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Décisions

CA Rennes, 3e ch. com., 12 mars 2024, n° 22/04635

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Les Placelles (SARL), Boscolard (EARL), Gicquel (EARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Contamine

Conseillers :

Mme Clément, Mme Jeorger-Le Gac

Avocats :

Me Dervillers, Me Sachot

CA Rennes n° 22/04635

11 mars 2024

FAITS ET PROCÉDURE :

MM. [F], [Z] et [S] [Y] sont associés, chacun pour un tiers des parts, au sein de l'Earl [Y] depuis 1998, de l'Earl [Adresse 7] depuis le 30 septembre 2015 et enfin de la Sarl Les Placelles depuis le 17 décembre 2015.

Des dissensions étant apparues entre eux dans le courant de l'année 2018, MM. [F] et [Z] [Y] ont proposé à M. [S] [Y] le recours à un médiateur pour les aider à aplanir leurs divergences.

Cette mesure alternative n'ayant pas abouti à un accord, par assignations du 11 mai 2020, [F] et [Z] [Y] ont assigné M. [S] [Y], l'Earl [Adresse 7] et l'Earl [Y] devant le tribunal judiciaire de Rennes en dissolution de ces deux sociétés pour justes motifs tenant à la 'mésentente entre associés'.

Le tribunal de commerce de Rennes a été saisi le même jour d'une assignation aux mêmes fins concernant la société Sarl Les Placelles.

Par jugement du 6 juillet 2021, le tribunal de commerce de Rennes s'est déclaré incompétent au profit du tribunal judiciaire de Rennes.

Par jugement du 5 juillet 2022, le tribunal judiciaire de Rennes a :

- Prononcé la jonction des instances RG 20/02954, 20/02955, et 21/07398, sous le seul numéro RG 20/02954,

- Débouté MM. [F] et [Z] [Y] de leurs demandes de prononcé judiciaire de la dissolution pour justes motifs des Earl [Adresse 7], et [Y] ainsi que de la Sarl Les Placelles,

- Débouté les parties de toutes leurs demandes plus amples ou contraires,

- Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,

- Laissé les dépens à la charge de chacune des parties,

- Rappelé que l'exécution provisoire est de droit.

MM. [F] et [Z] [Y] ont interjeté appel le 20 juillet 2022.

Les dernières conclusions de MM. [F] et [Z] [Y] sont en date du 21 décembre 2023. Les dernières conclusions de M.[S] [Y], sont en date du 2 janvier 2024.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 11 janvier 2024.

PRÉTENTIONS ET MOYENS :

MM. [F] et [Z] [Y] demandent à la cour de :

- Infirmer en tous points le jugement sauf en ce qu'il a prononcé la jonction des instances en cours,

Statuant de nouveau :

- Juger que la mésentente persistante entre les associés, outre les agissements frauduleux de M. [S] [Y], compromettent la poursuite de l'activité en commun et paralysent le fonctionnement de l'Earl [Y], de l'Earl [Adresse 7] ainsi que de la Sarl Les Placelles,

Par voie conséquence :

- Ecarter des débats la pièce adverse n° 93 en raison de la confidentialité des échanges entre avocat,

- Juger que cette mésentente entre associés ainsi que les agissements de M. [S] [Y] constituent un juste motif au sens des dispositions de l'article 1844-7 5° du code civil,

- Ordonner en conséquence la dissolution de l'Earl [Y], de l'Earl [Adresse 7] ainsi que de la Sarl Les Placelles,

- Juger que MM. [F] et [Z] [Y], représentant 66% des parts sociales de l'Earl procéderont à la désignation d'un ou plusieurs liquidateurs dès que la dissolution aura été ordonnée par le tribunal Judiciaire,

- Débouter M. [S] [Y] de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions, présentées tant à titre principal que subsidiaire,

- Condamner M. [S] [Y] à verser à MM. [F] [Y] et [Z] [Y] une somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner M. [S] [Y] aux entiers dépens d'appel et de première instance,

- Juger que l'arrêt à intervenir sera commun et opposable aux entreprises et à la société susvisées.

M. [S] [Y] demande à la cour de :

A titre principal :

- Confirmer le jugement en ce qu'il a débouté MM. [Z] et [F] [Y] de leurs demandes de dissolution des sociétés Earl [Y], Earl [Adresse 7] et Sarl Les Placelles en raison de l'absence de juste motif de dissolution,

- Infirmer le jugement en date du 5 juillet 2022 en ce qu'il a débouté M. [S] [Y] de ses demandes relatives à l'application de l'article 32-1 du code civil pour procédure abusive, les appelants étant à l'origine de la mésentente,

- En conséquence :

- Condamner MM. [F] et [Z] [Y] au paiement de la somme de 10.000 euros en raison du caractère abusif de leur demande de dissolution,

A titre subsidiaire :

- Infirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [S] [Y] de sa demande de nomination de toute personne tierce ès qualités de mandataire ad hoc,

- En conséquence :

- Nommer toute personne tierce aux associés des sociétés Earl [Y], Earl [Adresse 7] et Sarl Les Placelles ès qualités de mandataire ad hoc avec pour mission de :

1) Convoquer les parties,

2) Se rendre en tous lieux, sièges sociaux ou locaux d'exploitation, y compris les domiciles des personnes ou seraient détenus les biens ou les documents des sociétés Earl [Y], Earl [Adresse 7] et Sarl Les Placelles,

3) Se faire communiquer et examiner les comptes sociaux, les documents comptables, les pièces justificatives, le secrétariat juridique ainsi que toutes pièces permettant de procéder à la valorisation des sociétés Earl [Y], Earl [Adresse 7] et Sarl Les Placelles et de leurs parts sociales,

4) Procéder aux opérations de liquidation,

En tout état de cause :

- Condamner MM. [F] et [Z] [Y] au paiement de la somme de 12.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner MM. [F] et [Z] [Y] aux entiers dépens.

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties il est renvoyé à leurs dernières conclusions visées supra.

DISCUSSION :

Sur le rejet de la pièce n°93 :

MM. [F] et [Z] [Y] demandent le rejet de la pièce n°93 de la production de M. [S] [Y] en faisant valoir qu'il s'agirait d'un courriel officiel de M. [X], leur avocat, contenant deux courriels échangé entre les avocats des parties, correspondances entre avocats devant rester confidentielles.

Il apparaît que la pièce n°93 de la production de M. [S] [Y] est l'ordonnance de désignation d'un médiateur.

M. [S] [Y] produit devant la cour un nombre important de lettres officielles des avocats des parties. La cour n'est pas parvenue à identifier laquelle de ces lettres pourrait contenir un extrait de courriels confidentiels entre avocats. En tout état de cause, la cour ne prendrait pas en compte un tel extrait de correspondances couverte par le secret de correspondances entre avocats.

La demande de rejet de la pièce n°93 sera rejetée.

Sur la dissolution :

Le juge peut prononcer la dissolution de la société pour juste motifs :

Article 1844-7 du code civil

La société prend fin :

1° Par l'expiration du temps pour lequel elle a été constituée, sauf prorogation effectuée conformément à l'article 1844-6 ;

2° Par la réalisation ou l'extinction de son objet ;

3° Par l'annulation du contrat de société ;

4° Par la dissolution anticipée décidée par les associés ;

5° Par la dissolution anticipée prononcée par le tribunal à la demande d'un associé pour justes motifs, notamment en cas d'inexécution de ses obligations par un associé, ou de mésentente entre associés paralysant le fonctionnement de la société ;

6° Par la dissolution anticipée prononcée par le tribunal dans le cas prévu à l'article 1844-5 ;

7° Par l'effet d'un jugement ordonnant la clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif ;

8° Pour toute autre cause prévue par les statuts.

MM. [F] et [Z] [Y] font valoir que les associés ne discuteraient même plus entre eux et communiqueraient par lettres recommandées sans qu'elles soient retirées.

La mésentente entre les associés est avérée. Le 11 janvier 2023, le président de la 3ème chambre, commerciale, de la cour d'appel a proposé aux parties le recours à un médiateur. A la suite de leur acceptation, un médiateur a été désigné par ordonnance du 16 février 2023.

Le 9 octobre 2023, le médiateur désigné a établi un rapport de fin de mission mentionnant qu'aucun accord n'avait été trouvé.

Le fait que les parties aient accepté, avant l'engagement de la procédure, puis en cours d'instance, de recourir à un médiateur ne permet pas en soi de caractériser une mésentente paralysant la société.

MM. [F] et [Z] [Y] produisent en pièce n°1 les statuts des trois sociétés. M. [S] [Y] produit ces mêmes statuts en pièces n°1 à n°3.

Les statuts de la Sarl Les Placelles prévoient que la contraction d'un emprunt ou la réalisation d'un investissement d'un montant supérieur à 60.000 euros nécessite la signature de tous les gérants.

Les statuts de l'Earl [Adresse 7] prévoient que le gérant ne peut pas, sauf à y être préalablement autorisé par décision collective ordinaire, contracter au nom de la société excédant la somme de 30.000 euros ni engager, notamment par décision d'investissement, la société au delà d'une somme de 30.000 euros.

Les statuts de l'Earl [Y] prévoient que le gérant ne peut pas, sauf à y être préalablement autorisé par décision collective ordinaire, contracter au nom de la société excédant la somme de 60.000 euros ni engager, notamment par décision d'investissement, la société au delà d'une somme de 60.000 euros.

Les parties font valoir que les plafonds nécessitant une autorisation auraient été réduits à 1.000 euros. Cette réduction ne résulte cependant pas des statuts dans leurs versions produites devant la cour.

En tout état de cause, ces statuts prévoient que les décisions sont, pour ce qui concernent les Earl, prises à la majorité absolue des voix pour les décisions qui n'impliquent pas la modification de statuts et pour ce qui concerne la Sarl, par un ou plusieurs associés représentant plus de la moitié des parts sociales.

Il en résulte qu'à supposer même que les plafonds en question aient été réduits à 1.000 euros, MM. [F] et [Z] [Y] restent libres de prendre les décisions portant sur une somme supérieure à 1.000 euros par décision prise à la majorité qu'il représentent, soit deux tiers des voix. Il n'est pas nécessaire d'obtenir une unanimité et aucun blocage des décisions portant sur plus de 1.000 euros n'est possible.

Le projet de règlement intérieur produit par M. [S] [Y] en sa pièce 76 n'est pas signé. Il prévoit, pour les trois entreprises, que conformément aux dispositions statutaires les investissements et ou emprunts d'un montant supérieur à 1.000 euros devront être préalablement autorisés par accord unanime des associés.

A défaut de signature, il n'est cependant pas justifié que cette mention, contraire à la lettre des statuts tels que produits devant la cour, ait été approuvée par tous les associés.

En outre, il apparaît que MM. [F] et [Z] [Y] n'établissent pas qu'une décision de recourir à un financement bancaire n'aurait pas pu aboutir faute d'accord de tous les associés. Ils ne justifient pas non plus qu'un tel financement ait été nécessaire sinon indispensable.

Il apparaît au contraire que les trois associés ont signé un contrat de prêt le 30 mars 2023.

Ils ne justifient pas que les organes sociaux ne soient plus en état de se réunir ni de prendre des décisions. La mésentente entre les associés ne permet pas d'établir la paralysie de la Sarl ou des Earl en cause.

MM. [F] et [Z] [Y] font valoir que M. [S] [Y] aurait abandonné la charge du nettoyage des bacs d'alimentation des animaux, laissant les zones en question se dégrader, une saleté absolue et des porcelets morts laissés en l'état sur le sol.

Ces fonctions, à le supposer établies, correspondrait à un travail rémunéré à ce titre par délibération annuelle des assemblées respectives des sociétés en question. En cas de manquement à cette obligation, ces assemblées restent libres de réduire ou supprimer cette rémunération.

En outre, M. [S] [Y] conteste avoir abandonné son travail et les photographies et constats produits sur l'état d'entretien de certains bâtiments ne permettent pas d'imputer un manquement à M. [S] [Y] plutôt à l'ensemble des associés et gérants.

MM. [F] et [Z] [Y] font valoir que M. [S] [Y] aurait régularisé seul un remboursement anticipé d'un prêt auprès des parents des trois associés. Ce versement, d'un montant supérieur à 1.000 euros qui aurait donc, selon eux, dû être soumis à l'accord unanime des associés, aurait mis les trois entreprises dans une difficulté importante.

Il apparaît qu'il s'agissait d'une somme due. Il est justifié que les parents des associés ont présenté une demande de remboursement le 14 mai 2020. La somme de 20.000 euros leur a ainsi été payée par chèque de 20.000 euros tirée sur le compte de l'Earl [Adresse 7].

Il ne peut être utilement reproché à M. [S] [Y] d'avoir payé une dette exigible de l'Earl [Adresse 7]. Il ne s'agit en tout état de cause pas d'un élément de fait caractérisant une paralysie des entreprises.

Il ne peut non plus lui être utilement reproché d'avoir ouvert un compte bancaire produisant des intérêts s'agissant d'un acte de gestion favorable.

Il apparaît qu'une mésentente est intervenue entre les associés sur le recours à un prestataire pour réaliser une partie des moissons et la vente d'une moissonneuse batteuse.

Il n'est pas justifié en quoi ces actes auraient été contraires aux intérêts des entreprises. Le recours à un prestataire extérieur a permis la récolte, acte positif.

M. [S] [Y] a saisi le tribunal de commerce d'une demande de remboursement de ses comptes courants, soit 134.947 euros pour l'Earl [Adresse 7], 82.921 euros pour l'Earl [Y] et 86.893 euros pour la Sarl Les Placelles.

Il ne fait ainsi que demander le paiement d'une créance, ce qu'il est libre de faire en l'absence d'engagement de sa part de bloquer ces sommes. Il n'est pas justifié qu'une telle demande soit de nature à mettre en péril les entreprises alors qu'aucun élément sur leur situation financière ou comptable n'est produit au titre des exercices 2022 et 2023.

Au demeurant, cette absence de production d'éléments récent ne permet pas non plus de caractériser un blocage ou une paralysie des sociétés.

Il apparaît ainsi qu'il n'est justifié ni d'une inexécution de ses obligations par un associé, ni d'une mésentente entre associés paralysant le fonctionnement de la société.

Il y a lieu de rejeter les demandes de dissolution et de confirmer le jugement.

Les demandes subsidiaires de M. [S] [Y] sont en conséquence sans objet.

Sur les frais et dépens :

Il y a lieu de dire que chacune des parties supportera les dépens d'appel par elle engagés et de rejeter les demandes formées au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant dans les limites de sa saisine :

- Confirme le jugement,

Y ajoutant :

- Rejette les autres demandes des parties,

- Dit que chacune des parties supportera les dépens d'appel par elle engagés.