CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 13 mars 2024, n° 21/15819
PARIS
Arrêt
Autre
PARTIES
Défendeur :
Son-Lum-Tion (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Brun-Lallemand
Conseillers :
Mme Depelley, M. Richaud
Avocats :
Me Bouzidi-Fabre, Me Duval
FAITS ET PROCÉDURE
A compter de 2001, la société Son Lum Tion a assuré, en France sur le territoire du grand ouest (soit 11 départements), le service d'assistance technique après-vente des produits distribués par la société [O] DG Mid Europe.
Dans le cadre de leurs relations commerciales, ces deux sociétés ont signé des contrats d'attribution du service d'assistance technique qui se sont succédés sans interruption.
Le dernier contrat daté du 1er juin 2009 stipule, notamment :
- que le service d'assistance technique s'articule en interventions sous garantie et hors garantie,
- que la société [O] DG Mid Europe s'engage à fournir le support technique et les pièces de rechange nécessaires aux interventions de la société Son Lum Tion,
- à l'article 11.4, que les parties se réservent la faculté de résilier le contrat à tout moment, par lettre recommandée avec accusé de réception, avec un préavis de 3 mois.
Il est encore précisé dans les annexes 2 et 3 de cette convention :
- s'agissant des interventions sous garantie, que les demandes seront reçues par la société Son Lum Tion directement depuis le Call center [O] DG, que la société [O] DG Mid Europe s'engage à mettre à sa disposition un Starter Kit composé de pièces de rechange et s'engage à payer le prix de l'intervention à réception du rapport d'intervention,
- s'agissant des interventions hors garantie, que la société Son Lum Tion est autorisée à fournir aux utilisateurs le service d'assistance technique sur demande directe des utilisateurs ou du Call center [O] DG, les pièces de rechange lui étant fournies contre paiement.
Par courriel du 4 septembre 2015, la société Son Lum Tion a informé la société [O] DG Mid Europe (ci-après "[O]") que son technicien avait quitté l'entreprise et qu'il serait remplacé à compter du 15 septembre par un autre salarié connaissant déjà les machines [O].
La société [O] lui a répondu, par courriel du même jour, qu'elle aurait aimé être prévenue plus tôt, avant le départ de l'intéressé.
A partir de septembre 2015, la société Son Lum Tion n'a plus recu de demande d'interventions de sa part. Son chiffres d'affaires avec la société [O], qui s'était élevé mensuellement entre 10 050 euros et 18 962 euros de janvier à juin 2015, s'est réduit à une fourchette allant de 151 à 2 686 euros par mois à compter de cette date.
Par lettre recommandée du 11 mai 3016 évoquant un différend évoqué oralement entre les parties relatif à la reprise du stock Starter Kit, la société Son Lum Tion lui a indiqué :
"A ce jour, aucune lettre ne m'a été communiquée, je considère donc que [le] contrat toujours en vigueur.
En outre, même à considérer ce contrat comme résilié, aucune disposition contractuelle ne vous autorise à récupérer, à l'expiration du contrat, le stock Starter Kit".
Par lettre recommandée du 30 juin 2016, la société [O] lui a répondu :
"Suite à nos différents entretiens, nous vous confirmons la résiliation du contrat d'attribution du service d'assistance technique conclu conjointement au 1er juin 2009, et donc la fin de nos relation contractuelles.
Celle-ci sera effective au 30 septembre 2016".
Le 7 décembre 2016, le conseil de la société Son Lum Tion a mis en demeure la société [O] DG Mid Europe de payer différentes sommes en indemnisation du préjudice résultant de la rupture brutale de la relation commerciale, du préjudice d'image et du rachat du stock, en vain.
Par acte du 22 juin 2017, la société Son Lum Tion a fait assigner la société [O] DG Mid Europe devant le tribunal de commerce de Rennes pour rupture brutale des relations commerciales établies.
Par jugement du 31 mai 2018, le tribunal de commerce de Rennes a :
- fixé à 15 mois le préavis qui était dû à la société Son Lum Tion,
- condamné la société Rolland DG à verser à la société Son Lum Tion la somme de 147.147,90 € en réparation de son préjudice, débouta la société Son Lum Tion du surplus demandé et débouté la société Rolland DG de ses demandes à ce titre,
- condamné la société Rolland DG à payer 20.000 € à la société Son Lum Tion au titre du préjudice pour la restitution et le rachat des stocks,
- condamné la société Son Lum Tion à renvoyer à ses frais l'ensemble des stocks de pièces détachées des produits Rolland DG détenus par elle, de même que les stocks de Starter Kit que la société "Rolland" avait mis gracieusement à sa disposition,
- condamné la société Rolland DG aux dépens et à régler à la société Son Lum Tion la somme de 4.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté les parties de toutes leurs autres demandes.
Par décision rectificative du 23 octobre 2018 le tribunal a :
- dit recevable la requête en omission de statuer présentée par la société Son Lum Tion et complété le jugement du 31 mai 2018 et y ajoutant "ordonne l'exécution provisoire du présent jugement",
- dit que le nom de la société [O] DG n'ayant pas été correctement orthographié, le jugement du 31 mai 2018 sera rectifié, le nom et l'orthographe [O] DG étant substitués dans tout le corps du jugement au nom et à l'orthographe Rolland DG.
La société [O] DG Mid Europe a relevé appel du jugement par déclaration au greffe du 21 décembre 2018.
L'affaire a été radiée du rôle par ordonnance du conseiller de la mise en état du 1er octobre 2019 en application de l'article 526 du code de procédure civile. Les demandes formulées par la société [O] dans le cadre d'un référé Premier président ont également été rejetées le 3 décembre 2019. L'affaire a finalement été rétablie au role en décembre 2022.
Aux termes de ses dernières conclusions déposées et notifiées le 3 juillet 2023, la société [O] DG Mid Europe demande à la Cour, au visa des articles L. 442-6 et suivants du code de commerce :
1) d'infirmer le jugement et, statuant à nouveau, de :
- dire et juger que la rupture des relations commerciales est du fait exclusif de la société Son Lum Tion,
- en conséquence, débouter la société Son Lum Tion de toutes ses demandes, fins et conclusions relatives aux conséquences de la dite rupture,
- infirmer le jugement en ce qu'il l'a condamnée au paiement d'une somme de 20.000 € au titre du préjudice pour la restitution et le rachat des stocks et, statuant à nouveau, débouter la société Son Lum Tion des demandes formées de ce chef,
2) subsidiairement, de :
- dire et juger que les relations commerciales ont comme point de départ décembre 2001,
- dire et juger que la société Son Lum Tion ne justifie pas du quantum des préjudices allégués,
- en conséquence, la débouter de toutes ses demandes, fins et conclusions,
3) très subsidiairement, de :
- lui donner acte de son accord pour reprendre le stock mais après inventaire, détermination de sa valeur vénale et aux frais de l'intimée,
- fixer à 12 mois le délai éventuel de préavis dû par elle,
- dire et juger que l'indemnisation des préjudices ne peut excéder la somme de 41.188 €,
- ordonner le cas échéant le remboursement du trop perçu éventuel de la société Son Lum Tion au titre de l'exécution provisoire et ce avec intérêts au taux légal majoré de 5 points à compter de l'arrêt à intervenir,
4) d'infirmer le jugement en ce qu'il a octroyé une indemnité à la société Son Lum Tion au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Son Lum Tion aux entiers dépens de première instance et d'appel ainsi qu'au paiement d'une somme de 15.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières conclusions déposées et notifiées le 8 décembre 2023, la société Son Lum Tion demande à la Cour, au visa des articles 564 et 909 du code de procédure civile, de l'article L. 442-6 du code de commerce, des articles 1382 ancien et 1240 et suivants du code civil ainsi que des articles 1134 ancien et 1103 et 1104 nouveaux du code civil, la déclarant recevable et bien fondée en ses demandes, de :
1) in limine litis, déclarer irrecevables et en tout cas mal fondées les demandes nouvelles formulées par l'appelante tendant à faire ramener le délai de préavis à 12 mois mais également à faire transmettre ses bilans 2016, 2017 et 2018,
2) au fond, déclarer la société [O] DG Mid Europe recevable mais mal fondée en son appel et, en conséquence, la débouter de toutes ses demandes, fins et conclusions,
3) infirmer partiellement les jugements rendus respectivement les 31 mai et 23 octobre 2018 en ce qu'ils ont :
- fixé à 15 mois le préavis dû par la société [O] DG Mid Europe,
- condamné la société [O] DG Mid Europe à lui payer la somme de 147.147,90 € en réparation de son préjudice,
- débouté la société Son Lum Tion du surplus demandé,
- débouté la société Son Lum Tion de sa demande de dommages-intérêts pour trouble à l'image,
- condamné la société Son Lum Tion à renvoyer à ses frais l'ensemble des stocks de pièces détachées des produits [O] DG Mid Europe détenus par elle, de même que les stocks de starter Kit mis gracieusement à sa disposition,
4) statuant à nouveau :
- fixer à 20 mois le prévis qui était dû par la société [O] DG Mid Europe,
- condamner la société [O] DG Mid Europe à lui verser :
* la somme de 209.631 €, à titre d'indemnisation du préjudice financier,
* la somme de 50.000 €, à titre d'indemnisation du préjudice résultant du trouble à l'image de marque,
* la somme de 20.000 €, à titre d'indemnisation du préjudice distinct relatif à la restitution et au rachat de stocks garantie/hors garantie,
- condamner la société [O] DG Mid Europe à récupérer à ses frais l'ensemble des stocks de pièces détachées des produits [O] DG Mid Europe détenus pas la société Son Lum Tion, de même que les stocks de Starter Kit,
5) confirmer les jugements des 31 mai et 23 octobre 2018 pour le surplus de leurs dispositions, notamment au titre des dépens et de l'article 700 du code de procédure civile,
6) y ajoutant :
- débouter la société [O] DG Mid Europe de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- condamner la société [O] DG Mid Europe à lui payer la somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 12 décembre 2023.
La Cour renvoie à la décision attaquée et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIVATION
1) Sur les irrecevabilités soulevées par la société Son Lum Tion sur le fondement de l'article 564 du code de procédure civile
Moyens des parties
La société Son Lum Tion soutient que sont irrecevables comme nouvelles en cause d'appel les demandes de la société [O] DG Mid Europe tendant à voir réduire le préavis à 12 mois et à se voir transmettre le bilans 2016, 2017 et 2018 de son ancienne partenaire.
La société [O] DG Mid Europe conclut au rejet des exceptions d'irrecevabilité en faisant valoir :
- que ses demandes en première instance tendaient à obtenir le rejet de toute indemnisation, subsidiairement la limitation de son montant, et qu' ainsi sa demande en cause d'appel tendant à voir réduire la durée du préavis est recevable par application de l'article 565 du code de procédure civile qui dispose que ne les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent,
- que la demande de communication de pièces ne peut être considérée comme un moyen nouveau, mais simplement comme l'expression des obligations des parties dans le cadre de la procédure.
Réponse de la Cour
La Cour constate, en premier lieu, que la demande de communication des comptes sociaux des exercices clos les 31 mars 2016, 2017 et 2018 de la société Son Lum Tion formulée par l'appelante est sans objet, ces pièces ayant été versées aux débats par l'intimée sous les numéros 25 à 27.
La Cour retient, en second lieu, que la demande tendant à voir diminuer la durée du préavis ne constitue pas une prétention nouvelle puis qu'elle ne vise qu'à faire écarter ou réduire les prétentions adverses de la société Son Lum Tion au titre de la rupture brutale des relations commerciales, ce qui la rend recevable conformément à l'article 564 du code de procédure civile.
2) Sur la rupture brutale des relations commerciales établies
Moyen des parties
La société [O] soutient que la responsabilité de la rupture incombe exclusivement à la société Son Lum Tion. Elle fait valoir en ce sens :
- que les interventions d'entretien et de dépannage sur ses matériels ne pouvaient être réalisées que par des techniciens spécialement formés, comme prévu dans sa newsletter de 2010 précisant le calendrier de formation et rappelant la politique de la société en matière de certification,
- qu'en page 3 du "contrat cadre" de Son Lum Tion, le sous-traitant s'engage à envoyer tous les techniciens appelés à intervenir sur les produits aux stages de formation technique organisés par RES (la société [O] Europe),
- qu'elle avait agréé un seul salarié de la société Son Lum Tion, lequel a quitté son employeur à la mi-août 2015,
- qu'à compter du 18 août 2015 au plus tard, la société Son Lum Tion ne disposait plus d'aucun technicien formé et agréé, son dirigeant, ne disposant pas des compétences requises et n'étant jamais intervenu sur site depuis 2001,
- que sans certification, il était interdit au dirigeant d'intervenir sur des machines sous garantie, qu'il pouvait le faire pour des machines qui n'étaient plus sous garantie lorsque la société Son Lum Tion traitait directement avec le client,
- qu'il n' y a pas eu rupture des relations, mais seulement suspension de toute mission dans la mesure où la société Son Lum Tion se trouvait dans l'incapacité d'intervenir,
- que la société Son Lum Tion aurait pu maintenir son activité "hors garantie", la perte de l'agrément ne concernant que ses interventions au titre de la garantie,
- que contrairement à ce que prétend la société Son Lum Tion, elle n'a pas débauché l'un de ses anciens salariés mais ne l'a recruté qu'en janvier 2016,
- que la société intimée a pris la décision de ne pas remplacer le technicien formé et agréé car elle avait décidé d'abandonner le secteur du SAV des imprimantes pour se recentrer sur son activité principale, à savoir la réparation et l'entretien d'instruments de musique.
La société Son Lum Tion reproche à la société [O] d'avoir, en septembre 2015, rompu brutalement la relation commerciale établie qui existait depuis 15 ans, sans préavis écrit. Elle fonde sa demande de réparation de son préjudice financier sur les dispositions de l'article L 442-6-1 5 ° ancien du code de commerce.
Elle fait valoir en ce sens :
- que la société [O] a reconnu dans ses écritures récapitulatives et responsives en première instance que les relations contractuelles avaient pris fin en septembre 2015 et que son revirement en cause d'appel contrevient au principe de loyauté des débats et au principe que "nul ne peut se contredire au détriment d'autrui",
- qu'elle-même pouvait continuer à exercer sa mission d'assistance technique après le départ de son technicien alors que son dirigeant était formé depuis 1997 aux techniques [O] DG, qu'il pouvait intervenir tant que l'agrément qui lui était attribué n'était pas suspendu et qu'il disposait d'une certification récente au même titre que le technicien qui a quitté la société,
- que son courriel du 4 septembre 2015 démontre sa volonté de poursuivre les relations contractuelles et non d'y mettre fin,
- que le départ du technicien n'a constitué qu'un prétexte pour la société [O] qui souhaitait reprendre le service d'assistance technique.
La société Son Lum Tion ajoute :
- qu'il incombait à la société [O] de lui communiquer les supports techniques et les codes mis à jour à chaque actualisation informatique, éléments nécessaires pour lui permettre d'intervenir sur les machines, même hors garantie,
- qu'en manquant à cette obligation, la société [O] l'a mise dans l'impossibilité d'effectuer toute opération sur les machines d'impression qu'il s'agisse de machines sous garantie ou hors garantie,
- qu'à compter de septembre 2015, la société [O] ne lui a plus communiqué la liste des nouveaux clients, la privant ainsi de toute intervention chez ceux-ci,
- qu'elle devait remplacer son précédent technicien par un nouveau, qui était un de ses anciens salariés chargé par elle de la maintenance des équipements [O], ce que la société [O] DG Md Europe savait, mais que suite au retrait de son agrément, elle a renoncé à son embauche,
- que dès septembre 2015, c'est à la demande de la société [O] DG que l'intéressé lui a adressé sa candidature.
Réponse de la Cour
L'article L. 442-6-1 5° ancien du code de commerce, applicable en la cause, dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords professionnels. Ces dispositions ne font pas obstacle à la résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.
L'existence de relations commerciales établies à partir de 2001 n'est pas contestée.
Dans ses conclusions récapitulatives de première instance, la société [O] DG Mid Europe a écrit en page 4 que les relations contractuelles avaient pris fin en septembre 2015, mais a allégué sans se contredire, en page 6, que la société Son Lum Tion pouvait parfaitement poursuivre son activité d'assistance technique sur les produits hors garantie, aucun agrément n'étant nécessaire à cet effet.
Il est constant que le technicien agréé par la société [O] DG pour intervenir dans les opérations de maintenance a quitté la société Son Lum Tion le 18 août 2015. Cependant, il ressort des pièces versées aux débats ( courriels des 2 et 3 septembre 2015 échangés en interne) que la société Son Lum Tion préparait alors un contrat de travail pour nouveau technicien qui devait remplacer l'intéressé à compter du 15 septembre en CDI. Par attestation du 24 février 2023, cette personne déclare, notamment :
- qu'il a travaillé au sein de la société Son Lum Tion en tant que technicien chargé de la maintenance des équipements [O] de septembre 2009 à mai 2013, poste sur lequel il aavait été formé par le dirigeant de Son Lum Tion qui occupait cette fonction auparavant,
- qu'en juin 2015, suite à l'annonce du départ du technicien en place, il a été contacté par l'assistante de direction de la société Son Lum Tion qui lui a demandé sa disponibilité éventuelle pour la reprise du poste,
- qu'après un entretien téléphonique avec le dirigeant de Son Lum Tion, il a été convenu d'une promesse d'embauche au 15 septembre 2015, le dirigeant étant en mesure d'assurer les interventions urgentes pendant la période de transition, lui-même se tenant à sa disposition pour toute assistance téléphonique concernant les nouvelles procédures de maintenance sur les équipements les plus récents,
- qu'en septembre 2015, lorsque la société [O] DG a annoncé à la société Son Lum Tion la rupture de l'agrément qui liait les deux sociétés, le dirigeant de Son Lum Tion lui a indiqué qu'il n'était plus question de l'embaucher,
- que c'est alors qu'il a pris contact avec la société [O] qui l'a informé de la possibilité d'occuper un poste similaire en son sein.
Il résulte de ces éléments, ainsi que du courriel du 4 septembre 2015 par lequel la société Son Lum Tion a informé sa cocontractante du départ de son technicien et de son remplacement par un ancien salarié connaissant déjà les machines [O], que la société Son Lum Tion ne manifestait début septembre 2015 aucune volonté de mettre fin aux relations commerciales, mais au contraire œuvrait à leur poursuite. Il importe peu que, postérieurement à la rupture, la société Son Lum Tion n'ait plus exercé son activité que dans le domaine des instruments de musique.
Le dernier contrat signé par les parties le 1er juin 2009 stipule à l'article 14.1 que cet accord, y compris ses annexes, annule tout accord précédent ou simultané intervenu en cette matière. Il n'y est pas fait mention d'une procédure d'agrément. Il est seulement prévu que le commettant fournira à la société de service d'assistance technique le support technique nécessaire pour l'exécution de sa prestation, d'une part en mettant à sa disposition toute la documentation nécessaire y compris les manuels de service, les notes de mise à jour des appareils, d'autre part en l'impliquant dans la participation aux cours techniques auprès de son siège.
Certes, dans une newsletter technique de septembre 2010, que la société Son Lum Tion ne conteste pas avoir reçu, la société [O] DG Mid Europe a averti ses centres de SAV en ces termes :
"Certificat : Nous attendons que tous les collaborateurs techniques intervenant sur des machines [O] aient assisté aux formations de base et avancée. Au terme de ces deux sessions, nous organiserons un test nous permettant d'évaluer les connaissances des ingénieurs concernant les produits matériels et logiciels distribués par [O]. Toute personne réussissant ce test reçoit un certificat.
Bonus: tous vos techniciens SAV (intervenant sur des produits [O]) doivent, à terme, être en possession de ce certificat si votre entreprise veut continuer à bénéficier du bonus. Les centres SAV dont les techniciens n'obtiennent pas ce certificat perdent non seulement leur agrégation mais aussi le bonus de 8 %".
La société Son Lum Tion ne produit pas de certificat agréant son dirigeant, mais seulement un questionnaire avec des réponses, établi à l'en-tête de [O] et daté du 5 mai 2010, mentionnant le nom de ce dernier et portant l'indication "85/100". Toutefois sa pièce n °34 démontre que l'intéressé a réalisé des opérations de maintenance hors garantie les 16 mai 2013, 4 octobre 2013, 6 novembre 2013 et 23 juin 2014, mais aussi une opération de maintenance sous garantie le 17 février 2014, ce dont la société [O] avait connaissance par l'établissement de la facturation. Il s'en déduit que le dirigeant de la société Son Lum Tion bénéficiait alors d'un agrément ou, à tout le moins que la société [O] le laissait intervenir sans lui avoir délivré un certificat en bonne et due forme.
Si l'intéressé n'a pas participé à la formation en vue de la certification organisée par la société [O] en juillet 2015, il demeure qu'à cette date, le technicien de Son Lum Tion intervenant sur les machines [O] était en fonction - son départ intervenant 18 août 2015 - et que la société [O] a été informée le 4 septembre 2015 que ce technicien devait être remplacé à compter du 15 septembre 2015 par un ancien salarié connaissant les machines [O]. La société [O] DG n'a alors soulevé aucune difficulté concernant ce remplacement prévu, se bornant à écrire qu'elle aurait préféré avoir été avertie plus tôt du départ du technicien en place.
Au regard de ces circonstances et en l'absence de faute suffisamment grave de sa cocontractante, la société [O] DG Mid Europe était mal fondée à retirer son agrément à la société Son Lum Tion dès septembre 2015, sans aucun préavis écrit.
Elle a ainsi de manière unilatérale rompu brutalement le contrat sans pouvoir arguer de son maintien pour la partie concernant les interventions hors garantie. En effet, celles-ci ne pouvaient être exécutées que grâce à son concours, par la fourniture des documents et pièces détachées utiles, fourniture dont elle ne rapporte pas la preuve après retrait de son agrément en septembre 2015.
En conséquence, la société [O] DG Mid Europe a engagé sa responsabilité pour rupture brutale de l'ensemble de la relation commerciale et doit réparer le préjudice causé de ce fait.
3) Sur le gain manqué en raison de la rupture brutale
Moyen des parties
La société Son Lum Tion soutient qu'un préavis d'une durée de 20 mois aurait dû lui être accordé, compte tenu du fait que :
- son activité principale dépendait directement du contrat d'assistance technique conclu avec la société [O] DG Mid Europe,
- sa marge doit inclure tant les interventions sur des machines sous garantie que celles sur des machines hors garantie,
- elle avait réalisé du 1er avril 2014 au 31 mars 2015 un chiffre d'affaires avec les produits [O] d'un montant de 235.430 €, et son préjudice doit être calculé sur la base de 10.481,55 € par mois correspondant à la moyenne de sa marge brute commerciale réalisée sur les 6 derniers mois.
La société [O] répond que l'indemnisation ne peut porter que sur une perte de marge nette et que la société Son Lum Tion ne justifie pas de cette perte pour les seuls produits "impression" ni de la ventilation entre son chiffre d'affaires "sous garantie" et son chiffre d'affaires "hors garantie". Contestant toute dépendance économique, elle soutient qu'un préavis d'une durée de 12 mois serait suffisant et que le montant de l'indemnisation ne pourrait excéder 41.188 € , correspondant à la perte de résultat sur l'exercice 2016/2017.
Réponse de la Cour
La société Son Lum Tion allègue, sans que ce point soit contesté par la société [O], que cette dernière a cessé de lui communiquer tous supports techniques, documentations et codes mis à jour à chaque actualisation informatique de la machine objet de la maintenance, alors qu'il était impératif d'être en possession de ces données pour intervenir. Son activité s'en est trouvée, qu'il s'agisse de prestation sous garantie ou non, irrémédiablement stoppée.
La Cour retient que cette situation a existé à compter du septembre 2015 et qu'égard à l'ancienneté de la relation commerciale établie, soit 15 ans, à la nature de l'activité exercée et au temps nécessaire pour permettre à la société Son Lum Tion de redéployer son activité, c'est à raison que le tribunal a fixé à 15 mois le préavis qui aurait dû lui être accordé.
Le préjudice subi correspond à la perte de marge sur coûts variables, déduction faite des éventuelles économies de coûts fixes spécifiques. Il s'évalue en considération de la marge brute escomptée, c'est-a -dire la différence entre le chiffre d'affaires hors taxe escompte et les coûts variables hors taxe non supportés durant la période d'insuffisance de préavis, différence dont pourra encore être déduite, le cas échéant, la part des coûts fixes non supportés du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture, durant la même période (Com. 28 juin 2023, n°21-16.940).
L'expert-comptable de la société Son Lum Tion atteste que le chiffre d'affaires de cette société avec la société [O] DG s'est élevé à 219.866 € pour l'exercice du 01/01/2012 au 31 décembre 2012, à 237.002 € pour l'exercice du 01/01/2013 au 31/12/2013 et à 231.626 € pour l'exercice du 01/01/2014 au 31/03/2015. Il s'ensuit une moyenne mensuelle de 19'124 €. Il se déduit également des pièces fournies que la marge brute est de l'ordre de 56 %.
L'expert-comptable de la société Son Lum Tion a par ailleurs extrait différentes données des comptes 2014 et 2015 (achat intra pièces [O] DG, location, carburant et assurance d'un véhicule, téléphonie portable du technicien) et les charges spécifiques de personnel, d'un montant de 43 938 euros de janvier à décembre 2014 et de 17 820 euros en 2015 (le solde de tout compte intervenant en aout 2015).
Pour les motifs déjà énoncés, il n'y pas lieu de distinguer entre activités de maintenance sous garantie et activités de maintenance hors garantie, les relations ayant été rompues pour le tout.
La Cour retient en conséquence que le gain manqué mensuel, en considération de la marge sur coût variable qui seule doit être retenue, s'est élevé à la somme de 6'450 euros et que le préjudice résultant de la non exécution du 15 mois du préavis qui aurait du être accordé s'élève à la somme de 96'750 euros.
Le jugement est infirmé dans cette limite.
4) Sur la demande de la société Son Lum Tion pour atteinte à son image
Moyen des parties
La société Son Lum Tion sollicite la somme de 50.000 € à titre de dommages-intérêts, invoquant le retentissement négatif pour elle en lien avec la rupture des relations, au regard de son environnement commercial, à savoir un secteur restreint composé de spécialistes intervenant dans un domaine particulier. Elle précise avoir été la seule station technique en France concernée par la décision de rupture, qu'aucun motif ne lui a été donné, qu'elle n'a pu communiquer avec ses clients sur l'arrêt du partenariat et s'est trouvée obligée de rediriger ses clients auprès de la société [O] DG Mid Europe en suscitant leur mécontentement.
La société [O] DG fait valoir que cette demande n'est justifiée ni dans son principe, ni dans son montant.
Réponse de la Cour
La société Son Lum Tion ne versant aux débats aucun élément de nature à démontrer l'existence du préjudice pour atteinte à son image, sa demande de dommages-intérêts sera rejetée.
5) Sur la demande de la société Son Lum Tion en paiement de la somme de 20.000 € et en condamnation de la société [O] DG Mid Europe à reprendre à ses frais l'ensemble des stocks
Moyen des parties
La société Son Lum Tion fait valoir :
- qu'elle avait acheté un stock de pièces à la société [O] DG Mid Europe dans la perspective de pouvoir effectuer les prestations intervenant hors garantie et qu'en raison de la rupture des relations commerciales, elle n'a pu utiliser ces pièces,
- que ces pièces en stock sont particulièrement coûteuses mais qu'il s'est déprécié depuis 15 ans, que le tribunal a justement retenu que l'inventaire demandé par la partie adverse constituerait un risque de nouveau litige et que l'indemnisation de son préjudice devait être fixé à 20.000 €,
- que la société [O] DG Mid Europe doit être condamnée à reprendre à ses frais l'ensemble des stocks de pièces détachées de même que les stocks de Starter Kit qu'elle avait mis à sa disposition.
La société [O] objecte :
- que rien ne l'oblige à racheter les stocks,
- qu'il appartient à la société Son Lum Tion d'en justifier l'exigibilité et le montant.
Très subsidiairement, elle demande qu'il soit pris acte de son accord pour reprendre le stock, mais après inventaire, détermination de sa valeur vénale et aux frais de l'intimée.
Réponse de la Cour
Il ressort de l'annexe 5 du contrat du 1er juin 2009 que :
- pour les interventions soumises à garantie, le société [O] DG Mid Europe mettait à disposition de la société Son Lum Tion un Starter Kit composé de pièces de rechange,
- pour les interventions sur des produits non couverts par la garantie, la société [O] DG Mid Europe s'engageait à fournir à la société Son Lum Tion les pièces de rechange nécessaires contre paiement.
La société [O] DG Mid Europe, qui a rompu brutalement la relation commerciale établie, doit reprendre les Starter Kit et les pièces de rechange achetées qui sont devenus inutilisables par la société Son Lum Tion du fait de la rupture brutale.
Les pièces versées aux débats (n° 14, 15 et 23 Son Lum Tion) permettent seulement d'établir qu'à la date du 30 septembre 2015, le stock était divisé en trois catégories (" stock solution n°1", "stock solution n° 2" et "pièces sous garantie [O] RG") ; que le stock matériel hors garantie était en mai 2016 valorisé 20 000 euros selon Son Lum Tion ; que le stock Starter kit pouvait donner en juin 2016 lieu à recouvrement d'une facture d'un montant de 11 956 euros selon [O].
C'est à raison que dans ces circonstances, et considération prise des spécificités de la cause et notamment du temps très important écoulé, le tribunal a condamné la société Rolland à verser la somme de 20 000 euros à la société Son Lum Tion en réparation du préjudice distinct relatif à la restitution et le rachat des stocks.
Le cour retient, de surcroit, qu'il appartient à la société Son Lum Tion de tenir à disposition de [O] les pièces détachées des produits [O] DG qu’elle détient encore ainsi que les Kit Starter mis à sa disposition, l'enlèvement ayant lieu aux frais de [O].
6) Sur les autres demandes
La société [O] DG Mid Europe, qui succombe sur l'essentiel, doit supporter les dépens d'appel.
En application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, il y a lieu d'allouer la somme supplémentaire de 5 000 € à la société Son Lum Tion et de rejeter la demande de la société [O] DG Mid Europe à ce titre.
PAR CES MOTIFS
Rejette les exceptions d'irrecevabilité soulevées par la société Son Lum Tion,
Infirme le jugement mais seulement en ce qu'il a :
- Condamné la société [O] DG Mid Europe à payer à la société Son Lum Tion la somme de 147 147, 90 € en réparation de son préjudice ;
- Condamné la société Son Lum Tion à renvoyer à ses frais l'ensemble des stocks de pièces détachées des produits [O] DG détenus par elle, de même que les stocks de Starter Kit que la société [O] avait mis à sa disposition,
Statuant de nouveau sur les chefs infirmés,
Condamne la société [O] DG Mid Europe à payer à la société Son Lum Tion la somme de 96'750 € en réparation de son préjudice causé par la rupture brutale des relations commerciales établies ;
Dit qu'il appartient à la société Son Lum Tion de tenir à disposition de [O] les pièces détachées des produits [O] DG qu'elle détient encore ainsi que les Kit Starter mis à sa disposition, l'enlèvement ayant lieu aux frais de [O] DG Mid Europe ;
Y ajoutant,
Condamne la société [O] DG Mid Europe à payer à la société Son Lum Tion la somme de 5 000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société [O] DG Mid Europe aux dépens d'appel.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE