CA Colmar, ch. soc. A, 10 décembre 2020, n° 18/05894
COLMAR
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Adidas France (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Jobert
Conseillers :
M. El Idrissi, M. Laurain
Monsieur Alain H., né le 4 juillet 1969, a été engagé par la société Reebok France ' aux droits de laquelle vient la société Adidas ' par contrat à durée indéterminée à effet au 3 août 1992, en qualité d'employé, coefficient 150 de la convention collective.
Il a été promu responsable maintenance le 1er janvier 2010, technicien manager le 1er septembre 2010, ses fonctions devenant celles de technician supervisor.
Les parties sont convenues d'un forfait en jours de 214 jours par an à compter du 1er janvier 2016.
Convoqué à un entretien préalable le 6 décembre 2016, et mis à pied à titre conservatoire, Monsieur H. a été licencié pour faute grave le 19 décembre 2016'; il lui a été reproché d'avoir bénéficié d'avantages indus d'un fournisseur.
La relation de travail était régie par la convention collective nationale des articles du commerce de sport.
La société Adidas France employait plus de 11 salariés pour les besoins de son activité.
Le dernier salaire brut s'élevait à 4.071,59 euros par mois.
Contestant le bien fondé de son licenciement, Monsieur H. a saisi le conseil de prud'hommes de Saverne le 18 mai 2017 afin d'avoir paiement du salaire de la période de mise à pied conservatoire, des indemnités de rupture et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Par jugement du 13 septembre 2018, statuant en formation de départage, le conseil de prud'hommes de Saverne a dit que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamné la société Adidas France à payer à Monsieur H. les sommes de':
- 1.879,50 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied,
- 187,95 euros au titre des congés payés afférents,
- 32.585,75 euros à titre d'indemnités légales de licenciement,
- 14.250 euros à titre d'indemnité de préavis
- 1.425 euros au titre des congés payés afférents,
- 114.002, 64 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
L'exécution provisoire a été ordonnée pour l'entier jugement.
La société Adidas France a interjeté appel de ce jugement le 10 décembre 2018.
Par des écritures transmises par voie électronique le 14 octobre 2019, elle demande à la cour d'infirmer le jugement, de rejeter toutes les prétentions de Monsieur H., en tout cas de les limiter à 35.000 euros brut, et de le condamner à lui payer 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle sollicite le remboursement des sommes versées au titre de l'exécution provisoire.
Monsieur H. a transmis ses conclusions par voie électronique le 17 avril 2019, demandant la confirmation du jugement et sollicitant 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 16 octobre 2019.
La Cour se réfère aux conclusions des parties pour un plus ample exposé des faits, des moyens et des prétentions des parties.
Sur le licenciement
La lettre de licenciement est ainsi libellée':
«'«'Il a été porté à notre connaissance en date du 30 novembre dernier des faits graves à votre encontre.
Ces faits révèlent que vous avez profité de votre position au sein de l'entreprise pour bénéficier de la part d'un fournisseur d'avantages indus.
Vous avez profité du rapport de dépendance de prestataires à l'égard de l'entreprise pour solliciter et obtenir des cadeaux personnels.
En l'espèce, en date du 10 décembre 2010, vous adressez un mail au fournisseurB3I avec qui l'entreprise Adidas est partenaire pour des prestations d'électricité sur différents chantiers, pour lui demander des stylos Mont Blanc.Vous écrivez «'je sais que tu veux agrandir la famille des Mont-Blanc'!! Dans ce cas n'oublie pas tes partenaires.'».
Suite à cette demande, B3I fait l'achat de 2 stylos Mont Blanc pour une valeur de 500 euros TTC en date du 22 décembre. Ces stylos vous ont ensuite été livrés, l'un étant destiné à vous, l'autre à votre manager Patrick B..
Il n'est pas sans rappeler que toute action visant à user e sa position professionnelle pour bénéficier de cadeaux personnels est strictement interdite au regard des règles de conduite du groupe Adidas.
A ce titre, le groupe Adidas a édité un code de conduite depuis 2006 et pour lequel des formations en ligne sont régulièrement mises en place.
Il semblerait néanmoins que vous n'ayez pas trouvé sage de suivre ces formations, pourtant obligatoires.
Néanmoins, ces éléments figurent également sur le site intranet Adidas France, dont un paragraphe précise les règles en matière de cadeaux':
Demander et accepter des cadeaux': aucun employé ne peut user de sa position pour demander, accepter, obtenir ou recevoir la promesse d'un avantage illégal. Cela n'interdit pas les cadeaux occasionnels ou raisonnables (d'une valeur maximale de 100 dollars US). Toutefois, les autres cadeaux doivent être refusés ou renvoyés. En cas de doute, il convient de demander au destinataire de ces cadeaux de solliciter l'autorisation de son supérieur avant d'accepter le cadeau. Si le destinataire refuse cette demande, cela signifie qu'il considère de lui-même qu'il est inapproprié d'accepter ce cadeau.
En conclusion, vous avez agi de manière frauduleuse en demandant expressément l'octroi de cadeaux à des fins personnelles, en abusant de votre fonction qui vous donnait accès à des fournisseurs et en bafouant les règles éthiques de l'entreprise, empêchant la poursuite d'une relation de travail basée sur la confiance et le respect des valeurs de l'entreprise.
Lors de l'entretien, vos explications ne nous ont pas permis de modifier l'appréciation de la situation. En effet, vous nous avez répondu ne pas vous rappeler avoir reçu un stylo Mont Blanc, par contre, vous rappeler avoir fait la demande sur instruction de votre hiérarchie.
Votre comportement rend impossible la poursuite du contrat de travail y compris pendant la période de préavis de sorte que votre licenciement prend effet immédiatement sans préavis ni indemnité de licenciement'».
La société Adidas France fait valoir que la prescription des faits disciplinaires n'était pas acquise puisqu'elle n'a eu connaissance des faits que par une lettre de la société B3I du 30 novembre 2016 ; elle rappelle que Monsieur B., supérieur de Monsieur H., a été licencié pour avoir accepté un cadeau et non pour avoir autorisé Monsieur H. à accepter un cadeau, Monsieur B. ayant été définitivement débouté de sa propre demande en justice ; elle fait observer que Monsieur H. a été licencié pour avoir sollicité ce cadeau'; l'employeur considère que le code de conduite date de 2008 et s'applique donc aux faits, aucun texte n'exigeant à l'époque qu'il soit inséré dans le règlement intérieur, il estime que la sanction est proportionnée aux faits, contrairement à ce qu'a jugé le conseil de prud'hommes.
Monsieur H. invoque la prescription des faits puisque le supérieur, Monsieur B., qui a reçu le mail du 10 décembre 2010 et a accepté le même cadeau, représente l'employeur'; il affirme n'avoir pas été informé du code de conduite qui ne lui avait jamais été communiqué au moment des faits, qu'un tel document, destiné à s'intégrer au règlement intérieur, devait être soumis à l'avis des représentants du personnel et au contrôle de l'inspection du travail et en tout état de cause devait être rédigé en français, ce qui n'était pas le cas.
Il fait valoir également qu'il ignorait la valeur de ce cadeau, qu'il supposait valoir moins de 100 euros, et qu'il a agi sur ordre de Monsieur B.'; il considère que la sanction est disproportionnée au regard des faits, de la qualité incontestée de son travail, de l'absence de tout pouvoir sur le choix des fournisseurs, de l'absence de préjudice subi par la société'; selon lui, son licenciement est un licenciement pour motif économique déguisé.
La lettre de licenciement qui fixe les limites du litige, doit être suffisamment motivée et viser des faits et griefs matériellement vérifiables sous peine de rendre le licenciement dénué de cause réelle et sérieuse.
La faute grave, qui seule peut justifier une mise à pied à titre conservatoire, est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise; il appartient à l'employeur qui l'invoque, de rapporter la preuve de l'existence d'une faute grave.
En ce qui concerne la prescription des faits reprochés, ni les dispositions de l'article L. 1332-5 du code du travail interdisant d'invoquer une sanction antérieure de plus de trois ans à l'appui d'une nouvelle sanction, ni celles de l'article L. 1332-4 du même code fixant à deux mois le délai de prescription des faits disciplinaires ne s'opposent à ce qu'un employeur sanctionne un manquement datant de plusieurs années dès lors qu'il démontre qu'il n'en a eu connaissance que dans le délai précité de deux mois à compter du jour où il en a connaissance.
En l'espèce, il résulte de l'attestation de Madame Brigitte C., directrice juridique d'Adidas France, en date du 22 décembre 2017 que c'est dans le cadre de pourparlers destinés à régler un litige opposant les sociétés Adidas France et B3I qu'à la date du 27 octobre 2016, le gérant de la société B3I a évoqué des cadeaux faits à des employés d'Adidas, ce qui a conduit un responsable de cette société, Monsieur F., à demander des informations sur ces cadeaux et sur leurs bénéficiaires.
L'employeur produit la lettre en date du 30 novembre 2016 par laquelle le gérant de la société B3I, Monsieur B., a décrit les demandes de cadeaux dont il a été saisi par trois salariés de la société Adidas, Messieurs B., H. et J., précisant':'«'en décembre 2010, Monsieur Alain H. me demande des Monts Blancs'», ajoutant':'«'je suis conscient des conséquences possibles après la divulgation de ces informations'».
Dans une attestation en date du 11 décembre 2016, Monsieur B. explique qu'à la suite du courriel de Monsieur H. reçu le 10 décembre 2010, il s'est rendu dans la boutique Mont-Blanc des Champs Elysées (75008) pour y acquérir divers articles dont l'un a été livré à Monsieur B. et l'autre à Monsieur H., la facture étant également versée aux débats, chacun des deux articles ayant coûté 250 euros.
De même, figure au dossier le courriel adressé le 10 décembre 2010 par Monsieur H. à Monsieur B. et dont Monsieur B. a été destinataire en copie portant la phrase':'«'Bon ok, je sais que tu veux agrandir la famille des Monts-Blancs'!! Mais dans ce cas n'oublie pas tes partenaires'!!!'»
Le fait que Monsieur B., bénéficiaire également d'un cadeau, ait été le supérieur hiérarchique de Monsieur H. ne permet pas de conclure que l'employeur avait été informé de ces agissements.
La société Adidas France démontre donc qu'elle n'a été informée de la sollicitation exprimée par Monsieur H., du cadeau qu'il précisait et de sa réception par l'intéressé que par la lettre du 30 novembre 2016 précitée.
La convocation à l'entretien préalable datant du 6 décembre 2016, la prescription n'était pas acquise.
Sur le fond, depuis le 27 octobre 2006, le groupe Adidas a adopté un code de conduite dont l'article 2.2 interdit aux salariés d'user de leur position pour demander, accepter, obtenir ou recevoir la promesse d'un avantage illégal, une exception étant prévue pour les cadeaux «'occasionnels ou raisonnables (d'une valeur maximale de 100 dollars US)'», étant précisé qu''«'en cas de doute, il convient de demander au destinataire de ces cadeaux de solliciter l'autorisation de son supérieur avant d'accepter le cadeau'».
Le comité d'entreprise a été consulté le 28 mai 2008 sur la mise en place de ce code de conduite et sur la mise en place d'une formation via intranet sur ce code.
Par ailleurs, les faits litigieux ayant été commis en 2010, les dispositions de l'article 17 de la loi n° 2016-169 du 9 décembre 2016 imposant l'intégration d'un tel code de conduite dans le règlement intérieur n'étaient pas applicables au jour du licenciement de sorte que Monsieur H. n'est pas fondé à invoquer l'absence des dispositions de ce code dans le règlement intérieur.
S'il affirme n'avoir jamais eu connaissance de ce code de conduite, bien que l'employeur justifie avoir diffusé le lien permettant d'accéder à ce document, il convient de rappeler que même à l'égard des dispositions contraignantes d'un règlement intérieur, l'employeur conserve la possibilité de licencier un salarié fautif dès lors qu'il respecte la procédure prévue par ce document.
Or, il n'est pas douteux que Monsieur H. a sollicité un fournisseur pour obtenir un avantage personnel, ce qui était fautif au regard de ses obligations du contrat de travail qui doit notamment être exécuté de bonne foi.
Le fait qu'il n'avait aucun pouvoir sur l'attribution des marchés confiés à la société B3I est indifférent à la solution du litige dans la mesure où il a présenté cette demande en sa qualité de responsable technique, mais également au nom de son collègue et supérieur, Monsieur B., l'un et l'autre faisant partie du service chargé des relations avec les prestataires.
En revanche, il n'est pas établi qu'il connaissait le prix d'un produit de «'la famille des Monts Blancs'» et que ce prix était supérieur aux 100 dollars US dont le code de conduite précise qu'il entre dans la catégorie des cadeaux «'occasionnels ou raisonnables'».
Par ailleurs, si l'employeur se prévaut des décisions rendues dans le cas de Messieurs B. et J., celui de Monsieur H. s'en distingue par l'importance des cadeaux reçus.
En effet, s'agissant de Monsieur B., le jugement du conseil de prud'hommes de Rambouillet du 18 mars 2019, considérant que ses manquements constituaient une cause réelle et sérieuse de licenciement et non une faute grave, a constaté qu'il s'était fait remettre à sa demande de 2009 à 2012, 1 GPS, 6 IPAD, 5 lecteurs Blue R. et du champagne outre 4 IPAD Mini, tous éléments d'une valeur supérieure à 4.000 euros et dans le cas de Monsieur J., le jugement du conseil de prud'hommes de Cergy-Pontoise du 7 décembre 2018 retenant une faute grave, a relevé qu'en sa qualité de responsable des travaux pour les magasins Adidas, il s'était fait offrir un ordinateur portable Apple d'une valeur de 1.472,42 euros.
Tel n'est pas le cas de Monsieur H. dont la valeur du stylo Mont Blanc est très inférieure à ces montants.
Par suite, la sanction du licenciement apparaît disproportionnée au regard de la faute commise.
Le licenciement est donc dénué de cause réelle et sérieuse.
Quant au préjudice subi par Monsieur H., compte-tenu de son ancienneté (24 ans et 4 mois), de son âge au jour de la rupture (47 ans), de la difficulté à retrouver un emploi puisqu'il justifie avoir été encore bénéficiaire d'indemnités de Pôle Emploi en juillet 2018, il doit être réparé par des dommages-intérêts que la cour est en mesure de fixer à la somme de 60.000 euros, ce en quoi le jugement sera infirmé.
Sur les indemnités de rupture et le salaire de la période de mise à pied conservatoire
La solution donnée au litige conduira à confirmer le jugement sur ces points.
Sur la demande de restitution des sommes versées au titre de l'exécution provisoire
Le présent arrêt vaut titre suffisant pour que la société Adidas obtienne de plein droit la restitution qu'elle demande.
Sur les dépens et l'application de l'article 700 du Code de procédure civile
Partie perdante, la société Adidas France sera condamnée aux dépens et le jugement sera confirmé en ce qu'il a mis les dépens de première instance à sa charge.
Une somme de 1.300 euros sera allouée à Monsieur H. sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile pour la procédure d'appel.
La société Adidas France sera déboutée de la demande qu'elle a formée à ce titre devant la Cour.
LA COUR, statuant par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, contradictoirement et en dernier ressort, après en avoir délibéré conformément à la loi,
DECLARE l'appel recevable.
INFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Adidas France à payer à Monsieur Alain H. la somme de 114.002,64 euros (cent quatorze mille deux euros et soixante quatre centimes) à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Statuant à nouveau dans cette limite,
CONDAMNE la société Adidas France à payer à Monsieur Alain H. la somme de 60.000 euros (soixante mille euros) à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse majorée des intérêts au taux légal à compter du jour du présent arrêt.
CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses autres dispositions.
Y ajoutant,
CONDAMNE la société Adidas France à payer à Monsieur Alain H. la somme de 1.300 euros (mille trois cents euros) sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile au titre de la procédure d'appel, somme s'ajoutant à celle qu'ont accordée les premiers juges.
DEBOUTE société Adidas France de sa demande formée sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile devant la Cour.