CA Limoges, ch. soc., 14 mars 2024, n° 23/00495
LIMOGES
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Phase Neutre (Sasu), Phase Neutre Négoce (Sasu)
Défendeur :
Legrand France (SA), Legrand (SNC)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Pugnet
Conseillers :
Mme Voisin, Mme Chaumond
Avocats :
Me Debernard-Dauriac, Me Chabaud
EXPOSE DU LITIGE :
Le groupe LEGRAND opère sur le marché des produits électriques destinés aux particuliers et aux professionnels. Il conçoit plusieurs types et gammes de produits électriques et commercialise notamment des interrupteurs, des prises électriques, des tableaux électriques et des disjoncteurs mais également des gammes de produits électroniques « connectés » domotiques présentant un degré de sophistication élevé (en particulier les gammes « Legrand with Netatmo » et « Netatmo »).
Depuis 2018, la commercialisation de ces produits est réalisée par la société LEGRAND SNC, qui sélectionne, négocie et contracte avec les distributeurs des produits LEGRAND par le canal de deux réseaux de distribution sélective adaptés aux spécificités de chacune de ces deux séries de produits « haut de gamme ». Cette société est également l'éditeur du site internet www.legrand.fr, site sur lequel les produits du groupe LEGRAND sont commercialisés.
La société LEGRAND FRANCE est la société-mère de LEGRAND SNC. Elle indique concevoir et fabriquer les produits du groupe LE GRAND, et les revendre à la société LEGRAND SNC, qui les commercialise.
La société PHASE NEUTRE exerce une activité de revente en ligne de produits électroniques, via le site internet www.123elec.com dont elle constitue l'éditeur. Elle commercialise par ce biais les produits LEGRAND, qu'elle se procure auprès des propres distributeurs de LEGRAND SNC.
La société PHASE NEUTRE NEGOCE est une société sur de PHASE NEUTRE qui a été constituée le 1er juin 2022.
La société LE GRAND SNC affirme que plusieurs différends sont survenus au cours des dernières années entre elle-même et la société PHASE NEUTRE de sorte qu'elle ne veut pas l'approvisionner directement. Elle évoque l'existence de tableaux électriques que la société PAHSE NEUTRE avait assemblés à partir de pièces détachées qu'elle même commercialisait, et qui présentaient des défauts de conformité générant un danger pour l'utilisateur final.
La société PHASE NEUTRE, qui voulait contracter avec LEGRAND SNC lui a reproché, notamment l'existence de pratiques anticoncurrentielle et le 28 juin 2021, elle l'a mise en demeure de lui communiquer ses conditions générales de vente et de mettre en place sans délai à son profit un approvisionnement direct pour tous les produits de son catalogue à destination tant des professionnels que des consommateurs.
La société LEGRAND SNC a confirmé à PHASE NEUTRE qu'elle n'entendait pas contracter avec elle.
Le 22 mars 2022, LEGRAND SNC ayant découvert que PHASE NEUTRE commercialisait sur son site internet des produits issus de ses gammes « Legrand with Netatmo » et « Netatmo Pro», a informé la société PHASE NEUTRE de ce qu'elle avait mis en place un réseau de distribution sélective afin d'assurer la commercialisation des produits litigieux et l'a mise en demeure de cesser toute commercialisation des produits ainsi réservés à son réseau de distribution sélective.
Le 8 avril 2022, PHASE NEUTRE a confirmé à LEGRAND SNC qu'elle avait « pris acte » de l'existence du réseau de distribution sélective et a dit qu'elle allait cesser de commercialiser les produits litigieux via son site internet.
La société PHASE NEUTRE maintenait toutefois sa volonté de contracter avec LE GRAND SNC et, en l'absence d'accord, considérant que le fait de ne pouvoir s'approvisionner qu'auprès d'un réseau de distributeurs et non directement auprès du fournisseur, constituait un frein à son développement économique et un trouble manifestement illicite, saisissait le juge des référés le 2 février 2023 afin d'obtenir la communication des conditions générales de vente (CGV) des sociétés LEGRAND pour les produits NETATMO PRO, les produits de la gamme LEGRAND WITH NETATMO et les autres produits de la marque LE GRAND.
Dans son ordonnance de référé rendue le 13 juin 2023 le président du tribunal de commerce de Limoges a :
- Dit et jugé irrecevables les demandes formulées par la société PHASE NEUTRE NEGOCE,
- Dit et jugé irrecevables les demandes formulées à l'encontre de la société LEGRAND France,
- Débouté les sociétés PHASE NEUTRE et PHASE NEUTRE NEGOCE de toutes leurs demandes, fins et conclusions,
- Condamné solidairement les sociétés PHASE NEUTRE et PHASE NEUTRE NEGOCE à verser une indemnité de huit mille euros (8 000 euros) à chacune des sociétés LEGRAND et LEGRAND France ainsi qu'à supporter les entiers dépens de l'instance dont le coût de l'ordonnance liquidé à la somme de soixante-quatorze euros et soixante-cinq centimes (74.65 euros) dont douze euros et quarante-quatre centimes (12.44 euros) de TVA.
Ce magistrat a considéré que la société PHASE NEUTRE NÉGOCE ne commercialisant aucun produit de marque LE GRAND et la SNC LEGRAND ne souhaitant pas commercer avec cette dernière, la société PHASE NEUTRE NÉGOCE était dépourvue d'intérêt à agir dans la mesure où l'action engagée n'était pas à même de conforter, améliorer ou à modifier sa situation juridique.
Quant à la société LE GRAND FRANCE, dans la mesure où son activité consistait à concevoir des matériels électroniques, à les fabriquer et à les commercialiser mais aux seules sociétés de son groupe, jamais avec des tiers, et n'ayant pas élaboré les CGV, l'action engagée à son encontre était irrecevable.
Les sociétés PHASE NEUTRE et PHASE NEUTRE NÉGOCE ont déclaré interjeter appel à l'encontre de cette ordonnance le 29 juin 2023.
Le dispositif des dernières conclusions des sociétés PHASE NEUTRE et PHASE NEUTRE NÉGOCE se présente de la manière suivante:
PAR CES MOTIFS
Vu l'article 873 du Code de procédure civile,
Vu l'article L. 441-1 du Code de commerce,
Vu l'article 700 du Code de procédure civile,
Vu les textes et jurisprudences citées et les pièces versées aux débats,
IL EST DEMANDÉ À LA COUR DE :
INFIRMER L'ORDONNANCE DÉFÉRÉE EN CE QU'ELLE A :
- Dit et jugé irrecevables les demandes formulées par la société PHASE NEUTRE NEGOCE,
- Dit et jugé irrecevables les demandes formulées à l'encontre de la société LEGRAND France,
- Débouté les sociétés PHASE NEUTRE et PHASE NEUTRE NEGOCE de toutes leurs demandes, fins et conclusions,
- Condamné solidairement les sociétés PHASE NEUTRE et PHASE NEUTRE NEGOCE à verser une indemnité de huit mille euros (8 000 euros) à chacune des sociétés LEGRAND et LEGRAND France ainsi qu'à supporter les entiers dépens de l'instance dont le coût de l'ordonnance liquidé à la somme de soixante-quatorze euros et soixante-cinq centimes (74.65 euros) dont douze euros et quarante-quatre centimes (12.44 euros) de TVA.
STATUANT À NOUVEAU, ET Y AJOUTANT :
1°) Pour les produits autres que les produits NETATMO PRO et de la gamme LEGRAND WITH NETATMO
- ORDONNER aux sociétés LEGRAND SNC et LEGRAND FRANCE de communiquer aux sociétés PHASE NEUTRE et PHASE NEUTRE NEGOCE les conditions générales de vente négoce (activité d'achat / revente) des produits LEGRAND autres que les produits NETATMO PRO et les produits de la gamme LEGRAND WITH NETATMO, en ce compris les barèmes de prix unitaires, les réductions de prix applicables et les conditions de règlement, sous astreinte de 1.000 € par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir ;
- SE RÉSERVER le pouvoir de liquider ladite astreinte ;
2°) Pour les produits NETATMO PRO et les produits de la gamme LEGRAND WITH NETATMO
À titre principal
- ORDONNER aux sociétés LEGRAND SNC et LEGRAND FRANCE de communiquer aux sociétés PHASE NEUTRE et PHASE NEUTRE LEGRAND les conditions générales de vente négoce pour les produits NETATMO PRO et les produits de la gamme LEGRAND WITH NETATMO, en ce compris les barèmes de prix unitaires, les réductions de prix applicables et les conditions de règlement, sous astreinte de 1.000 € par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir ;
- SE RÉSERVER le pouvoir de liquider ladite astreinte ;
À titre subsidiaire
- ORDONNER aux sociétés LEGRAND SNC et LEGRAND FRANCE de justifier de l'existence et des conditions d'adhésion au réseau de distribution sélective pour les produits NETATMO PRO et les produits de la gamme LEGRAND WITH NETATMO et de démontrer la licéité dudit réseau, sous astreinte de 1.000 € par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir ;
- SE RÉSERVER le pouvoir de liquider ladite astreinte ;
3°) En toutes hypothèses
- DÉBOUTER les sociétés LEGRAND SNC et LEGRAND FRANCE de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions ;
- ORDONNER, en tant que de besoin, la restitution par les sociétés LEGRAND SNC et LEGRAND FRANCE des sommes versées par les sociétés PHASE NEUTRE et PHASE NEUTRE NEGOCE en exécution de l'ordonnance du Président du tribunal de commerce de Limoges du 13 juin 2023 ;
- CONDAMNER in solidum les sociétés LEGRAND SNC et LEGRAND FRANCE à verser aux sociétés PHASE NEUTRE et PHASE NEUTRE NEGOCE la somme de 25.000 € chacune au titre de l'article 700 du Code de procédure civile de première instance et d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Elles font valoir que leur action est parfaitement recevable, que la société PHASE NEUTRE NEGOCE a un intérêt à agir, le moyen soulevé à son encontre relevant de la défense au fond, et que la société LEGRAND FRANCE a qualité pour défendre, comme l'attestent les signataires des courriers en réponse aux mises en demeure de communiquer les CGV, tous deux étant des représentants de la société LEGRAND FRANCE, outre le fait que cette dernière vend 15 % des produits qu'elle fabrique, directement ou indirectement à des acheteurs tiers au groupe LEGRAND, et non à la société LEGRAND SNC.
La société PHASE NEUTRE NEGOCE souligne qu'elle a récemment été immatriculée, de sorte qu'elle n'a effectivement pas encore eu l'occasion d'inviter la société LEGRAND SNC à contracter avec elle. Cet état de fait serait cependant inopérant en l'espèce puisque l'article L. 441-1, II du Code de commerce n'a jamais imposé à un client, préalablement à toute demande de communication des CGV, d'inviter le professionnel visé par la demande « à contracter » avec lui.
Sur le fond elles soutiennent que la seule condition posée pour qu'un acheteur obtienne d'un fournisseur la communication des CGV est qu'il soit un client professionnel potentiel, quelle que soit sa place dans la chaîne de distribution.
Les sociétés appelantes estiment être fondées à solliciter la communication des CGV pour les produits LEGRAND qui ne seraient pas concernés par un réseau de distribution sélective et la même communication ainsi que celle des conditions d'adhésion au réseau de distribution sélective pour les produits NETAMO PRO et les produits de la gamme LEGRAND WITH NETATMO, sans que les sociétés LEGRAND puissent leur objecter qu'elles ne veulent ni négocier, ni contracter avec elles pour s'opposer à leur demande.
S'agissant des produits NETATMO PRO et des produits de la gamme LEGRAND WITH NETATMO, la communication des CGV est refusée au titre de l'existence d'un prétendu réseau de distribution sélective pour lequel la société PHASE NEUTRE n'est pas agrée mais dont les sociétés LE GRAND n'ont jamais communiqué les critères d'adhésion au réseau, ni justifié de la licéité dudit réseau. S'agissant des autres produits des sociétés LEGRAND, le refus aurait été exprimé sans aucune justification. Selon elles pour qu'un plaideur demande en justice la communication des CGV, il n'est pas nécessaire qu'il soit déjà client du professionnel visé, il suffit qu'il soit un client professionnel potentiel.
Selon les sociétés appelantes le juge des référés est compétent pour ordonner à tout fournisseur de communiquer les conditions générales de vente à tout acheteur professionnel qui en ferait la demande sur le fondement de l'article L. 441-1, II du code de commerce qui permet à tout client professionnel potentiel, quelle que soit sa place dans la chaîne de distribution d'en faire la demande. Il peut même s'agir d'un concurrent dès lors qu'il a effectivement vocation à s'approvisionner auprès de l'émetteur des conditions générales demandées. II vise « tout acheteur professionnel qui en fait la demande », cela à des fins de transparence.
Le fournisseur peut ainsi s'opposer à la communication de CGV en arguant de l'existence d'un réseau de distribution sélective mais doit alors justifier des conditions d'adhésion au réseau, de la licéité dudit réseau et du fait que le demandeur des CGV ne remplit pas lesdites conditions, ce que les sociétés intimées ne justifient pas.
Les sociétés LEGRAND SNC et LEGRAND FRANCE demandent à la cour de :
Dire et juger mal fondé l'appel interjeté en l'espèce par PHASE NEUTRE et PHASE NEUTRE NEGOCE à l'encontre de l'ordonnance entreprise ;
Confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;
En conséquence :
Déclarer irrecevables les prétentions formulées par PHASE NEUTRE NEGOCE, faute pour cette dernière de disposer d'un intérêt légitime en l'espèce ;
Déclarer irrecevables les prétentions formulées à l'encontre de LEGRAND FRANCE, faute pour cette dernière d'avoir qualité pour défendre face aux prétentions émises à son encontre;
Dire et juger qu'il n'existe aucun trouble manifestement illicite en l'espèce ;
Dire et juger non fondées l'ensemble des prétentions formulées par PHASE NEUTRE et PHASE NEUTRE NEGOCE ;
Dire n'y avoir lieu à référé ;
Débouter PHASE NEUTRE et PHASE NEUTRE NEGOCE de toutes leurs prétentions, fins
et conclusions contraires ;
Condamner PHASE NEUTRE et PHASE NEUTRE NEGOCE à s'acquitter entre les mains de LEGRAND SNC et de LEGRAND FRANCE d'une somme de 15.000 euros chacune, par application de l'article 700 du CPC ;
Les condamner aux entiers dépens.
Elles soulignent que la société PHASE NEUTRE NEGOCE n'est pas en mesure de négocier ni de contracter avec LEGRAND SNC, puisque cette dernière ne commercialise pas les produits du groupe LEGRAND, ni d'ailleurs aucun autre produit à la connaissance de la concluante, n'édite pas le site internet www.123elec.com, n'a jamais invité LEGRAND SNC à contracter avec elle, n'a plus généralement jamais eu le moindre contact avec LEGRAND SNC, ce qui s'explique notamment par le fait qu'elle a été constituée très récemment, en l'occurrence le 1er juin 2022, ajoutant qu'elle n'est pas même l'auteur des mises en demeure successivement adressées à LEGRAND SNC. Elle ne pourrait donc pas constituer un client, fût-il « potentiel ».
Elles affirment que pour être recevables, les demandes formulées par PHASE NEUTRE et PHASE NEUTRE NEGOCE doivent être dirigées contre l'entité du groupe LEGRAND qui a élaboré les conditions générales de vente objet du présent débat, qui est en mesure de les communiquer et qui pourrait le cas échéant contracter avec des distributeurs.
Or la société LEGRAND FRANCE n'est pas l'auteur des conditions générales de vente sollicitées par les appelantes, ne commercialise pas les produits du groupe LEGRAND auprès des distributeurs du groupe, ne négocie jamais avec eux et ne contracte également jamais avec eux, ne constitue pas la « tête» des deux réseaux de distribution sélective relatifs aux gammes de produits « Legrand with Netatmo » et « Netatmo», n'a jamais donné suite aux sollicitations de PHASE NEUTRE. LEGRAND FRANCE ne commercialise elle-même strictement aucun de ses produits à l'extérieur du groupe LEGRAND et ne contracte jamais avec des tiers.
Les signataires des courriers en réponse aux mises en demeure de communication des CGV, M. [S] et Mme [T], ne sont pas salariés de LEGRAND FRANCE, mais de LEGRAND SNC.
Le seul fait que LEGRAND FRANCE soit la société-mère de LEGRAND SNC ne lui confère en aucun cas qualité pour défendre, puisqu'elle ne saurait être tenue de communiquer des conditions générales de vente qu'elle n'a pas élaborées, qu'elle n'utilise pas et qu'elle ne possède d'ailleurs pas elle-même.
Sur le fond les sociétés intimées soulignent que toute action en référé fondée sur l'existence d'un « trouble manifestement illicite » est subordonnée en premier lieu à la démonstration par le demandeur de l'existence d'un « trouble illicite », lequel n'existe qu'en cas de violation d'une règle de droit, et qu'un « trouble manifestement illicite » ne pourrait être allégué en l'occurrence que s'il était absolument évident et certain que le refus de LEGRAND SNC de communiquer ses conditions générales à PHASE NEUTRE caractérise une violation manifeste de l'article L. 441-1, II du Code de commerce, ce qui n'est pas le cas.
Par ailleurs le refus de LEGRAND SNC de communiquer les « conditions d'adhésion » à son réseau de distribution sélective et de justifier de la licéité de ce même réseau ne constitue pas plus un « trouble manifestement illicite ». L'article L. 441-1, II du code de commerce édicte une obligation précise et circonscrite, qui impose aux opérateurs économiques de communiquer uniquement leurs « conditions générales de vente ». D'autre part la société LEGRAND SNC ne saurait être tenue de communiquer les conditions d'adhésion à son réseau de distribution sélective à PHASE NEUTRE, dans la mesure où elle n'entend pas contracter avec cet opérateur.
S'agissant de la demande de justification de la licéité du réseau de distribution sélective de la société LEGRAND SNC, en sa qualité de demandeur à l'instance, les sociétés intimées considèrent que c'est à la société PHASE NEUTRE qu'il appartient de démontrer que le réseau de distribution litigieux présente un caractère illicite, ce qu'elle ne fait pas, l'article L. 441-1, II du code de commerce ne prescrivant à aucun moment de «justifier» de la licéité du réseau de distribution sélective. Par ailleurs cette question de la licéité d'un réseau de distribution et l'appréciation de la validité d'un contrat type de distribution seraient des questions qui excèdent le pouvoir du juge des référés lequel ne peut jamais se prononcer sur la validité d'un acte juridique.
L'affaire a reçu fixation en application des dispositions de l'article 905 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur l'intérêt à agir de la société PHASE NEUTRE NÉGOCE,
Selon l'article 31 du code de procédure civile « L'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé. »
Les sociétés LEGRAND excipent de l'irrecevabilité, faute d'intérêt, des demandes présentées par la société PHASE NEUTRE NÉGOCE qui visent à obtenir communication des conditions générales de vente (CGV) de la société LE GRAND SNC, alors qu'elle ne peut pas être une cliente, fusse à titre potentiel.
Certes la société PHASE NEUTRE NÉGOCE n'a encore jamais invité la société LEGRAND SNC à contracter avec elle mais elle souhaite commercialiser ses produits en se fondant sur les dispositions de l'article L. 441-1, II du code de commerce, ce qui entre dans le cadre de son activité professionnelle, et c'est en raison de sa récente immatriculation qu'elle n'a pas été en mesure de le faire.
L'affirmation de la société LEGRAND SNC selon laquelle la société PHASE NEUTRE NÉGOCE ne serait pas en mesure de négocier ou de contracter avec LEGRAND SNC et donc d'obtenir la communication des CGV, repose sur l'application voire l'interprétation des dispositions de l'article précité, ce qui relève d'un débat au fond mais ne supprime pas l'intérêt que représenterait pour la société PHASE NEUTRE NÉGOCE un approvisionnement direct auprès de ce fournisseur, sans intermédiaires, ce qui serait de nature à améliorer sa situation dans le cadre de son activité de commercialisation de matériels électriques. Au stade de l'appréciation de la recevabilité d'une action en justice au titre de l'intérêt à agir de son auteur, la question du caractère bien-fondé du droit revendiqué est étranger au débat.
Au stade de la recevabilité de l'action le refus exprimé par la société LEGRAND SNC de contracter avec la société PHASE NEUTRE NÉGOCE n'est pas de nature à faire disparaître l'intérêt à agir de cette dernière.
Le jugement déféré sera en conséquence infirmé de ce chef.
Sur la qualité pour défendre de la société LEGRAND FRANCE
Selon l'article 32 du code de procédure civile, « Est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir ».
La société LE GRAND FRANCE considère que l'action diligentée par les sociétés appelantes ne peut pas être dirigée à son encontre dans la mesure où elle est la société-mère de LEGRAND SNC, qu'elle ne commercialise pas les produits du groupe LE GRAND, ne contracte pas avec les distributeurs de ces produits et ne les approvisionne pas. Elle précise que son activité consiste à concevoir et à fabriquer les produits du groupe LEGRAND, puis à les revendre à LEGRAND SNC, qui les commercialise ensuite elle-même ou par le canal de distributeurs.
Les sociétés appelantes font valoir que les signataires des courriers en réponse aux mises en demeure de communiquer les CGV, adressées par les conseils des sociétés PHASE NEUTRE, sont Mme [P] [T] et M. [R] [S], tous deux représentants de la société LEGRAND FRANCE.
En réalité les courriers en question ont été rédigés sur du papier à en-tête de LEGRAND et au nom de LE GRAND SNC, comme cela apparaît sans équivoque en bas des premières pages, la circonstance que M. [S] fut, par ailleurs, mandataire social de LEGRAND FRANCE étant sans conséquence dès lors qu'il agissait pour le compte de la société LE GRAND SNC et dont il justifie être un salarié.
Par ailleurs il est démontré que la société LEGRAND FRANCE commercialise 100 % de ses produits au sein du groupe LE GRAND, dont 85 % à LEGRAND SNC et 15 % à d'autres entités du groupe. Elle ne commercialise aucun de ses produits à l'extérieur du groupe LEGRAND et ne contracte jamais avec des tiers.
Enfin la société LEGRAND FRANCE n'est pas l'auteur des conditions générales de vente litigieuses, et ne pourrait pas déférer à l'injonction sollicitée par PHASE NEUTRE de les communiquer.
L'ensemble de ces éléments révèle le défaut de qualité en tant que défendeur à l'instance de la société LEGRAND FRANCE et justifie de déclarer irrecevables les demandes présentées par les sociétés PHASE NEUTRE et PHASE NEUTRE NÉGOCE à son encontre et pour ces motifs, substitués à ceux des premiers juges, de confirmer de ce chef l'ordonnance déférée.
Sur les demandes de communication des conditions générales de vente
Le président du tribunal de commerce peut « ...prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. » (article 873 du code de procédure civile).
Il appartient au demandeur en référé de démontrer l'existence de la violation de la règle de droit constitutive d'un « trouble illicite », lequel doit présenter un caractère d'évidence pour être « manifestement illicite ».
C'est sur le fondement de ces pouvoirs du juge des référés que les sociétés PHASE NEUTRE et PHASE NEUTRE NÉGOCE présentent leur demande de communication des conditions générales de vente, et plus particulièrement, exclusivement, sur l'existence d'un trouble manifestement illicite.
Elles font valoir que le refus opposé par la société LEGRAND SNC serait constitutif de ce trouble manifestement illicite pour contrevenir aux dispositions de l'article L. 441-1, II du code de commerce, selon lesquelles « (...) II. - Toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services qui établit des conditions générales de vente est tenue de les communiquer à tout acheteur qui en fait la demande pour une activité professionnelle. Cette communication s'effectue par tout moyen constituant un support durable.»
Cependant la société LEGRAND SNC dénie aux sociétés appelantes la qualité d'acheteur dans la mesure où elle refuse catégoriquement de contracter avec elles, en raison, pour ce qui concerne la société PHASE NEUTRE, d'avoir dans le passé, adopté un comportement qu'elle a jugé blâmable en ayant procédé elle- même à l'assemblage de tableaux électriques au mépris de la sécurité de l'utilisateur final et en affectant ainsi le crédit des produits LE GRAND, et pour ce qui concerne la société PHASE NEUTRE NÉGOCE, pour faire partie du même groupe. Elle considère que cet article L. 441-1 II est un outil au service de la mise en place de futurs pourparlers, susceptibles de se traduire in fine par la conclusion d'un contrat. La transparence qu'elle institue est à comprendre dans le cadre du contrôle des négociations commerciales et la lutte des pratiques anticoncurrentielles.
Les sociétés appelantes ont une lecture totalement différente de ce texte puisque selon elles il n'a donc jamais été question de subordonner son application à la démonstration préalable d'une volonté des parties d'entrer en négociation, précisément car le texte a été créé pour permettre à des distributeurs de comparer les CGV de tous les fournisseurs et de décider sur cette base s'ils entendaient négocier et contracter avec eux.
Il s'agit là d'un débat au fond qu'il n'appartient pas au juge des référés de trancher.
En revanche, pour apprécier l'existence ou non d'un trouble manifestement illicite, il sera constaté que les sociétés PHASE NEUTRE et PHASE NEUTRE NÉGOCE ne sont pas des acheteurs potentiels des produits de la société LE GRAND SNC en raison d'une ferme opposition de la part de cette dernière à nouer tout lien contractuel, exprimée à plusieurs reprises, antérieurement à l'engagement du présent contentieux, et fondée sur des motifs tirés de faits concrets, non discriminatoires.
Dès lors que ce refus n'apparaît pas manifestement illicite, puisqu'il résulte du principe fondamental de liberté contractuelle qui autorise tout opérateur économique à organiser son réseau de distribution comme il l'entend, sous la réserve de ne commettre aucune pratique anticoncurrentielle, les sociétés PHASE NEUTRE et PHASE NEUTRE NÉGOCE ne peuvent pas se considérer comme des acheteurs, même potentiels, de la société LE GRAND, au sens de l'article L. 441-1, II du code du commerce. Ne pouvant en aucun cas être acheteur des produits LE GRAND auprès de la société LE GRAND SNC elles ne sont pas fondées à se prévaloir d'un trouble manifestement illicite qui résulterait du refus de communication, par cette dernière, de ses conditions générales de vente.
L'ordonnance déférée sera confirmée de ce chef, sauf à la rectifier en ce que la société PHASE NEUTRE NÉGOCE ne pouvait pas être déboutée de ses demandes, après avoir jugé qu'elles étaient irrecevables.
Sur les demandes de communication des conditions d'adhésion au réseau de distribution sélective et de justification de la licéité de réseau.
Les sociétés PHASE NEUTRE et PHASE NEUTRE NÉGOCE demandent à la présente juridiction d'ordonner aux sociétés LEGRAND SNC et LEGRAND FRANCE de justifier de l'existence et des conditions d'adhésion au réseau de distribution sélective pour les produits NETATMO PRO et les produits de la gamme LEGRAND WITH NETATMO et de démontrer la licéité dudit réseau, sous astreinte de 1.000 € par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir.
Cependant il sera d'abord constaté que l'article L. 441-1, II du code de commerce édicte une obligation précise et circonscrite, qui impose aux opérateurs économiques de communiquer leurs « conditions générales de vente » auxquelles ne peuvent être assimilées les conditions d'adhésion à un réseau de distribution sélective.
Au surplus la motivation précédemment développée au sujet de la non-application de ce texte pour la communication des CGV aux sociétés appelantes qui ne peuvent pas être qualifiées d' « acheteur », est parfaitement transposables aux conditions d'adhésion au réseau de distribution, en présence du même refus de contracter.
En outre cet article L. 441-1, II ne prescrit pas à la société LEGRAND SNC de « justifier » de la licéité de son réseau de distribution sélective.
L'ordonnance déférée sera confirmée de ce chef.
Sur les demandes accessoires,
Les sociétés appelantes n'obtiennent pas gain de cause en appel et seront condamnées à prendre en charge les dépens de cette instance.
Les sociétés intimées ont été contraintes de défendre leurs justes droits en cause d'appel et il est équitable, en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, de faire partiellement droit à leur demande en condamnant solidairement les sociétés PHASE NEUTRE et PHASE NEUTRE NÉGOCE à leur verser une indemnité de 3 000 €.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par arrêt contradictoire, rendu en dernier ressort, par mise à disposition au greffe et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
CONFIRME l'ordonnance de référé entreprise rendue le 13 juin 2023 par le président du tribunal de commerce de Limoges, sauf en ce qu'elle a jugé irrecevables les demandes présentées par la société PHASE NEUTRE NÉGOCE et l'a ensuite déboutée de ses demandes;
L'INFIRME de ces chefs ;
Statuant à nouveau ;
JUGE recevables les demandes présentées par la société PHASE NEUTRE NÉGOCE ;
DIT n'y avoir lieu à référé ;
CONDAMNE solidairement les sociétés PHASE NEUTRE et PHASE NEUTRE NÉGOCE aux dépens de l'instance d'appel ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE solidairement les sociétés PHASE NEUTRE et PHASE NEUTRE NÉGOCE à verser aux sociétés LE GRAND SNC et LE GRAND FRANCE une indemnité de 3 000 €.