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Décisions

CA Grenoble, 1re ch., 12 mars 2024, n° 23/02380

GRENOBLE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

ETEX FRANCE EXTERIORS (Sté)

Défendeur :

LA COMPAGNIE D'ASSURANCE GROUPAMA RHONE ALPES AUVERGNE AUVERGNE DENOMMEE GROUPAMA RHONE ALPES AUVERGNE, SE DES ETABLISSEMENTS RAYMOND MERLE (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Clerc

Conseillers :

Mme Blatry, Mme Lamoine

Avocats :

SE DES ETABLISSEMENTS RAYMOND MERLE, SCP CONSOM'ACTES

CA Grenoble n° 23/02380

11 mars 2024

Suivant marché régularisé le 28 janvier 2008, la commune de [Localité 6] a confié la réfection de la toiture de son église à la SARL SE des Etablissements Raymond Merle (la SARL Merle) assurée auprès de la société Groupama Rhône Alpes Auvergne (la société Groupama).

Les 31 août et 31 octobre 2008, la SARL Merle s'est fournie en ardoises auprès de la société Eternit France.

Une grande partie de la couverture étant affectée de fissures, la commune a obtenu du tribunal administratif, selon ordonnance de référé du 22 novembre 2016, l'instauration d'une mesure d'expertise.

L'expert, M. [M], a déposé son rapport le 9 juillet 2019.

Par requête du 2 janvier 2020, la commune de [Localité 6] a saisi le tribunal administratif en condamnation de la SARL Merle.

Suivant exploit d'huissier du 8 septembre 2020, la SARL Merle et la société Groupama ont poursuivi, devant le tribunal judiciaire de Grenoble, la société Eternit en garantie des sommes auxquelles elles seraient susceptibles d'être condamnées.

Par jugement du 5 mai 2022, le tribunal administratif de Grenoble a:

fixé le préjudice à hauteur de 73.802€ après application d'un coefficient de vétusté de 15% à la charge de la commune, outre intérêts à compter du 2 janvier 2020,

condamné l'Etat à garantir la SARL Merle à hauteur de 20%,

condamné la SARL Merle à payer à la commune la somme de 16.269,54€ au titre des dépens et l'Etat à payer à la commune la somme de 4.067,38€ au même titre,

condamné la SARL Merle à payer à la commune la somme de 2.000€ au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

La société Groupama a réglé à la SARL Merle en sa qualité d'assureur en responsabilité décennale la somme totale de 78.465,60€.

Sur incident déposé par la société Eternit devenue ETEX France Extériors (la société ETEX) en irrecevabilité de l'action adverse, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Grenoble a, par ordonnance juridictionnelle du 9 mai 2023 :

déclarée recevable l'action de la SARL Merle et de la société Groupama,

condamné la société ETEX à payer à la SARL Merle et la société Groupama une indemnité de procédure de 1.000€, ainsi qu'aux dépens de l'incident.

Suivant déclaration d'appel du 26 juin 2023, la société ETEX a relevé appel de cette décision.

Suivant conclusions récapitulatives du 26 septembre 2023, la société ETEX demande à la cour d'infirmer la décision entreprise, de déclarer irrecevables la SARL Merle et la société Groupama, en conséquence, de les débouter de l'ensemble de leurs prétentions, de la mettre hors de cause et de les condamner à lui payer une indemnité de procédure de 3.000€, ainsi qu'aux entiers dépens.

Elle fait valoir que :

le premier juge a fait une application inexacte du droit,

la toiture de l'église a été réalisée avec des ardoises fabriquées et vendues pour la plupart en 2005 avec un reliquat en 2008,

pour les ardoises fabriquées en 2005 la prescription de 10 ans est acquise,

pour les ardoises de 2008, c'est la nouvelle prescription de 5 ans qui s'applique et la commune aurait dû agir en 2013,

si l'action de la commune est prescrite, l'action récursoire des intimées est également prescrite.

Par écritures récapitulatives du 10 octobre 2023, la SARL Merle et la société Groupama demandent à la cour de confirmer la décision déférée et, y ajoutant, de condamner la société ETEX à leur payer une indemnité de procédure de 2.500€, outre aux entiers dépens.

Elles exposent que :

leur action a été engagée sur le fondement des articles 1641 et suivants du code civil au titre de la garantie des vices cachés,

il n'y a pas lieu de rechercher la date de fabrication des tuiles mais d'analyser les deux délais de prescription des articles 1648 du code civil et L.110-4 du code de commerce,

le point de départ du délai quinquennal n'est pas indiqué et la jurisprudence le situe conformément aux dispositions de l'article 2224 du code civil,

pour éviter de porter une atteinte disproportionnée au droit d'accès au juge, la 3ème chambre civile de la Cour de cassation a jugé que l'entrepreneur ne pouvant agir contre le vendeur et le fabricant avant d'avoir été lui-même assigné par le maître de l'ouvrage, le point de départ du délai qui lui est imparti est constitué par la date de sa propre assignation et le délai de l'article L.110-4 du code de commerce courant à compter de la vente est suspendu jusqu'à ce que sa responsabilité ait été recherchée par le maître de l'ouvrage, ainsi, le point de départ du délai quinquennal se confond avec la date de l'assignation délivrée par le maître de l'ouvrage, soit la requête en indemnisation au fond déposée par la commune le 2 janvier 2020.

La clôture de la procédure est intervenue le 16 janvier 2024.

Motivation

MOTIFS

1/ sur la recevabilité de la demande de la SARL Merle et de la société Groupama

Par application de l'article 789 du code de procédure civile, le juge de la mise en état est compétent pour statuer sur les fins de non-recevoir, à l'instar de la prescription.

La SARL Merle et la société Groupama poursuivent la société ETEX sur le fondement de la garantie des vices cachés affectant les ardoises dont la vente est intervenue les 31 août et 31 octobre 2008.
L'action en garantie des vices cachés doit être intentée dans le double délai biennal de l'article 1648 du code civil courant à compter de la découverte du vice et quinquennal de l'article L.110-4 du code de commerce, puisque la vente est postérieure à la réforme de la prescription.

Il n'y a donc pas lieu de rechercher la date de fabrication des tuiles et l'argumentation de la société ETEX est inopérante sur ce point.

Le point de départ du délai quinquennal n'est pas indiqué dans l'article L.110-4 du code de commerce.

La troisième chambre civile de la Cour de cassation retient selon une jurisprudence désormais constante que, sauf à porter une atteinte disproportionnée au droit d'accès au juge, le constructeur dont la responsabilité est retenue en raison des vices affectant les matériaux qu'il a mis en œuvre pour la réalisation de l'ouvrage doit pouvoir exercer une action récursoire contre son vendeur sur le fondement de la garantie des vices cachés sans voir son action enfermée dans un délai de prescription courant à compter de la vente initiale.

Il s'ensuit que l'entrepreneur ne pouvant agir contre le vendeur et le fabricant avant d'avoir lui-même été assigné par le maître de l'ouvrage, le point de départ qui lui est imparti par l'article 1648 du code civil est constitué par sa propre assignation et le délai de l'article L. 110-4 du code de commerce courant à compter de la vente est suspendu jusqu'à ce que sa responsabilité ait été recherchée par le maître de l'ouvrage.

Par voie de conséquence, le point de départ du délai quinquennal se confond avec la date de l'assignation délivrée par le maitre de l'ouvrage soit la requête en indemnisation au fond déposée par la commune le 2 janvier 2020.

Ainsi que l'a justement retenu le premier juge, l'action de la SARL Merle et de la société Groupama, introduite le 8 septembre 2020, est parfaitement recevable.

L'ordonnance déférée sera confirmée en toutes ses dispositions.

2/ sur les mesures accessoires

L'équité commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au seul profit de la SARL Merle et la société Groupama en appel.

La société ETEX, qui succombe, supportera les dépens de la procédure d'appel et les mesures accessoires de l'ordonnance déférée sont confirmées.

Dispositif

PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Confirme l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne la société ETEX France Extériors à payer à la SARL SE des Etablissements Raymond Merle et la société Groupama Rhône Alpes Auvergne, unies d'intérêt, la somme de 2.000€ par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appe,
Rejette le surplus des demandes à ce titre,
Condamne la société ETEX France Extériors aux dépens de la procédure d'appel.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de la procédure civile,