y] [F] de l'ensemble de ses demandes, prétentions et moyens ;
- de condamner M. [Y] [F] à régler à M. [V] [M] la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêt pour procédure abusive ;
- de condamner M. [Y] [F] à régler à M. [V] [M] la somme de 5 000 euros au titre de l'articIe 700 du code de procédure civile ;
- de condamner M. [Y] [F] aux entiers dépens.
La clôture de la procédure a été prononcée le 8 janvier 2024.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer pour l'exposé des moyens des parties à leurs conclusions récapitulatives visées ci-dessus.
Sur ce, la cour,
A titre liminaire, il sera indiqué que si l'appelant indique remettre en cause l'ordonnance déférée en ce qu'elle a rejeté ses demandes en paiement de rémunérations, il ne reprend cependant pas ces demandes à hauteur de cour.
Sur la rétractation de l'ordonnance sur requête
L'article 16 du code de procédure civile dispose en son alinéa premier que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.
L'article 493 du même code énonce que l'ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse.
L'article 494 du code de procédure civile dispose que la requête est présentée en double exemplaire. Elle doit être motivée. Elle doit comporter l'indication précise des pièces invoquées.
Si elle est présentée à l'occasion d'une instance, elle doit indiquer la juridiction saisie.
En cas d'urgence, la requête peut être présentée au domicile du juge.
L'article 495 du code de procédure civile énonce que l'ordonnance sur requête est motivée.
Elle est exécutoire au seul vu de la minute.
Copie de la requête et de l'ordonnance est laissée à la personne à laquelle elle est opposée.
Dès lors que l'ordonnance sur requête déroge au principe de la contradiction, sa mise en oeuvre est soumise à des conditions strictes visant à permettre l'examen contradictoire de la régularité et de la pertinence de la mesure ordonnée, dès l'exécution de celle-ci.
L'appelant fait grief à la décision déférée de n'avoir pas ordonné la rétractation de l'ordonnance sur requête, au motif que celle-ci ne comportait aucune motivation quant aux circonstances de nature à justifier le fait que la mesure de désignation d'un mandataire ad'hoc ait été prise de manière non contradictoire, ni quant à l'urgence ayant exigé la prise de cette mesure.
Il est admis en jurisprudence qu'une ordonnance sur requête satisfait à l'exigence de motivation lorsqu'elle procède par renvoi à la requête, à la condition que celle-ci soit elle-même suffisamment motivée.
En l'espèce, l'ordonnance sur requête litigieuse renvoit expressément par visa à la requête de M. [M].
La lecture de cette requête fait apparaître qu'elle est indubitablement motivée à l'égard de l'urgence alléguée, puisque sont exposées dans le détail la mésentente entre associés, et les absences réitérées de M. [F] aux assemblées générales du GAEC, ce dont il est tiré la conclusion d'un blocage décisionnel au sein de ce groupement se prolongeant depuis plusieurs exercices et portant préjudice à son fonctionnement. A cet égard, l'exigence de motivation de l'ordonnance doit donc être considérée comme étant respectée par le jeu du renvoi à la requête, qui comporte sur ce point une motivation circonstanciée.
Force est en revanche de constater que cette ordonnance est totalement muette sur la caractérisation des circonstances justifiant qu'il soit procédé de manière non contradictoire. Or, à cet égard, le renvoi à la requête de M. [M] est sans aucun secours, dès lors que celle-ci ne comporte elle-même strictement aucune motivation relative aux circonstances imposant qu'il soit dérogé au principe du contradictoire pour procéder à la nomination d'un mandataire ad'hoc. Or, une telle mesure ne comporte en elle-même aucune incompatibilité avec le respect du contradictoire préalablement à sa mise en oeuvre, et la dérogation au respect de ce principe ne peut être utilement justifiée, comme l'évoque le premier juge dans son ordonnance de refus de rétractation, par l'attitude d'opposition systématique reprochée à M. [F], laquelle n'était pas, en soi, de nature à faire échec à ce qu'il puisse être fait droit par le juge à la demande de désignation d'un mandataire ad'hoc, ou à empêcher celui-ci de remplir la mission confiée.
L'ordonnance sur requête ne satisfait en conséquence pas à l'exigence de motivation posée par l'article 495 précité.
L'ordonnance déféré sera donc infirmée en ce qu'elle a refusé de rétracter l'ordonnance sur requête, étant rappelé au surplus que le juge saisi d'une demande de rétractation d'une ordonnance sur requête doit y faire droit sans qu'il y ait lieu d'examiner l'existence d'un grief, dès lors que le respect du principe de la contradiction n'a pas été respecté, comme c'est le cas en l'espèce.
L'issue ainsi donnée au litige suffit à caractériser l'absence d'abus procédural de la part de M. [F], de sorte que la demande indemnitaire de M. [M] ne pourra qu'être rejetée.
M. [M] sera condamné aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Il n'est pas inéquitable de laisser aux parties la charge des frais irrépétibles qu'elles ont engagés pour leur défense.
Par ces motifs
Statuant contradictoirement, après débats en audience publique,
Infirme l'ordonnance de référé rendue le 19 septembre 2023 par le président du tribunal judiciaire de Besançon ;
Statuant à nouveau et ajoutant :
Rétracte l'ordonnance sur requête rendue le 16 mai 2023 par le président du tribunal judiciaire de Besançon ;
Rejette la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive formée par M. [V] [M] à l'encontre de M. [Y] [F] ;
Condamne M. [V] [M] aux entiers dépens de première instance et d'appel ;
Rejette les demandes formées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.