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Décisions

CA Rouen, ch. civ. et com., 14 mars 2024, n° 23/01947

ROUEN

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Foucher-Gros

Conseillers :

M. Urbano, Mme Menard-Gogibu

Avocats :

Me Scolan, Me Gacouin

T. com. Rouen, du 23 juin 2020

23 juin 2020

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Monsieur [P] détient 100% de la société ABC Finances dont il est le gérant, holding d'un groupe exerçant son activité dans le secteur du bâtiment et constitué notamment de la SASU Plascose, qui exerce une activité de travaux de revêtements de sols et de murs, dont elle détient l'intégralité du capital depuis 2003, de la SARL Smatex créée en 2005, ayant pour activité la réalisation de chapes liquides et bétons cirés, dont le capital est aujourd'hui détenu à 51% par la société ABC Finances et à 49% par la société Groupe [X] [V] [Z]. La société Smatex a pour co-gérants M.M [P] et [Z].

La société Plascose a été placée en redressement judiciaire par jugement du 16 septembre 2014, désignant Me [H] en qualité de mandataire judiciaire et la SELARL AJIR (Me [S]) en qualité d'administrateur provisoire avec mission d'assistance, puis en liquidation judiciaire par jugement du 7 juillet 2015 désignant Me [H] en qualité de liquidateur ; la date de cessation des paiements a été fixée au 8 août 2014.

La société Smatex a été placée directement en liquidation judiciaire par jugement du 27 octobre 2015, Me [H] étant nommée en qualité de liquidateur, la date de cessation des paiements étant fixée au 22 octobre 2015.

La société ABC Finances a fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire le 24 février 2015 et a bénéficié d'un plan d'apurement le 23 août 2016. Compte tenu des interactions existant entre ces sociétés, Maître [H], par requête du 12 juillet 2017, sur le fondement de l'article 621-9 du code de commerce, a sollicité du juge commissaire de la procédure de la société Plascose, la désignation d'un technicien afin de faire la lumière sur les relations contractuelles intergroupe, en général et sur les flux financiers intervenus entres les différentes sociétés du groupe, en particulier.

Par ordonnance du 4 septembre 2017, M. [D] a été désigné en qualité de technicien et a clôturé ses opérations le 28 février 2018, n'ayant pu conduire sa mission à défaut de remise des pièces comptables par M. [P], qui a indiqué que pour Plascose et Smatex les archives papiers de ces deux sociétés n'avaient pas été conservées ; que le matériel informatique avait été vendu par le liquidateur et qui n'a pas donné suite à son intention de transmettre des documents de la société ABC Finances.

Par actes signifiés le 5 juillet 2018, Me [H], en sa qualité de liquidateur des sociétés Plascose et Smatex, a fait assigner M.[P] et M. [Z] devant le tribunal de commerce de Rouen aux fins de voir prononcer à leur encontre des sanctions personnelles.

Par jugement du 23 juin 2020, assorti de l'exécution provisoire, le tribunal de commerce de Rouen a :

- déclaré irrecevable l'action en faillite personnelle à l'encontre de Monsieur [G] [P], en raison des fautes commises dans la gestion de la société Plascose,

- déclaré Maitre [O] [H], ès qualités de liquidateur judiciaire des sociétés Plascose et Smatex, recevable pour ses autres demandes, fins et conclusions,

- débouté Me [O] [H] de 1'ensemble de ses demandes, fins et conclusions, à 1'encontre de Monsieur [V] [Z],

- condamné Monsieur [G] [P] à payer à Me [O] [H], ès qualités de liquidateur de la société Plascose, la somme de 651 333,08 euros correspondant à 1'insuffisance d'actif de la procédure collective de la société Plascose,

- condamné Monsieur [G] [P] à payer à Me [O] [H], ès qualités de liquidateur de la société Smatex, la somme de 233 212,03 euros correspondant à 1'insuffisance d'actif de la procédure collective de la société Smatex,

- prononcé la faillite personnelle de Monsieur [G] [P] pour une durée de 10 ans,

- condamné Monsieur [G] [P] à verser à Maitre [O] [H], ès qualités, une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné Me [O] [H] à verser à Monsieur [V] [Z] une somme de 1 000 euros au titre des dispositions de 1'article 700 code de procédure civile,

- dit et juge que les frais de la présente instance seront avancés par le Trésor Public,

- condamné Monsieur [G] [P] aux entiers dépens du présent jugement liquidé, pour les frais du greffe, à la somme de 133,64 euros.

Par arrêt du 11 octobre 2021, la cour d'appel de Rouen a :

- infirmé le jugement entrepris en ce qu'il a :

- condamné M. [P] à payer à Me [H] la somme de 651 333,08 euros correspondant à l'insuffisance d'actif de la procédure collective de la société Plascose,

-condamné M. [P] à payer à Me [H] la somme de 233 212,03 euros correspondant à l'insuffisance d'actif de la procédure collective de la société Smatex,

- fixé à dix ans la durée de la faillite personnelle prononcée à l'encontre de M. [P] ;

Statuant à nouveau de ces chefs,

- condamné M. [P] à payer à Me [H] la somme de 400 000 euros au titre de l'insuffisance d'actif de la procédure collective de la société Plascose,

- condamné M. [P] à payer à Me [H] la somme de 170 000 euros correspondant à l'insuffisance d'actif de la procédure collective de la société Smatex,

- prononcé à l'encontre de M. [G] [P], en sa qualité de co-dirigeant de la SARL Smatex, la faillite personnelle pour une durée de sept (7) années,

- confirmé le jugement entrepris pour le surplus,

- dit qu'en application des articles L. 128-1 et suivants et R.128-1 et suivants du code de commerce, cette sanction fera l'objet d'une inscription au fichier national automatisé des interdits de gérer, tenu sous la responsabilité du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce auprès duquel la personne inscrite pourra exercer ses droits d'accès et de rectification prévus par les articles 15 et 16 du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données,

- condamné M. [P] à payer à Me [H] en sa qualité de liquidateur de la société Plascose la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

- condamné M. [P] à payer à Me [H] en sa qualité de liquidateur de la société Smatex la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

- condamné M. [P] aux entiers dépens de première instance ainsi que ceux d'appel.

Par arrêt en date du 29 mars 2023, la chambre commerciale de la Cour de cassation a :

- cassé et annulé mais seulement en ce qu'il prononce à l'encontre de M. [P], en sa qualité de dirigeant de la société Smatex, une mesure de faillite personnelle d'une durée de sept ans, l'arrêt rendu le 11 octobre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen, et remis, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d'appel de Rouen autrement composée,

La Cour de cassation a jugé que la cour d'appel avait retenu, pour prononcer la faillite personnelle, la destruction de comptabilité qui est postérieure au jugement de liquidation judiciaire alors que seuls des faits antérieurs à la procédure collectives peuvent justifier cette sanction.

Monsieur [G] [P] a saisi la cour d'appel de ce renvoi par déclaration du 6 juin 2023.

Me [H] à qui l'acte de saisine a été signifié à tiers présent n'a pas constitué avocat.

M. [Z] a constitué avocat mais n'a pas conclu.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 23 janvier 2024.

Par note en délibéré autorisée par la cour, M. [P] a indiqué renoncer à son moyen tiré du défaut de production de pièces

par le ministère public.

EXPOSE DES PRETENTIONS

Vu les conclusions du 22 janvier 2024, auxquelles il est renvoyé pour exposé des prétentions et moyens de Monsieur [G] [P] qui demande à la cour de :

- à plus que de besoin, confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré irrecevable Maître [O] [H], en sa qualité de liquidateur judiciaire à la liquidation de la société Plascose en sa demande en condamnation de mesure de faillite personnelle dirigée à l'encontre de M [P],

- mais infirmer le jugement du tribunal de commerce de Rouen en date du 23 juin 2020 en ce qu'il a :

- déclaré recevable et bien fondé l'action en faillite personnelle à l'encontre de Monsieur [G] [P], en raison des fautes commises dans la gestion de la société Smatex,

- prononcé la faillite personnelle de Monsieur [G] [P] pour une durée de 10 ans,

Statuant à nouveau,

- juger qu'aucune faute de gestion susceptible de constituer une source de condamnation à une mesure de faillite personnelle n'est caractérisée à l'encontre de Monsieur [G] [P] concernant la gestion de la société Smatex,

En conséquence,

- débouter Maître [O] [H], en sa qualité de liquidateur judiciaire à la liquidation de la société Smatex en sa demande en condamnation de mesure de faillite personnelle dirigée à l'encontre de Monsieur [P],

- la débouter de toutes ses demandes fins et conclusions,

Infirmant le jugement en ce qu'il a prononcé la faillite personnelle de Monsieur [P] et écartant toutes fautes de gestion,

- dire la Cour tenue de statuer à nouveau sur le prononcé des condamnations de Monsieur [P] au titre de l'insuffisance d'actif des procédures collectives respectivement des Sociétés Plascose et Smatex,

- à tout le moins dire la Cour tenue de statuer à nouveau sur le prononcé de la condamnation de Monsieur [P] au titre de l'insuffisance d'actif de la procédure collective de la Société Smatex,

- juger que nulle faute de gestion ne peut être retenue à l'encontre de Monsieur [P] justifiant tant le prononcé de la faillite personnelle que le prononcé de la condamnation au titre de l'insuffisance d'actif au titre de la procédure collective de la Société Plascose et en tout état du moins au titre de la procédure Smatex,

- juger Monsieur [P] nullement tenu à une quelconque condamnation au titre de l'insuffisance d'actif dans les procédures collectives des Sociétés Plascose et Smatex et à tout le moins dans la procédure collective de la Société Smatex,

- à plus que de besoin infirmer le jugement de ces chefs de condamnation prononcé à l'encontre de Monsieur [G] [P],

- débouter Maître [O] [H] de ses demandes en condamnation au titre de l'insuffisance d'actif des procédures collectives respectivement des Sociétés Plascose et Smatex et à tout le moins de la procédure collective de la Société Smatex,

- condamner Maître [O] [H] ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Smatex à payer à Monsieur [G] [P] la somme 3500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Maître [O] [H] ès- qualités de liquidateur judiciaire de la société Smatex aux entiers dépens d'appel.

Vu les conclusions 12 janvier 2024, auxquelles il est renvoyé pour exposé des prétentions et moyens du ministère public qui :

- conclut au prononcé d'une faillite personnelle pour une durée de sept ans à l'encontre de Monsieur [G] [P].

MOTIFS DE LA DECISION

Sur les condamnations prononcées au titre de l'insuffisance d'actif :

Monsieur [P] soutient que :

*pour connaître l'étendue de la cassation, il convient de se reporter au dispositif et à la portée du moyen qui a servi de base à la cassation ;

*l'arrêt de la Cour de cassation précise que « La condamnation à la faillite personnelle du dirigeant ayant été prononcée en considération de plusieurs fautes, la cassation encourue à raison de l'une d'entre elles entraîne, en application du principe de proportionnalité, la cassation de l'arrêt de ce chef », ce qui doit conduire la cour de renvoi à apprécier de nouveau l'ensemble des fautes pour statuer sur le prononcer ou non de la sanction de faillite personnelle.

*Me [H] ès qualités a engagé son action en responsabilité pour insuffisance d'actif et a présenté une demande de sanction personnelle à l'encontre de M. [P] sur le fondement des mêmes fautes, de sorte que la cour de renvoi est tenue de statuer sur les fautes et d'apprécier de nouveau l'opportunité de prononcer une mesure de faillite personnelle du dirigeant, voire de la condamnation pour insuffisance d'actif à tout le moins au titre de la procédure collective de la société Smatex.

Réponse de la cour :

Aux termes de l'article 623 du code de procédure civile : « La cassation peut être totale ou partielle. Elle est partielle lorsqu'elle n'atteint que certains chefs dissociables des autres. »

Aux termes de l'article 624 du même code : « La portée de la cassation est déterminée par le dispositif de l'arrêt qui la prononce. Elle s'étend également à l'ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire. »

L'arrêt du 11 octobre 2021 a statué distinctement sur :

- la responsabilité de Monsieur [P] pour insuffisance d'actif de la société Plascose

- la responsabilité de Monsieur [P] pour insuffisance d'actif de la société Smatex

- la sanction personnelle prononcée à l'encontre de M. [P] en sa qualité de dirigeant de la société Smatex.

Il a confirmé le jugement du 23 juin 2020 déclaré irrecevable 1'action en faillite personnelle à l'encontre de Monsieur [G] [P], en raison des fautes commises dans la gestion de la société Plascose,

Cet arrêt a été cassé exclusivement sur la mesure de faillite personnelle prononcée à l'encontre de M. [P] en sa qualité de dirigeant de la société Smatex.

La portée de la cassation ne s'étend pas à la condamnation prononcée à l'encontre de M. [P] en sa qualité de dirigeant de la société Plascose. Il en résulte que la disposition de l'arrêt qui a condamné M. [P] à payer à Me [H] la somme de 400 000 euros au titre de l'insuffisance d'actif de la procédure collective de la société Plascose est définitive et que la demande de Monsieur [P] tendant à débouter Me [H] de ses demandes de condamnation au titre de l'insuffisance d'actif de la société Plascose est irrecevable.

La condamnation du dirigeant pour insuffisance d'actif prononcée pour fautes de gestion et la sanction de faillite personnelle prononcée pour des fautes expressément prévues par les articles L653-3 à L 653-6 du code de commerce ne présentent pas entre elles de lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire. Il en résulte que la disposition de l'arrêt du 11 octobre 2021 qui a condamné M. [P] à payer à Me [H] la somme de 170 000 euros correspondant à l'insuffisance d'actif de la procédure collective de la société Smatex est définitive et que la demande de M. [P] tendant à voir débouter Maître [O] [H] de ses demandes en condamnation au titre de l'insuffisance d'actif de la procédure collective de la société Smatex est irrecevables.

Sur la sanction de faillite personnelle :

Moyens des parties :

Le ministère public soutient que M. [P] a poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale.

Il expose que :

*la société Smatex travaillait en sous-traitance de la société Plascose. Elle ne disposait d'aucune autonomie par rapport à la société Plascose ; depuis l'année 2013, elle ne s'était pas fait payer par son donneur d'ordre ses prestations en sous[1]traitance, ne pouvant payer ses fournisseurs alors qu'au terme de la convention de trésorerie Intragroupe, Smatex était créancière de 75 000 €.

*l'ouverture délibérément tardive de la part de son co-gérant M. [P] a profité à la société Plascose et à la holding ABC Finance dont M. [P] était le seul associé et dirigeant. La poursuite de l'activité déficitaire ne pouvait que conduire à la cessation de paiement de la société Smatex.

Me [H] qui n'a pas conclu est réputée s'approprier les motifs du jugement qui retient que M. [P] a poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, notamment par la perception d'une rémunération de gérant, une exploitation déficitaire qui ne pouvait que conduire à la cessation des paiements de la personne morale.

Monsieur [P] soutient que :

*la création de la société Smatex a répondu aux besoins de la société Plascose afin que l'activité de réalisation des travaux de béton ciré et de béton liquide ne lui échappe pas au profit de concurrents, mais elle a développé sa propre clientèle ;

*l'interdépendance entre les sociétés était très relative de sorte qu'il ne peut être retenu que la procédure collective ouverte à l'encontre de la société Plascose emportait nécessairement l'obligation pour M. [P] de prononcer l'état de cessation de paiement de la société Smatex ;

*la preuve d'un intérêt personnel de M. [P] n'est pas rapportée.

Réponse de la cour :

Il résulte des dispositions de l'article L653-4 du code de commerce que le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de tout dirigeant, de droit ou de fait, d'une personne morale, qui a poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale.

Aux termes de l'article L 653-8 du même code : « Dans les cas prévus aux articles L.653-3 à L. 653-6, le tribunal peut prononcer, à la place de la faillite personnelle, l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci (') »

Il ressort de l'organigramme du groupe ABC Finances que la holding ABC Finances est détenue intégralement par M. [P], laquelle détient l'intégralité du capital de la société Plascose et 51% du capital de la société Smatex.

La société Plascose était présidée par la société ABC Finances, elle-même gérée par M. [P].

Le 20 janvier 2005, les sociétés ABC Finances, Plascose et Smatex sont convenues d'une convention de trésorerie aux termes de laquelle les trois sociétés ont établi un pool de trésorerie. La convention prévoit que le pool est animé par la société ABC Finances et qu'il a pour objet d'optimiser la gestion de trésorerie des sociétés. Elle prévoit encore qu'un compte courant strictement réservé à sa mise en œuvre sera ouvert dans les livres des sociétés adhérentes et que les excédents de trésorerie seront mis en commun sous forme de remises en compte courant à vue chez la société ABC Finances.

Il ressort du jugement du 23 août 2016 du tribunal de commerce de Rouen que sur déclaration de cessation des paiements, il a ouvert le 25 février 2015 une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société ABC Finances ; que la société Plascose a été placée en redressement judicaire le 16 septembre 2014 puis en liquidation judiciaire le 7 juillet 2015.

Le 15 octobre 2014, la société Smatex avait déclaré à la procédure collective de la société Plascose une créance de 193 601,96 € TTC. Cette créance correspondait à des contrats de sous-traitance impayés depuis la fin de l'année 2013.

Il ressort du jugement du 27 octobre 2015 que M. [Z], co-gérant de la société Smatex en a déposé la déclaration de cessation des paiements le 23 octobre 2015. La société Smatex n'employait pas de salarié. Son chiffre d'affaires en 2014 avait été de 806 048 € pour une perte de 94 650 €. A la date de la déclaration de cessation des paiements, son passif était de 129 596,06 € et son actif de 4 451,37 €. Elle n'avait pas réglé ses fournisseurs pour la somme de 119 579,16€.

Il ressort des conventions annuelles de prêt de personnel entre les sociétés Plascose et Smatex que la société Smatex bénéficiait d'une mise à disposition du personnel de la société Plascose. Ainsi, lorsque la société Plascose a été placée en liquidation judiciaire le 7 juillet 2015, la société Smatex ne pouvait plus espérer bénéficier de personnel. Son résultat de l'exercice clos en 31 décembre 2014 était déjà largement déficitaire. Il ressort de la déclaration de créance de la société

Lafarge qu'elle était déjà endettée de plus de 100 000 € auprès de son fournisseur. Il résulte de ces éléments que la poursuite de l'activité de la société Smatex à compter du 7 juillet 2015 ne pouvait conduire qu'à sa cessation des paiements, et ceci même si la société Plascose n'était pas son donneur d'ordre exclusif. En sa qualité de co gérant, M. [P] devait alors sans délai déposer une déclaration de cessation des paiements de la société Smatex.

Il ressort des comptes annuels au 31 décembre 2014 de la société Smatex et des comptes annuels de la société ABC Finances au 31 décembre 2015 que :

- le résultat de l'exercice clos au 31 décembre 2014 était pour la société Smatex une perte de 93 752,23 € pour un chiffre d'affaires de 806 047,95 € ;

- la ligne 451 qui est celle du compte courant ouvert en vertu de la convention de trésorerie reflète que la société Smatex disposait au 31 décembre 2014 d'une créance de 75 000 € sur les deux autres sociétés du groupe et d'une créance de 76 970,81 € au 31 décembre 2015.

Il ressort de ces éléments qu'à compter du 7 juillet 2015, c'est à la seule fin d'alimenter le pool de trésorerie entre les sociétés du groupe, au bénéfice des deux sociétés dont il détenait la totalité du capital, que M. [P] s'est abstenu de déposer une déclaration de cessation de paiement de la société Smatex. La poursuite de cette exploitation déficitaire dans le seul intérêt personnel du dirigeant doit être sanctionnée.

Toutefois, au regard de la durée du manquement limité dans sa durée à la période comprise entre le 7 juillet et le 23 octobre 2015, la sanction de faillite personnelle d'une durée de dix années est disproportionnée. Il sera prononcé une interdiction de gérer. Monsieur [P] ne donne pas d'élément sur sa situation personnelle. Au regard de la gravité de la faute et de sa durée, la sanction sera prononcée pour une durée de trois années.

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

Il résulte des dispositions de l'article 639 du code de procédure civile que la juridiction de renvoi statue sur la charge de tous les dépens exposés devant les juridictions du fond, y compris ceux afférents à la décision cassée. Ce texte instituant

une obligation pour la juridiction de renvoi de statuer sur les dépens et sur l'indemnité de procédure dont le sort est assimilé aux dépens, les dispositions relatives aux dépens et indemnités de procédure exposés en première instance et en appel sont implicitement cassées, sauf cas de cassation sans renvoi.

M. [P] sera condamné aux dépens de première instance et d'appel. Me [H] sera déboutée de sa demande présentée au titre des frais irrépétibles de première instance.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant dans les limites de saisine par arrêt rendu par défaut ;

Déclare irrecevable les demandes de M. [P] tendant à débouter Me [H] de ses demandes de condamnation au titre de l'insuffisance d'actif des procédures collectives de la société Plascose et de la société Smatex ;

Infirme le jugement du 23 juin 2020 en ce qu'il a :

- prononcé la faillite personnelle de Monsieur [G] [P] pour une durée de 10 ans ;

- condamné Monsieur [G] [P] à verser à Maitre [O] [H], ès qualités, une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau

Prononce à l'encontre de M. [P] une interdiction de gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole, toute personne morale ;

Dit que l'interdiction est d'une durée de trois ans ;

Dit qu'en application des articles L.128-1 et suivants et R.128-1 et suivants du code de commerce, cette sanction fera l'objet d'une inscription au Fichier national automatisé des interdits de gérer, tenu sous la responsabilité du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce auprès duquel la personne inscrite pourra exercer ses droits d'accès et de rectification prévus par les articles 15 et 16 du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données ;

Déboute Me [H] de sa demande présentée au titre des frais irrépétibles de première instance ;

Y ajoutant :

Dit qu'en application des articles R653-3 et R661-7 du code de commerce, la présente décision sera notifiée aux parties et au procureur général à la diligence du greffier de la cour dans les huit jours de son prononcé et qu'une copie de la présente décision sera transmise dans les huit jours de son prononcé au greffier du tribunal de commerce de Rouen pour l'accomplissement des mesures de publicité prévues par l'article R621-8 du code de commerce ;

Condamne Monsieur [P] aux dépens de première instance et d'appel.