CA Paris, Pôle 5 ch. 8, 14 mars 2024, n° 23/00015
PARIS
Arrêt
Infirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Hébert-Pageot
Conseillers :
Mme Dubois-Stevant, Mme Lacheze
Avocat :
Me Cauvin
FAITS ET PROCÉDURE :
La SARLU Philinvest, dont M. [M] [O] était le gérant, exerçait une activité d'achat et de vente depuis 2007.
Sur déclaration de cessation des paiements et par jugement du 21 septembre 2020, le tribunal de commerce de Meaux a ouvert à l'égard de la société Philinvest une procédure de liquidation judiciaire, fixé la date de cessation des paiements au 1er octobre 2019 et désigné la SCP [Z] - [P] - [R], prise en la personne de Me [R], en qualité de liquidateur judiciaire.
Sur assignation du liquidateur judiciaire du 21 mars 2022, invoquant trois griefs tenant au défaut de déclaration de cessation des paiements dans le délai légal, à une abstention volontaire de coopérer avec les organes de la procédure faisant obstacle à son bon déroulement et à la tenue d'une comptabilité irrégulière, et par jugement réputé contradictoire du 19 septembre 2022, le tribunal de commerce de Meaux a, retenant les deux premiers griefs, prononcé à l'encontre de M. [O] la faillite personnelle pour une durée de dix ans et ordonné l'emploi des dépens en frais de liquidation judiciaire.
Par déclaration du 13 décembre 2022, M. [O] a fait appel de ce jugement et, par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 8 mars 2023 et signifiées au liquidateur judiciaire le 23 mars 2023, il demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, de débouter la SCP [Z] - [P] - [R] ès qualités de l'ensemble de ses demandes, de la condamner à lui verser la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens avec droit de recouvrement direct.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 21 juin 2023, le ministère public conclut à la confirmation du jugement entrepris dans son principe mais à sa réformation quant à la nature de la sanction et au prononcé d'une mesure d'interdiction de gérer pour une durée de dix ans.
La déclaration d'appel a été signifiée à la SCP [Z] - [P] - [R] ès qualités par acte déposé à l'étude de l'huissierinstrumentaire le 28 février 2023. La SCP [Z] - [P] - [R] ès qualités n'a pas constitué avocat.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 28 novembre 2023.
SUR CE,
Dans son assignation, Me [R] ès qualités a reproché à M. [O] de s'être abstenu volontairement de coopérer avec elle en ne lui communiquant pas les éléments lui permettant de prendre position sur le sort d'une somme de 9.600 euros séquestrée entre les mains d'un notaire au titre d'une opération immobilière achevée, de ne pas avoir tenu une comptabilité régulière eu égard aux propositions de rectification fiscale faisant état d'une minoration de déclarations mensuelles de TVA entre avril 2017 et janvier 2019 et d'une omission de passation d'écritures dans les documents comptables obligatoires au titre de la période du 1er avril 2017 au 31 janvier 2019, et d'avoir tardé à déclarer la cessation des paiements.
Le tribunal n'a pas examiné le grief tiré des irrégularités comptables, retenant que
M. [O] n'avait pas fait d'observation sur les propositions de rectification fiscale et avait ainsi fait obstacle au bon déroulement de la procédure collective.
Sur l'abstention volontaire de coopérer avec les organes de la procédure faisant obstacle à son bon déroulement :
Le tribunal a retenu le grief formulé par Me [R] ès qualités considérant qu'en ne donnant pas d'information relativement au séquestre d'une somme de 9.600 euros constitué entre les mains d'un notaire dans le cadre d'une opération immobilière, alors que le liquidateur judiciaire l'avait sollicité, M. [O] s'était abstenu volontairement de coopérer et avait fait ainsi obstacle au bon déroulement de la procédure collective.
M. [O] soutient que l'obstacle au bon déroulement de la procédure collective n'est pas constitué, le liquidateur judiciaire étant en mesure d'obtenir des informations de la part du notaire.
Le ministère public estime établi le grief, M. [O] n'ayant pas répondu à la demande d'information du liquidateur judiciaire.
L'article L. 653-5 du code de commerce sanctionne de la faillite personnelle le fait d'avoir, en s'abstenant volontairement de coopérer avec les organes de la procédure, fait obstacle à son bon déroulement.
Il n'est produit aux débats aucune pièce afférente au séquestre visé par le liquidateur judiciaire dans son assignation. Ni l'interrogation du notaire ni la demande d'explication formulée auprès de M. [O] par Me [R] ès qualités ni les déclarations de créances ne sont produites.
Faute d'éléments justifiant de l'existence du grief, la cour n'étant pas en mesure d'apprécier si l'abstention reprochée à M. [O] a fait obstacle au bon déroulement de la procédure collective, le grief sera écarté.
Sur le défaut de déclaration de cessation des paiements :
Le tribunal a retenu ce grief invoqué par Me [R] ès qualités dans son assignation.
M. [O] soutient que le tribunal ne pouvait prononcer la faillite personnelle au titre de ce grief et qu'il ne s'est pas expliqué sur le caractère volontaire de la tardiveté de la déclaration de cessation des paiements. Il ajoute qu'en l'absence d'obligation de demander l'ouverture d'une procédure de conciliation, le défaut d'une telle demande ne peut justifier le prononcé de la faillite personnelle.
Le ministère public soutient que la déclaration de cessation des paiements a été effectuée tardivement, la date de cessation des paiements ayant été fixée par le tribunal, en accord avec M. [O], près d'un an avant le jugement d'ouverture et que l'importance de l'insuffisance d'actif, soit 382.000 euros, démontre que c'est sciemment que M. [O] a tardé à déclarer la cessation des paiements.
M. [O] a déclaré la cessation des paiements le 9 septembre 2020 alors qu'il aurait dû le faire avant le 16 novembre 2019 dès lors que le tribunal a, dans le jugement d'ouverture du 21 septembre 2020, fixé la date de cessation des paiements au 1er octobre 2019, date que M. [O] avait lui-même mentionnée dans sa déclaration de cessation des paiements.
Au 30 septembre 2019, le compte bancaire de la société Philinvest était ainsi débiteur de 13.895,32 euros et il n'a pas retrouvé de position créditrice, le solde étant débiteur au 31 octobre 2019 du montant de 14.579,79 euros, sans qu'aucune opération de crédit n'ait été inscrite, montant que M. [O] a déclaré au titre d'une créance échue dans la déclaration de cessation des paiements du 9 septembre 2020.
La cour observe toutefois que l'exercice clos le 30 septembre 2019 a dégagé un bénéfice d'exploitation de 73.821 euros et un bénéfice courant avant impôt de 73.736 euros, que les propositions de rectification fiscale sont postérieures au jugement d'ouverture, la cour étant dans l'ignorance de la date des opérations de vérification fiscale, et que dans sa déclaration de cessation des paiements M. [O] a expliqué que la dernière opération immobilière avait été déficitaire et qu'il n'était pas parvenu à trouver un partenaire financier permettant de monter une autre opération. Il se déduit de ces éléments que M. [O] a pu légitimement considérer qu'il était en mesure de redresser la société en cherchant de nouveaux financements. La cour observe également qu'il n'est pas fait état d'une augmentation du passif en période suspecte, la notification des redressements fiscaux étant postérieure au jugement d'ouverture et les droits éludés portant sur une période antérieure à la date de cessation des paiements.
Il s'ensuit que la cour ne retiendra pas que c'est sciemment que M. [O] a tardé à déclarer la cessation des paiements.
Sur la comptabilité :
M. [O] soutient que le tribunal a retenu à tort qu'il avait fait obstacle au bon déroulement de la procédure collective en ne formulant pas d'observation aux propositions de rectification fiscale.
Le ministère public, qui ne reprend pas les motifs retenus par le tribunal sur ce point, soutient que la comptabilité de la société Philinvest était manifestement irrégulière eu égard aux propositions de rectification fiscale sur lesquelles M. [O] n'avait pas fait d'observation.
Contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, le grief dont il était saisi avait trait, au vu de l'assignation, non à une abstention volontaire de coopérer avec les organes de la procédure faisant obstacle à son bon déroulement mais à la tenue d'une comptabilité irrégulière.
Les propositions de rectification fiscale des 8 et 23 juin et du 14 septembre 2021 ne sont pas produites aux débats.
Seules leurs conclusions sont brièvement rappelées par l'assignation et les conclusions en appel du ministère public, à savoir l'existence d'omission de passation d'écritures dans la comptabilité au titre de la période du 1er avril 2017 au 31 janvier 2019 et des droits éludés évalués à près de 173.000 euros. Si M. [O] n'a pas contesté ces propositions de rectification fiscale et que ces seuls constats, dressés par l'administration fiscale, sont de nature à établir la tenue d'une comptabilité irrégulière, la cour n'est pas en mesure d'en apprécier la nature et la gravité.
Dans ces conditions et en l'absence de caractérisation des deux précédents griefs, la cour considère qu'il n'y pas lieu de prononcer une sanction à l'égard de M. [O].
Le jugement sera donc infirmé, sauf en ce qu'il a mis les dépens à la charge de la liquidation judiciaire, et la SCP [Z] - [P] -[R] ès qualités déboutée de toutes ses demandes.
La SCP [Z] - [P] - [R] ès qualités n'ayant pas constitué avocat en appel,
M. [O], qui n'avait pas comparu devant le tribunal malgré une assignation par acte déposé à l'étude de l'huissier instrumentaire, sera débouté de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile à l'encontre du liquidateur judiciaire.
PAR CES MOTIFS,
La Cour, statuant par défaut,
Infirme le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a mis les dépens à la charge de la liquidation judiciaire ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
Déboute la SCP [Z] - [P] - [R] ès qualités de toutes ses demandes ;
Déboute M. [M] [O] de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Ordonne l'emploi des dépens d'appel en frais privilégiés de la procédure collective.