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Décisions

CA Bordeaux, 4e ch. com., 25 septembre 2023, n° 21/03746

BORDEAUX

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

COEUR DES JALLES (S.A.R.L.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. FRANCO

Conseillers :

Mme GOUMILLOUX, Mme MASSON

Avocats :

SELARL LEXAVOUE BORDEAUX, SCP ANNIE TAILLARD AVOCAT

TC Bordeaux, du 11 juin 2021

11 juin 2021

Par contrat du 29 avril 2020, la société Coeur des Jalles, qui exploite une pharmacie à [Localité 3] (33), a commandé 8 000 masques en textile à la société L et J Diffusion pour un prix de 22 999 euros. Le bon de commande portait la mention 'date de livraison souhaitée: 13 mai 2020 et date de livraison prévue: 13 mai 2020".

Le 30 avril 2020, la société Coeur des Jalles a versé un acompte d'un montant de 13 799,40 euros à la société L et J Diffusion.

Le 18 mai 2020, la société L et J Diffusion a livré à sa cliente 1000 masques. Par mail du même jour, la société Coeur des Jalles a indiqué à la société L et J Diffusion qu'elle avait perdu le marché de plusieurs entreprises du fait du retard de livraison, qu'elle procédait à l'annulation de la commande, hormis les 1 000 masques déjà livrés et qu'elle sollicitait le remboursement de son acompte après déduction du coût des 1000 masques. En réponse, la société L et j lui indiquait que 3000 masques supplémentaires allaient lui être livrés sous peu. La société Coeur de Jalles répondait qu'elle acceptait la livraison avec retard de ces 3000 masques supplémentaires mais qu'elle annulait le surplus de la commande.

Le 24 mai 2020, la société L et J Diffusion annonçait à sa cliente que le solde de sa commande serait confiée au transporteur le lendemain. La société Coeur de Jalles lui répondait de ne pas faire partir la commande.

Par courrier du 15 juin 2020, le conseil de la société L et J Diffusion informait la société Coeur de Jalles du fait que la commande n'était pas annulable et que le contrat ne comportait pas de délai impérieux. Il lui était réclamé le solde du prix de la commande.

Par courrier du 26 juin 2020, la société Coeur des Jalles a réitéré sa volonté d'annuler la commande, expliquant avoir reçu à ce jour 4500 masques.

Par acte d'huissier de justice du 31 juillet 2020, la société L et J Diffusion a assigné la société Coeur des Jalles devant le tribunal de commerce de Bordeaux aux fins d'obtenir sa condamnation au paiement de la somme de 9 319,60 euros et à prendre possession des produits contractuels à ses frais.

Par jugement contradictoire du 11 juin 2021, le tribunal de commerce de Bordeaux a :

- condamné la société Coeur des Jalles à payer à la société L et J Diffusion la somme de 9 319,60 euros outre intérêts au taux légal à partir du 15 juin 2020 et à prendre possession du solde de sa commande à ses frais,

- débouté la société Coeur des Jalles de sa demande d'astreinte,

- ordonné l'anatocisme par année entière à compter du 31 juillet 2020 date de la première demande en justice,

- ordonné l'exécution provisoire,

- débouté la société Coeur des Jalles de l'ensemble de ses demandes,

- condamné la société Coeur des Jalles à payer à la société L et J Diffusion la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Coeur des Jalles aux entiers dépens de l'instance.

En substance, le tribunal a jugé que le délai figurant dans le bon de commande n'était qu'indicatif et qu'eu égard au contexte inédit lié au confinement, le retard de livraison de 9 jours, s'agissant du solde de la commande, était acceptable.

Par déclaration du 30 juin 2021, la société Coeur des Jalles a interjeté appel de cette décision, énonçant les chefs de la décision expressément critiqués, intimant la société L et J Diffusion.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par dernières écritures notifiées par RPVA le 02 juin 2023, auxquelles la cour se réfère expressément, la société Coeur des Jalles, demande à la cour de :

- infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux le 11 juin 2021 en ce qu'il l'a condamné à payer à la société L et J Diffusion la somme de 9 319,60 euros outre intérêts au taux légal à partir du 15 juin 2020 et à prendre possession du solde de sa commande à ses frais,

- et par conséquent,

- prendre acte de ce que la date de livraison était impérative et s'opposait à des livraisons échelonnées,

- prendre acte de ce que la société L et J Diffusion n'a pas exécuté ses obligations relatives à la livraison des masques commandés,

- déclarer légitime son comportement,

- prononcer la résiliation judiciaire

- condamner, à titre reconventionnel, la société L et J Diffusion à lui rembourser 794,73 euros en raison de la différence entre les quantités livrées et le montant de l'acompte versé,

- condamner, à titre reconventionnel, la société L et J Diffusion en paiement de la somme de 50 000 euros au titre du préjudice financier et d'image subi par elle,

- condamner la société L et J Diffusion au remboursement des sommes reçues de première instance à titre provisoire à savoir la somme de 12 043,61 euros,

- condamner la société L et J Diffusion au paiement de la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles, ainsi qu'aux entiers dépens.

Par dernières écritures notifiées par RPVA le 03 juin 2023, auxquelles la cour se réfère expressément, la société L et J Diffusion, demande à la cour de :

- vu les articles 1103, 1104 et 1193 du code civil (ensemble l'ancien article 1134 dudit code),

- vu l'article 1583 du code civil,

- vu les moyens qui précèdent, les pièces versées aux débats et la jurisprudence citée,

- la dire et juger recevable et bien fondée en ses demandes,

- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux en date du 11 juin 2021 (RG n°21/02995) en toutes ses dispositions,

- en conséquence,

- débouter la société C'ur des Jalles de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

- y ajoutant,

- condamner la société C'ur des Jalles à lui payer une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société C'ur des Jalles aux entiers dépens de l'instance.

La proposition de recours à la médiation a été refusée par la société L et J Diffusion.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 05 juin 2023 et le dossier a été fixé à l'audience du 19 juin 2023.

Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, il y a lieu de se référer au jugement entrepris et aux conclusions déposées.

Motivation

MOTIFS DE LA DECISION

1- L'appelante soutient qu'elle était fondée à attendre une livraison de l'intégralité de sa commande à la date impérative convenue entre les parties compte tenu des conditions d'urgence d'approvisionnement en masques. Elle fait valoir que le contrat est précis et qu'il ne contient aucune clause exclusive de responsabilité du vendeur en cas de retard de livraison. Elle affirme que sa cocontractante a passé un trop grand nombre de commandes qu'elle n'était pas en capacité d'honorer et qu'elle a pu valablement résilier le contrat après avoir mis en demeure sa cocontractante, à l'occasion d'un appel téléphonique, de s'exécuter.A titre subsidiaire, elle plaide l'urgence de sa situation. Enfin, elle demande à la cour de prononcer la résiliation judiciaire du contrat.

2- L'intimée soutient que le délai figurant dans la commande était indicatif, à défaut de stipulation contraire, et que sa cocontractante a abusivement refusé la livraison du solde de sa commande. Elle argue d'un mail que lui a adressé la société Coeur de Jalles le 14 mai 2020 aux termes duquel celle-ci lui indiquait attendre impatiemment le surplus de sa commande sans arguer du non respect d'un délai impératif. Elle fait état par ailleurs des difficultés qu'elle a rencontrées liées au confinement et du nombre important de jours fériés en mai 2020 qui a ralenti l'activité des transporteurs. Elle affirme enfin que l'appelante aurait dû la mettre en demeure de s'exécuter avant de résoudre le contrat.

Sur ce :

* sur le caractère impératif ou indicatif de la date stipulée dans la commande :

3- Il n'est pas argué de l'existence de conditions générales de vente acceptées par la cliente. Le seul document contractuel est le bon de commande qui fait état d'une date de livraison 'prévue'au 13 mai 2020, soit la semaine du déconfinement, date concordante avec la date de livraison souhaitée par la cliente, figurant également sur le bon de commande

4- Cette date fait suite à un échange de mail entre les parties, l'acquéreur indiquant souhaiter une livraison des masques pour la semaine du 11 mai 2020 ( mail du 29 avril 2020) et précisant le 9 mai 2020 avoir besoin d'une confirmation de la date de livraison au 13 mai 2020 'comme convenu par téléphone et sur le BL qui suit car j'ai déjà les 2/3 de ma commande auprès des commerçants de la ville'. Par mail du 29 avril 2020, la venderesse lui a adressé la confirmation sollicitée.

5- Il apparaît dès lors, contrairement à ce qui est soutenu et malgré le mail du 14 mai 2020 dans lequel la cliente indique simplement attendre 'impatiemment' le reste de sa commande, que la date de livraison figurant dans le contrat était bien une date impérative ayant fait l'objet d'une discussion entre les parties et non indicative comme le soutient en vain l'intimée. Par ailleurs les difficultés alléguées par la venderesse, à savoir les contraintes liées à la crise sanitaire et les nombreux jours fériés du mois de mai, étaient connues, et en tout cas prévisibles à la date de conclusion du contrat, et ne peuvent dès lors s'analyser en un cas de force majeure exonératoire des engagements pris.

* sur la résolution de la vente intervenue par courrier du 26 juin 2020 :

6- Aux termes de l'article 1217 du code civil dans sa version applicable à ce litige, la partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté, ou l'a été imparfaitement, peut :

- refuser d'exécuter ou suspendre l'exécution de sa propre obligation;

- poursuivre l'exécution forcée en nature de l'obligation;

- obtenir une réduction du prix;

- provoquer la résolution du contrat;

- demander réparation des conséquences de l'inexécution.

7- Aux termes de l'article 1226 du code civil, le créancier peut, à ses risques et périls, résoudre le contrat par voie de notification. Sauf urgence, il doit préalablement mettre en demeure le débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable. La mise en demeure mentionne expressément qu'à défaut pour le débiteur de satisfaire à son obligation, le créancier sera en droit de résoudre le contrat. Lorsque l'inexécution persiste, le créancier notifie au débiteur la résolution du contrat et les raisons qui la motivent. Le débiteur peut à tout moment saisir le juge pour contester la résolution. Le créancier doit alors prouver la gravité de l'inexécution. Une partie peut refuser d'exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l'autre n'exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave.

8- La mise en demeure à laquelle fait référence cet article doit nécessairement être écrite contrairement à ce qui est soutenu. Un appel téléphonique dont le contenu ne peut en tout état de cause pas utilement être établi par le témoignage des salariés de l'appelante ne saurait s'analyser en une mise en demeure conforme au texte précité contrairement à ce qui est soutenu.

9- En revanche, compte tenu de la demande extrêmement forte et empressée des clients résultant de l'annonce du déconfinement assorti de contraintes sanitaires fortes pour endiguer le risque de contamination, le pharmacien s'est bien trouvé dans une situation d'urgence l'ayant conduit à rompre le marché le liant à son fournisseur sans mise en demeure.

10- Dès lors, il sera jugé que la société Coeur de Jalles, après avoir attendu en vain quatre jours après la date impérative de livraison le solde de sa commande, était en droit de résilier sans mise en demeure préalable la commande la liant à la société L et J Diffusion.

11- Cette dernière sera dès lors déboutée de sa demande en paiement du solde de sa commande et condamnée à rembourser la somme de 794,73 euros au titre du trop-perçu.

12- La société Coeur de Jalles argue d'une perte de chance de faire des bénéfices et d'un préjudice d'image. Elle sollicite à ce titre des dommages et intérêts à hauteur de 50 000 euros.

13- La société Coeur de Jalles ne produit aucun pièce susceptible d'établir le préjudice dont elle sollicite la réparation. Elle sera dès lors déboutée de sa demande.

* sur les autres demandes :

14- La société L et J Diffusion qui succombe sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

15- La société L et J Diffusion sera condamnée à verser la somme de 4000 euros à la société Coeur de Jalles au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Dispositif

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par décision contradictoire et en dernier ressort,

Infirme la décision rendue par le tribunal de commerce de Bordeaux le 11 juin 2021, sauf en ce qu'elle a débouté la société Coeur de Jalles de sa demande de dommages et intérêts,

et statuant à nouveau,

Dit que le contrat du 29 avril 2020 a été valablement résilié par la Société Coeur de Jalles,

Condamne la société L et J Diffusion à verser la somme de 794,73 euros à la société Coeur de Jalles,

Rejette les demandes de la Société L et J Diffusion,

Y ajoutant,

Condamne la société L et J Diffusion aux dépens de première instance et d'appel,

Condamne la société L et J Diffusion à verser la somme de 4000 euros à la société Coeur de Jalles au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.