Livv
Décisions

CA Chambéry, ch. civ. sect. 1, 19 mars 2024, n° 23/00687

CHAMBÉRY

Arrêt

Autre

PARTIES

Défendeur :

Le Curtet (SCEA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pirat

Conseillers :

Mme Reaidy, Mme Real Del Sarte

Avocats :

Me Giraud, SAS Mermet & Associes

TJ Thonon-les-Bains, du 24 mars 2023

24 mars 2023

Faits et procédure

Par acte authentique du 11 septembre 1997, Mme [F] [D] et M. [Y] [D], soeur et frère, ont constitué une société civile d'exploitation agricole dénommée « le Curtet ».

Par ordonnance du 9 novembre 2020, le président du tribunal judiciaire de Thonon les Bains, saisi sur requête de Mme [D] a désigné la selarl AJ Meynet et associés en qualité de mandataire de la Scea le Curtet avec mission de convoquer, dans un délai de trois mois, l'assemblée générale des associés à la seule fin de désignation d'un gérant.

L'administrateur judiciaire a établi un procès-verbal de difficultés le 5 février 2021 constatant l'absence de M. [D] à l'assemblée générale qu'il avait convoquée.

Par ordonnance du 26 mai 2021, le président du tribunal judiciaire, saisi à la requête de Mme [D] a désigné la selarl AJ Meynet et associés en qualité de mandataire ad hoc de la Scea le Curtet, en l'absence de désignation d'un gérant par l'assemblée générale des associés.

Par acte d'huissier du 8 juin 2021, Mme [F] [D] a fait assigner M. [Y] [D] et la Scea le Curtet, représentée par son administrateur, la Selarl Meynet et Associés, aux fins notamment de prononcer la dissolution de la Scea le Curtet en raison de la mésentente entre associés paralysant le fonctionnement de la société et d'ordonner sa liquidation.

Par jugement réputé contradictoire en date du 24 mars 2023, le tribunal judiciaire de Thonon-les-Bains, avec le bénéfice de l'exécution provisoire a :

- Prononcé la dissolution de la Scea le Curtet ;

- Ordonné la liquidation de la Scea le Curtet ;

- Désigné la selarl Meynet et Associés en qualité de mandataire chargé des opérations de liquidation de la Scea le Curtet, aux fins de procéder à la liquidation des actifs de la société, au paiement du passif et à l'établissement des comptes de liquidation ;

- Dit que le liquidateur pourra s'adjoindre tout expert de son choix pour établir les comptes de la société, et notamment aux fins d'évaluation des indemnités et loyers dus par M. [Y] [D] à la scea le Curtet ;

- Ordonné la publication du jugement à intervenir dans un journal d'annonces légales aux frais de la scea le Curtet ;

- Condamné M. [Y] [D] à payer à Mme [F] [D] la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts ;

- Condamné in solidum la Scea le Curtet et M. [Y] [D] à payer à Mme [F] [D] la somme de 2 000 euros au titre de l'indemnité procédurale et les dépens.

Au visa principalement des motifs suivants :

' Une mésentente des associés est caractérisée et le fonctionnement de la société s'en trouve paralysé dès lors qu'aucun gérant n'a pu être nommé à la suite de la désignation par la Selarl AJ Meynet et associés mandaté à cet effet.

Par déclaration au greffe du 28 avril 2023, M. [Y] [D] a interjeté appel de la décision en toutes ses dispositions.

L'avis de fixation à bref délai a été adressé par le greffe le 22 mai 2023.

Par ordonnance du 2 novembre 2023, la présidente de la première chambre civile de la cour d'appel de Chambéry a :

- Dit qu'il n'entre pas dans les pouvoirs du président de la chambre de statuer sur la caducité de la déclaration d'appel pour défaut de notification par l'appelant de sa déclaration d'appel à l'intimé dans le délai imparti par l'article 905-1 du code de procédure civile, en raison d'une irrégularité de forme affectant l'acte de procédure,

En conséquence,

- Déclaré irrecevable la demande de Mme [F] [D] tendant à voir déclarer la caducité de la déclaration d'appel pour défaut de notification par l'appelant de sa déclaration d'appel, en raison d'une irrégularité de forme affectant cet acte de procédure,

- Condamné Mme [F] [D] aux dépens de l'incident,

- Débouté les parties de leurs demandes d'indemnité procédurale.

Prétentions et moyens des parties :

Par dernières écritures en date du 13 juin 2023, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, M. [Y] [D] sollicite l'infirmation de la décision et demande à la cour de :

- S'entendre déclarer Mme [F] [D] irrecevable et subsidiairement mal fondée en l'ensemble de ses demandes ;

- L'en débouter ;

- S'entendre la même reconventionnellement condamner à payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Au soutien de ses prétentions, M. [Y] [D] fait valoir notamment que :

' La mésentente des associés et la paralysie de la Seca sont simplement alléguées et nullement établies.

Par dernières écritures en date du 27 juin 2023, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, Mme [F] [D] sollicite de la cour de :

- Déclarer caduc l'appel de M. [Y] [D] ;

Subsidiairement,

- Confirmer le jugement déféré en ce qu'il a

- prononcé la dissolution de la Scea le Curtet,

- ordonné sa liquidation et désigné la selarl AJ Meynet et associés pour y procéder,

- dit que le liquidateur pourrait s'adjoindre tout expert de son choix pour établir des comptes de la société, et notamment pour évaluer les indemnités et loyers dus par M. [Y] [D] à la scea le Curtet ;

- Infirmant pour le surplus, condamner M. [Y] [D] à lui payer une somme de 50 000 euros à titre de dommages-intérêts, en réparation de ses préjudices moraux et financiers, notamment du chef de sa privation de jouissance des parts sociales lui appartenant ;

- Confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné in solidum la SCEA Le Curtet et M. [Y] [D] à lui payer une indemnité de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Y ajoutant, condamner M. [Y] [D] à payer à l'intimée une indemnité complémentaire de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner M. [Y] [D] aux dépens de première instance et d'appel.

Au soutien de ses prétentions, Mme [F] [D] fait valoir notamment que :

' M. [Y] [D] n'a signifié, ni sa déclaration d'appel, ni l'ordonnance de fixation à bref délai caractérisant la caducité de l'appel ;

' L'impossibilité de désigner un gérant, le comportement de M. [Y] [D] et le refus de ce dernier de reconnaître ses droits caractérisent la perte de l'affectio societatis et justifient donc la dissolution de la société.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l'audience ainsi qu'à la décision entreprise.

Une ordonnance en date du 13 novembre 2023 a clôturé l'instruction de la procédure. L'affaire a été plaidée à l'audience du 12 décembre 2023.

Motifs et décision

Sur la caducité de l'appel de M. [D]

L'article 1844-8 du code civil énonce :

« La dissolution de la société entraîne sa liquidation, hormis les cas prévus à l'article 1844-4 et au troisième alinéa de l'article 1844-5. Elle n'a d'effet à l'égard des tiers qu'après sa publication.

Le liquidateur est nommé conformément aux dispositions des statuts. Dans le silence de ceux-ci il est nommé par les associés ou, si les associés n'ont pu procéder à cette nomination, par décision de justice.

Le liquidateur peut être révoqué dans les mêmes conditions. La nomination et la révocation ne sont opposables aux tiers qu'à compter de leur publication. Ni la société, ni les tiers ne peuvent, pour se soustraire à leurs engagements, se prévaloir d'une irrégularité dans la nomination ou dans la révocation du liquidateur, dès lors que celle-ci est régulièrement publiée.

La personnalité morale de la société subsiste pour les besoins de la liquidation jusqu'à la publication de la clôture de celle-ci... »

La survie de la personnalité morale permet à la société de continuer à agir en justice en étant représentée par son liquidateur et ce dernier a seul qualité pour agir en justice au nom de la société devant toutes les juridictions tant en demande qu'en défense, ainsi qu'y exercer les voies de recours.

En application des dispositions des articles 654 et 690 du code de procédure civile, la signification d'un acte à une personne morale devant être faite à son représentant légal, à un fondé de pouvoir ou toute autre personne habilitée à cet effet, c'est à son liquidateur que l'acte doit être délivré lorsque la société est en liquidation (Cass 17 mai 1983, n°81-14.262). C'est seulement si cette signification s'avère impossible que l'acte peut être délivré à domicile ou à mairie, mais des significations peuvent être déclarées irrégulières lorsqu'elles ont été faites au siège social d'une société en liquidation lorsque le requérant connaissait le nom du liquidateur et savait qu'en l'absence au siège social de toute personne susceptible de recevoir la copie, le pli serait remis en mairie ([5] 3 avril 1979, n°77 ' 15.446).

En l'espèce, l'appel de M. [D] a été dirigé uniquement contre Mme [D] et la Scea, sans précision du représentant de cette dernière, et non contre le liquidateur seul habilité à représenter celle-ci, compte tenu de l'exécution provisoire dont est assorti le jugement ayant prononcé la dissolution de la société Scea et nommé la selarl Meynet en qualité de liquidateur.

M. [D] a fait signifier la déclaration d'appel à la Scea Le Curtet au siège social de cette dernière, par acte d'huissier en date du 26 mai 2023, le commissaire de justice, n'ayant pu remettre l'acte pour les raisons suivantes :

« Cet acte a été remis par le commissaire de justice dans les conditions ci-dessous indiquées et suivant les déclarations qui lui ont été faites.

A domicile du destinataire dont la certitude est caractérisée par les éléments suivants :

Confirmation du voisinage,

Confirmation des services de mairie.

La signification à la personne même du destinataire de l'acte s'avérant impossible pour les raisons : La personne présente sur place est le requérant. »

N'ayant trouvé au domicile du signifié aucune personne susceptible de recevoir la copie de l'acte ou de le renseigner, le commissaire de justice a déposé l'acte en son étude et laissé un avis de passage conformément à l'article 656 du code de procédure civile.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que le liquidateur n'a pas été intimé devant la cour et que l'acte d'appel ne lui a pas été signifié.

Dès lors, il y a lieu, en application des dispositions de l'article 905-1 alinéa 1 du code de procédure civile de déclarer caduc l'appel de M. [D], étant précisé que la mise en cause du liquidateur représentant la Scea Le Curtet est indispensable à la bonne régularité de cette procédure au regard de l'indivisibilité du litige existante.

Et du fait de cette indivisibilité, la caducité de l'appel à l'égard de la Scea, entraîne celle de l'appel dirigé à l'encontre de Mme [D] épouse [J].

Sur les mesures accessoires

M [D] est tenu aux dépens exposés devant la cour.

L'équité commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de Mme [D] épouse [J].

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement par défaut,

Prononce la caducité de l'appel interjeté par M. [Y] [N] [D],

Condamne M. [Y] [N] [D] aux dépens exposés devant la cour,

Condamne M. [Y] [N] [D] à payer à Mme [F] [D] épouse [J] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.