CA Lyon, 3e ch. a, 21 septembre 2023, n° 20/00130
LYON
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
LNVA (SARL)
Défendeur :
Loire Poids Lourds Services (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Gonzalez
Conseillers :
Mme La-Mesta, Mme Jullien
Avocats :
Me Aguiraud, Me Cerato
EXPOSÉ DU LITIGE
La Sarl LNVA exerce une activité de négoce de véhicule industriel. La Sarl Loire Poids Lourds Services exerce une activité de réparation de poids lourds. Ces sociétés sont en relation d'affaire.
Entre le 31 mai 2018 et le 6 juillet 2018, la société Loire Poids Lourds Services a émis dix factures auprès de la société LNVA pour un montant global de 11.869,42 euros.
Par courrier recommandé du 5 novembre 2018, la société Loire Poids Lourds Services a mis en demeure la société LNVA de lui régler le montant de ces factures.
Ces factures n'ayant pas été réglées, par requête du 6 décembre 2018, la société Loire Poids Lourds Services a saisi le tribunal de commerce de Roanne aux fins d'injonction de payer.
Par ordonnance d'injonction de payer du 28 décembre 2018, le tribunal de commerce de Roanne a condamné la société LNVA à payer la somme de 11.266,43 euros en principal, 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, 51,48 euros correspondant au coût de présentation de la requête, 179,30 euros au titre des frais de procédure, 39,76 euros en intérêts et les dépens. Cette ordonnance a été signifiée à la société LNVA le 8 janvier 2019.
Par courrier recommandé du 5 février 2019, la société LNVA a fait opposition à cette ordonnance.
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Par jugement contradictoire du 20 novembre 2019, le tribunal de commerce de Roanne a :
- déclaré recevable en la forme l'opposition,
- au fond, l'a rejeté,
- condamné la société LNVA à payer à la société Loire Poids Lourds Services les sommes suivantes :
11.266,43 euros outre intérêts au taux légal à compter de la signification de l'ordonnance, soit le 8 janvier 2019,
400 euros (10 x 40 euros) au titre de l'indemnité légale de recouvrement de l'article 441-6 du code de commerce qui est d'ordre public,
- dit que les intérêts porteront eux-mêmes intérêts à compter du 8 janvier 2019, pourvu que ces intérêts soient dus au moins pour une année entière,
- dit la société Loire Poids Lourds Services mal fondée en sa demande de dommages-intérêts en l'en a débouté,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,
- condamné la société LNVA à payer à la société Loire Poids Lourds Services la somme de 1.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure,
- condamné la société LNVA aux entiers dépens qui comprendront les frais de mise en demeure et d'injonction de payer,
- liquidé les frais de greffe compris dans les dépens,
- rejeté comme inutiles et non fondés tous autres demandes, moyens et conclusions contraires des parties.
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La société LNVA a interjeté appel par acte du 7 janvier 2020.
Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 22 avril 2021 fondées sur les articles 1103, 1303-2, 1112 à 1122, 1583 et 1163 alinéa 3 du code civil, la société LNVA demande à la cour de :
- retenant que la société Loire Poids Lourds Services ne rapporte pas la preuve de son accord préalable sur la nature des travaux et leur prix, juger qu'elle n'est pas fondée à en réclamer le paiement sous couvert des factures émises entre le 31 mai 2018 et le 6 juillet 2018 pour un montant global de 11.266,43 euros,
- réformer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,
- faire droit à son opposition,
- rétracter l'ordonnance d'injonction de payer contestée,
- débouter la société Loire Poids Lourds Services de l'intégralité de ses prétentions,
- condamner la société Loire Poids Lourds Services au paiement d'une indemnité de 3.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
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Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 8 mars 2021 fondées sur les articles 1416 et suivants du code de procédure civile, les articles 1353 et 1103 et suivants du code civil et les articles L. 441-6 et D. 441-5 du code de commerce, la société Loire Poids Lourds Services demande à la cour de :
à titre principal,
- confirmer en conséquence le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société LNVA à lui payer la somme de 11.246,43 euros, outre intérêts au taux légaux à compter de la signification de l'ordonnance, soit le 8 janvier 2019, ainsi que la somme de 400 euros (10 x 40 euros) au titre de l'indemnité de recouvrement de l'article 441-6 du code de commerce,
à titre subsidiaire,
- juger que la société LNVA a bénéficié d'un enrichissement injustifié à son détriment,
- condamner la société LNVA à lui payer à titre d'indemnité correspondant à l'enrichissement injustifié la somme de 11.246,43 euros, outre intérêts au taux légal à compter de la signification de l'ordonnance jusqu'à parfait paiement,
en tout état de cause,
- débouter la société LNVA de l'ensemble de ses prétentions,
- ordonner la capitalisation des intérêts conformément à l'article 1343-2 du code civil,
- condamner la société LNVA à lui payer la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.
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La procédure a été clôturée par ordonnance du 1er juillet 2021, les débats étant fixés au 8 juin 2023.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.
Motivation
MOTIFS DE LA DÉCISION
A titre liminaire, il est précisé que le litige est soumis au nouveau droit des contrats issu de l'ordonnance du 10 février 2016 puisque le contrat litigieux est postérieur au 1er octobre 2016.
Il est relevé que la société Loire Poids Lourds Services fait valoir dans ses conclusions que la société LNVA doit être sanctionnée pour sa résistance abusive au paiement, sans pour autant faire valoir de prétention sur ce point, ne reprenant pas sa demande de dommages intérêts initiale, rejetée par le tribunal de commerce.
Sur l'existence d'un contrat
La société LNVA fait valoir que :
- si un courant d'affaires entre les parties existait et si certaines interventions s'effectuaient sans ordre de réparation, dans la plupart des cas des devis étaient présentés,
- elle n'a pas sollicité la société Loire Poids Lourds Services pour les 10 factures qu'elle conteste ; l'intimée ne justifie ni des commandes des prestations concernées, ni d'un contrat régulièrement formé ;
- il résulte de l'attestation de M. [O] que les factures étaient établies à titre de proposition de sorte qu'elles ne démontrent pas l'existence d'une commande ; de même, les fiches d'atelier produites ne démontrent pas l'existence d'une commande ; a fortiori, la fiche d'atelier relative à la facture du 31 mai 2018 est datée du 15 mars 2019, soit postérieurement à l'injonction de payer du 28 décembre 2018, de sorte qu'elle a été établie pour les besoins de la présente instance ; deux factures font expressément référence à des devis qui ne sont pas produits ; enfin, ces documents ne sont pas probants car nul ne peut se constituer une preuve à lui-même,
- le silence de celui auquel l'offre est adressée n'emporte pas son acceptation et la charge de la preuve de l'acceptation incombe à la société adverse ; l'existence de relations commerciales ne suffit pas à dispenser le demandeur de la charge de la preuve ; de fait, l'acceptation de l'offre n'est démontrée, ni par les factures, ni par les fiches d'atelier, ni par attestation ; la pratique d'acceptation de travaux remontant à 2014 est indifférente de même que l'absence de preuve d'une modification de cette pratique,
- l'absence de modification des tarifs ne démontre pas l'acceptation du prix qui doit être explicite et se manifester à l'instant de la commande, en particulier lorsque les tarifs sont évolutifs ; la référence par l'intimé à l'article 1163 du code civil est infondée car cette disposition vise le caractère déterminable de la prestation et non du prix,
- la réalisation de travaux qui n'ont pas été acceptés n'oblige pas celui les recevant à les payer, en l'absence d'accord sur les prestations et leur prix.
La société Loire Poids Lourds Services réplique que :
- les parties entretiennent des relations commerciales depuis 2014 et dans le cadre de ces relations, il est d'usage que la société LNVA lui présente des véhicules à réparer, et qu'elle s'acquitte des factures au titre des prestations réalisées sur présentation des fiches d'atelier,
- les fiches d'atelier produites sont probantes ; elles ne sont pas des preuves constituées à soit-même ; la date du 5 mars 2019 n'est que leur date d'édition ; la numérotation des devis indique en réalité l'absence de devis et non la référence à un devis ; la société LNVA ne démontre pas l'existence d'un usage entre les parties de transmission de devis, la seule production de deux devis étant insuffisante compte tenu de l'importance et la fréquence des relations commerciales concernées,
- il est démontré que la société LNVA a apporté des véhicules pour réparations, puis les a récupérés après celles-ci sans émettre de contestation ; ce comportement est non équivoque quant à l'existence d'un contrat régulièrement formé entre les parties et l'acceptation silencieuse d'une offre conformément à l'article 1120 du code civil,
- le prix des prestations qu'elle pratiquait était connu de la société LNVA suite à la réalisation antérieure de travaux de même nature ; les prix sont restés similaires ; par application de l'article 1163 alinéa 3 du code civil, le prix de la prestation est déterminable lorsqu'il peut être déduit par référence aux usages ou aux relations antérieures des parties.
Sur ce,
L'article 1113 du code civil dispose que : 'Le contrat est formé par la rencontre d'une offre et d'une acceptation par lesquelles les parties manifestent leur volonté de s'engager.
Cette volonté peut résulter d'une déclaration ou d'un comportement non équivoque de son auteur.'
L'article 1120 du code civil dispose que : 'Le silence ne vaut pas acceptation, à moins qu'il n'en résulte autrement de la loi, des usages, des relations d'affaires ou de circonstances particulières.'
L'article 1163 du code civil dispose que : 'L'obligation a pour objet une prestation présente ou future.
Celle-ci doit être possible et déterminée ou déterminable.
La prestation est déterminable lorsqu'elle peut être déduite du contrat ou par référence aux usages ou aux relations antérieures des parties, sans qu'un nouvel accord des parties soit nécessaire.'
Il est rappelé par ailleurs que la preuve est libre en matière commerciale.
En l'espèce, il résulte des productions que :
- aucun ordre de réparation correspondant aux factures émises n'a été établi,
- les deux sociétés entretiennent cependant des relations régulières depuis 2014 et la société LNVA a, à diverses reprises, procédé à des réparations sur les véhicules de la société LNVA dont les factures ont été acquittées après présentation des fiches d'atelier, ce que ne conteste pas l'appelante qui invoque seulement des réparations modiques ;
- s'il est fait référence à deux devis qui sont produits, ceci n'a pas empêché le règlement de diverses prestations en l'absence de devis ;
- factures et fiches d'atelier donnent très précisément les caractéristiques des véhicules réparés et dans le détail les prestations réalisées.
Les deux attestations produites par l'intimée, si elles apparaissent convergentes, restent elliptiques et émanent de deux employés de cette sociétés de sorte qu'elles sont insuffisantes à emporter la conviction de la cour.
Par contre, force est de constater que la société appelante, tout en critiquant la motivation du jugement et revendiquant l'application des règles de preuve à l'espèce, ne réfute à aucun moment avoir remis ses véhicules pour réparation à son adversaire tout comme elle ne discute pas la matérialité des interventions réalisées sur lesdits véhicules et portées sur les fiches d'atelier. Elle ne justifie d'aucune contestation de la matérialité de ces réparations.
Par ailleurs, le fait qu'une fiche d'atelier soit postérieure à une facture confirme l'explication de M. [O] sur les propositions de factures.
Il est en conséquence établi par la remise des véhicules et l'absence de contestation de la matérialité des prestations la volonté pour l'appelante de contracter et par la pratique instaurée de l'absence de devis préalables ou de commandes écrites, nonobstant le fait que des devis pouvaient parfois être dressés, de l'acceptation de l'application des tarifs usuels (et non modifiés pour les prestations en cause).
L'existence des contrats portant sur la réparation des véhicules et l'obligation à paiement de l'appelante ne sont donc pas contestables.
En conséquence de ce qui précède, le jugement est confirmé sur la condamnation principale, l'indemnité de recouvrement non discutée et la capitalisation des intérêts qui est de droit lorsqu'elle est demandée.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
La société LNVA qui succombe sur ses prétentions supportera les dépens d'appel, les dépens de première instance étant confirmés.
L'équité commande de la condamner à payer à son adversaire en cause d'appel la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Dispositif
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant dans les limites de l'appel,
Confirme le jugement déféré dans toutes ses dispositions.
Y ajoutant,
Condamne la Sarl LNVA aux dépens d'appel, et à verser à la Sarl Loire Poids Lourds Services la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.