CA Aix-en-Provence, ch. 3-4, 14 mars 2024, n° 23/09370
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Alben (SARL)
Défendeur :
BTSG² (SCP)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Chalbos
Conseillers :
Mme Vignon, Mme Martin
Avocats :
Me Stratigeas, Me Millet
EXPOSE DU LITIGE
La société Alben, qui exerce l'activité de collecte et de traitement des eaux usées, est propriétaire de biens immobiliers sis [Adresse 4] à [Localité 5], où elle a élu son siège social. Elle avait pour gérant M. [C] [L], qui est décédé le 29 septembre 2014.
Par jugement du 23 octobre 2008, le tribunal de commerce de Nice a ouvert la procédure de redressement judiciaire de la société Alben. Un plan de redressement a été arrêté par jugement du 28 janvier 2010. Le 6 avril 2017, le tribunal de commerce de Nice a prononcé la résolution du plan de redressement judiciaire et l'ouverture de la liquidation judiciaire de la société Alben.
La SARL AAP [C] Arms Parts a été constituée le 5 août 1993 par M. [C] [L] associé unique et gérant, et son siège social a été fixé dans les locaux appartenant à la société Alben, sis [Adresse 4] à [Localité 5].
Cette société n'ayant plus d'activité, ni de gérant, par ordonnance en date du 16 mars 2018, le tribunal de commerce de Nice a désigné en qualité d'administrateur provisoire de la société AAP [C] Arms Parts, la SELARL BGA, prise en la personne de Me [J] [B].
Cette ordonnance fait suite à la requête de Me [O], ès qualités, qui dans le cadre de l'expertise des biens immobiliers appartenant à la société Alben, a découvert l'existence de la société AAP [C] Arms Parts et son occupation d'une partie des locaux appartenant à la société Alben.
Dans son rapport déposé le 11 septembre 2017, l'expert judiciaire a chiffré la valeur locative de l'espace mis à disposition au profit de la société AAP [C] Arms Parts.
Par acte d'huissier en date du 12 mars 2019, Me [G] [O], ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL Alben , a fait assigner Me [J] [B], ès qualités d'administrateur provisoire de la société AAP [C] Arms Parts devant le tribunal judiciaire de Nice aux fins de la voir condamner à lui payer les sommes de :
- 39.579 € au titre d'un arriéré de loyers depuis le 8 janvier 2014 assorti des intérêts légaux capitalisés à la date du jugement à intervenir,
- 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
Par jugement du 21 octobre 2021, le tribunal de commerce de Nice a prononcé la liquidation judiciaire de la société AAP [C] Arms Parts, désignant la SCP BTSG² ès qualités de liquidateur judiciaire.
Le 16 novembre 2021, Me [O], ès qualités, a déclaré la créance de la société Alben au passif de la société AAP [C] Arms Parts pour la somme de 26.388,76 €.
Par exploit du 17 novembre 2021, Me [G] [O], ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL Alben, a fait assigner en intervention forcée la société BTSG², ès qualités de liquidateur judiciaire de la société AAP [C] Arms Parts, sollicitant la jonction de cette procédure avec l'instance susvisée, outre l'inscription de la condamnation au passif de la société AAP [C] Arms Parts.
Par ordonnance du 1er juin 2022, la jonction de ces deux procédures a été ordonnée par le juge de la mise en état.
La société BTSG², ès qualités, a saisi le juge de la mise en état d'un incident aux fins de voir déclarer Me [G] [O], ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL Alben irrecevable en ses demandes comme étant prescrites.
Par ordonnance en date du 28 juin 2023, le juge de la mise en état près le tribunal judiciaire de Nice a :
- dit irrecevable l'action en paiement formée par Me [G] [O], ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL Alben , à l'encontre de la société BTSG², ès qualités de liquidateur judiciaire de la société AAP [C] Arms Parts,
- débouté Me [G] [O], ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL Alben , de ses demandes formées de la société BTSG², ès qualités de liquidateur judiciaire de la société AAP [C] Arms Parts,
- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné Me [G] [O], ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL Alben, aux dépens de l'incident qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Pour statuer en ce sens, le premier juge a, pour l'essentiel, retenu que :
- en application de l'article L 145-60 du code de commerce, les actions nées du chapitre concernant les baux commerciaux se prescrivent par deux ans,
- à l'appui de sa demande en paiement, Me [O], ès qualités, soutient qu'un bail commercial verbal aurait été conclu le 8 janvier 2014 avec la société AAP [C] Arms Parts,
- en l'absence de contrat écrit, seuls des indices permettent à la demanderesse de se prévaloir de l'existence d'un bail commercial verbal conclu entre les parties et de l'application du statuts des baux commerciaux en résultant,
- la demanderesse, qui sollicite le paiement d'un arriéré locatif depuis le 8 janvier 2014, fait également correspondre cette date à celle de la conclusion du contrat de bail entre les parties,
- au vu de la date de la conclusion de ce bail, l'action intentée par Me [O], ès qualités, le 12 mars 2019, est donc prescrite.
Par déclaration en date du 13 juillet 2023, Me [G] [O], ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL Alben, a interjeté appel de cette ordonnance.
Aux termes de ses dernières conclusions déposées par RPVA le 2 janvier 2024, Me [G] [O], ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL Alben, demande à la cour de:
Vu les articles L 145-1 et suivants et notamment l'article L 145-80 du code de commerce,
Vu l'article 2224 du code civil,
- recevoir Me [G] [O], ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL Alben, en son appel et l'en déclaré bien fondé,
- réformer l'ordonnance du 28 juin 2023 rendue par le juge de la mise en état près le tribunal judiciaire de Nice en ce qu'elle a:
* dit irrecevable l'action en paiement formée par Me [G] [O], ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL Alben , à l'encontre de la société BTSG², ès qualités de liquidateur judiciaire de la société AAP [C] Arms Parts,
* débouté Me [G] [O], ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL Alben , de ses demandes formées de la société BTSG², ès qualités de liquidateur judiciaire de la société AAP [C] Arms Parts,
* dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
* condamné Me [G] [O], ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL Alben, aux dépens de l'incident qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
- déclarer l'action en paiement de l'arriréré locatif formulée par Me [G] [O], ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL Alben, recevable,
- débouter la société BTSG², ès qualités de liquidateur judiciaire de la société AAP [C] Arms Parts, de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
- condamner la société BTSG², ès qualités de liquidateur judiciaire de la société AAP [C] Arms Parts, à la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
Il fait grief au premier juge d'avoir confondu le régime de prescription applicable à l'action en paiement des loyers avec celui de la requalification d'un contrat en bail commercial et d'avoir ainsi appliqué la prescription biennale à une action en paiement, qui est pourtant soumise à la prescription quinquennale.
Il soutient en conséquence que :
- le premier impayé de loyer a été comptabilisé le 8 janvier 2014 et l'assignation ayant été délivrée le 12 mars 2019, l'action en paiement est parfaitement recevable pour les impayés courant à compter du 12 mars 2014,
- en outre, en application de l'article 2224 du code civil, le point de départ du délai de prescription doit être reporté au 20 décembre 2018, date à laquelle, en sa qualité de liquidateur judiciaire, il a découvert l'existence d'un locataire dans les locaux appartenant à la société Alben et ce de manière incidente, lorsque dans le cadre des opérations de liquidation la société AAP [C] Arms Parts a présenté une requête en revendication de matériel dans les locaux appartenant à la société Alben,
- si les loyers ont cessé d'être réglés à compter du 8 janvier 2014, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Alben, dont le gérant était décédé depuis le 29 septembre 2014, il ne disposait d'aucun élément pour se rendre compte de l'existence d'un bail commercial verbal liant les deux parties.
Il souligne qu'à la lecture des motifs de la décision querellée, le juge de la mise en état a considéré qu'il avait formulé une demande de requalification du bail en bail commercial, alors qu'il n'a introduit qu'une action en paiement d'un arriéré locatif, qui a un régime de prescription propre et a d'ailleurs développé, dans son assignation introductive d'instance, les raisons qui l'amenaient à considérer que la relation liant les parties était un bail commercial en l'absence d'écrit mais n'a jamais demandé au juge de requalifier un bail civil en bail commercial.
Il estime, qu'en tout état de cause, même si le juge du fond venait à considérer que les conditions d'application du statut des baux n'étaient pas établies, il n'en demeure pas moins que le bail verbal est un bail de droit commun et que la société AAP [C] Arms Parts reste redevable du paiement du loyer.
Il ne partage pas l'analyse de la partie adverse qui prétend qu'en l'absence de bail commercial écrit, il doit établir le montant du loyer et que cette action en établissement du montant du loyer se prescrit également par deux ans, en ce qu'en l'espèce, le loyer a nécessairement été fixé oralement par les parties lors de la conclusion du bail, la seule difficulté qui peut alors surgir concerne le montant sur lequel s'étaient accordées les parties, à savoir un problème de preuve mais non d'existence du loyer.
Il conteste l'irrecevabilité de ses demandes qui lui est opposée pour défaut de qualité à agir au motif qu'il ne rapporterait pas la preuve de sa qualité de bailleur, une telle argumentation étant une question de fond, supposant l'appréciation du bien fondé de la demande.
La SCP BTSG², prise en la personne de Me [U] [S], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société AAP [C] Arms Parts, suivant ses dernières conclusions signifiées par RPVA le 20 décembre 2023, demande à la cour de :
Vu les dispositions des articles L 145-1 et suivants, L 122-25 du code de commerce,
A titre principal,
- confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 28 juin 2023 par le juge de la mise en état,
- déclarer irrecevable Me [G] [O], ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL Alben, pour défaut de qualité à agir,
A titre subsidiaire,
- juger prescrite la demande relative aux loyers sur la période antérieure au 16 novembre 2016,
En tout état de cause,
- condamner Me [G] [O], ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL Alben, à payer à la SCP BTSG², ès qualités de liquidateur judiciaire de la société AAP [C] Arms Parts, la somme de 5.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de l'instance.
Elle soutient que l'action de Me [O], ès qualités, est prescrite, faisant valoir en substance que:
- contrairement aux affirmations de l'appelante, sa demande ne tend pas simplement à une condamnation au titre d'un arriéré de loyers mais il s'agit d'une action aux fins voir reconnaître l'existence d'un bail commercial liant la société Alben à la société AAP [C] Arms Parts,
- en l'absence de bail écrit et de reconnaissance d'un tel bail par la partie adverse, la demande de Me [O], ès qualités, ne peut tendre uniquement à une condamnation au paiement de loyers impayés et il est nécessaire de faire reconnaître au préalable l'existence de ce bail avant de pouvoir réclamer un éventuel arriéré de loyers,
- l'action en fixation du loyer du bail commercial qui s'opère par application de l'article L 145-5 du code de commerce est soumise au délai de la prescription biennale de l'article L 145-60 du code de commerce,
- Me [O] indique qu'aucun loyer n'aurait été versé depuis janvier 2014, de sorte que l'action en fixation d'un loyer commercial est prescrite depuis le 8 janvier 2016,
- aucune preuve du versement d'un loyer n'est produite, ni aucun élément sur le montant du loyer fixé entre les parties, l'appelant se fondant sur un rapport d'expertise diligenté dans le cadre des opérations de liquidation judiciaire pour tenter de fixer un loyer et solliciter une condamnation au titre d'un prétendu arriéré,
- le point de départ du délai de prescription ne peut être fixé au 20 décembre 2018, date de la requête en revendication de meubles, en ce qu'il ressort de l'expertise susvisée que la société AAP n'occupait plus les locaux lors de la réalisation de son rapport en 2017 et que Me [O] avait connaissance de la présence de cette société dès 2017.
En tout état de cause , elle conclut à l'irrecevabilité des demandes de Me [O], ès qualités, pour défaut de qualité à agir en ce que ce dernier ne rapporte nullement la preuve de la qualité de bailleur de la société Alben, se contentant de procéder par voie d'affirmations.
A titre subsidiaire, elle oppose à l'appelant la prescription partielle de la créance déclarée au passif de la société AAP:
- l'action en recouvrement de loyers commerciaux se prescrit par 5 ans,
- la déclaration de créance datant du 16 novembre 2021, les loyers antérieurs au 16 novembre 2016 sont prescrits,
- la société AAP ne se trouvant plus dans les locaux de la société Alben au jour de la visite des locaux par l'expert le 23 août 2017, de sorte que les loyers postérieurs à cette date ne peuvent pas être réclamés comme n'étant pas causés.
La procédure a été clôturée par ordonnance en date du 9 janvier 2024.
MOTIFS
En vertu de l'article L145-60 du code de commerce, toutes les actions nées du chapitre concernant les baux commerciaux se prescrivent par deux ans.
Il est cependant constant que l'action en paiement des loyers résultant d'un bail commercial n'est pas soumise à la prescription biennale de l'article susvisé mais à la prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil.
Me [O], ès qualités, reproche au premier juge d'avoir confondu le régime de la prescription applicable à l'action en paiement des loyers avec celui de la requalification d'un contrat en bail commercial. Il soutient que son action se limite à réclamer le paiement d'un arriéré locatif et qu'il s'est contenté, dans son assignation introductive d'instance, de rappeler les raisons qui l'amenaient à considérer que la relation qui liait les parties était un bail commercial en l'absence d'écrit, un tel rappel étant un préalable nécessaire à son action en paiement.
La demande de Me [O], liquidateur judiciaire de la société Alben, ne tend toutefois pas simplement à une condamnation au titre d'un arriéré locatif en ce qu'il réclame le paiement de loyers en alléguant l'existence d'un bail commercial liant les parties.
En effet, il n'existe aucun contrat écrit et l'existence même de ce bail est contestée par la SCP BTSG², ès qualités de liquidateur judiciaire de la société AAP [C] Arms Parts.
Dans son assignation, Me [O] expose d'ailleurs que la société Alben se fonde sur un faisceau d'indices l'amenant à retenir que le statut des baux commerciaux s'appliquait et que la relation entre les parties était un bail commercial verbal, à savoir :
- le siège social de la société AAP [C] Arms Parts est identique à celui de la société Alben,
- la société AAP [C] Arms Parts a versé quelques sommes au profit de la société Alben, comptabilisées au poste loyer,
- la société AAP [C] Arms Parts a présenté une requête en revendication du matériel lui appartenant au sein des locaux de la société Alben.
En l'absence d'écrit, seuls des indices permettent à Me [O] de se prévaloir de l'existence d'un bail commercial conclu entre les parties et par là, de l'application du statut des baux commerciaux en résultant, étant relevé que l'existence d'une telle relation contractuelle est formellement contestée par la partie adverse.
Dès lors et contrairement à ce que soutient l'appelant, son action ne tend pas uniquement à obtenir le paiement d'un arriéré locatif, en qu'il est nécessaire de se prononcer, en premier lieu sur l'existence de ce bail commercial. Me [O] ne peut se contenter de soutenir qu'il ne demande pas au juge de qualifier le bail litigieux en ce que le statut des baux commerciaux s'applique automatiquement, ce qui ne saurait être le cas en présence de la seule allégation d'un bail verbal sans aucun autre élément, l'appelant n'indiquant à aucun moment le montant du loyer qui aurait été versé avant la date allégué du premier impayé, à savoir le 8 janvier 2014, puisqu'il se fonde exclusivement sur un rapport d'expertise du 11 septembre 2017, donc postérieur et qui fixe la valeur locative de marché.
L'action introduite par Me [O], ès qualités, tend bien à faire reconnaître l'existence d'un bail commercial, laquelle est soumise à la prescription biennale de l'article L 145-60 du code de commerce. Ce dernier affirmant que le loyer a cessé d'être réglé à compter du 8 janvier 2014, cette indication fixe le point de départ de l'existence du bail revendiqué a minima au 8 janvier 2014.
En conséquence, Me [O], ès qualités, ayant introduit la présente instance par assignation du 12 mars 2019, ses demandes sont prescrites au visa de l'article L 145-60 susvisé.
L'ordonnance entreprise sera donc confirmée en toutes ses dispositions.
Vu l'article 700 du code de procédure civile,
Vu l'article 696 du code de procédure civile,
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe et par arrêt contradictoire,
Confirme l'ordonnance du juge de la mise en état près le tribunal judiciaire de Nice en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne Me [G] [O], ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL Alben à payer à la SCP BTSG², prise en la personne de Me [U] [S], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société AAP [C] Arms Parts la somme de 2.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
Condamne Me [G] [O], ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL Alben aux dépens de la procédure d'appel.