CA Papeete, ch. soc., 14 mars 2024, n° 21/00070
PAPEETE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Argos Polynésie (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Martinez
Vice-président :
Mme Guengard
Conseiller :
M. Ripoll
Avocats :
Me Quinquis, Me Bourion
EXPOSE DU LITIGE :
La Sa Argos Polynésie (la société) est une entreprise spécialisée dans le domaine de la sécurité incendie.
Par contrat à durée indéterminée du 3 septembre 2008, elle embauchait M. [T] [E] en qualité de responsable de département moyennant un salaire s'élevant en dernier lieu à la somme de 306 650 F CFP.
Par lettre du 22 juin 2016, M. [E] démissionnait de ses fonctions.
Par contrat à durée indéterminée du 18 décembre 2008, la société embauchait M. [P] [H] en qualité de responsable de département moyennant un salaire de 284 000 F CFP.
Par lettre du 22 juin 2016, M. [H] démissionnait de ses fonctions.
Par contrat à durée déterminée du 8 août 2016, M. [B] était embauché pour une durée de quatre mois en qualité de formateur.
Le 27 juillet 2015, M. [E] et M. [H] créaient la sarl BCP Marine (BCPM) ayant pour objet la formation en sécurité incendie.
Le 27 octobre 2016, ils créaient une seconde société la sarl centre de formation des gens de mers (CEGOFEM) ayant le même objet social. Ils embauchaient M. [B].
S'estimant notamment victime de concurrence déloyale, la Sa Argos Polynésie saisissait le tribunal du travail de Papeete, lequel par jugement du 18 octobre 2021 condamnait in solidum,
- M. [E] et M. [H] à payer à leur ancien employeur la somme de 5 000 000 F CFP pour exécution déloyale de leur contrat de travail,
- M. [E], M. [H] et M. [B] à payer à leur ancien employeur la somme de 2 500 000 F CFP pour concurrence déloyale,
outre la somme de 200 000 F CFP au titre des frais de procédure.
Par déclaration reçue au greffe le 25 octobre 2021, M. [E] M. [H] et M. [B] relevaient appel de ce jugement.
MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES :
Par conclusions régulièrement notifiées le26 octobre 2023, ils demandent à la cour d'infirmer le jugement querellé et statuant à nouveau de débouter la société de toutes ses demandes et de la condamner à leur payer les sommes de 1 000 000 F CFP à titre de dommages et intérêts et de 1 000 000 F CFP au titre de leurs frais de procédure.
Ils font valoir essentiellement qu'ils ont démissionné pour créer la société BCPM, ce que l'ancien gérant savait, qu'ils n'ont jamais dénigré leur ancien employeur ni usé de concurrence déloyale dans la mesure où leur ancien employeur était parfaitement au courant de leur activité parallèle et n'en a subi aucun préjudice.
Ils exposent que la concurrence déloyale n'est établie qu'en cas, notamment, de détournement de clientèle, d'utilisation d'une enseigne similaire et du fichier client, du débauchage du personnel de l'ancien employeur, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.
Ils affirment qu'ils disposaient déjà leur qualification lorsqu'ils ont travaillé pour la sa Argos Polynésie et n'ont fait que continuer à l'utiliser.
Ils ajoutent que leur ancien employeur ne démontre pas l'intention de nuire, caractéristique de la faute lourde qui, seule , peut engager leur responsabilité, et n'a subi aucun préjudice indemnisable.
Par conclusions régulièrement notifiées le22 novembre 2023 la société sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a reconnu l'existence d'une exécution déloyale du contrat de travail et une concurrence déloyale et sa réformation pour le surplus.
Elle demande la condamnation des intimés à lui payer les sommes suivantes :
- 33 062 425 F CFP en réparation de son préjudice,
- 5 000 000 F CFP à titre de dommages et intérêts,
- 1 000 000 F CFP à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive,
- 1 000 000 F CFP au titre de ses frais de procédure.
Elle soutient en substance qu'il y a eu un véritable dénigrement à son encontre de la part des trois salariés, que l'exécution déloyale du contrat de travail est constitués par la création de sociétés concurrentes pendant l'exécution de leur contrat de travail, que la concurrence déloyale est avérée du fait du détournement de fichiers et de clientèle.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions respectives des parties, la cour se réfère aux conclusions notifiées par les parties auxquelles elles ont expressément déclaré se rapporter lors des débats.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 15 décembre 2023.
MOTIFS DE LA DECISION :
Sur le dénigrement :
La société fait reproche à M. [E] d'avoir échangé des courriels avec Mme [M] et M. [Z] employés aux affaires maritimes, de les avoir informé de leur démission et de leur divergence d'opinion avec leur ancien employeur.
Toutefois les courriels versés aux débats, à l'appui de ces allégations, se contentent d'indiquer, ce qui en soi n'est pas un dénigrement, la volonté des salariés de démissionner.
Le dénigrement n'est donc pas établi et le jugement doit être confirmé de ce chef.
Sur l'exécution déloyale du contrat de travail :
Le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi.
M. [E] et M. [H] ont crée une société concurrente durant l'exécution de leur contrat de travail. Ils y ont consacré du temps qu'ils ont manifestement pris sur leur temps de travail. Il est inexact de dire que l'employeur était au courant de cette activité parallèle s'agissant de la société BCPM nouvellement créée et non pas de la société BCP.
Par ailleurs, M. [E] n'a transmis l'agrément du centre de formation Safora que 4 jours avant la fin de son préavis. Il ne peut se retrancher derrière l'incurie de la société dans la mesure où l'obtention de cet agrément relevait de ses fonctions et où il lui appartenait de le transmettre dès son obtention.
En outre, il a utilisé le courriel professionnel de son employeur pour adresser à une société cliente de la sa Argos Polynésie une grille tarifaire des prestations de dégazage pratiquées par la sarl BCPM.
Enfin, toujours pendant l'exécution de son contrat de travail, il a, au nom de sa société, signé une convention d'entraînement à la lutte contre l'incendie avec une société cliente de son employeur en utilisant le modèle des conventions Argos.
Quant à M. [H], il a suivi la signature d'une convention avec la société BCPM et a adressé à à Gaz de Tahiti une offre de prix mentionnant M. [E] comme responsable du dossier. Il a également adressé une offre de prix au navire Tauraa Tua.
En agissant ainsi, les deux salariés ont exercé une activité parallèle concurrençant directement leur employeur et ont fait preuve de mauvaise foi dans l'exécution de leur contrat de travail, caractéristique de l'exécution déloyale du contrat de travail.
La cour est en mesure d'évaluer le préjudice subi par la sa Argos Polynésie à la somme de 5 000 000 F CFP comme l'ont justement décidé les premeirs juges.
Sur la concurrence déloyale :
La concurrence déloyale, en l'absence de toute clause de non concurrence valide, se caractérise par le détournement de clientèle ou le détournement de moyens.
En l'espèce, il résulte du procès verbal d'huissier dressé le 28 juin 2017 qu'ont été retrouvés dans l'ordinateur de M. [B] pas moins de 641 fichiers relatifs à l'organisme de formation Safora et de 954 fichiers relatifs à la sa Argos Polynésie. M. [B] ne peut valablement s'exonérer de sa responsabilité en arguant qu'il s'agissait de fichiers fantômes et qu'il ne les as pas utilisés. Il a emporté de manière totalement illicite des données appartenant à son employeur dans le but manifeste de les utiliser pour une société concurrente ce qu'il reconnaît d'ailleurs dans son audition devant les services de police.
Par ailleurs, alors qu'il était encore en poste chez Argos Polynésie, il a adressé à M. [E] les calendriers de formation d'Argos Polynésie.
M. [E] est parti de la société en emportant les supports de formation des cours ce qui a obligé son ancien employeur à refaire en urgence les dits supports.
M. [H] a emporté avant son départ le tableau de prix de son employeur ce qui lui a permis de faire un appel d'offres moins disant et de remporter le marché du CHPF 2017.
M. [B] a agi de même pour le marché de la flotille administrative.
La concurrence déloyale est ainsi établie.
La cour est en mesure d'évaluer le préjudice subi à la somme de 2 500 000 F CFP comme l'ont justement décidé les premiers juges.
Sur les dommages et intérêts pour résistance abusive :
L'attitude des intimés n'a pas dégénéré en abus susceptible de donner lieu à des dommages et intérêts. Cette demande doit être rejetée.
Sur l'article 407 du code de procédure civile :
L'équité commande d'allouer à l'intimée la somme de 400 000 F CFP en application de l'article 407 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La Cour, statuant contradictoirement et en dernier ressort ;
Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal du travail de Papeete le18 octobre 2021,
Y ajoutant,
Rejette la demande de dommages et intérêts pour résistance abusive,
Condamne in solidum M. [T] [E], M. [P] [H] et M. [J] [B] à payer à la sa Argos Polynésie la somme de 4000 000 F CFP en application de l'article 407 du code de procédure civile,
Condamne in solidum M. [T] [E], M. [P] [H] et M. [J] [B] aux dépens d'appel.
Prononcé à Papeete, le 14 mars 2024.