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Décisions

CA Grenoble, ch. com., 14 mars 2024, n° 21/01403

GRENOBLE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Eaux Claires Distribution (SELARL)

Défendeur :

BNP Paribas Lease Group (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Figuet

Conseillers :

M. Bruno, Mme Faivre

Avocats :

Me Kanedanian, Me Riemain, Me Modelski, Me Alves

T. com. Grenoble, du 16 nov. 2020, n° 20…

16 novembre 2020

Faits et procédure

Le 29 juillet 2016, la société Eaux Claires Distribution a conclu avec la société Lease Pro Finance un contrat de location, portant sur du matériel de vidéosurveillance, pour une durée de 21 trimestres, courant du 1er octobre 2016 au 1er octobre 2021, moyennant des loyers trimestriels de 1.908 euros TTC. Ce contrat a été cédé à la société BNP Paribas Lease Group le 26 septembre 2016.

La société Eaux Claires Distribution a cédé son fonds de commerce à la société Asco Distribution le 11 septembre 2017, et suite à cette cession, la société BNP Paribas Lease Group a résilié le contrat conformément à l'article 10 des conditions générales. Une sommation de payer a été signifiée le 14 juin 2018, pour la somme de 35.679,60 euros, et le 27 juin 2018, la société Eaux Claires Distribution a indiqué à la banque que les sommes réclamées n'étaient pas justifiées, en raison d'une reprise du contrat par le cessionnaire du fonds de commerce. Le 11 octobre 2018, la société BNP Paribas Lease Group a assigné en paiement la société Eaux Claires Distribution.

Par jugement du 16 novembre 2020, le tribunal de commerce de Grenoble a :

- condamné la société Eaux Claires Distribution à payer à la société BNP Paribas Lease Group la somme de 32.436 euros TTC, avec intérêts au taux légal à compter du 14 juin 2018;

- débouté la société Eaux Claires Distribution de sa demande de condamnation pour clauses abusives';

- rejeté la demande d'exécution provisoire ;

- condamné la société Eaux Claires Distribution à payer à la société BNP Paribas Lease Group la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

La société Eaux Claires Distribution a interjeté appel de cette décision le 23 mars 2021, sauf en ce qu'elle a rejeté la demande d'exécution provisoire.

Par arrêt du 12 janvier 2023, la cour d'appel de Grenoble a :

- réouvert les débats afin que les parties s'expliquent sur le pouvoir juridictionnel du tribunal de commerce de Grenoble à connaître de la présente procédure, de même que sur celui de la présente cour, et ainsi sur la recevabilité de l'action de l'appelante;

- renvoyé en conséquence la cause et les parties devant le conseiller de la mise en état';

- réservé l'ensemble des demandes des parties.

L'instruction de cette procédure a été clôturée le 13 décembre 2023.

Prétentions et moyens de la société Eaux Claires Distribution,

Elle n'a pas remis de nouvelles conclusions depuis l'arrêt du 12 janvier 2023.

Selon ses dernières conclusions remises à la cour le 16 juin 2021, elle demande, au visa de l'article L. 442-6 ancien du code de commerce :

- d'infirmer le jugement déféré, hormis en ce qu'il a rejeté la demande d'exécution provisoire ;

Statuant à nouveau,

- de la déclarer bien fondée en ses demandes ;

- de juger que le contrat de location signé le 29 juillet 2016 entre la société Eaux Claires Distribution et la société BNP Paribas Lease Group, venant aux droits de la société Lease Pro Finance, comporte des clauses abusives engageant la responsabilité du bailleur ;

- en conséquence, de condamner la société BNP Paribas Lease Group, venant aux droits de la société Lease Pro Finance, à payer à la société Eaux Claires Distribution la somme de 35.679,60 euros selon situation arrêtée au 24 avril 2018, outre intérêts postérieurs au taux légal';

- de débouter la société BNP Paribas Lease Group de l'ensemble de ses demandes ;

- de condamner la société BNP Paribas Lease Group à payer à la société Eaux Claires Distribution la somme de 5.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens de première instance et d'appel.

Elle soutient :

- que le contrat de cession du fonds de commerce a prévu que le cessionnaire devait faire son affaire des contrats en cours, alors que le cédant ne pouvait être recherché à ce titre; qu'ainsi, le bail en cause aurait pu être poursuivi par le cessionnaire; que cependant, le bailleur a préféré résilier le contrat en raison de cette cession, et demander le paiement des sommes dues au titre du contrat, de la clause pénale, avec demande de restitution du matériel';

- que selon l'article L. 442-6 du code de commerce applicable lors de la conclusion du contrat :

I.-Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :

1° D'obtenir ou de tenter d'obtenir d'un partenaire commercial un avantage quelconque ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu. Un tel avantage peut notamment consister en la participation, non justifiée par un intérêt commun et sans contrepartie proportionnée, au financement d'une opération d'animation commerciale, d'une acquisition ou d'un investissement, en particulier dans le cadre de la rénovation de magasins ou encore du rapprochement d'enseignes ou de centrales de référencement ou d'achat. Un tel avantage peut également consister en une globalisation artificielle des chiffres d'affaires, en une demande d'alignement sur les conditions commerciales obtenues par d'autres clients ou en une demande supplémentaire, en cours d'exécution du contrat, visant à maintenir ou accroître abusivement ses marges ou sa rentabilité ;

2° De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ;

3° D'obtenir ou de tenter d'obtenir un avantage, condition préalable à la passation de commandes, sans l'assortir d'un engagement écrit sur un volume d'achat proportionné et, le cas échéant, d'un service demandé par le fournisseur et ayant fait l'objet d'un accord écrit ;

4° D'obtenir ou de tenter d'obtenir, sous la menace d'une rupture brutale totale ou partielle des relations commerciales, des conditions manifestement abusives concernant les prix, les délais de paiement, les modalités de vente ou les services ne relevant pas des obligations d'achat et de vente ;

5° De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'économie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée.

Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. Lorsque la rupture de la relation commerciale résulte d'une mise en concurrence par enchères à distance, la durée minimale de préavis est double de celle résultant de l'application des dispositions du présent alinéa dans les cas où la durée du préavis initial est de moins de six mois, et d'au moins un an dans les autres cas ;

- que le contrat litigieux entre dans le cadre de ces dispositions, puisqu'il prévoit que le bailleur peut le résilier unilatéralement du seul fait de la cession du fonds de commerce, alors que le repreneur est disposé à poursuivre son exécution aux mêmes conditions; que ces stipulations sont disproportionnées car elles s'accompagnent de l'obligation de régler l'intégralité des loyers restant dus tout en restituant le matériel loué; que ces clauses sont à l'avantage exclusif du bailleur, ne sont assorties d'aucune contrepartie, et ne répondent pas à une justification légitime'; qu'elles créent ainsi un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties'; qu'en outre, une clause pénale de 10 % a été stipulée sans qu'une faute du preneur soit requise.

Prétentions et moyens de la société BNP Paribas Lease Group.

Selon ses conclusions remises le 22 septembre 2023, elle demande à la cour, au visa des articles 1103, 1199 et 1216 du code civil, de :

- juger que la cession du contrat est inopposable à la concluante ;

- dire et juger que les conditions du contrat ne contiennent aucune clause abusive ;

- juger irrecevables les demandes de la société Eaux Claires Distribution sur la prétendue présence de la clause abusive, ces demandes ne relevant pas du pouvoir juridictionnel de la cour d'appel de Grenoble,

- rejeter l'ensemble des demandes de la société Eaux Claires Distribution ;

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société Eaux Claires Distribution à payer à la société BNP Paribas Lease Group la somme de 32.436 euros TTC, avec intérêts au taux légal à compter du 14 juin 2018 et en ce qu'il a débouté la société Eaux Claires Distribution de sa demande de condamnation pour clauses abusives,

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société Eaux Claires Distribution à payer à la société BNP Paribas Lease Group la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens,

Ajoutant,

- condamner la société Eaux Claires Distribution à lui payer la somme de 32.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile, outre dépens.

Elle indique :

- que le contrat a prévu sa résiliation de plein droit en cas de cession du fonds de commerce, et que dans un tel cas, le locataire devra restituer l'équipement et verser la totalité des loyers échus non payés et restant à courir à la date de la résiliation, outre une indemnité forfaitaire de 10 % du montant des loyers restant à courir à compter du jour de la résiliation, majorée des frais et honoraires éventuels pour recouvrement ;

- que cette clause procède de la nature du contrat et de son économie ; que la location financière impose que le bailleur soit remboursé de l'ensemble des sommes qu'il a investies pour faire l'acquisition du bien à usage exclusif du locataire et n'ait pas à supporter le risque d'un investissement à pure perte résultant d'une résiliation; que l'indemnité forfaitaire tend à indemniser le préjudice subi par le bailleur du fait de la résiliation et ne constitue pas une clause pénale ;

- que la cession du contrat est inopposable à la concluante, en raison du principe de l'effet relatif des contrats, puisque les contrats sont exclus du fonds de commerce et ne peuvent être cédés avec celui-ci, sauf clause contractuelle ou disposition légale, ce qui n'est pas le cas en l'espèce ; que la concluante n'a pas donné son accord pour la cession du contrat, contrairement à ce qui est prévu par l'article 1216 du code civil ;

- que la demande de la société Eaux Claires Distribution sur le fondement de l'article L. 442-6 ancien du code du commerce ne relève pas du pouvoir juridictionnel de la cour d'appel de Grenoble conformément à l'article R. 311-3 du code de l'organisation judiciaire,

- qu'en tout état de cause, ces dispositions sont inapplicables en l'espèce puisque le contrat de location régit les rapports des parties dans une opération spécifique qui ne les rend pas partenaires économiques au sens de ces dispositions,

- qu'en outre, l'ensemble des clauses prévues par le contrat sont rendues nécessaires par la nature et l'économie de celui-ci, que la clause de résiliation du fait de la cession du fonds de commerce est la marque de l'intuitu personae caractérisant le contrat, que le paiement des loyers restant à courir est justifié par la nature de crédit de l'opération de location, que le bailleur a acheté le bien loué uniquement pour le mettre à disposition du locataire.

Il convient en application de l'article 455 du code de procédure civile de se référer aux conclusions susvisées pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.

Motifs de la décision :

1) Sur l'irrecevabilité de la demande fondée sur l'article L. 442-6 ancien du code de commerce

Il résulte des dispositions de l'article L. 442-6 ancien du code de commerce, sur lequel l'appelante fonde sa demande d'indemnisation, que les litiges relatifs à l'application de cet article sont attribués aux juridictions dont le siège et le ressort sont fixés par décret. L'article D. 442-3 du code de commerce prévoit, à ce titre, que le siège et le ressort des juridictions commerciales compétentes sont fixés conformément au tableau de l'annexe 4-2-1. Selon cette annexe, le tribunal de commerce de Lyon a compétence exclusive pour statuer sur les litiges survenant sur le ressort de la cour d'appel de Grenoble, alors que le siège social de l'appelante est situé sur ce ressort.

Précédemment, la Cour de cassation retenait que dans l'hypothèse où la juridiction du premier degré avait statué à tort sur l'application de l'article L. 442-6 du code de commerce, la cour d'appel devait relever d'office l'excès de pouvoir commis par la juridiction ayant statué sur la demande et la déclarer irrecevable comme ne relevant pas de son pouvoir juridictionnel.

Dans son arrêt du 18 octobre 2023 (Com., 18 octobre 2023, pourvoi n° 21-15.378), la Cour de cassation a considéré que le moyen par lequel une partie conteste, en application des articles L. 442-6, III, devenu L. 442-4, III, et D. 442-3 précités, la compétence d'une juridiction à connaître d'une demande reconventionnelle fondée sur l'article L. 442-6, I, devenu L. 442- 1,

Du code de commerce, constitue, non pas une fin de non-recevoir mais, une exception d'incompétence qui ne rend pas la demande irrecevable.

Dès lors, la cour d'appel n'a plus à soulever d'office l'irrecevabilité de la demande. Celle-ci doit être déclarée recevable.

La cour relève par ailleurs que les parties n'ont pas soulevé une exception d'incompétence et qu'en application de l'article 76 du code de procédure civile, la cour d'appel ne peut soulever une telle exception que lorsque l'affaire relève de la compétence d'une juridiction répressive ou administrative ou échappe à la connaissance de la juridiction française ce qui n'est pas le cas de la présente affaire.

2) Sur l'application de l'article L. 442-6 ancien du code de commerce

L'article L. 442-6 ancien du code de commerce applicable lors de la conclusion du contrat dispose notamment :

I.-Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :

1° D'obtenir ou de tenter d'obtenir d'un partenaire commercial un avantage quelconque ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu. Un tel avantage peut notamment consister en la participation, non justifiée par un intérêt commun et sans contrepartie proportionnée, au financement d'une opération d'animation commerciale, d'une acquisition ou d'un investissement, en particulier dans le cadre de la rénovation de magasins ou encore du rapprochement d'enseignes ou de centrales de référencement ou d'achat. Un tel avantage peut également consister en une globalisation artificielle des chiffres d'affaires, en une demande d'alignement sur les conditions commerciales obtenues par d'autres clients ou en une demande supplémentaire, en cours d'exécution du contrat, visant à maintenir ou accroître abusivement ses marges ou sa rentabilité ; 

2° De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.

Le texte est applicable en cas de partenariat commercial. Celui-ci implique donc l'existence d'une relation d'affaire dans la durée et l'existence d'une collaboration économique.

En l'espèce, les parties se sont rencontrées à l'occasion d'un contrat unique, celui d'une location financière, dans lequel la société Lease Pro Finance a réalisé sa prestation unique par la remise du matériel loué, étant précisé que le loueur n'assure ni la maintenance, ni l'entretien du matériel.

Cette opération spécifique ne relève donc pas de la notion de partenariat économique.

C'est donc de façon infondée que la société Eaux Claires Distribution invoque l'application de l'article L. 442-6 ancien du code de commerce et l'existence de clauses abusives pour solliciter une indemnisation.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté la société Eaux Claires Distribution de sa demande de condamnation pour clauses abusives.

3) Sur la cession du contrat

S'il est stipulé dans l'acte de cession de fonds de commerce que le cessionnaire reprend à son compte le contrat de location, cette stipulation n'est pas opposable au loueur.

En effet, si en application de l'article 1216 du code civil, le cédant peut céder sa qualité de partie au contrat à un tiers, ce n'est qu'avec l'accord de son cocontractant, le cédé.

En l'espèce, la société Eaux Claires Distribution n'a ni sollicité, ni obtenu l'accord de la société BNP Paribas Lease Group.

Le jugement doit être confirmé en toutes ses dispositions.

4) Sur les mesures accessoires

La société Eaux Claires Distribution qui succombe en son appel sera condamnée aux dépens d'appel et à payer la somme de 1.500 euros à la société BNP Paribas Lease Group au titre des frais irrépétibles d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Confirme le jugement rendu le 16 novembre 2020 par le tribunal de commerce de Grenoble en toutes ses dispositions soumises à la cour.

Ajoutant,

Déclare recevable la demande de la société Eaux Claires Distribution sur le fondement de l'article L. 442-6 ancien du code de commerce.

Condamne la société Eaux Claires Distribution aux dépens d'appel.

Condamne la société Eaux Claires Distribution à payer la somme de 1.500 euros à la société BNP Paribas Lease Group au titre des frais irrépétibles d'appel.