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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 13 mars 2024, n° 21/15034

PARIS

Arrêt

Autre

PARTIES

Demandeur :

La Fraiseraie de Sologne (EARL)

Défendeur :

Prosol (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bodard-Hermant

Conseillers :

Mme Depelley, M. Richaud

Avocats :

Me Assous, Me Cengiz-Pereira, Me Boccon Gibod, Me Mazet

T. com. Lyon, du 12 janv. 2021, n° 2019J…

12 janvier 2021

FAITS ET PROCEDURE

L'EARL La Fraiseraie de Sologne (ci-après, "l'EARL LFDS") est une exploitation agricole spécialisée dans la culture de fruits et légumes qui produit principalement des fraises qu'elle fournit à des groupes de la grande distribution et des grossistes locaux. Par jugement du 16 mars 2006, le tribunal de grande instance de Blois a adopté à son bénéfice un plan de redressement avec continuation d'une durée de 14 ans, plan aujourd'hui exécuté.

La SAS Prosol est spécialisée dans le commerce de gros de fruits et légumes et exploite les rayons fruits et légumes, poisson et crèmerie des magasins spécialisés à l'enseigne Grand Frais implantés en France et en Belgique.

L'EARL LFDS et la SAS Prosol ont entretenu des relations commerciales à compter de l'année 2014 sans les encadrer par un contrat écrit. Celles-ci, en croissance entre 2014 et 2015, se dégradaient néanmoins rapidement, la première imputant à la seconde, outre des retards de paiement réguliers et l'obtention d'avoir injustifiés, leur rupture brutale le 22 février 2016 et la mettant en demeure de les poursuivre par courrier du 10 mars 2016. Par lettres des 18 mars, 23 mai et 27 juillet 2016, la SAS Prosol, qui soulignait ne pas avoir sollicité les services de l'EARL LFDS pour la campagne 2016 à sa demande, affirmait sa volonté de continuer les relations commerciales et sollicitait la communication de ses conditions générales de vente.

Par courrier de son conseil du 14 septembre 2018, l'EARL LFDS mettait en demeure la SAS Prosol de lui payer la somme de 3 711 969,79 euros en réparation des préjudices causés par le non-respect du formalisme régissant le contrat d'achat de fraises et des délais de paiement légaux ainsi que par la rupture brutale des relations et par l'abus de dépendance économique dont elle a été victime.

Par lettre de son conseil du 29 novembre 2018, la SAS Prosol contestait toute faute et enjoignait l'EARL LFDS de cesser ses actes de dénigrement. 

C'est dans ces circonstances que l'EARL LFDS a, par acte d'huissier signifié le 11 avril 2019, assigné la SAS Prosol devant le tribunal de commerce de Lyon en indemnisation des préjudices causés par la rupture brutale des relations commerciales établies et par la violation de ses obligations légales et contractuelles.

Par jugement du 12 janvier 2021, le tribunal de commerce de Lyon a, avec exécution provisoire en toutes ses dispositions, statué en ces termes :

- "JUGE que la société LA FRAISERAIE DE SOLOGNE n'a pas communiqué ses conditions générales de vente en l'absence de demande formelle de la société PROSOL ;

- JUGE que les sociétés LA FRAISERAIE DE SOLOGNE et PROSOL se sont émancipées d'un commun accord des formalités imposées en matière d'achat de fruits et légumes ;

- DEBOUTE la société LA FRAISERAIE DE SOLOGNE de sa demande tendant à condamner la société PROSOL à lui payer la somme de 100 000 euros au titre du préjudice subi du fait de l'absence de formalisation écrite du contrat d'achat ;

- CONSTATE que les demandes d'avoir pour défaut de conformité formulées par la société PROSOL n'ont pas été imposées ;

- DEBOUTE la société LA FRAISERAIE DE SOLOGNE de sa demande tendant à condamner la société PROSOL à lui payer la somme de 100 000 euros au titre du préjudice subi par les demandes d'avoir litigieuses ;

- CONSTATE que la société PROSOL s'est acquittée du montant des factures dues avec un retard non conforme aux exigences en vigueur ;

- CONDAMNE la société PROSOL à payer à la société LA FRAISERAIE DE SOLOGNE les sommes de 180,99 euros à titre des pénalités de retard et 1 520 euros à titre d'indemnités forfaitaires et DEBOUTE la société LA FRAISERAIE DE SOLOGNE du surplus de ses demandes ;

- JUGE que la société PROSOL a rompu abusivement le contrat d'achat en l'absence de préavis ;

- DEBOUTE la société LA FRAISERAIE DE SOLOGNE de sa demande de condamnation de la société PROSOL au titre de l'indemnisation de la perte de marge brute subie du fait de la résiliation abusive du contrat d'achat à durée indéterminée, faute pour la société LA FRAISERAIE DE SOLOGNE d'avoir produit les éléments comptables et financiers demandés par le tribunal ;

- DIT que la rupture brutale de la relation commerciale liant la société LA FRAISERAIE DE SOLOGNE et la société PROSOL ne constitue pas une pratique restrictive de concurrence ;

- JUGE que les clauses déséquilibrées visées et reportées dans le contrat émis par la société PROSOL qui n'a jamais été signé ne constituent pas une tentative restrictive de concurrence ;

- JUGE que les demandes de rabais de la société PROSOL ne constituent pas une pratique restrictive de la concurrence ;

- JUGE que les retards de paiement ne constituent pas une pratique restrictive de la concurrence ;

- DEBOUTE la société LA FRAISERAIE DE SOLOGNE de sa demande de condamnation de la société PROSOL à lui payer la somme de 200 000 euros au titre du préjudice subi en raison des différentes pratiques restrictives de concurrence ;

- REJETTE la demande formée par la société PROSOL tendant à condamner la société LA FRAISERAIE DE SOLOGNE à la somme de 30 000 euros au titre des agissements de dénigrement ;

- REJETTE toutes autres demandes des parties".

Par déclaration reçue au greffe le 30 juillet 2021, l'EARL LFDS a interjeté appel de ce jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique 8 janvier 2024, l'EARL LFDS demande à la cour, au visa des articles L. 631-24, R. 631-12 et R. 631-14 du code rural et de la pêche maritime et L. 420-2, L. 441-6, L. 441-2-2, L. 442-6, L. 443-1 et L. 481-1 du code de commerce, de :

- réformer le jugement rendu le 12 janvier 2021 par le tribunal de commerce de Lyon ;

- constater que l'EARL LFDS est recevable en ses demandes ;

- débouter la SAS Prosol de l'ensemble de ses demandes ;

- sur la non-transmission des conditions générales de vente, constater que l'EARL LFDS n'était nullement tenue de communiquer ses conditions générales de vente à la date à laquelle la demande a été faite par la SAS Prosol ;

- sur l'absence de contrat écrit :

* constater que la SAS Prosol s'est émancipée fautivement des formalités imposées en matière d'achat de fruits et légumes ;

* condamner la SAS Prosol à verser la somme de 100 000 euros à l'EARL LFDS au titre du préjudice subi du fait de l'absence de formalisation écrite du contrat d'achat ;

- sur les avoirs pour défaut de conformité :

* constater que la SAS Prosol ne pouvait valablement procéder à des demandes d'avoir pour défaut de conformité ;

* condamner la SAS Prosol à verser la somme de 100 000 euros à l'EARL LFDS au titre du préjudice par les demandes d'avoir litigieuses ;

- sur le non-respect des délais de paiement :

* constater que la SAS Prosol s'est acquittée du montant des factures dues avec un retard non conforme aux exigences en vigueur ;

* condamner la SAS Prosol à verser à l'EARL LFDS les sommes de 2 233 639 euros au titre du préjudice lié aux retards de paiement légaux, 180,99 euros à titre des pénalités de retard et 1 520 euros à titre d'indemnités forfaitaires ;

- sur la rupture du contrat d'achat :

* constater que la SAS Prosol a rompu abusivement le contrat d'achat avant son terme ;

* condamner la SAS Prosol à reverser la somme de 493 438, 64 euros au titre de l'indemnisation de la perte de marge brute subie du fait de la résiliation abusive du contrat d'achat à durée déterminée ;

* condamner la SAS Prosol à reverser la somme de 66 379,93 euros au titre de l'indemnisation des investissements réalisés par l'EARL LFDS et non amortis ;

* condamner la SAS Prosol à reverser la somme de 10 000 euros au titre de l'indemnisation du préjudice moral subi par l'EARL LFDS du fait de la résiliation abusive du contrat d'achat à durée déterminée ;

- sur les pratiques restrictives de concurrence :

* constater que la rupture brutale et avant terme de la relation commerciale liant l'EARL LFDS et la SAS Prosol constitue une pratique restrictive de concurrence ;

* constater que les clauses déséquilibrées visées et reportées dans le contrat émis par la SAS Prosol constituent une tentative de pratique restrictive de concurrence ;

* constater que les demandes de rabais de la SAS Prosol constituent une pratique restrictive de concurrence ;

* constater que les retards de paiement de la SAS Prosol constituent une pratique restrictive de concurrence ;

* condamner la SAS Prosol à verser à l'EARL LFDS la somme de 200 000 euros au titre du préjudice subi en raison des différentes pratiques restrictives de concurrence ;

- sur les frais irrépétibles et les dépens :

* condamner la SAS Prosol à verser la somme de 10 000 euros à l'EARL LFDS au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

* condamner la SAS Prosol aux entiers dépens.

En réponse, dans ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 15 janvier 2024, la SAS Prosol demande à la cour, au visa des articles L. 631-24, R. 631-15 et R. 631-14 du code rural et de la pêche maritime, L. 420-2, L. 441-3 et L. 441-4 (anciens), L. 441-6 (ancien), L. 441-262, L. 442-6 (ancien), L. 443-1 (ancien), L. 442-1 (nouveau) et L. 441-9 (nouveau) du code de commerce, 1153 (ancien), 1231-6 (nouveau), 1256 (ancien) et 1342-10 (nouveau) du code civil et 700 du code de procédure civile :

- de confirmer le jugement en ce qu'il a :

* débouté l'EARL LFDS de sa demande tendant à condamner la SAS Prosol à lui payer la somme de 100 000 euros au titre du préjudice subi du fait de l'absence de formalisation écrite du contrat d'achat ;

* débouté l'EARL LFDS de sa demande tendant à condamner la SAS Prosol à lui payer la somme de 100 000 euros au titre du préjudice subi par les demandes d'avoir litigieuses ;

* débouté l'EARL LFDS de sa demande de condamnation de la SAS Prosol au titre de l'indemnisation de la perte de marge brute subie du fait de la résiliation abusive du contrat d'achat à durée indéterminée ;

* dit que la rupture brutale de la relation commerciale liant l'EARL LFDS et la SAS Prosol ne constitue pas une pratique restrictive de concurrence et ne méritait pas dès lors une indemnité au titre de l'article L. 442-1 du code de commerce ;

* jugé que les clauses déséquilibrées visées et reportées dans le contrat émis par la SAS Prosol qui n'a jamais été signé ne constituent pas une tentative de pratique restrictive de concurrence ;

* jugé que les demandes de rabais de la SAS Prosol ne constituent pas une pratique restrictive de concurrence ;

* jugé que les retards de paiement ne constituent pas une pratique restrictive de la concurrence ;

* débouté l'EARL LFDS de sa demande de condamnation de la SAS Prosol à lui payer la somme de 200 000 euros au titre du préjudice subi en raison des différentes pratiques restrictives de concurrence ;

- d'infirmer le jugement en ce qu'il a :

* condamné la SAS Prosol à payer à l'EARL LFDS les sommes de 180,99 euros à titre des pénalités de retard et de 1 520 euros à titre d'indemnités forfaitaires ;

* rejeté la demande formée par la SAS Prosol tendant à condamner l'EARL LFDS à la somme de 30 000 euros au titre des actes de dénigrement ;

- statuant à nouveau, de déclarer irrecevables les nouvelles demandes formulées en cause d'appel par l'EARL LFDS et tendant à obtenir la condamnation de la SAS Prosol à lui verser :

* la somme de 66 379,93 euros au titre de l'indemnisation des investissements réalisés par l'EARL LFDS et non amortis ;

* la somme de 10 000 euros au titre de l'indemnisation du préjudice moral subi par l'EARL LFDS du fait de la résiliation abusive du contrat d'achat à durée déterminée ;

* à défaut, débouter l'EARL LFDS de ces nouvelles demandes ;

- de débouter l'EARL LFDS de l'intégralité de ses demandes indemnitaires ;

- de condamner l'EARL LFDS à la somme de 30 000 euros au titre des agissements de dénigrement commis à l'encontre de la SAS Prosol ;

- en tout état de cause, de :

* condamner l'EARL LFDS à la somme de 36 336,58 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

* condamner l'EARL LFDS aux entiers dépens de la procédure.

Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions visées pour un exposé détaillé du litige et des moyens des parties.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 23 janvier 2024. Les parties ayant régulièrement constitué avocat, l'arrêt sera contradictoire en application de l'article 467 du code de procédure civile.

MOTIVATION

1°) Sur les demandes nouvelles

Moyens des parties,

Au soutien de sa fin de non-recevoir, la SAS Prosol expose que les demandes indemnitaires de l'EARL LFDS au titre des investissements non amortis et du préjudice moral sont nouvelles fautes d'avoir été présentées devant le tribunal de commerce. Cette dernière n'a pas spécialement répondu à ce moyen.

Réponse de la cour,

En application des articles 564 à 566 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait. Néanmoins, les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent, les parties ne pouvant ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.

S'il est exact que l'EARL LFDS n'avait pas sollicité en première instance l'indemnisation du préjudice spécifiquement né de la perte de ses investissements ainsi que de son préjudice moral, ces demandes sont explicitement rattachées à la réparation du préjudice globalement causé par la brutalité de la rupture. Elles poursuivent ainsi la même fin réparatrice que la demande indemnitaire initiale dont elles augmentent le montant sans en modifier le fondement et l'objectif. Elles ne sont de ce fait pas nouvelles.

En conséquence, la fin de non-recevoir opposée par la SAS Prosol sera rejetée.

2°) Sur le cumul des responsabilités délictuelle et contractuelle et le principe de la réparation intégrale

Moyens des parties,

La SAS Prosol soutient, au visa du principe de non-cumul des responsabilités, que la demande indemnitaire globale de l'EARL LFDS au titre des pratiques restrictives de concurrence a exactement le même objet que celles présentées au titre de la rupture abusive du contrat, des demandes d'avoir pour défaut de conformité et des retards de paiement, l'EARL LFDS ne précisant d'ailleurs pas en quoi les faits et préjudices allégués seraient distincts.

En réponse, l'EARL LFDS expose que ses prétentions au titre des inexécutions contractuelles et des pratiques restrictives de concurrence ont des objets et des fondements distincts et reposent sur des faits différents. Elle en déduit la possibilité de leur cumul.

Réponse de la cour,

En vertu des dispositions combinées des articles 1103, 1231-1 et 1240 (anciennement 1134, 1147 et 1382) du code civil, la responsabilité délictuelle ne peut pas régir les rapports contractuels entre les parties qui ne disposent ni d'une option entre ces deux régimes de responsabilité, l'existence d'une faute commise dans l'exécution d'un contrat imposant la mise en œuvre exclusive de la responsabilité contractuelle de son auteur qui à l'inverse ne régit pas les relations hors convention, ni d'une possibilité de cumul des actions dont les fondements sont juridiquement incompatibles.

Contrairement à ce que soutient la SAS Prosol, la sanction du cumul n'est pas le rejet des demandes complémentaires de même objet mais, la liste de l'article 122 du code de procédure civile n'étant pas limitative, leur irrecevabilité (en ce sens, illustrant une position ancienne et constante : Com. 4 décembre 2019, n° 17-20.032), le juge étant alors tenu en vertu des articles 12 et 16 du code de procédure civile de déterminer le régime de responsabilité applicable et de statuer en conséquence (en ce sens, Com., 25 septembre 2019, n° 18-11.112).

Par ailleurs, le principe de la réparation intégrale, qui limite la mesure de la réparation au préjudice effectivement subi, s'oppose à la double indemnisation d'un dommage unique, qu'il soit causé par des faits distincts ou par un fait unique susceptible de qualifications différentes. La sanction de sa violation est en revanche le rejet au fond de la demande complémentaire, l'identité de son objet traduisant un excès dans l'évaluation du préjudice réparable.

L'examen des moyens opposés par la SAS Prosol commande ainsi l'analyse concrète de chacune des demandes de l'EARL LFDS au titre des pratiques restrictives de concurrence et leur comparaison avec celles précédemment présentées au titre des responsabilités contractuelle et délictuelle.

A titre liminaire, la Cour constate que l'EARL LFDS invoque différentes pratiques restrictives mais sollicite une indemnisation forfaitaire, en violation du principe de la réparation intégrale, et globale, alors pourtant que chaque atteinte spécifique génère par nature un préjudice propre qui ne se confond pas avec celui causé par les autres. Cette présentation interdit toute corrélation entre le montant réclamé et chaque atteinte et rend en soi la demande indemnitaire l'EARL LFDS au titre des pratiques restrictives indéterminée et indéterminable pour chaque pratique au sens des articles 4, 5 et 16 du code de procédure civile.

Sur la rupture du contrat et des relations commerciales,

Les dispositions de l'article L. 442-6 I 5 du code de commerce consacrent un régime spécial de responsabilité de nature délictuelle exclusif de celui du droit commun fondé sur l'article 1382 (devenu 1240) du code civil (en ce sens, Com., 2 octobre 2019, n° 18 15.676) et ouvrent un droit à réparation du préjudice né de la brutalité de la rupture et non d'une inexécution contractuelle. Aussi, le principe de non-option et de non-cumul entre responsabilités contractuelle et délictuelle ne fait pas obstacle à la présentation d'une prétention additionnelle fondée sur ce texte et tendant à la réparation d'un préjudice résultant non pas d'un manquement contractuel mais de la rupture brutale d'une relation commerciale établie (en ce sens, Com., 10 avril 2019, n° 18 12.882, et Com., 24 octobre 2018, n° 17-25672).

L'EARL LFDS sollicite cumulativement :

- au titre de la "rupture abusive" du contrat (pages 57 et suivantes de ses écritures), la réparation d'un préjudice évalué en considération de la perte de sa marge brute sur coûts variables pendant la durée du préavis dont elle a été privée en mêlant, quoiqu'elle souligne le caractère délictuel de son action, des arguments relatifs à la résiliation anticipée des contrats à durée et déterminée et à la rupture brutale des relations commerciales, cadre concerné par la quasi exclusivité de ses citations jurisprudentielles. Elle poursuit la réparation de préjudices complémentaires (perte des investissements et préjudice moral) qu'elle enracine également dans la brutalité de la rupture ;

- au titre de la "rupture brutale des relations commerciales établies" (pages 65 et suivantes de ses écritures), l'indemnisation d'un préjudice dont elle ne précise pas la consistance et la nature et qu'elle évalue forfaitairement et globalement pour "l'ensemble des manquements à l'article L. 442-6 du code de commerce", la brutalité étant par ailleurs caractérisée dans les mêmes termes que l'abus.

Ainsi, quoiqu'il soit particulièrement mal défini dans un second temps, le préjudice allégué, consécutif à la brutalité de la rupture et non à la rupture elle-même, est systématiquement évalué par référence à un préavis éludé, notion propre au régime de la rupture brutale des relations commerciales établies et étrangère à la résiliation anticipée unilatérale du contrat et aux conditions d'engagement de la responsabilité contractuelle qui l'encadre, l'EARL LFDS admettant d'ailleurs dans les deux cas se situer exclusivement sur le terrain de la responsabilité délictuelle de la SAS Prosol. Les demandes, malgré un chiffrage distinct mais inexplicable de leur quantum, ont le même objet et tendent à la réparation d'un préjudice identique.

L'hypothèse n'est de ce fait pas tant celle d'un cumul d'actions aux fondements incompatibles que celle de la poursuite de la double indemnisation d'un même préjudice, peu important la différence artificielle de quantum. La sanction n'est pas l'irrecevabilité de la demande au titre des pratiques restrictives mais son rejet au fond, l'indemnisation additionnelle sollicitée heurtant de front le principe de la réparation intégrale.

Le jugement entrepris sera en conséquence confirmé en ce qu'il a rejeté la demande indemnitaire de l'EARL LFDS à ce titre.

Sur le déséquilibre significatif,

L'EARL LFDS invoque un "déséquilibre ressort[ant] de nombreux comportements, et notamment : les avoirs imposés arbitrairement à la société LFDS [et] le choix du prix d'achat et du délai de paiement par la société PROSOL, sous menace de ne pas effectuer de commande ou régler les factures échues" (page 68 de ses écritures). Elle oppose également l'imposition de relations commerciales sans contrat écrit et la faculté de résiliation unilatérale stipulée à l'article 9.2 du contrat transmis en 2016 mais non conclu.

Or, l'absence de formalisation d'un contrat écrit, la concession d'avoir pour défaut de conformité et le non-respect des délais de paiement font l'objet de demandes indemnitaires spécifiques sur le fondement de la responsabilité de la SAS Prosol, délictuelle dans le premier cas et contractuelle dans les deux autres peu important l'absence de précision de l'EARL LFDS sur ce point. Les faits générateurs et les préjudices sont, à l'exception de la prétention relative à l'article 9.2 du contrat communiqué en 2016, identiques quoiqu'ils soient distinctement, mais très artificiellement, qualifiés pour les premiers et chiffrés pour les seconds. A nouveau, l'hypothèse n'est pas celle d'un cumul des responsabilités mais correspond à la poursuite de la double indemnisation d'un préjudice unique, constat qui commande le rejet des demandes complémentaires de l'EARL LFDS.

Le jugement entrepris sera en conséquence confirmé sur ce point, le moyen tiré du déséquilibre significatif généré par l'article 9.2 du contrat remis en 2016 méritant en revanche un examen spécifique.

Sur les avoirs,

L'EARL LFDS invoque à titre de pratique restrictive de concurrence autonome participant de la constitution du même préjudice global la concession d'avoir, pourtant déjà intégrée dans la demande précédente et dans celle, spécifique, formée au titre de la responsabilité contractuelle. A nouveau, les faits, comme les préjudices, sont identiques, l'EARL LFDS tentant par ce biais d'obtenir une double indemnisation, constat qui emporte le rejet de sa demande complémentaire et la confirmation du jugement entrepris sur ce point également.

Sur les retards de paiement,

Ce raisonnement est intégralement transposable aux retards de paiement allégués qui sont déjà invoqués au titre de la responsabilité contractuelle de la SAS Prosol et du déséquilibre significatif au soutien d'une demande de réparation d'un préjudice unique en sa teneur malgré la variation inexpliquée de son montant.

Le jugement entrepris sera en conséquence confirmé en ce qu'il a rejeté l'intégralité des demandes de l'EARL LFDS au titre des pratiques restrictives de concurrence.

3°) Sur la formation et l'exécution du contrat

A titre liminaire, la Cour constate que l'EARL LFDS déduit de l'état de dépendance économique qu'elle allègue son incapacité à négocier avec la SAS Prosol ainsi qu'à consentir et à s'opposer à ses actes et pratiques, ce raisonnement irriguant toute son argumentation.

A ce titre, l'état de dépendance économique, pour l'essentiel défini pour les besoins de l'application de l'article L. 420-2 du code de commerce qui n'est pas en débat mais devant être apprécié de manière uniforme en tant que situation de fait servant ici, non de condition préalable mais d'élément d'appréciation d'un rapport de force économique et juridique, s'entend de l'impossibilité, pour une entreprise, de disposer d'une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations contractuelles qu'elle a nouées avec une autre entreprise (en ce sens, Com., 12 février 2013, n° 12-13.603). Son existence s'apprécie en tenant compte notamment de la notoriété de la marque du fournisseur, de l'importance de sa part dans le marché considéré et dans le chiffre d'affaires du revendeur, ainsi que de l'impossibilité pour ce dernier d'obtenir d'autres fournisseurs des produits équivalents (en ce sens, Com., 12 octobre 1993, n° 91-16988 et 91-17090). La possibilité de disposer d'une solution équivalente s'entend de celle, juridique mais aussi matérielle, pour l'entreprise de développer des relations contractuelles avec d'autres partenaires, de substituer à son donneur d'ordre un ou plusieurs autres donneurs d'ordre lui permettant de faire fonctionner son entreprise dans des conditions techniques et économiques comparables (Com., 23 octobre 2007, n° 06-14.981).

Ainsi que le soutient l'EARL LFDS, l'Autorité de la concurrence précisait dans sa décision n° 19-DCC-180 du 27 septembre 2019, dans le cadre d'une relation fournisseur/fabricant, qu'il existait un "seuil de menace" au-delà duquel la survie du second pouvait être remise en cause, la disparition d'un débouché le plaçant, à plus ou moins brève échéance, dans une situation financière difficile, pouvant parfois conduire à une faillite, et que le niveau de ce seuil n'était toutefois pas fixe et dépendait d'un grand nombre de paramètres spécifiques selon les secteurs concernés, la structure et la situation financière des entreprises, l'existence et le coût d'éventuelles solutions alternatives (§37, le seuil retenu pour le marché de l'approvisionnement dans le secteur de la distribution de détail à dominante alimentaire en Guyane qui comprenait cinq principaux acheteurs était de 22 %, taux identique à celui retenu par la Commission européenne dans sa décision du 25 janvier 2000, n° COM/M. 1684, Carrefour/Promodes). Quoique les situations soient différentes, ce seuil demeure un élément utile pour apprécier globalement le degré de dépendance économique de l'EARL LFDS.

Aux termes de l'attestation de l'expert-comptable de l'EARL LFDS (sa pièce 1), le chiffre d'affaires généré par la relation en 2014 et 2015 représentait respectivement 14,6 % et 49,04 % de son chiffre d'affaires global. Ces chiffres, qui expriment prima facie une dépendance économique forte sont à relativiser.

En effet, si la SAS Prosol est un acteur important très apprécié du consommateur français sur le marché de la distribution des produits frais (sa pièce 4), elle représente une part de marché mineure sur celui de la grande distribution (ses pièces 2 et 3). Elle n'apparaît ainsi pas objectivement comme un partenaire incontournable et difficilement remplaçable sur ce secteur. Elle ne l'est pas non plus subjectivement puisque l'EARL LFDS, qui a débuté son activité le 1er mars 2002 (pièce 5 de la SAS Prosol), a pu faire distribuer ou commercialiser directement ses produits sans recourir à son intermédiation pendant 12 ans, peu important ses difficultés économiques précoces auxquelles la SAS Prosol est étrangère. Aussi, elle était libre de s'engager dans une relation contractuelle et commerciale avec cette dernière dont rien ne démontre qu'elle ait exercé une contrainte quelconque lors de l'entrée en relation puis durant son exécution.

Elle disposait à son issue de possibilités variées de réorientation de son activité d'autant plus importante que la relation a été particulièrement brève (deux campagnes annuelles) et ne comportait ni exclusivité ni engagement de volume. Enfin, les investissements spécifiques allégués ont été immédiatement amortis et profitables (sa pièce 6) : la culture de fraises étant annuelle et non pérenne, l'achat d'intrants et de plants ne vaut que pour une campagne et doit être itéré l'année suivante, la plantation ayant lieu entre mai et octobre et les campagnes étant idéalement préparées en novembre et décembre de l'année précédente ainsi que le précise la SAS Prosol sans être contredite. De la même manière, le personnel de l'EARL LFDS étant composé pour l'essentiel d'intérimaires employés pour les besoins de la récolte de chaque campagne, aucun salarié dédié n'a été embauché de manière durable pour les besoins de la relation.

En pareilles circonstances, la dépendance économique de l'EARL LFDS résulte de ses propres choix et n'est pas subie, tant à raison de la structure du marché que du comportement de la SAS Prosol. Elle n'est pas de nature à caractériser per se l'impossibilité générale de négocier, consentir et refuser qu'allègue l'EARL LFDS.

a) Sur l'absence de contrat écrit

Moyens des parties,

Au soutien de son appel, l'EARL LFDS, qui précise exercer une activité de producteur et non de grossiste, expose que les articles L. 631-24 et R. 631-12 du code rural et de la pêche maritime, dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2018-9390 du 30 octobre 2018 qui n'a pas rétroagi, imposent l'établissement d'un contrat écrit entre producteurs et acheteurs pour l'achat de fruits et légumes destinés à la revente à l'état frais. Elle ajoute que l'absence de formalisation par écrit de leur relation contractuelle est imputable à la SAS Prosol qui ne démontre pas lui avoir remis un instrumentum en 2014 et qui n'explique pas en quoi la non-transmission de ses conditions générales de vente, qui n'avaient de surcroît pas été sollicitées avant la rupture du contrat au sens de l'article L. 441-6 du code de commerce, justifierait sa carence. Elle en déduit subir un préjudice qu'elle évalue à 100 000 euros.

En réponse, la SAS Prosol explique que la loi n° 2018-939 du 30 octobre 2018 a abrogé l'obligation de formaliser les relations par écrit pour les produits visés par le décret n° 2022-1668 du 26 décembre 2022, tels les fruits et légumes objet du litige. Elle en déduit qu'elle bénéficie de la rétroactivité in mitius et qu'aucune faute ne peut lui être imputée à ce titre. Elle expose par ailleurs avoir transmis un contrat écrit le 7 mai 2014 puis le 31 mai 2016 et s'être heurtée à l'inertie de l'EARL LFDS. Elle ajoute que cette dernière exerce une activité de grossiste et non de producteur au sens des articles R. 631-11 et L. 311-1 du code rural et de la pêche maritime, les fraises vendues ayant été très majoritairement acquises auprès de tiers. Subsidiairement, elle souligne l'inexistence du préjudice allégué.

Réponse de la cour,

En application de l'article L. 631-24 du code rural et de la pêche maritime, la conclusion de contrats de vente écrits entre producteurs et acheteurs, ou entre opérateurs économiques mentionnés au premier alinéa de l'article L. 551-1, propriétaires de la marchandise, et acheteurs, peut être rendue obligatoire par accord interprofessionnel étendu ou homologué ou par décret en Conseil d'Etat pour les produits agricoles destinés à la revente ou à la transformation (I), leur conclusion devant alors être précédée d'une proposition écrite de l'acheteur conforme aux stipulations de l'accord interprofessionnel étendu ou homologué ou aux dispositions du décret en Conseil d'Etat (II). Ces dispositions d'ordre public s'appliquent aux ventes de produits agricoles livrés sur le territoire français, quelle que soit la loi applicable au contrat (III).

Et, conformément à l'article R. 631-12 du code rural et de la pêche maritime pris pour l'application du texte précédent, l'achat de fruits et légumes destinés à la revente à l'état frais, lorsque ces fruits et légumes, quelle que soit leur origine, sont livrés sur le territoire français, fait l'objet de contrats écrits entre producteurs et acheteurs, l'article R. 631-13 du même code imposant, préalablement à la conclusion du contrat, la rédaction d'une proposition écrite de l'acheteur conforme aux dispositions de l'article R. 631-14 du même code.

L'article L. 631-24 a été modifié par la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 qui a supprimé l'obligation d'une formalisation du contrat par écrit (article 1) tandis que l'article R. 631-12 a été abrogé par le décret n° 2019-310 du 11 avril 2019, le décret n° 2022-1668 du 26 décembre 2022 ayant créé l'article R. 631-6-1 du code de commerce qui rend explicitement facultative la rédaction d'un contrat écrit pour les fruits et légumes.

Par ailleurs, en vertu des dispositions des articles 1382 et 1383 (devenus 1240 et 1241) du code civil, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer, chacun étant responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.

L'EARL LFDS déduit de l'absence de transmission d'une proposition écrite de l'acheteur un préjudice qu'elle décrit en ces termes (page 39 de ses écritures) :

Cette faute a directement causé un préjudice à l'appelante, qui s'est trouvé dans une relation de dépendance, précaire et dénuée de toute visibilité.

Cette faute s'est renouvelée en 2015, aggravant les préjudices infligés à l'appelante.

En conséquence, il est demandé à la cour de condamner la société PROSOL à verser à la société LA FRAISERAIE DE SOLOGNE la somme de 100.000 euros au titre des dommages et intérêts pour manquement à son obligation légale de contractualisation formalisée de sa relation commerciale avec la société LFDS.

Ce faisant, elle ne précise ni la nature patrimoniale ou morale du préjudice qu'elle allègue, ni ses modalités d'évaluation. Et, alors qu'elle ne prouve pas avoir été dans l'impossibilité de négocier les conditions économiques et juridiques des relations commerciales et que leur rupture, ainsi qu'il sera dit infra, n'est pas imputable à la SAS Prosol, elle n'explique pas en quoi l'absence d'écrit, qu'elle n'a dénoncé que tardivement et dont elle est aussi responsable que son cocontractant ainsi que l'a justement relevé le tribunal, serait de nature à "précariser" la relation ou à accroitre sa dépendance, rien ne permettant de comprendre l'impact concret de l'inexistence d'un écrit sur son activité et sur son choix de contracter. Elle ne justifie ainsi d'aucun préjudice réparable en lien avec la faute qu'elle oppose.

Dès lors, sans qu'il soit utile de trancher le débat qui anime les parties sur les conséquences de l'abrogation de l'obligation de formaliser un contrat écrit et sur l'activité de producteur ou de grossiste de l'EARL LFDS, sa demande indemnitaire doit être rejetée et le jugement sera confirmé sur ce point, le préjudice allégué n'étant quoi qu'il en soit prouvé ni en son principe ni en sa mesure.

b) Sur les inexécutions contractuelles

En application de l'article 9 de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 fixant son entrée en vigueur au 1er octobre 2016 et prévoyant que les contrats conclus avant cette date demeurent soumis à la loi ancienne, y compris pour leurs effets légaux et pour les dispositions d'ordre public, le contrat tacitement conclu en mai 2014 est soumis aux dispositions antérieures.

Conformément à l'article 1134 du code civil (devenu 1103 et 1194), les conventions légalement formées, qui tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ou pour les causes que la loi autorise, doivent être exécutées de bonne foi. Et, en vertu des dispositions des articles 1147, 1149 et 1150 du code civil (devenus 1231-1 à 3), le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part, les dommages et intérêts dus au créancier étant, en général, de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé et le débiteur n'étant tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qu'on a pu prévoir lors du contrat, lorsque ce n'est point par son dol que l'obligation n'est point exécutée.

Sur les avoir,

Moyens des parties

Au soutien de son appel, l'EARL LFDS expose au visa de l'article L. 441-2-2 du code de commerce que, à défaut de contrat écrit, toute émission d'avoir devait satisfaire les exigences de l'accord interprofessionnel Interfel sur les réfactions tarifaires qui imposait cumulativement sa prévision dans un document contractuel, la justification de la non-conformité la fondant par un relevé d'opération de vérification ou d'agréage des produits réalisé et notifié dans un délai ne pouvant excéder 24 heures suivant la livraison ainsi que la transmission de la demande de réfaction au fournisseur dans un délai ne pouvant excéder deux jours ouvrés suivant la livraison des marchandises commandées. Elle en déduit qu'en l'absence de document contractuel, la SAS Prosol était tenue d'accepter les marchandises ou de les refuser, tout rabais n'étant concevable qu'en contemplation d'une non-conformité dument constatée, la carence de la SAS Prosol sur ce point étant d'autant plus décisive qu'elle ne pouvait s'opposer à ses réclamations à raison de sa situation de dépendance économique. Elle précise que son préjudice, qu'elle évalue à 100 000 euros, réside dans son manque à gagner qui a eu d'importantes conséquences sur sa trésorerie

En réponse, la SAS Prosol explique que l'EARL LFDS n'a pas respecté son obligation de livrer des produits conformes aux prescriptions du règlement UE n° 543/2011 du 7 juin 2011 et que ces non-conformités, qui auraient pu fonder le retour des produits, ont fait l'objet, pour un montant total de 9 630 euros, d'avoir précisant leur cause, solution favorable à l'EARL LFDS qui n'a jamais contesté leur principe ou leur mesure. Elle ajoute que le préjudice allégué, évalué forfaitairement et non motivé, n'est pas étayé en son principe et sa mesure.

Réponse de la cour

En application de l'article L. 441-2-2 du code de commerce dans sa version applicable aux faits, par dérogation aux dispositions de l'article L. 441-2-1, un acheteur, un distributeur ou un prestataire de services ne peut bénéficier de remises, rabais et ristournes pour l'achat de fruits et légumes frais. Un acheteur, un distributeur ou un prestataire de services peut toutefois bénéficier de réfactions tarifaires résultant d'une non-conformité, qualitative ou quantitative, du produit livré à la commande si un accord, conclu par une organisation interprofessionnelle reconnue dans les conditions prévues à l'article L. 632-1 du code rural et de la pêche maritime, en a précisé les conditions. Cet accord peut être étendu conformément aux articles L. 632-3 et L.632-4 du même code.

Aux termes de son article 3 l'accord interprofessionnel sur les réfactions tarifaires du 30 mai 2017 (pièce 43 de l'EARL LFDS) a été conclu pour une durée de trois ans à compter du 22 mai 2017. Il n'est ainsi pas applicable aux relations litigieuses. Les parties n'évoquent ni ne produisent l'accord antérieur du 21 mai 2014, constate cependant sans conséquence puisque les conditions qu'il prévoyait étaient identiques à celle de l'accord versé au débat (nécessité d'une prévision contractuelle et d'une demande accompagnée du relevé de l'opération de vérification ou d'agréage des produits) et qu'elles n'ont pas été respectées par la SAS Prosol.

Aussi, les avoirs accordés à l'EARL LFDS pour un montant total prouvé de 9 630 euros (ses pièces 11 et 36 à 42) étaient, peu important l'absence de contestation contemporaine de leur obtention, légalement proscrits. En outre, les non-conformités opposées par celle-ci ne sont pas prouvées, les courriels produits émanant d'elle et ne comportant aucun élément permettant d'étayer et d'objectiver les défauts dénoncés en termes subjectifs (ses pièces 10, 11 et 26 : "trop avancée en maturité", "vraiment pas top") tandis que l'unique photographie jointe est inexploitable à raison de sa piètre qualité. Les avoirs litigieux ne sont dès lors pas causés.

En conséquence, le jugement sera infirmé en ce qu'il a rejeté la demande de l'EARL LFDS à ce titre et la SAS Prosol sera condamnée à lui payer la somme de 9 630 euros au titre des avoirs injustifiés.

En revanche, rien n'établit un préjudice distinct en lien causal avec la faute de la SAS Prosol, l'EARL LFDS n'explicitant pas la consistance du préjudice qu'elle évalue forfaitairement à 100 000 euros, le montant des avoirs consentis, qui représentent 4 % du chiffre d'affaires dégagé sur l'exercice correspondant, étant particulièrement faible et n'ayant pu avoir aucune incidence tangible sur la trésorerie de l'EARL LFDS, déjà en difficulté pour d'autres causes depuis 2006 au moins.

Sur les retards de paiement,

Moyens des parties,

L'EARL LFDS soutient que la SAS Prosol, à qui incombait la charge de solliciter la transmission des factures et qui ne peut désormais lui imputer des retards dans leur émission qui est quoi qu'il en soit indifférent au point de départ du délai de paiement, a réglé ces dernières avec un retard de 20 jours en moyenne au regard des prescriptions de l'article L. 443-1 du code de commerce. Elle ajoute avoir été contrainte, à raison de son état de dépendance économique, de rééditer ses factures à la demande de la SAS Prosol qui conditionnait ses paiements à l'intégration des avoirs qu'elle réclamait. Elle précise que ces retards, dont le caractère systématique révèle la mauvaise foi de la SAS Prosol, lui ont causé un dommage d'autant plus important que ses difficultés de trésorerie avaient été portées à sa connaissance dès le 25 juin 2015, son préjudice résidant ainsi dans l'impossibilité de payer ses intérimaires qui ont déserté son exploitation en juillet 2015, de récolter les fraises en 2015, d'en planter pour les campagnes 2016 et 2017 et, corrélativement, de vendre sa production ainsi que d'honorer les annuités du plan de redressement. Elle indique enfin que ces retards ouvrent droit au paiement des pénalités de retard (180,99 euros) et de l'indemnité forfaitaire prévue par les articles L. 441-6 et D. 441-5 du code de commerce (1 520 euros pour 38 factures).

En réponse, la SAS Prosol explique que l'EARL LFDS, qui encaissait les règlements avec des délais anormalement longs, a systématiquement émis ses factures avec retard en violation de l'article L. 441-3 du code de commerce, celles-ci comportant en outre des erreurs imposant leur réédition et portant parfois sur des fraises non-conformes. Contestant les imputations opérées par l'EARL LFDS et les calculs des délais de paiement, elle souligne sa bonne foi et son ignorance des difficultés de trésorerie de son fournisseur jusqu'en juillet 2015, date d'un virement de plus de 70 000 euros effectué en urgence à titre d'acompte pour le soutenir, et en déduit que, conformément à l'article 1153 (devenu 1231-6) du code civil, elle ne peut être tenue qu'au paiement des intérêts moratoires de la créance et non à la réparation de tout autre préjudice. Subsidiairement, elle précise que les préjudices distincts de celui né du retard dans les paiements allégués par l'EARL LFDS ne sont prouvés ni en leur principe ni en leur mesure.

Réponse de la cour,

Conformément à l'article 1153 (devenu 1231-6) du code civil, dans les obligations qui se bornent au paiement d'une certaine somme, les dommages-intérêts résultant du retard dans l'exécution ne consistent jamais que dans la condamnation aux intérêts au taux légal, sauf les règles particulières au commerce et au cautionnement. Ces dommages et intérêts sont dus sans que le créancier soit tenu de justifier d'aucune perte. Ils ne sont dus que du jour de la sommation de payer, ou d'un autre acte équivalent telle une lettre missive s'il en ressort une interpellation suffisante, excepté dans le cas où la loi les fait courir de plein droit. Le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts des intérêts moratoires de la créance.

Et, en vertu de l'article L. 443-1 1° du code de commerce dans sa rédaction applicable aux faits, le délai de paiement, par tout producteur, revendeur ou prestataire de services, ne peut être supérieur à trente jours après la fin de la décade de livraison pour les achats de produits alimentaires périssables et de viandes congelées ou surgelées, de poissons surgelés, de plats cuisinés et de conserves fabriqués à partir de produits alimentaires périssables, à l'exception des achats de produits saisonniers effectués dans le cadre de contrats dits de culture visés aux articles L. 326-1 à L. 326-3 du code rural et de la pêche maritime.

C'est par de justes motifs que la Cour adopte que le tribunal a retenu que :

- les retards de paiement, reconnus par la SAS Prosol à hauteur de 12 jours en moyenne au regard des règles d'imputation des paiements de l'article 1256 (ancien) du code civil (pièce 44 de l'EARL LFDS), étaient prouvés mais que les échéances concernées étaient toutes postérieures à l'exigibilité des dividendes du plan de continuation dont bénéficiait l'EARL LFDS (ses pièces 12 à 22) et dont l'exécution n'a ainsi pas été affectée par la faute de la SAS Prosol ;

- cette dernière était débitrice des intérêts de retard à hauteur de 180,99 euros au regard du décompte de l'EARL LFDS (sa pièce 10) non utilement contesté par la SAS Prosol, ainsi que d'une indemnité forfaitaire globale de 1 520 euros (soit 40 euros x 38 factures) sur le fondement des articles L. 441-6 et D. 441-5 du code de commerce dans leur version applicable aux faits, la SAS Prosol ne critiquant pas l'exactitude de ces calculs ;

- l'EARL LFDS n'a alerté la SAS Prosol sur ses difficultés de trésorerie qu'au début de l'été 2015 (pièce 12 de l'EARL LFDS), et que cette dernière a immédiatement réglé un acompte de 75 000 euros le 7 juillet 2015 pour soutenir son partenaire (pièce 11 de la SAS Prosol) ;

- la mauvaise foi imputée à la SAS Prosol n'était ainsi pas caractérisée, l'EARL LFDS ayant par ailleurs commis des erreurs de facturation et ayant tardé à encaisser certains paiements, et qu'aucune indemnisation distincte des intérêts moratoires de la créance n'était due ;

- les préjudices distincts du retard dans le paiement (impossibilité de régler les intérimaires, de récolter des fraises en 2015 et les années suivantes puis de vendre la production, d'honorer les annuités du plan) n'étaient quoi qu’il n’en soit pas prouvés et étaient sans lien causal avec la faute de la SAS Prosol.

En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.

4°) Sur la rupture du contrat et des relations commerciales

Moyens des parties,

Au soutien de sa demande, l'EARL LFDS expose que, conformément à l'article R 634-14 du code rural et de la pêche maritime, le contrat conclu en mai 2014 avait une durée déterminée de trois ans et ne pouvait être rompu sans respecter un préavis minimal de quatre mois. S'appuyant sur sa dépendance économique, la notoriété de la SAS Prosol et l'impossibilité, de trouver un partenaire équivalent, la croissance du volume d'affaires, le déséquilibre du rapport de force entre agriculteurs et distributeurs, "la sensibilité du secteur de production de fruits et légumes", le caractère saisonnier de la culture des fraises ainsi que la réalisation d'investissements spécifiques non amortis pour les besoins de la relation, elle estime que la rupture intervenue en juin 2016 était brutale et que le préavis éludé était de 15 mois, son préjudice résidant dans sa perte de marge brute sur cette période pondérée par l'application du taux de progression du chiffre d'affaires entre 2014 et 2015, dans le montant des investissements réalisés en pure perte (66 379,93 euros) et dans son préjudice moral (10 000 euros).

En réponse, la SAS Prosol soutient que l'EARL LFDS est à l'origine de l'interruption du flux d'affaires à compter de juillet 2015 et est seule responsable de l'impossibilité de poursuivre la relation puisqu'elle a refusé la transmission de ses conditions générales de vente et a conditionné la reprise des commandes à des exigences financières excessives. Subsidiairement, elle conteste le caractère établi des relations commerciales, les commandes étant ponctuelles sur deux campagnes et le refus de signer un contrat opposé par l'EARL LFDS ayant inévitablement précarisé la relation. Elle conteste enfin la réalité des préjudices allégués en soulignant que l'EARL LFDS est seule à l'origine de l'insuffisance de sa trésorerie et en précisant qu'elle ne peut se prévaloir d'un contrat de trois ans, que le préavis suffisant ne peut excéder deux mois et que le calcul de sa marge brute est erroné et injustifié

Réponse de la cour,

Conformément aux articles 12 et 16 du code de procédure civile, le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables et doit donner ou restituer dans le respect du principe de la contradiction leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée.

Ainsi qu'il a été dit, bien qu'elle évoque une rupture abusive du contrat, l'EARL LFDS invoque exclusivement le bénéfice des dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce dans sa version applicable aux faits. En effet, malgré sa référence à la durée déterminée du contrat, elle ne sollicite pas l'indemnisation du préjudice né de sa rupture et le paiement des sommes qui lui auraient été dues en cas d'exécution jusqu'à son terme mais le versement du montant de la marge sur coûts variables dont elle a été privée pendant l'exécution du préavis qui aurait dû lui être accordé et qui est déterminé en considération des caractéristiques économiques de la relation, soit les critères de mise en œuvre de l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce qui sont d'ailleurs exclusivement éclairés par des décisions de justice et des avis doctrinaux propres à cette matière. C'est ainsi sous ce seul angle que la SAS Prosol a déployé ses moyens de défense.

En conséquence, cette demande sera examinée par référence à ces dispositions et non en vertu des articles 1134, 1147, 1149, 1150 et 1184 du code civil dans leur version antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

En application de l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce dans sa version applicable au litige, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'économie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.

Au sens de ce texte, la relation, notion propre du droit des pratiques restrictives de concurrence qui n'implique aucun contrat (en ce sens, Com., 9 mars 2010, n° 09-10.216) et n'est soumise à aucun formalisme quoiqu'une convention ou une succession d'accords poursuivant un objectif commun puisse la caractériser, peut se satisfaire d'un simple courant d'affaires, sa nature commerciale étant entendue plus largement que la commercialité des articles L.110-1 et suivants du code de commerce comme la fourniture d'un produit ou d'une prestation de service (en ce sens, Com., 23 avril 2003, n° 01-11.664). Elle est établie dès lors qu'elle présente un caractère suivi, stable et habituel laissant entendre à la victime de la rupture qu'elle pouvait raisonnablement anticiper, pour l'avenir, une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial (en ce sens, Com., 15 septembre 2009, n° 08-19.200 qui évoque "la régularité, le caractère significatif et la stabilité de la relation commerciale").

L'article L. 442-6 I 5° du code de commerce sanctionne non la rupture, qui doit néanmoins être imputable à l'agent économique à qui elle est reprochée, mais sa brutalité qui résulte de l'absence de préavis écrit ou de préavis suffisant. Ce dernier, qui s'apprécie au moment de la notification de la rupture, doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser, soit pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une solution de remplacement. Les critères pertinents sont notamment l'ancienneté des relations et les usages commerciaux, le degré de dépendance économique, le volume d'affaires réalisé, la progression du chiffre d'affaires, les investissements effectués, l'éventuelle exclusivité des relations et la spécificité du marché et des produits et services en cause ainsi que tout obstacle économique ou juridique à la reconversion. La rupture peut être totale ou partielle, la relation commerciale devant dans ce dernier cas être modifiée substantiellement (en ce sens, Com. 31 mars 2016, n° 14-11.329 ; Com 20 novembre 2019, n° 18-11.966, qui précise qu'une modification contractuelle négociable et non imposée n'est pas la marque d'une rupture partielle brutale).

Tout en soulignant l'indifférence de la notion de relations commerciales à l'endroit de la formalisation écrite d'un contrat les encadrant, l'EARL LFDS déduit notamment leur caractère établi des prescriptions de l'article R. 631-14 du code rural et de la pêche maritime prévoyant une durée minimale de trois ans pour les contrats portant sur l'achat de fruits et légumes destinés à la revente à l'état frais ainsi que de la croissance du chiffre d'affaires entre 2014 et 2015.

Cependant, l'absence de conclusion d'un contrat écrit, qui n'est pas plus imputable à la SAS Prosol qu'à l'EARL LFDS, l'obligation de la première d'émettre une proposition écrite préalable ne la rendant pas de jure responsable des conditions ultérieures de formalisation de la convention, exclut l'invocation du bénéfice de l'article R. 631-14 du code rural et de la pêche maritime, y compris comme élément d'appréciation des projections légitimes de l'EARL LFDS qui ne démontre aucun usage consacré par ce texte qui n'institue aucun contrat-type s'appliquant en l'absence de prévisions spéciales des parties. Surtout, le caractère établi des relations doit être apprécié en considération des données économiques du flux d'affaires entre les parties.

A cet égard, la relation a débuté en mai 2014 et s'est achevée en février 2016 et a duré moins de deux ans. Elle n'a porté que sur deux campagnes de trois mois, ne comportait ni exclusivité ni engagement de volume et n'a impliqué, ainsi qu'il a été dit, aucun investissement spécifique supporté par l'EARL LFDS. Aussi, tandis que ces éléments révèlent que la relation était brève et ponctuelle, la seule augmentation du chiffre d'affaires dégagé entre 2014 et 2015, en grande partie liée à la faiblesse des commandes de 2014, est très insuffisant pour prouver son caractère établi.

En outre, l'échange de courriels du 22 février 2016, qui correspond selon l'EARL LFDS à la notification de la rupture des relations commerciales par la SAS Prosol, n'a ni la teneur ni la portée qu'elle lui prête (pièce 12 de la SAS Prosol). Si son auteur indique à l'EARL LFDS que la SAS Prosol n'entend pas avoir recours à ses services pour l'année 2016, il précise aussitôt que cette décision est motivée par le souhait de cette dernière, incapable de payer les frais de transport et ses intérimaires, de mettre un terme aux relations. Et, manifestant sa bonne foi et son désir de passer outre le revirement de son cocontractant ou leur incompréhension mutuelle sur le devenir des relations, la SAS Prosol a souligné à trois reprises dans ses courriers et courriels des 18 mars, 23 mai et 27 juillet 2016 (ses pièces 14, 16 et 17) son accord pour leur poursuite qui était encore possible jusqu'en mai 2016 pour l'année en cours en considération de la date de plantation, ce que confirme celle du commencement des relations en mai 2014. Or, par-delà l'agressivité du ton employé par le gérant de l'EARL LFDS, celle-ci a d'initiative conditionné la continuation des relations à la conclusion d'un contrat à durée déterminée de 5 ans et au paiement d'une somme de 150 000 euros indemnisant des préjudices qui n'étaient pas explicités (pièce 16 de la SAS Prosol déjà citée), nouvelles modalités que la SAS Prosol était libre de refuser. En ce sens, la rupture n'est pas imputable à cette dernière mais à l'EARL LFDS.

En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé par ces motifs substitués en ce qu'il a rejeté les demandes de l'EARL LFDS au titre de la rupture brutale et abusive des relations commerciales.

5°) Sur le déséquilibre significatif

Moyens des parties,

Au soutien de ses prétentions, l'EARL LFDS expose qu'elle s'est vu imposer des relations sans contrat ainsi que des avoirs, des prix d'achat et des délais de paiement sans possibilité de négocier, pratiques qui crée un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties. Elle ajoute que l'article 9.2 du contrat transmis par la SAS Prosol en 2016 stipule une faculté de résiliation unilatérale sans contrepartie et en déduit une tentative de soumission à des obligations créant un déséquilibre significatif.

En réponse, la SAS Prosol explique que l'EARL LFDS, qui a refusé de signer le contrat transmis, ne prouve ni soumission (ou sa tentative) ni déséquilibre significatif, ce dernier étant conforme aux prescriptions des articles R. 631-12 et suivants du code rural et de la pêche maritime et la faculté de résiliation unilatérale étant strictement encadrée.

Réponse de la cour,

Aux termes de l'article L. 442-6 I 2° du code de commerce dans sa version applicable aux faits litigieux, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.

La caractérisation de cette pratique restrictive suppose ainsi la réunion de deux éléments : d'une part la soumission à des obligations, ou sa tentative, et d'autre part l'existence d'obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.

La soumission, ou sa tentative, implique la démonstration par tous moyens par l'EARL LFDS, conformément à l'article 9 du code de procédure civile, de l'absence de négociation effective, ou de sa possibilité, des clauses ou obligations incriminées. Celle-ci, qui peut notamment être caractérisée par l'usage de menaces ou de mesures de rétorsion visant à forcer l'acceptation, ne peut se déduire de la seule structure d'ensemble du marché de la grande distribution, qui peut néanmoins constituer un indice de l'existence d'un rapport de forces déséquilibré se prêtant difficilement à des négociations véritables entre distributeurs et fournisseurs (en ce sens, Com. 20 novembre 2019, n° 18-12.823). L'appréciation de cette première condition est ainsi réalisée en considération du contexte matériel et économique de la conclusion proposée ou effective, l'insertion de clauses dans une convention type ou un contrat d'adhésion ou les conditions concrètes de souscription (en ce sens, Com. 6 avril 2022, n° 20-20.887) pouvant constituer des critères pertinents de la soumission ou de sa tentative. Si l'analyse de la contrepartie participe prioritairement de l'appréciation du déséquilibre significatif, celle de son existence, plutôt que de sa suffisance, demeure utile pour caractériser une éventuelle soumission ou tentative de soumission en ce que l'absence d'avantage attendu par le cocontractant ou de réciprocité des obligations est de nature à éclairer subjectivement, à raison de la dimension purement unilatérale de la démarche, une volonté d'assujettissement.

Et, l'appréciation du déséquilibre significatif, qui peut être économique comme juridique, est globale, au regard de l'économie du contrat, et concrète. L'article L. 442-6 I 2° du code de commerce autorise, non une fixation, mais un contrôle judiciaire du prix, dès lors que celui-ci ne résulte pas d'une libre négociation et caractérise un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties (en ce sens, Com., 25 janvier 2017, n° 15-23.547, et Cconst. 30 novembre 2018, n° 2018-749 QPC). L'existence d'obligations créant un déséquilibre significatif peut notamment se déduire d'une absence totale de réciprocité ou de contrepartie à une obligation, ou encore d'une disproportion importante entre les obligations respectives des parties, les effets des pratiques n'ayant en revanche pas à être pris en compte ou recherchés (en ce sens, Com., 3 mars 2015, n° 14-10.907). En l'absence de toute présomption légale, la preuve du déséquilibre significatif incombe à l'appelante, tandis que celle d'un éventuel rééquilibrage du contrat par une ou plusieurs autres clauses repose sur l'intimée.

Ainsi qu'il a été dit, seul le déséquilibre significatif susceptible d'être généré par l'article 9.2 de la convention transmise en 2016 mérite examen. Les différentes inexécutions contractuelles par ailleurs invoquées en doublon ne peuvent quoi qu'il en soit caractériser une telle pratique restrictive : l'article L. 442-6 I 2° du code de commerce vise la soumission à une obligation, soit classiquement le lien de droit par lequel le débiteur est tenu d'une prestation, dans le cadre d'un partenariat commercial, une relation entre parties s'engageant, ou s'apprêtant à s'engager, dans une relation commerciale (en ce sens, avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 ayant remplacé l'expression "partenaire commercial" par le terme "partie", Com. 15 janv. 2020, n° 18-10.512) et ne porte ainsi que sur les obligations susceptibles de négociation dans un processus contractuel et non sur des faits juridiques ne générant pas d'obligations au sens désormais de l'article 1100 du code civil et qui sont soustraits par hypothèse à toute discussion des parties et sanctionnés par la mise en œuvre de la responsabilité contractuelle, ou le cas échéant délictuelle, de droit commun de leur auteur.

L'article 9.2 du contrat communiqué en 2016 est ainsi rédigé :

Le présent contrat peut également être résilié de plein droit par l'Acheteur, avec effet immédiat, par lettre recommandée avec accusé de réception sans autre formalité, et sans préjudice de son droit à réparation, en cas de non-respect des dispositions des articles 2 et 5 ci-dessus [relatifs aux caractéristiques des produits, à leur labellisation, à leur qualité et à leur conformité].

L'EARL LFDS, qui se contente sur ce point d'évoquer sa dépendance économique, n'explique pas en quoi, alors qu'elle a par ailleurs refusé de signer le contrat litigieux, elle était dans l'impossibilité d'en négocier librement les termes. Elle ne démontre ainsi aucune soumission ou tentative de soumission.

Par ailleurs, elle ne prouve pas que l'asymétrie de l'article 9.2 du contrat, dont les modalités de mise en œuvre sont strictement encadrées au fond, les cas de résiliation unilatérale correspondant à des fautes d'une gravité certaine se rapportant à l'obligation essentielle du vendeur de fournir des produits commercialisables, et en la forme, une notification préalable étant obligatoire, génèrerait un déséquilibre qui serait de surcroît significatif, celui-ci devant être apprécié globalement, non seulement en considération des clauses du contrat et de son économie générale, mais également à l'aune des facultés offertes par le droit commun des obligations qui a vocation à régir leurs rapports, soit dans le silence des conventions, soit par dérogation à leurs prévisions, "les droits et obligations des parties" au sens de l'article L. 442-6 I 2° du code de commerce, qui sont évoqués en toute généralité et n'ont pour support nécessaire qu'une relation commerciale, devant être appréciés dans le contexte normatif qu'ils reproduisent ou modifient.

Enfin, il est constant que la clause de résiliation unilatérale querellée n'a jamais été appliquée, le contrat qui est en le support n'ayant pas été conclu. Sa seule stipulation n'a pu causer à l'EARL LFDS, qui ne précise d'ailleurs pas la nature et la consistance du dommage qu'elle allègue sans l'étayer, aucun préjudice indemnisable.

En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande indemnitaire de l'EARL LFDS au titre du déséquilibre significatif.

6°) Sur les actes de dénigrement

Moyens des parties,

Au soutien de sa demande reconventionnelle, la SAS Prosol expose que, pour la discréditer et l'inciter à se plier à ses demandes, l'EARL LFDS a jeté l'opprobre sur les pratiques de l'enseigne Prosol en les comparant à celles des enseignes de la grande distribution, son gérant ayant ainsi organisé une manifestation sur le parking d'un magasin Grand Frais pour dissuader les clients de s'y rendre et en dénonçant dans La Nouvelle République du 26 mars 2016 et dans son blog hébergé par le journal en ligne Mediapart des délais de paiement à 80 jours ainsi que leurs conséquences sur le règlement des échéances de son plan de redressement. Elle conteste toute contribution à un débat d'intérêt général, l'EARL LFDS étant exclusivement animée d'une intention de nuire.

En réponse, l'EARL LFDS expose que son gérant n'a pas écrit l'article paru le 26 mars 2016 sur le site de La Nouvelle République qui, se contentant d'évoquer objectivement et sans animosité des retards de paiement et leurs conséquences économiques, ne contient aucun propos dénigrant. Il indique que l'article publié sur son blog chez Mediapart, qui n'a aucun lecteur, évoque les pratiques de la grande distribution et s'inscrit de ce fait dans un débat d'intérêt général.

Réponse de la cour,

En vertu des dispositions des articles 1240 et 1241 (anciennement 1382 et 1383) du code civil, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer, chacun étant responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.

Les abus de la liberté d'expression ne peuvent être sanctionnés que sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881, loi spéciale, sauf dénigrement de produits et services entendu comme l'atteinte portée à un concurrent à travers le discrédit jeté sur ses produits ou services (voir en ce sens en dernier lieu, Cour de cassation, chambre commerciale, 26 septembre 2018, n° 17-15502 : "hors restriction légalement prévue, la liberté d'expression est un droit dont l'exercice, sauf dénigrement de produits ou services, ne peut être contesté sur le fondement de l'article 1382, devenu 1240, du code civil"). La Cour de cassation a par ailleurs précisé que, même en l'absence d'une situation de concurrence directe et effective entre les personnes concernées, la divulgation, par l'une, d'une information de nature à jeter le discrédit sur un produit commercialisé par l'autre, peut constituer un acte de dénigrement mais que, lorsque l'information en cause se rapporte à un sujet d'intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, cette divulgation relève du droit à la liberté d'expression, qui inclut le droit de libre critique, et ne saurait, dès lors, être regardée comme fautive, sous réserve qu'elle soit exprimée avec une certaine mesure (1ère Civ, 11 juillet 2018, n° 17-21.457 ; Com. 9 janvier 2019, n° 17-18.350 : "la divulgation à la clientèle ['] d'une action en contrefaçon n'ayant pas donné lieu à une décision de justice, dépourvue de base factuelle suffisante en ce qu'elle ne reposait que sur le seul acte de poursuite engagé par le titulaire des droits, constituait un dénigrement fautif").

Au soutien de ses prétentions, la SAS Prosol produit :

- un article publié le 26 mars 2016 dans le magazine La Nouvelle République (sa pièce 19) qui rapporte une manifestation organisée par le gérant de l'EARL LFDS sur le parking du magasin à l'enseigne Grand Frais de [Localité 4]. Les seuls propos cités évoquent des délais de paiement anormalement longs imposés par la SAS Prosol et l'absence de contrat écrit encadrant leurs relations. Si les déclarations retranscrites sont empreintes d'une certaine exagération (délai de paiement de 80 jours et impact majeur sur la trésorerie), elles portent sur des difficultés réelles dont la persistance explique l'irritation de leur auteur qui ne manifeste néanmoins aucune animosité personnelle. Le discrédit allégué par la SAS Prosol, dont la réponse est également reproduite dans l'article et qui ne prouve pas l'impact sur la clientèle qu'elle dénonce, n'est ainsi pas prouvé.

- un billet publié le 21 mars 2016 sur le blog du gérant de l'EARL LFDS hébergé par le quotidien en ligne Mediapart (sa pièce 20) dénonçant les retards de paiement de la "grande distribution", à laquelle est assimilée la SAS Prosol, et comprenant en annexe la copie d'une lettre vainement adressée à l'avocat Dupont Moretti à raison de sa notoriété. Les propos, qui sont explicitement présentés comme un appel à l'aide d'un agriculteur en détresse, ne comportent aucune animosité personnelle malgré la situation objectivement délicate de leur auteur qui souligne in fine, non sans bonne foi, le paiement de l'intégralité de ses factures. A nouveau, cette dénonciation, dans laquelle la SAS Prosol n'est évoquée que pour signaler son chiffre d'affaires, ne jette pas le discrédit sur ses produits et services.

En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande reconventionnelle de la SAS Prosol.

7°) Sur les frais irrépétibles et les dépens

Le jugement entrepris sera confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.

Succombant, la SAS Prosol, dont la demande au titre des frais irrépétibles sera rejetée, sera condamnée à supporter les entiers dépens d'appel ainsi qu'à payer à l'EARL LFDS la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions soumises à la Cour sauf en ce qu'il a rejeté la demande de l'EARL La Fraiseraie de Sologne au titre du remboursement des avoirs et jugé que la SAS Prosol avait rompu abusivement le contrat d'achat ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

Dit que la rupture des relations commerciales n'est pas imputable à la SAS Prosol ;

Condamne la SAS Prosol à payer à L'EARL la Fraiseraie de Sologne la somme de 9 630 euros au titre des avoirs injustifiés ;

Y ajoutant,

Rejette la fin de non-recevoir opposée par la SAS Prosol au titre des demandes nouvelles formées par l'EARL La Fraiseraie de Sologne ;

Rejette ces demandes nouvelles ;

Rejette la demande de la SAS Prosol au titre des frais irrépétibles ;

Condamne la SAS Prosol à payer à l'EARL La Fraiseraie de Sologne la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SAS Prosol à supporter les entiers dépens d'appel.