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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 13 mars 2024, n° 22/19008

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

EB2 Solutions (SARL)

Défendeur :

CBP Distri (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bodard-Hermant

Conseillers :

Mme Depelley, M. Richaud

Avocats :

Me De Vigneral, Me Vinckel, Me Dejardin, Me Franck

T. com. Marseille, du 27 sept. 2022, n° …

27 septembre 2022

EXPOSÉ DU LITIGE

La société EB2 Solutions (ci-après EB2) a pour activité d'effectuer des prestations de services informatiques et la société CBP Distri (ci-après CBP) a pour activité l'achat, la vente, le négoce, l'importation et l'exportation de liquides pour cigarettes électroniques et de cigarettes électroniques.

En 2014, CBP a fait appel aux services de M. [T], informaticien, pour qu'il effectue des prestations de service informatiques sur son site internet.

Le 1er avril 2017, M. [T] a créé EB2 dont il est le gérant et l'unique associé. EB2 Solutions s'est vue confier la réalisation de prestations de services informatiques sur le site internet de la société CBP.

Par SMS du 5 février 2020, M. [T] a mis en demeure la société CBP de payer diverses factures pour un montant total de 15 009,30 euros sous 24 heures « faute de quoi la prise de commande ne pourra plus être assurée au travers du site », dans le contexte d'un différend sur ces factures impayées et leur incidence sur la fin de validité du certificat SSL indispensable à la sécurité du site.

Le 6 février 2020, CBP a fait constater par huissier qu'elle n'avait plus accès à son site internet, alors que ses clients y accédaient et pouvaient passer des commandes et, par courriel du 7 février 2020, elle a mis en demeure EB2 de mettre son site internet hors ligne,

Par courrier du 26 février 2020, le conseil d'EB2 a mis en demeure CBP de régler les factures impayées et l'a assignée, par acte du 4 décembre 2020, devant le tribunal de commerce de Marseille pour obtenir le paiement de ses factures et l'indemnisation des préjudices qu'elle prétend subir au visa de l'article L. 442-1-I 2° et L. 442-1-II du code de commerce.

Par jugement du 27 septembre 2022, le tribunal de commerce de Marseille a : 

- Débouté la société EB2 Solutions S.A.R.L. de sa demande formée au titre du déséquilibre significatif ;

- Déclaré que la société CBP Distri S.A.R.L. a rompu brutalement les relations commerciales établies avec la société EB2 Solutions S.A.R.L. ;

- Condamné la société CBP Distri à payer à la société EB2 Solutions S.A.R.L. les sommes :

* 9 084,96 € HT (neuf mille quatre-vingt-quatre euros et quatre-vingt-seize centimes HT) au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies ;

* 11 245,50 € (onze mille deux cent quarante-cinq euros et cinquante centimes) au titre des factures au titre des forfaits des mois de novembre et décembre 2019 et au titre des compléments dus au titre de ces mêmes mois avec intérêts au taux de retard appliqué par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente majoré de 10 points de pourcentage à compter du 26 février 2020, date de la mise en demeure ;

* 3 000 € (trois mille euros) au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Débouté la société EB2 Solutions S.A.R.L. de sa demande en paiement des factures correspondant au forfait de janvier 2020 et aux frais de certificat de SSL et de sa demande de dommages et intérêts pour réticence dolosive ;

- Condamné la société EB2 Solutions S.A.R.L. à restituer à la société CBP Distri S.A.R.L. l'ensemble des fichiers clients par elle détenus dans le mois suivant la signification du présent jugement et à défaut sous astreinte provisoire de 100 € (cent euros) par jour de retard pendant le délai d'un mois ;

- Débouté la société CBP Distri S.A.R.L. de sa demande formée au titre de la procédure abusive ;

- Conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, condamné la société CBP Distri S.A.R.L. aux dépens de toutes taxes comprises de la présente instance tels qu'énoncés par l'article 695 du code de procédure civile, étant précisé que les droits, taxes et émoluments perçus par le secrétariat-greffe de la présente juridiction sont liquidés à la somme de 74,18 euros (soixante-quatorze euros et dix-huit centimes T.T.C.) ;

- Conformément aux dispositions des articles 514 et 515 du code de procédure civile, dit que le présent jugement est de plein droit exécutoire à titre provisoire ;

- Rejeté pour le surplus toutes autres demandes, fins et conclusions contraires aux dispositions du présent jugement.

EB2 Solutions est appelante de ce jugement, suivant déclaration reçue au greffe de la Cour le 8 novembre 2022 et demande à la Cour, au terme de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 5 décembre 2023, de :

Vu les articles 46 et suivants du code de procédure civile

Vu les articles L. 442-1, L. 441-10 du code de commerce

Vu les articles 1104, 1110 du code civil

Vu la jurisprudence,

Vu les pièces,

A titre principal,

- Débouter la SARL CBP Distri de toutes ses demandes, fins et prétentions,

- Réformer le jugement du tribunal de commerce de Marseille en date du 27 septembre 2022 en ce qu'il a,

* Débouté la société EB2 Solutions de sa demande formée au titre du déséquilibre significatif,

* Condamné la société CBP Distri SARL à payer à la société EB2 Solutions SARL les sommes de :

° 9 084,96 € HT au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies,

° 11 245,50 € au titre des factures au titre des forfaits des mois de novembre et de décembre 2019 et au titre des compléments dus au titre de ces mêmes mois avec intérêts au taux de retard appliqué par la Banque Centrale Européenne à son opération de refinancement la plus récente majoré de 10 points de pourcentage à compter du 26 février 2020, date de la mise en demeure,

° 3 000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

* Débouté la société EB2 Solutions de sa demande en paiement des factures correspondant au forfait de janvier 2020 et aux frais de certificat de SSL et de sa demande de dommages et intérêts pour réticence dolosive,

* Rejeté pour le surplus toutes autres demandes, fins et conclusions contraires aux dispositions dudit jugement.

Statuant à nouveau,

- Juger que les dispositions de l'article L. 442-1 du code de commerce sont applicables aux relations entre les parties,

- Juger que l'intimée CBP Distri a soumis la concluante à des obligations créant un déséquilibre entre les parties,

- Juger que l'intimée engage sa responsabilité au titre de l'article L. 442-1-I du code de commerce,

- Juger que l'intimée a commis une faute au visa dudit article, et que celle-ci doit être réparée,

- Condamner l'intimée à payer au demandeur appelant EB2 Solutions la somme de 20 504 euros au titre de cette faute,

Concernant la rupture brutale de la relation établie, et sur le plan délictuel,

- Juger qu'il existait entre les parties une relation établie au sens de l'article L. 442-1 II du code de commerce, depuis octobre 2014,

- Juger que le demandeur était en état de dépendance économique vis-à-vis de l'intimée dans le cadre de son activité,

- Juger que l'intimée a mis fin à la relation établie sans préavis et avec une mauvaise foi caractérisée,

- Juger que l'intimée aurait dû accorder un préavis écrit d'une durée de 18 mois,

- Juger qu'elle ne l'a pas fait causant un préjudice certain et caractérisé au demandeur,

- Juger que l'indemnité qui tend à réparer ce type de préjudice correspond à la perte de marge brute sur le chiffre d'affaires qui aurait dû être perçue si un préavis conforme aux usages du commerce avait été consenti ; que dans le cas des prestations intellectuelles sans achat de matières premières ni de marchandises destinées à la revente, il y a lieu de considérer que la marge brute sur le chiffre d'affaires correspond au chiffre d'affaires lui-même

- Condamner l'intimée à payer au demandeur 18 mois de chiffre d'affaires revalorisé, soit la somme de 73 058,40 euros,

Par ailleurs sur le plan contractuel,

- Juger que l'intimée reste à devoir la somme de 15 009,30 euros résultant de factures qu'elle n'a jamais contestées et à des prestations effectuées selon l'usage établi entre les parties, ayant valeur contractuelle,

- Condamner l'intimée à payer la somme de 15 009,30 euros à la concluante, assortie d'intérêts de retard au taux d'intérêt appliqué par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente majoré de 10 points de pourcentage, avec anatocisme, à compter du 26 février 2020

- Condamner l'intimée à 5 000 euros de dommages et intérêts à verser à l'appelante pour réticence dolosive,

- Condamner l'intimée à la somme de 15 000€ au titre de l'article 700 CPC,

- Condamner l'intimée aux entiers dépens de l'instance, en ce compris les sommes prévues par les articles R444-3 et ses annexes, et A444-31 du code de commerce, portant fixation du tarif des huissiers de justice en matière civile et commerciale, ajoutées en sus aux sommes auxquelles elle sera condamnée et laissées entièrement à sa charge.

La société CBP Distri, par ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 20 novembre 2023, demande à la Cour de :

Vu l'article L. 442-1 I du code de commerce dans sa version issue de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019,

Vu l'article L. 442-1 II du code de commerce dans sa version issue de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019,

Vu les articles 1165, 1779 et 1780 du code civil,

Vu la jurisprudence citée,

Vu les pièces versées aux débats,

Vu les termes du jugement rendu par le tribunal de commerce de Marseille le 27 septembre 2022,

Sur la prétendue soumission de la SARL EB2 Solutions à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties :

- Confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Marseille le 27 septembre 2022 en ce qu'il a débouté la Société EB2 Solutions de sa demande formée au titre du déséquilibre significatif.

Sur la rupture brutale de la relation commerciale :

A titre principal,

- Infirmer le jugement rendu par le tribunal de Commerce de Marseille en ce qu'il a déclaré que la SARL CBP Distri a rompu brutalement les relations commerciales établies avec la Société EB2 Solutions.

- Dire que la responsabilité de la SARL CBP Distri n'est pas engagée sur le fondement de l'article L. 442-1 II du code de commerce,

- Débouter la SARL EB2 Solutions de sa demande tendant à la condamnation de la SARL CBP Distri au paiement d'une somme de 73 058,00 euros sur le fondement de l'article L. 442-1 II du code de commerce,

A titre subsidiaire,

- Infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Marseille en ce qu'il a déclaré que la SARL CBP Distri a rompu brutalement les relations commerciales établies avec la Société EB2 Solutions.

- Exclure, nonobstant l'éventuelle satisfaction des conditions d'application, la responsabilité de la SARL CBP Distri sur le fondement de l'Article L 442-1 II du code de commerce.

- Débouter la SARL EB2 Solutions de sa demande tendant à la condamnation de la SARL CBP Distri au paiement d'une somme de 73 058,00 euros sur le fondement de l'article L.442-1 II du code de commerce.

A titre infiniment subsidiaire,

- Confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Marseille le 27 septembre 2022 en ce qu'il a limité la somme demandée par la SARL EB2 Solutions à une indemnité correspondant à 3 mois de préavis.

Sur les sommes hypothétiquement dues au titre de factures impayées :

- Infirmer les termes du jugement rendu par le tribunal de commerce de Marseille en ce qu'il a condamné la Société CBP Distri d'avoir à payer à la Société EB2 Solutions la somme de 11 245,50 € au titre des factures au titre des forfaits et des mois de novembre à décembre 2019 et au titre des compléments dus au titre de ces mêmes mois avec intérêts au taux de retard à compter du 26 février 2020, date de la mise en demeure.

- Confirmer le jugement rendu par le Tribunal de Commerce de Marseille en ce qu'il a débouté la Société EB2 Solutions de sa demande en paiement des factures correspondant au forfait de janvier 2020 et aux frais de certificat de SSL et de sa demande de dommages intérêts pour résistance dolosive.

En tout état de cause, sur le caractère abusif de la procédure initiée par la SARL EB2 Solutions, l'article 700 du code de procédure civile et les dépens :

- Infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Marseille en ce qu'il a débouté la Société CBP Distri de sa demande formée au titre de la procédure abusive.

- Condamner la SARL EB2 Solutions au paiement d'une somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts,

- Infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de MARSEILLE en ce qu'il a condamné la Société CBP Distri à payer la somme de 3 000 € au titre des dispositions de l'Article 700 du code de procédure civile.

- Condamner la SARL EB2 Solutions au paiement d'une somme de 15 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner la même aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Julie Dejardin, DAM Avocats.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 12 décembre 2023.

SUR CE LA COUR

D'une part, la cour n'est pas saisie du chef du jugement entrepris relatif à la restitution des fichiers clients,

D'autre part, la cour rappelle au visa de l'arrêt 954 du code de procédure civile qu'elle n'examine les moyens au soutien des prétentions des parties que s'ils sont invoqués dans la discussion de leurs conclusions.

1. Sur la rupture brutale de la relation commerciale établie

Les parties ne contestent ni le caractère établi de leur relation commerciale ni sa rupture brutale.

Elles s'opposent en revanche sur l'imputabilité de cette rupture et sur la durée de cette relation, commandant le montant du préjudice en résultant.

EB2 soutient :

- que la société CBP a brutalement mis fin à leur relation commerciale en lui adressant un e-mail le 7 février 2020, lui demandant de fermer le site internet de la société CBP

- qu'à l'issue du délai qui lui était imparti pour procéder au renouvellement du certificat SSL nécessaire à la sécurisation du site et en raison de nombreuses factures impayées à hauteur de 15 009,30 €, elle a pris la décision de bloquer partiellement le site afin d'éviter tout piratage compte tenu de l'expiration du certificat SSL,

- qu'elle a subi un préjudice économique de perte de marge brute qu'elle évalue à hauteur de 73 058,40 €

- que la relation commerciale entretenue entre M. [T] et CBP depuis le mois d'octobre 2014 s'est poursuivie à compter de mai 2017 avec EB2 à qui la clientèle de ce dernier été de fait transférée, ayant ainsi duré 8 ans sans discontinuer, de 2014 à 2020,

- que son volume d'affaires avec la société CBP représentait 75 à 96% de son activité et justifiait donc préavis de 18 mois conduisant à une indemnité de 73 058,40 € (1,5 x 40 588 x 1,2).

CBP soutient en réplique :

- qu'EB2 a bloqué partiellement son site internet,

- qu'un tel blocage n'a pu répondre à un objectif de protection et de sécurisation du site dans la mesure où elle était seule privée d'accès , à l'exclusion de ses clients et visiteurs alors que le risque de piratage n'a pu provenir que d'eux,

- et qu'en bloquant ainsi son accès au site internet dont elle avait l'obligation d'assurer le bon fonctionnement, EB2 a pris l'initiative de rompre la relation commerciale de sorte que la rupture de leur relation commerciale est justifiée par cette grave inexécution contractuelle,

- qu'en tout état de cause, la relation commerciale n'a débuté qu'en mai 2017, aucune intention de reprise de l'activité de M. [T], qui n'a apporté que du numéraire à la société AB2, n'étant établie de sorte qu'un de trois mois est suffisant.

La cour retient ce qui suit.

Vu l'article L. 442-1, II du code de commerce, dont il résulte notamment que ses dispositions relatives à la responsabilité de l'auteur d'une rupture brutale de relations commerciales établie et à l'indemnisation du préjudice en résultant pour la victime, ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie, de ses obligations.

Il est constant et d'ailleurs établi au vu du procès-verbal de constat d'huissier du 6 février 2020 produit par CBP (pièce 11), qu'à cette date EB2 a privé CBP d'accès au site internet de cette dernière, objet des prestations de services informatiques dont elle l'avait chargée courant 2017, après l'avoir mis en demeure, par SMS de la veille, de payer diverses factures des trois derniers mois ou de s'en expliquer, avant le lendemain à midi, "faute de quoi la prise de commande ne pourra plus être assurée au travers du site". (Pièce 10)

Il n'est pas non plus contesté que par courriel du 7 février 2020, CBP a mis en demeure EB2 de mettre son site internet hors ligne (pièce 12).

Par suite EB2, rendant brusquement impossible la poursuite de sa relation commerciale avec CBP, a commis une faute grave justifiant la résiliation sans préavis de cette relation par CBP.

A cet égard, EB2 soutient vainement qu'il a été contraint d'agir comme il a fait pour protéger le site contre le risque de piratage résultant de l'expiration du certificat SSL à la suite des factures impayées. En effet, outre qu'elle n'est pas fondée à se faire justice à elle-même, elle ne justifie pas de la pertinence de cette démarche dès lors que les clients de CBP bénéficiaient toujours d'un accès au site alors que le risque de piratage de leur fait ne peut être exclu.

La rupture en examen est donc imputable à EB2 et le jugement entrepris qui l'a imputée à CBP doit être infirmé en conséquence.

2. Sur la soumission à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties

EB2 soutient au visa de l'article L. 442-1, I du code de commerce, que CBP l'a soumise à "un déséquilibre significatif" au vu des circonstances suivantes :

- au mois d'avril 2017 l'unité de facturation a été de 500 € (journée/homme) et qu'à compter du mois de mai 2017, date de la création d'EB2 que CBP lui a imposée, le tarif est devenu 500 € TTC, CBP bénéficiant ainsi d'une réduction du tarif de 20 % correspondant à la TVA qu'elle récupère et elle-même subissant une perte équivalente de chiffre d'affaires depuis mai 2017 jusqu'à la rupture , qu'elle évalue à 20 504 euros, peu important l'augmentation, sans incidence sur cette perte, de l'unité de facturation et de son volume sur cette période

- qu'en situation de dépendance économique vis-à-vis de CBP, sa cliente unique, elle ne pouvait refuser de telles conditions au risque de la perdre,

CBP soutient que :

- que l'incorporation de la TVA à l'unité de facturation est compensée par l'augmentation significative au fil du temps de l'unité de facturation et de son volume, aboutissant à un renversement du déséquilibre invoqué,

- qu'ainsi :

* à la fin de l'année 2017, le volume de facturation HT de EB2 s'est élevé à un montant de 26 210,64 euros alors que le volume de facturation de l'année 2016 (avant la création de EB2) s'est élevé à 14 280 euros, soit une augmentation de plus de 83,55 %

* au titre de l'année 2018 le volume de facturation HT a été de 34 825 euros, soit une nouvelle augmentation de 32,87 % par rapport à l'année 2017,

* au titre de l'année 2019, le volume de facturation HT a été de 50 007,17 euros soit une augmentation, pour la troisième année consécutive, de 43,60 % par rapport à l'année 2018,

- que si un déséquilibre significatif avait existé, une telle croissance n'aurait pas été possible,

- et qu'il n'est pas démontré qu'elle a imposé à M. [T] la constitution d'EB2.

La cour retient ce qui suit.

Vu l'article L. 442-1, I du code de commerce,

La relation commerciale des parties n'est pas encadrée sur un contrat mais consiste en un flux de facturation par EB2 de prestations de services informatiques portant sur le site de CBP.

Pour EB2, qui se prétend située dans la dépendance économique de CBP qui serait sa cliente unique, la soumission alléguée résulte de la création forcée d'EB2 pour en faire la structure de facturation de M. [T], son gérant et unique associé, permettant à CBP sa cliente de profiter d'un tarif de gain de 20 % de TVA, correspondant ipso facto pour EB2 à une perte de chiffre d'affaires équivalente.

Cependant, au vu des pièces produites et à supposer même une telle soumission établie, EB2 ne caractérise pas en quoi elle créerait un déséquilibre significatif dans les droits et obligations dès lors que ce dernier s'apprécie, ainsi qu'elle le fait elle-même valoir, non pas clause par clause, mais au regard de l'équilibre plus général du contrat.

En effet, il n'est pas contesté que depuis la création d'EB2, l'unité de facturation a augmenté et que son volume a également connu une augmentation dans les proportions remarquables rappelées ci-dessus par CBP, d'ailleurs étayées par sa pièce 20.

Ainsi, EB2 fixait elle-même , conformément aux articles 1165 et 1194 du code civil, le prix de ses prestations de services informatiques, facturées à la fois au forfait mensuel et en compléments de forfait, prix que CBP payait selon l'usage des parties sans devis préalablement accepté, ce à quoi EB2 s'était opposée malgré la demande de sa cliente (pièces CBP 8-9).

Par suite, EB2 ne prétend pas utilement qu'un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties résulte, à compter de sa création, de l'incorporation de la TVA dans l'unité de facturation de ses prestations de services informatiques.

Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a débouté EB2 de sa demande formée au titre du déséquilibre significatif.

3. Sur les factures impayées

EB2 sollicite la condamnation de la société CBP à lui payer la somme principale de 15 009,30 euros TTC, outre les pénalités de retard de l'article L. 441-10 du code de commerce, au titre des factures de prestations effectuées selon l'usage établi des parties mais non réglées, de novembre 2019 à janvier 2020.

CBP réplique, au visa de l'article 1165 du code civil, que pour obtenir le paiement du prix sollicité selon ce schéma, le prestataire doit justifier de la nature des prestations accomplies et de l'adéquation entre le prix demandé et ces prestations, ce qu' EB2 ne fait pas les mentions larges et imprécises des factures ne permettant pas de s'en assurer.

La cour retient ce qui suit.

Vu les articles 1165 et 1194 du code civil,

Ainsi que le relève le premier juge, les sept factures impayées, telles que listées en page 13 du jugement entrepris à laquelle il est renvoyé, correspondent manifestement à la pratique antérieure des parties, comportant une facturation au forfait mensuel outre celle de compléments de ce forfait, régulièrement payées par CBP jusqu'en octobre 2019, sans devis préalablement accepté.

CBP n'explique d'ailleurs pas en quoi elles diffèreraient de cet usage antérieurement établi des parties et il résulte de sa pièce 8 qu'elle s'est limitée le 31 janvier 2020 à une demande de discussion des tarifs proposés pour 2020, discussion acceptée par EB2 sous réserve de règlement des factures 2019, puis qu'elle a refusé, le 3 février 2020, l'envoi de toute facture sans devis préalablement accepté (pièce 8). En l'état de ces éléments qui ne concernent pas la réalité des prestations facturées en 2020, mais seulement leur prix, CBP ne soutient pas utilement, à la faveur de la procédure, que les mentions de ces factures telles que "corrections de bugs et évolutions mineures", "compléments de corrections de bugs et évolutions mineures" ou encore "demande de validations comodo" sont "larges, floues et imprécises" et ne suffisent pas pour s'assurer de la réalité des prestations en cause, facturées selon l'usage des parties, sous réserve de l'augmentation de début d'année, dont CBP ne conteste précisément ci-dessus, ni le principe, ni l'augmentation.

Le jugement entrepris sera donc :

- confirmé du chef des factures de forfaits et compléments des mois de novembre et décembre 2019

- mais infirmé du chef des deux factures du 31 décembre 2020 correspondant au forfait de janvier 2020 et aux frais de certificat SSL du site litigieux, que CBP doit être condamnée à payer à EB2, avec intérêts au taux de retard appliqué par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente majoré de 10 points de pourcentage, avec anatocisme, à compter du 26 février 2020, date de la mise en demeure.

4. Sur la réticence dolosive

EB2 ajoute cette demande en appel, tendant à l'octroi d'une somme de 5.000 € à titre de dommages-intérêts, sans la fonder en droit. En fait, elle la fonde sur le fait que CBP a refusé de payer ses factures "tout en organisant une rupture brutale qu'elle a tenté d'imputer à sa victime (ce qui constitue un stratagème particulièrement immoral)".

Cette demande, qui manque donc en fait au vu du sens de l'arrêt, ne peut aboutir.

5. Sur les demandes accessoires

CBP soutient vainement qu'EB2 n'a saisi le tribunal de commerce de Marseille, puis la cour d'appel, que dans l'unique dessein de lui faire supporter la responsabilité de la rupture de leur relation commerciale alors que cette responsabilité lui incombe.

En effet, au vu du sens de l'arrêt, elle ne justifie pas qu'EB2, qui a pu se méprendre sur la portée de ses droits, a initié une action fondée sur des arguments "manifestement illégitimes et infondés" revêtant donc "incontestablement un caractère abusif".

Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.

Le jugement entrepris a fait une exacte application de l'article 696 du code de procédure civile et une application équitable de l'article 700 de ce code.

CBP, partie perdante, doit supporter les dépens d'appel et l'équité ne commande pas de la condamner à payer une indemnité de procédure.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, dans les limites de la saisine,

Infirme le jugement entrepris des chefs de la rupture brutale et des factures correspondant au forfait du mois de janvier 2020 et aux frais de certificat SSL ;

Confirme le jugement entrepris pour le surplus ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Rejette les demandes de la société EB2 Solutions fondées sur la rupture brutale ;

Condamne la société CBP Distri à payer à la société EB2 Solutions les sommes de 1 500 euros et 2 263,80 euros au titre de deux factures du 31 janvier 2020 respectivement relatives au forfait du mois de janvier 2020 et aux frais de certificat SSL du site internet litigieux de CBP Distri, avec intérêts au taux de retard appliqué par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente majoré de 10 points de pourcentage, avec anatocisme, à compter du 26 février 2020, date de la mise en demeure ;

Rejette la demande de la société EB2 Solutions en dommages-intérêts pour réticence dolosive ;

Condamne la société CBP Distri aux dépens d'appel ;

Rejette toute autre demande.