CA Limoges, ch. soc., 14 mars 2024, n° 22/00929
LIMOGES
Arrêt
Autre
PARTIES
Demandeur :
Auto Bilan 87 (SARL)
Défendeur :
Boissou (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Pugnet
Conseillers :
Mme Voisin, Mme Chaumond
Avocats :
Me Boyer, Me Valiere-Vialeix
EXPOSÉ DU LITIGE
Par acte sous seing privé du 29 juin 1992, la société ETABLISSEMENTS BOISSOU a donné à bail commercial, en sa qualité de propriétaire, à la société AUTO BILAN 87 :
- des locaux dépendant d'un immeuble sis [Adresse 1] à [Localité 3], comprenant un local à usage d'atelier d'une superficie de 435 mètres carrés environ avec le terrain attenant dont la jouissance est commune avec les autres locataires de la société ETABLISSEMENTS BOISSOU,
- pour y exercer l'activité de contrôle technique de véhicules automobiles,
- pour une durée de 9 années reconductibles à compter du 1er juin 1992,
- moyennant un loyer annuel initial de 60 000 francs, hors taxes et hors charges.
Par jugement du président du tribunal de grande instance de Limoges chargé des procédures de loyers commerciaux en date du 15 décembre 2010, confirmé par arrêt de la cour d'appel de Limoges du 1er mars 2012, la société ETABLISSEMENTS BOISSOU a été déboutée de sa demande tendant à voir fixer le loyer, alors fixé à 1 146,75 € hors-taxes par mois, à 2 565,35 € hors-taxes par mois à compter du 1er juin 2010 .
Le bail a été renouvelé jusqu'au 31 mai 2019.
Par acte d'huissier du 21 janvier 2019, la société AUTO BILAN 87 a sollicité de la société ETABLISSEMENTS BOISSOU le renouvellement du bail commercial à compter du 1er juin 2019 aux conditions et charges initiales.
Par acte d'huissier du 15 mars 2019, la société ETABLISSEMENTS BOISSOU a signifié à la société AUTO BILAN 87 son accord pour le renouvellement du bail commercial, mais à condition que le loyer soit augmenté à hauteur de 36 000€ HT par an pour correspondre à la valeur locative réelle du bien.
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Les parties n'étant pas parvenues à un accord sur le montant du loyer, la société ETABLISSEMENTS BOISSOU a fait assigner la société AUTO BILAN 87, par acte d'huissier délivré le 23 juillet 2020, devant le président du tribunal judiciaire de Limoges statuant en matière de loyers commerciaux pour voir fixer le loyer annuel à 36 000 € hors-taxes et charges.
Par jugement rendu le 17 mars 2021, le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Limoges a :
- constaté l'absence de contestation quant au renouvellement du bail à compter du 1er juin 2019 ;
- avant dire droit sur la fixation du loyer renouvelé, ordonné une expertise et commis Mme [M] [J] pour y procéder aux fins notamment de donner son avis sur la valeur locative du bien déterminée selon les critères de l'article L 145-33 du code de commerce.
L'expert judiciaire a déposé son rapport les 10 février 2022. Elle a estimé la valeur locative de l'immeuble en cause à 21'945 € par an.
Par jugement rendu le 23 novembre 2022, le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Limoges a :
' rappelé que le bail commercial entre la société ÉTABLISSEMENTS BOISSOU et la société AUTO BILAN 87 portant sur les locaux sis [Adresse 1] à [Localité 3] est intervenu pour une durée de neuf années à compter du 1er juin 2019 ;
' fixé le montant du loyer renouvelé que la société AUTO BILAN 87 doit régler à la société ETABLISSEMENTS BOISSOU, à compter du 1er juin 2019, à la somme annuelle de 25'000 € hors-taxes et hors charges ;
' dit que les sommes dues par la société AUTO BILAN 87 au titre des arriérés de loyers ne produiront intérêts qu'à compter de la signification du jugement ;
' rejeté la demande d'anatocisme de la société ETABLISSEMENTS BOISSOU ;
' constaté l'exécution provisoire du jugement ;
' débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;
' dit que chaque partie devra payer la moitié des dépens d'instance, lesquels comprennent notamment les frais d'expertise judiciaire.
La société AUTO BILAN 87 a interjeté appel de ce jugement le 23 décembre 2022.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 21 mars 2023, la SARL AUTO BILAN 87 demande à la cour de :
infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire du 23 novembre 2022 en ce qu'il a fixé le montant du loyer renouvelé que la société AUTO BILAN 87 doit régler à la société ETABLISSEMENTS BOISSOU, à compter du 1er juin 2019, à la somme annuelle de 25 000 € hors taxes et hors charges ;
fixer la valeur locative du local à 21 945 € par an ;
juger que les frais d'expertise seront intégralement supportés par la SAS ETABLISSEMENTS BOISSOU ;
débouter la SAS ETABLISSEMENTS BOISSOU de ses demandes.
condamner la SAS ETABLISSEMENTS BOISSOU aux entiers dépens.
La société AUTO BILAN 87 fait valoir que les facteurs locaux de commercialité n'ont pas subi de modification notable depuis ces dernières années, au contraire le c'ur d'activité de la zone industrielle nord s'étant déplacé au nord-ouest en direction de Family village et surtout vers le nouveau village automobile.
De plus, de nouveaux concurrents à la société AUTO BILAN 87 sont apparus.
En outre, le local loué est vétuste et a besoin de réparations importantes à la charge du bailleur.
La société AUTO BILAN 87 accepte néanmoins la fixation du loyer, conformément à l'expertise judiciaire, à hauteur de 21'945 € par an.
Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 13 avril 2023, la société ETABLISSEMENTS BOISSOU demande à la cour de :
faire droit à son appel incident, recevable et bien fondé ;
confirmer le jugement en date du 23 Novembre 2022 en ce qu'il a rappelé que le renouvellement du bail commercial entre la société ETABLISSEMENTS BOISSOU et la société AUTO BILAN 87 portant sur des locaux commerciaux situés [Adresse 1], est intervenu pour une durée de neuf ans à compter du 1er juin 2019;
Statuant de nouveau,
- dire et juger que le loyer renouvelé sera fixé à la valeur locative compte tenu de la modification notable des facteurs locaux de commercialité au cours de la dernière période locative ;
- dire et juger que la valeur locative des locaux loués s'élève, au 1er juin 2019 à la somme annuelle de 36 000€ hors charges, hors taxes ;
- fixer le montant du loyer de renouvellement à la somme de 36 000€ hors charges, hors taxes par an à compter du 1er juin 2019 ;
- condamner la société AUTO BILAN 87 à rembourser à la société ETABLISSEMENTS BOISSOU les arriérés sur le loyer et le dépôt de garantie depuis la date de renouvellement, soit le 1er juin 2019, et à payer à la société ETABLISSEMENTS BOISSOU, les intérêts au taux légal sur les arriérés constitués depuis le 1 er juin 2019 ainsi que leur capitalisation ;
A titre subsidiaire,
- confirmer le jugement rendu en ce qu'il a fixé le montant du loyer renouvelé à la somme annuelle de 25 000€ hors taxes et hors charges ;
- débouter la société AUTO BILAN 87 de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions contraires ;
- condamner la société AUTO BILAN 87 à payer à la société ETABLISSEMENTS BOISSOU la somme de 6 000€ au titre de l'article 700 du Code de procédure civile;
- condamner la société AUTO BILAN 87 aux entiers dépens de première instance et d'appel, en ce compris, les frais d'expertise.
La société ETABLISSEMENTS BOISSOU soutient que le loyer doit être réévalué de façon conséquente, car l'environnement commercial du secteur s'est fortement développé.
Les locaux sont en bon état et bénéficient d'un parking.
Les loyers commerciaux pratiqués dans la même zone d'activité commerciale s'élèvent en moyenne à 82,75 € du m2.
Ces différents éléments justifient l'augmentation du loyer à hauteur de 36'000 € par an.
SUR CE,
L'article L145-33 du code de commerce dispose que 'Le montant des loyers des baux renouvelés ou révisés doit correspondre à la valeur locative.
A défaut d'accord, cette valeur est déterminée d'après :
1 Les caractéristiques du local considéré ;
2 La destination des lieux ;
3 Les obligations respectives des parties ;
4 Les facteurs locaux de commercialité ;
5 Les prix couramment pratiqués dans le voisinage'.
1) Sur les caractéristiques du local
L'article R. 145-3 code de commerce dispose que 'Les caractéristiques propres au local s'apprécient en considération :
1° De sa situation dans l'immeuble où il se trouve, de sa surface et de son volume, de la commodité de son accès pour le public ;
2° De l'importance des surfaces respectivement affectées à la réception du public, à l'exploitation ou à chacune des activités diverses qui sont exercées dans les lieux ;
3° De ses dimensions, de la conformation de chaque partie et de son adaptation à la forme d'activité qui y est exercée ;
4° De l'état d'entretien, de vétusté ou de salubrité et de la conformité aux normes exigées par la législation du travail ;
5° De la nature et de l'état des équipements et des moyens d'exploitation mis à la disposition du locataire'.
En l'espèce, il s'agit d'un ensemble immobilier comprenant un atelier de garage à usage de contrôle technique d'une superficie de 399 m² utiles selon l'expert judiciaire (435 m² selon le bail), dont 44 m² à usage de bureaux, avec un terrain attenant dont la jouissance est commune avec les autres locataires de la société ÉTABLISSEMENTS BOISSOU.
Le bâtiment, qui dispose donc d'un parking, est situé en bordure de la rue Auguste Comte. Il est facilement identifiable et accessible.
Si le sol du garage est en béton avec une bonne résistance, le bâtiment est ancien datant des années 70. Certaines dalles du plafond présentent des infiltrations. L'expert indique que la toiture est en amiante, dans un état médiocre. La SARL DEBEAUPTE ET FILS a attesté le 17 novembre 2020 que la réfection complète de la couverture était nécessaire du fait de l'importance des infiltrations et de la vétusté de nombreux éléments. Le chauffage au gaz avec des aérothermes est hors d'usage selon l'expert judiciaire qui note un faible niveau de confort. Les trois portes sectionnelles donnant sur la rue s'ouvrent manuellement et ne comportent pas de frein d'arrêt, ce qui n'est pas conforme aux normes de sécurité.
Au total, le bâtiment est exploitable sans difficulté majeure, mais présente une certaine vétusté pouvant être invalidante.
2) La destination des lieux est exclusivement le contrôle technique de véhicules automobiles selon le bail commercial.
3) Les obligations respectives des parties
Elles sont celles figurant classiquement dans un bail commercial et elles n'ont pas appelé de remarques particulières des parties à ce sujet.
4) Les facteurs locaux de commercialité
L'article R 145-6 du code de commerce prévoit que 'Les facteurs locaux de commercialité dépendent principalement de l'intérêt que présente, pour le commerce considéré, l'importance de la ville, du quartier ou de la rue où il est situé, du lieu de son implantation, de la répartition des diverses activités dans le voisinage, des moyens de transport, de l'attrait particulier ou des sujétions que peut présenter l'emplacement pour l'activité considérée et des modifications que ces éléments subissent d'une manière durable ou provisoire'.
L'immeuble est situé dans la zone industrielle nord de [Localité 3] relativement dynamique, facilement accessible par l'autoroute A 20.
Il est entouré de multiples locaux industriels, enseignes et commerces, notamment le centre commercial Leclerc au sud, le centre Family Village au nord et le centre commercial Cora à l'est ainsi que plusieurs centres automobiles aux alentours (plusieurs concessions automobiles et des magasins liés à ce secteur d'activité).
Il bénéficie donc d'un chaland important qui s'est développé au cours des dernières années, notamment en raison de l'implantation en 2010 du centre d'activités commerciales Family Village. De plus, dans la rue Auguste Comte se sont ouverts entre 2010 et 2019 une galerie commerciale et un centre dédié aux loisirs (Escape game, trampoline parc, laser game).
Néanmoins, l'expert judiciaire note que, si le flux de véhicules a augmenté dans la rue Auguste Comte, l'impact en termes d'apport de clientèle dans le domaine du contrôle technique automobile a été très limité. En effet, cette activité est sans rapport avec celle de Family Village, d'un centre dédié aux loisirs ou de centres commerciaux à vocation principalement alimentaire.
De plus, au cours des dix dernières années, le nombre de centres de contrôle technique s'est multiplié, y compris en zone nord de [Localité 3], ce qui a créé une concurrence importante pour la société AUTO BILAN 87.
5) Les prix couramment pratiqués dans le voisinage
L'article R 145-7 du code de commerce dispose que 'Les prix couramment pratiqués dans le voisinage, par unité de surfaces, concernent des locaux équivalents eu égard à l'ensemble des éléments mentionnés aux articles R. 145-3 à R. 145-6.
A défaut d'équivalence, ils peuvent, à titre indicatif, être utilisés pour la détermination des prix de base, sauf à être corrigés en considération des différences constatées entre le local loué et les locaux de référence.
Les références proposées de part et d'autre portent sur plusieurs locaux et comportent, pour chaque local, son adresse et sa description succincte. Elles sont corrigées à raison des différences qui peuvent exister entre les dates de fixation des prix et les modalités de cette fixation'.
L'expert judiciaire a fait état de 20 baux commerciaux avec les loyers respectifs pratiqués dans la rue Auguste Comte ou à proximité.
Il en résulte une moyenne arrondie au mètre carré de 80 €.
Les deux baux commerciaux à destination de contrôle technique automobile que produit la société ÉTABLISSEMENTS BOISSOU stipulent des loyers de 2 590 € TTC par mois, soit 31'080 € TTC par an, concernant le local situé [Adresse 2] d'une part, et 3 400 € TTC par mois, soit 40'800 € TTC par an, concernant le local situé au Palais-sur-Vienne, d'autre part.
Mais, la situation de ces établissements ne peut pas tout à fait être comparée à celle de la société AUTO BILAN 87 dans la mesure où ils ne sont pas situés dans le même secteur géographique. Par ailleurs, l'état de ces locaux n'est pas connu, au regard notamment de la vétusté.
De plus, la surfaces louées respectivement avenue du général Leclerc pour 6 ares et 85 centiares et au Palais-sur-Vienne pour 41 ares et 98 centiares sont plus importantes que la surface louée à la société AUTO BILAN 87.
Ainsi, le point fort de l'immeuble, objet du bail commercial, est sa situation géographique dans une zone commerciale et industrielle dynamique où le chaland s'est développé de façon importante au cours des dernières années, facilement accessible par les axes routiers.
Ce point positif doit néanmoins être tempéré dans la mesure où l'impact reste limité en termes d'apport de clientèle dans le domaine du contrôle technique automobile.
Le point faible du local loué reste son état vétuste datant des années 70, des travaux de structure devant être réalisés par le bailleur, notamment au niveau de la toiture en amiante qui n'est pas étanche. En outre, les normes de sécurité ne sont pas respectées concernant les portes sectionnelles, travaux incombant également au bailleur.
Au regard de ces éléments et ne considérant pas qu'il s'agisse d'un local à vocation industrielle, il convient de fixer le loyer annuel de l'immeuble loué à la somme de 25 000 € hors taxes et hors charges.
Comme retenu par le premier juge, la société AUTO BILAN 87 devra payer le loyer fixé à 25 000 € depuis le 1er juin 2019. En conséquence, elle devra payer à la société ETABLISSEMENTS BOISSOU la différence entre ce nouveau loyer et l'ancien, sans que ce différentiel ne produise intérêts avant la signification du jugement du 23 novembre 2022 et sans que la capitalisation de ces intérêts ne soit ordonnée.
- Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Les dispositions prises à ce titre dans le jugement seront confirmées.
En appel, au vu de la solution du litige, il sera fait masse des dépens qui seront partagés par moitié entre les parties.
Il est équitable de débouter chacune des parties de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.
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PAR CES MOTIFS
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La Cour statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, par mise à disposition au greffe, après en avoir délibéré conformément à la loi ;
CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu le 23 novembre 2022 par le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Limoges ;
DEBOUTE chacune des parties de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;
FAIT masse des dépens qui seront partagés par moitié entre les parties.