Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 15 mars 2024, n° 22/03349

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Messer France (SASU)

Défendeur :

Cochet (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ardisson

Conseillers :

Mme L'Eleu de la Simone, Mme Guillemain

Avocats :

Me Pfeffer, Me David

T. com. Paris, du 6 déc. 2021, n° 202003…

6 décembre 2021

FAITS ET PROCEDURE

Le 3 octobre 2005, la SASU Cochet, qui a pour activité la fabrication de machines agricoles et forestières, a signé avec la SASU Messer France, fabriquant de gaz industriel, une convention de fournitures de gaz industriels conditionnés.

Conclu pour une durée de cinq ans, le contrat était renouvelable par tacite reconduction par périodes successives de trois ans, avec possibilité de dénonciation en respectant un préavis de six mois.

Par lettre recommandée avec accusé de réception, en date du 22 septembre 2015, la société Cochet a notifié sa volonté de résilier le contrat à la société Messer France, au motif d'un changement de mode d'approvisionnement en gaz industriels.

Le 12 janvier 2016, la société Messer France a informé la société Cochet que la résiliation du contrat ne pourrait intervenir que le 3 octobre 2016, date de la prochaine échéance du contrat.

La société Cochet a cessé de régler les factures après le mois de janvier 2016.

Estimant que celle-ci avait brutalement rompu une relation commerciale établie, au sens de l'article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce, la société Messer France a, par acte du 9 septembre 2020, fait assigner la société Cochet devant le tribunal de commerce Paris afin d'obtenir sa condamnation au paiement de l'ensemble des factures impayées, outre un manque à gagner pour rupture anticipée du contrat.

Par jugement en date du 6 décembre 2021, le tribunal a :

- Débouté la SASU Messer France de toutes ses demandes ; 

- Débouté la SASU Cochet de sa demande reconventionnelle ;

- Condamné la SASU Messer France à payer à la SASU Cochet la somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamné la SASU Messer France aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 74,50 € dont 12,20 € de TVA.

La société Messer France a formé appel du jugement, par déclaration du 9 février 2022.

Par conclusions transmises par le réseau virtuel des avocats, le 13 juillet 2022, la société Cochet a interjeté un appel incident.

Dans ses dernières conclusions, communiquées par voie électronique, le 15 avril 2022, la société Messer France demande à la cour, au visa des articles 1134 ancien, 1103 et 1104, 1153, 1146, 1212, 1231 et 1231-1 et suivants du code civil et des articles 56, 127 et 700 du code de procédure civile, de :

« Dire recevable et bien fondé l'appel formé le 9/02/2022 contre le jugement rendu le 6/12/2021 par le tribunal de commerce de Paris.

Infirmer la décision entreprise en ce qu'elle a débouté MESSER de toutes ses demandes et condamné MESSER à payer à l'intimée 2000€ au titre de l'article 700 du CPC.

Statuant à nouveau,

Faisant droit à l'appel formé par MESSER;

Rejeter toutes les demandes de l'intimée.

En conséquence ;

Condamner l'intimée au paiement de la somme principale de 15 778,63 € TTC, correspondant à l'ensemble des factures impayées assorties des intérêts de retard au taux légal et ce à compter des dates d'échéances des factures ;

Condamner l'intimée au paiement de la somme de 6 209,80 € pour rupture anticipée du contrat et correspondant au manque à gagner ;

Condamner la même à payer la somme de 400,00 € au titre de l'indemnité pour factures impayées et ce conformément à l'article L. 441-10 et du code de commerce (10X40€) ;

Condamner l'intimée à payer à MESSER France la somme de 1500.00 € à titre de dommages intérêts pour résistance abusive ;

Condamner l'intimée au paiement d'une somme de 3000,00 € sur le fondement de l'article 700 du CPC pour les frais irrépétibles engagés lors de la première instance et 3000 € pour les frais engagés pour la procédure d'appel. »

Dans ses dernières conclusions, transmises par voie électronique, le 13 juillet 2022, la société Cochet demande à la cour de :

« CONFIRMER le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 6 décembre 2021 en ce qu'il a :

o débouté la SAS à associé unique MESSER FRANCE de toutes ses demandes ;

o condamné la SAS à associé unique MESSER FRANCE à payer à la SAS à associé unique COCHET la somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du CPC ;

o condamné la SAS à associé unique MESSER FRANCE aux dépens ;

REFORMER le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 6 décembre 2021 en ce qu'il a débouté la SAS à associé unique COCHET de sa demande reconventionnelle ;

Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant,

CONDAMNER la S.A.S MESSER FRANCE à payer à la société COCHET la somme de 5.000 € à titre de dommages-intérêts sur le fondement de l'article 1134 ancien du code civil ;

CONDAMNER la S.A.S MESSER FRANCE à payer à la société COCHET, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, la somme supplémentaire de 2 500 € ;

CONDAMNER la S.A.S MESSER France au paiement des entiers dépens d'appel. »

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est fait expressément référence aux écritures des parties susvisées quant à l'exposé détaillé de leurs prétentions et moyens respectifs.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 7 décembre 2023.

MOTIFS DE LA DECISION

A titre liminaire, il sera rappelé que la Cour n'a pas à se prononcer sur le moyen, invoqué en première instance, tiré d'une violation de l'article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce, relatif à la rupture d'une relation commerciale établie, celui-ci n'étant plus soutenu en cause d'appel par la société Messer France.

Sur la demande en paiement des factures de la société Messer France,

Enoncé des moyens,

La société Messer France prétend la société Cochet ne pouvait légitimement résilier le contrat avant sa date anniversaire, de sorte que celui-ci s'est poursuivi jusqu'au 31 octobre 2016. Elle estime que l'intimée lui reste, en conséquence, redevable des factures émises en exécution du contrat, jusqu'à son terme. Elle ajoute que la société Cochet était tenue d'une obligation d'approvisionnement minimal mensuel, les volumes indiqués à l'article 3 du contrat correspondant aux besoins communiqués par sa cliente, en vue d'obtenir un prix négocié. Elle en conclut que l'absence de commandes entre les mois de janvier et octobre 2016 lui a causé un manque à gagner, ouvrant droit à indemnisation, sur le fondement des articles 1231 et 1231-1 du code civil. Elle soutient, enfin, que la société Cochet reste débitrice d'une facture émise le 11 janvier 2018, au titre de bouteilles perdues.

La société Cochet fait valoir, pour sa part, qu'elle a parfaitement respecté les modalités de rupture du contrat, en informant la société Messer France, dès le 22 septembre 2015, de sa volonté d'y mettre fin. Elle rappelle, à cet égard, que, devant le refus opposé par cette dernière, elle a accepté de poursuivre son exécution jusqu'au 2 octobre 2016. Elle souligne que le contrat ne stipulait, pour autant, aucun engagement au titre du volume des commandes de gaz, ce dont elle déduit que la société Messer France n'est pas fondée à lui réclamer le paiement des factures émises sur la période litigieuse, portant sur la location de bouteilles. Elle précise qu'elle a sollicité, à maintes reprises, l'enlèvement des matériels, à compter du 26 janvier 2016, mais que la société Messer France n'a consenti à les reprendre que deux ans plus tard.

Réponse de la cour,

L'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, applicable aux faits de la cause, dispose :

« Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise.

Elles doivent être exécutées de bonne foi. »

Il est constant que, dans la mesure où elle entendait résilier le contrat indépendamment de tout manquement contractuel de son fournisseur, la société Cochet était tenue de respecter les conditions de résiliation prévues dans la convention, conclue le 3 octobre 2005.

L'article 7 de cette convention précise que « Le présent contrat prendra effet au jour de sa signature, pour une durée de 5 ans à partir de cette date. Il se prolongera par tacite reconduction au-delà de cette première période par périodes successives de 3 ans, sauf dénonciation par l'une ou l'autre des parties, avec un préavis de 6 mois à donner par lettre recommandée avant l'expiration de chaque période ».

Il résulte de ces stipulations, qui sont dénuées de toute ambiguïté, que le contrat ne pouvait être résilié par la société Cochet qu'à la condition de respecter un délai de préavis de six mois, avant l'expiration de chaque période de reconduction du contrat.

Le contrat ayant été conclu, le 3 octobre 2005, pour une première période de cinq années, il a été ensuite reconduit les 3 octobre 2010 et 3 octobre 2013 pour deux nouvelles périodes triennales, dont la dernière expirait le 2 octobre 2016.

La société Messer France était donc fondée à opposer à la société Cochet, en réponse à son courrier du 22 septembre 2015, que le contrat se poursuivrait non pas, comme elle le prétend dans ses écritures, jusqu'au 31 octobre 2016, mais à tout le moins jusqu'au 2 octobre 2016, date de la prochaine échéance du contrat.

Dans un courrier du 22 avril 2016, la société Cochet a, au demeurant, indiqué à son cocontractant qu'elle acceptait, en définitive, de poursuivre le contrat jusqu'à cette échéance.

Il apparaît, pour autant, que la société Cochet n'a passé aucune commande de gaz, au cours de la période des mois de février à octobre 2016. Les factures produites par la société Messer France, dont elle sollicite le paiement, portent ainsi uniquement sur des frais de location de bouteilles, paniers et cadres couvrant cette période.

Or, comme le souligne à juste titre l'intimée, le contrat ne lui imposait aucune obligation de commander des volumes de gaz minimum.

L'article 3 de la convention précise ainsi uniquement les prix appliqués, lesquels sont établis selon des quantités de volumes indicatives, récapitulés dans le tableau suivant :

GAZ

VOLUMES MENSUELS

PRIX € HT

Feromix C8 cadres

1000 M3

1,54 € / M3

Oxygène cadres et bouteilles

200 M3

1,65 € / M3

Acetylene B50

10 M3

7,90 € / M3

Argon B50

10 M3

7,70 € / M3

Propane 35 KG

50 KG

1, 69 € / KG

Ce même article 3 indique les conditions de révision des prix, à partir d'indices.

Il prévoit également des frais de location mensuelle, qui s'élèvent à 5 € HT par emballage.

Il n'est pas discuté que les volumes commandés, pour l'année 2012, se situaient d'ailleurs en deçà des volumes mensuels indiqués dans le contrat, ce qui corrobore l'absence d'obligation d'approvisionnement minimal.

Faute d'obligation stipulée expressément en ce sens, la société Messer France n'est donc pas fondée à se prévaloir d'un manque à gagner résultant de l'absence de commande de gaz. La demande d'indemnisation qu'elle forme à ce titre ne saurait, en conséquence, prospérer.

La société Cochet justifie, par ailleurs, qu'elle a sollicité, de façon réitérée, la reprise des bouteilles et des cadres, par courriels des 13 et 20 janvier et 2 février 2016, ainsi que par lettres recommandées des 26 janvier et 24 février 2016, mais que la société Messer France ne lui a répondu que le 4 décembre 2017, en lui indiquant qu'elle procéderait à leur enlèvement seulement le 8 décembre suivant.

Faute de commande de gaz durant la période considérée, les frais de location de bouteilles, paniers et cadres facturés par la société Messer France ne sont, en conséquence, nullement justifiés.

Enfin, la société Messer France ne justifie pas de la livraison des emballages prétendument perdus, facturés le 11 janvier 2018, alors que cette perte est contestée par la société Cochet.

A titre surabondant, il sera souligné que l'appelante ne produit, en tout état de cause, aucun décompte du montant total des factures dont elle sollicite le paiement.

Ces factures n'étant pas dues par la société Cochet, aucun frais de recouvrement ne saurait être mis consécutivement à sa charge.

Le jugement sera ainsi confirmé en ce qu'il a débouté la société Messer France de ses demandes en paiement.

Sur la demande reconventionnelle de dommages et intérêts,

Il résulte de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, que, sauf cause étrangère, le débiteur d'une obligation contractuelle est tenu de réparer, le cas échéant par le paiement de dommages-intérêts, le préjudice causé à son cocontractant à raison de l'inexécution de cette obligation ou du retard dans son exécution.

En l'occurrence, la société Cochet ne démontre pas que le refus de la société Messer France d'assurer l'enlèvement des bouteilles, en temps utile, lui a porté préjudice, faute d'établir que leur présence dans ses locaux gênait effectivement son activité.

Il y a lieu, par conséquent, de confirmer le jugement l'ayant déboutée de sa demande de dommages et intérêts afférente à un préjudice de jouissance.

Sur les autres demandes,

Par suite des développements précédents, la demande de la société Messer France au titre de la résistance abusive ne pourra être que rejetée.

La société Messer France succombant au recours, le jugement sera confirmé en ce qu'il a statué sur les dépens et les frais irrépétibles.

Statuant de ces chefs en cause d'appel, la cour la condamnera aux dépens, ainsi qu'à payer à la société Cochet une indemnité de 2.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

CONFIRME le jugement en ses dispositions soumises à la cour,

Y AJOUTANT,

CONDAMNE la SASU Messer France aux dépens de l'appel,

CONDAMNE la SASU Messer France à payer à la SASU Cochet la somme de 2.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.