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Décisions

CA Rennes, 2e ch., 8 mars 2024, n° 19/08170

RENNES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Ades (EARL)

Défendeur :

Fullwood Packo (Sasu), Armor Robotique (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Jobard

Conseillers :

M. Pothier, Mme Picot-Postic

Avocats :

Me Baron, Me Massip, Me Duval

CA Rennes n° 19/08170

7 mars 2024

EXPOSÉ DU LITIGE:

Suivant bon de commande du 26 septembre 2015, la société Ades a passé commande à la société Macé devenue Armor robotique de la livraison et du montage d'un robot de traite de marque Fullwood au prix de 138 000 euros.

 

Suivant ordonnance du 29 septembre 2016, le juge des référés du tribunal de grande instance de Saint-Brieuc a ordonné, à la demande de la société Armor robotique, une mesure d'expertise et désigné Mme [Z] à cet effet. L'expert a déposé son rapport le 16 mars 2017.

 

Suivant acte d'huissier du 16 mai 2019, la société Ades a assigné la société Armor robotique devant le tribunal de grande instance de Saint Brieuc.

 

Suivant acte d'huissier du 25 juin 2019, la société Armor robotique a assigné la société Fullwood packo devant le tribunal de grande instance de Saint Brieuc.

 

Les instances ont été jointes.

 

Suivant jugement du 5 novembre 2019, le tribunal de grande instance de Saint Brieuc devenu tribunal judiciaire de Saint Brieuc a :

 

Dit que la responsabilité contractuelle de droit commun de la société Armor robotique était engagée à l'égard de la société Ades.

Condamné la société Armor robotique à payer à la société Ades la somme de 26 007 euros au titre de la perte de chance d'avoir dégagé une marge de lait et celle de 4 000 euros au titre des charges supplémentaires, le tout avec intérêts au taux légal à compter du 16 mai 2019.

Débouté la société Ades de ses autres demandes.

Condamné la société Armor robotique à payer à la société Ades la somme de 2 400 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Débouté la société Armor robotique de sa demande de garantie à l'encontre de la société Fullwood packo.

Débouté les parties de leurs autres demandes.

Condamné la société Armor robotique à payer à la société Fullwood packo la somme de 900 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Ordonné l'exécution provisoire.

Condamné la société Armor robotique aux dépens.

 

Suivant déclaration du 18 décembre 2019, la société Ades a interjeté appel.

 

Suivant conclusions du 15 avril 2020, la société Armor robotique a interjeté appel incident.

 

Suivant acte d'huissier du 15 avril 2020, la société Armor robotique a assigné la société Fullwood packo en appel provoqué.

 

Suivant jugement du 11 mars 2022, le tribunal de commerce de Dieppe a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société Fullwood packo et désigné Me [E] [S] en qualité de mandataire liquidateur.

 

Suivant acte d'huissier du 15 décembre 2022, la société Armor robotique a assigné Me [E] [S] ès qualités en intervention forcée.

 

Suivant ordonnance du 8 avril 2022, le conseiller de la mise en état a ordonné, à la demande de la société Ades, une expertise et désigné M. [G] à cet effet. L'expert a déposé son rapport le 26 juin 2023.

 

En ses dernières conclusions du 6 novembre 2023, la société Ades demande à la cour de :

 

Vu articles 1134, 1147 et 1184 anciens du code civil,

Vu les articles 1603 et suivants du code civil,

 

Confirmer le jugement déféré en ce qu'il a jugé que la responsabilité de droit commun de la société Armor robotique était engagée.

Réformer le jugement déféré concernant le montant des indemnités allouées.

Statuant à nouveau,

Condamner la société Armor robotique à remettre en état de fonctionnement le robot sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la signification de la présente décision.

À titre subsidiaire, si la remise en état ne devait pas être ordonnée, prononcer la résolution de la vente et condamner la société Armor robotique à lui payer la somme de 115 000 euros hors-taxes au titre de la restitution du prix de vente.

La condamner à lui payer les sommes suivantes :

18 523 euros pour les pertes et soins sur le cheptel.

160 055 euros pour la perte de chiffre d'affaires pour la période d'avril 2016 à octobre 2018.

5 333 euros par mois à compter du 1er octobre 2018 jusqu'à la date de la présente décision au titre de la perte de chiffre d'affaires.

995 euros pour les points de pénalité consécutifs à l'augmentation significative des taux cellulaires du lait en raison des mauvais réglages du robot.

21 402 euros pour le surcoût alimentaire de remise en état du troupeau.

2 500 euros par mois en réparation du préjudice de jouissance à compter du 5 avril 2016 jusqu'à la remise en service du robot.

25 763 euros pour les travaux complémentaires.

12 154 euros pour les charges supplémentaires (expertise, études, frais financiers, téléphone, assurance).

27 185 euros pour la perte due à la réforme de vingt-quatre vaches incurables.

10 000 euros en indemnisation du préjudice moral.

Débouter la société Armor robotique de ses demandes.

La condamner à lui payer la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

La condamner aux dépens de première instance et d'appel comprenant les frais d'expertise.

 

En ses dernières conclusions du 7 novembre 2023, la société Armor robotique demande à la cour de :

 

Réformer le jugement déféré.

Débouter la société Ades de ses demandes.

Subsidiairement,

Condamner la société Fullwood packo à la garantir des condamnations prononcées à son encontre.

Déclarer la présente décision commune et opposable à Me [E] [S] et inscrire sa créance au passif de la société Fullwood packo.

En tout état de cause,

Condamner la société Ades à lui payer la somme de 11 536,66 euros au titre des factures impayées.

La condamner à lui payer la somme de 17 380 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

La condamner aux dépens avec application de l'article 699 du code de procédure civile au profit de la société Cabinet [Y].

 

En ses dernières conclusions du 11 octobre 2023, Me [E] [S] demande à la cour de :

 

Confirmer le jugement déféré.

À titre subsidiaire,

Dire les prétentions de la société Ades et de la société Armor robotique mal fondées, injustifiées et en toute hypothèse excessives.

Réduire à de plus justes proportions le quantum de son implication déterminant le montant de la créance à inscrire à son passif.

Condamner la société Armor robotique à la garantir des condamnations prononcées à son encontre.

En toute hypothèse,

Condamner in solidum la société Ades et la société Armor robotique à lui payer la somme de 15 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.

 

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions des parties.

 

L'ordonnance de clôture a été rendue le 9 novembre 2023.

Motivation

 

 

MOTIFS DE LA DÉCISION :

 

 

Il ressort des pièces versées aux débats que la mise en service du robot de traite commandé le 26 septembre 2015 n'a pu intervenir à la date prévue, soit le 6 avril 2016, mais seulement le 22 octobre 2018.

 

Au soutien de son appel, la société Ades fait valoir que la non-conformité du support en béton est imputable à la société Armor robotique qui a manqué à son devoir de conseil. Elle affirme qu'elle a réalisé le support sur ses indications. Elle explique qu'elle n'a pas pu utiliser le robot de traite en raison de défauts de réglage persistants, défauts qui sont la cause des problèmes de santé du troupeau.

 

La société Armor robotique indique qu'elle a expressément refusé le support en béton réalisé par la société Ades même si elle admet avoir tenté de l'adapter. Elle conteste tout manquement à son obligation de délivrance. Elle ajoute qu'aucun contrat d'entretien n'a été conclu avec la société Ades. Elle relève que selon M. [G], expert judiciaire, la société Ades n'a pas suivi les préconisations d'emploi du robot de traite ce qui a empêché un fonctionnement satisfaisant.

 

Il est établi que le retard de délivrance du robot de traite est essentiellement imputable à un défaut de conformité du support en béton. Mme [Z], expert judiciaire, n'a chiffré les reprises que concernant cet ouvrage. La société Ades est en partie à l'origine de son préjudice puisqu'elle a réalisé le support. Mais c'est à juste titre que les premiers juges ont estimé que la société Armor robotique avait manqué à son devoir d'information et de conseil dès lors qu'elle ne démontrait pas avoir suffisamment informé la société Ades des spécifications techniques que devait respecter un support en béton destiné à recevoir une installation complexe.

 

Le robot de traite a été mis en service le 22 octobre 2018. Il ressort du rapport de M. [G] que les dysfonctionnements dont se plaint la société Ades ont pour causes exclusives un défaut d'entretien et de pilotage ainsi que des négligences ou des incidents externes au robot lui-même. Il a relevé l'attitude peu constructive de la société Ades qui refusait certaines recommandations ou ne souhaitait pas bénéficier d'un accompagnement. A cet égard, cette dernière ne démontre pas avoir conclu un contrat d'entretien avec le vendeur.

 

La société Ades n'est pas fondée à solliciter la condamnation de la société Armor robotique à remettre en état de fonctionnement le robot ou à voir prononcer la résolution de la vente alors que le robot de traite est en état de fonctionner sous réserve d'un entretien correct.

 

En revanche, elle est fondée, conformément à l'article 1611 du code civil, à solliciter la condamnation du vendeur au paiement de dommages et intérêts puisqu'elle justifie d'un préjudice qui lui est partiellement imputable résultant du défaut de délivrance au terme convenu.

 

Le robot de traite aurait normalement dû permettre une augmentation de la production de lait et alléger le travail de l'exploitant agricole. Le préjudice peut être évalué selon les éléments communiqués par le comptable de la société Ades à la somme de 155 799 euros pour la période comprise entre le 6 avril 2016 et le 22 octobre 2018. La société Ades est fondée à solliciter la condamnation de la société Armor robotique à lui payer des dommages et intérêts au titre du préjudice économique à hauteur de la moitié de cette somme eu égard au partage de responsabilité ci-dessus évoqué. La demande formulée au titre du préjudice de jouissance qui tend à réparer un préjudice identique ne peut quant à elle prospérer.

 

Les autres préjudices allégués, pertes et soins sur le cheptel, points de pénalité consécutifs à l'augmentation des taux cellulaires du lait, coût alimentaire de remise en état du troupeau, pertes dues à la réforme de vaches, sont en lien soit avec le maintien en fonctionnement de l'installation existante, soit avec des dysfonctionnements du robot de traite imputables à la société Ades. Les demandes d'indemnisation à cet égard ne peuvent prospérer.

 

Le surcoût lié à la mise en service du robot de traite et notamment son déplacement ne peut être imputé à la société Armor robotique. La prise en charge de cette dépense supplémentaire a fait l'objet d'une transaction le 20 mai 2018. Les parties sont convenues que la société Armor robotique participerait financièrement à la mise en service à hauteur de la somme de 6 000 euros.

 

Si la société Ades justifie d'un préjudice économique, elle ne justifie d'aucun préjudice moral lequel se définit comme une atteinte extrapatrimoniale. Le préjudice personnel éventuellement subi par le gérant de la société Ades est distinct de celui enduré par la personne morale. La demande d'indemnisation à cet égard ne peut prospérer.

 

S'agissant des charges complémentaires alléguées, il s'agit pour l'essentiel de frais en lien avec le litige non compris dans les dépens et pris en compte au titre des frais irrépétibles. Ils ne peuvent faire l'objet d'une indemnisation distincte. Les frais d'expertise judiciaires retenus par les premiers juges à hauteur de la somme de 4 000 euros correspondent à la rémunération des techniciens au sens de l'article 695 du code de procédure civile et devaient être inclus dans les dépens.

 

Par ailleurs, la société Armor robotique sollicite la condamnation de la société Ades à lui payer la somme de 11 536,66 euros au titre du solde restant dû sur les travaux et au titre d'interventions postérieures à la mise en service le 22 octobre 2018. Comme il a été dit, les parties sont convenues que la société Armor robotique supporterait le coût des travaux supplémentaires à hauteur de la somme de 6 000 euros sur un total de 12 000 euros. Elle est fondée à solliciter le solde restant dû puisque qu'il est établi que les travaux d'installation ont été menés à bonne fin outre le paiement de ses interventions postérieures.

 

Le jugement déféré sera partiellement infirmé.

 

La société Armor robotique n'est pas fondée à solliciter la garantie de la société Fullwood packo dès lors qu'aucune faute ne peut être imputée au fabriquant du robot de traite.

 

Il n'est pas inéquitable de condamner la société Armor robotique à payer à la société Ades la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en première instance et en cause d'appel.

 

Il n'est pas inéquitable de condamner la société Armor robotique à payer à Me [E] [S] ès qualités la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en première instance et en cause d'appel.

 

Il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile par ailleurs.

 

La société Armor robotique sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel comprenant le coût de l'expertise de Mme [Z] à l'exclusion du coût de l'expertise de M. [G], dès lors que cette mesure a été rendue nécessaire pour déterminer l'origine des dysfonctionnements du robot de traite, dysfonctionnements qui se sont avérés imputables à la société Ades. Il sera fait application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de la société Cabinet [Y].

 

 

Dispositif

PAR CES MOTIFS :

 

 

La cour,

 

Infirme partiellement le jugement rendu le 5 novembre 2019 par le tribunal judiciaire de Saint Brieuc.

 

Statuant à nouveau sur l'entier litige,

 

Condamne la société Armor robotique à payer à la société Ades la somme de 77 899,50 euros à titre de dommages et intérêts.

 

Condamne la société Ades à payer à la société Armor robotique la somme de 11 536,66 euros au titre des factures impayées.

 

Condamne la société Armor robotique à payer à la société Ades la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en première instance et en cause d'appel.

 

Condamne la société Armor robotique à payer à Me [E] [S] en qualité de mandataire liquidateur de la société Fullwood packo la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en première instance et en cause d'appel.

 

Condamne la société Armor robotique aux dépens de première instance et d'appel comprenant le coût de l'expertise de Mme [Z], à l'exclusion du coût de l'expertise de M. [G] dont le coût sera supporté par la société Ades, et dit qu'il sera fait application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de la société Cabinet [Y].

 

Rejette les autres demandes.