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Décisions

CA Versailles, ch. com. 3-1, 14 mars 2024, n° 22/03265

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

SEMV (SARL)

Défendeur :

Maison Drucker (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Thomas

Conseillers :

Mme Gautron-Audic, Mme Meurant

Avocats :

Me Teriitehau, Me Portet, Me Putigny-Ravet

T. com. Nanterre, ch. 4, du 11 mars 2022…

11 mars 2022

EXPOSÉ DES FAITS

La SAS Maison Drucker, dont le siège social est à [Localité 3]), a pour activité la fabrication de sièges d'ameublement d'intérieur.

La SARL SEMV, dont le siège social est à [Localité 5], exerce une activité de restauration traditionnelle dans son restaurant [7] à [4] à [Localité 6] (77). Elle fait partie du groupe Luderic, qui exploite, via diverses filiales, plusieurs restaurants en région parisienne.

Le 21 décembre 2017, la société SEMV a passé une première commande de mobilier en rotin pour la terrasse du restaurant [7], pour un montant total de 24.265,88 € TTC. Le devis de la société Maison Drucker portait sur 48 chaises, 6 tabourets, 2 banquettes et 29 tables et prévoyait un délai de livraison de 8 à 12 semaines après réception d'un acompte de 50 %.

Le 27 février 2018, la société Maison Drucker a émis la facture n°FN180082, correspondant uniquement aux chaises, tabourets et banquettes commandés, d'un montant de 4.304,65 € TTC après déduction de I'acompte versé par la société SEMV.

La livraison est intervenue le 13 mars 2018 et les 29 tables commandées ont été remplacées par 29 tables en prêt en attendant leur fabrication.

La société SEMV a passé une seconde commande sur Ia base d'un devis de la société Maison Drucker en date du 23 mars 2018, qu'elle a accepté par courriel du 27 mars 2018, pour un montant de 11.160,96 € TTC, portant sur les 29 tables non livrées ainsi que 8 chaises et 4 tables supplémentaires. Le délai de livraison était de 10 semaines après réception de l'acompte de 50 %.

Le 18 juin 2018, la société Maison Drucker a établi la facture n°FN180359 d'un montant de 5.580,48 € TTC après déduction de I'acompte versé par la société SEMV.

La livraison est intervenue le 4 juillet 2018 et la société Maison Drucker a repris le matériel prêté.

Par courriel du 15 novembre 2018, la société SEMV a informé la société Maison Drucker d'« un gros problème avec vos chaises et banquettes de la terrasse du [7] », y joignant des photos. Après un échange de courriels entre les parties, la société Maison Drucker a repris 6 chaises le 30 novembre 2018 et les a livrées réparées le 17 janvier 2019.

Par courriel du 16 novembre 2018, la société Maison Drucker a rappelé à la société SEMV qu'elle n'avait pas réglé le solde de ses 2 factures des 27 février et 18 juin 2018 pour un montant total de 9.885,13 € TTC et elle l'a à nouveau relancée par courriels des 18 décembre 2018 et 25 janvier 2019.

Par courrier RAR en date du 9 avril 2019, la société SEMV a demandé à la société Maison Drucker soit de réparer par étapes l'ensemble du mobilier, après quoi elle réglerait le solde des factures, soit de reprendre le matériel et de restituer les sommes déjà versées.

En réponse, par lettre RAR en date du 29 avril 2019, la société Maison Drucker a proposé, « afin de débloquer la situation », de réparer le mobilier en précisant qu'elle espérait que la société SEMV tiendrait ses engagements de paiement et elle a indiqué que dans le cas contraire, elle se réservait le droit de récupérer le matériel sans remboursement de l'acompte, comme prévu dans les conditions générales de vente.

Le 23 septembre 2019, les sociétés ont échangé afin d'organiser la reprise par la société Maison Drucker du matériel à entretenir. Le 22 novembre 2019, elle a récupéré 15 premières chaises à réparer et les a restituées le 16 janvier 2020, puis a emporté, le même jour, un deuxième lot de 15 chaises à réparer.

La société Maison Drucker a mandaté le cabinet ARC qui, par lettre RAR en date du 24 avril 2020, a mis la société SEMV en demeure de lui régler sous 8 jours la somme totale de 11.924,11 € TTC, dont 9.885,13 € en principal.

Par courrier du même jour, la société SEMV, par la voie de son conseil, a répondu à la société ARC en contestant la demande de paiement de la société Maison Drucker.

Par lettre RAR du 31 juillet 2020, le conseil de la société SEMV a mis en demeure la société Maison Drucker de lui restituer sous 8 jours les 15 chaises dont elle avait pris possession le 16 janvier précédent, exemptes de toute malfaçon.

Le 3 septembre 2020, la société Maison Drucker a informé la société SEMV que les 15 chaises réclamées seraient livrées le lendemain.

Par acte du 4 novembre 2020, la société Maison Drucker a fait assigner la société SEMV devant le tribunal de commerce de Nanterre.

Par jugement contradictoire du 11 mars 2022, le tribunal de commerce de Nanterre a :

- Condamné la SARL SEMV à régler à la SAS Maison Drucker la somme de 9.885,13 €, outre intérêt au taux légal à compter du 16 janvier 2020 ;

- Dit que la SAS Maison Drucker doit tenir son engagement de réparer le reste des chaises, soit un dernier lot d'environ 15 chaises, livrées à la SARL SEMV au titre des 2 commandes ;

- Débouté la SAS Maison Drucker de sa demande de pénalités de retard ;

- Condamné la SARL SEMV à régler à la SAS Maison Drucker la somme de 80 € au titre des frais de recouvrement pour les 2 factures impayées ;

- Ordonné la capitalisation des intérêts ;

- Débouté la SAS Maison Drucker de sa demande au titre de la résistance abusive ;

- Condamné la SAS Maison Drucker à verser à la SARL SEMV la somme de 421,65 € TTC, au titre du préjudice économique subi ;

- Dit n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamné la SARL SEMV aux dépens ;

- Rappelé que l'exécution provisoire est de droit.

Par déclaration du 13 mai 2022, la société SEMV a interjeté appel du jugement.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par dernières conclusions notifiées le 26 janvier 2023, la société SEMV demande à la cour de :

- La déclarer recevable et bien fondée en son appel ;

Y faisant droit,

- Réformer le jugement rendu le 11 mars 2022 par le tribunal de commerce de Nanterre en ce qu'il a :

- Condamné la SARL SEMV à régler à la SAS Maison Drucker la somme de 9.885,13 €, outre intérêt au taux légal à compter du 16 janvier 2020 ;

- Dit que la SAS Maison Drucker doit tenir son engagement de réparer le reste des chaises, soit un dernier lot d'environ 15 chaises, livrées à la SARL SEMV au titre des 2 commandes ;

- Condamné la SARL SEMV à régler à la SAS Maison Drucker la somme de 80 € au titre des frais de recouvrement pour les 2 factures impayées ;

- Ordonné la capitalisation des intérêts ;

- Condamné la SAS Maison Drucker à verser à la SARL SEMV la somme de 421,65 € TTC, au titre du préjudice économique subi ;

- Dit n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamné la SARL SEMV aux dépens ;

- Confirmer le jugement en ce qu'il a :

- Débouté la SAS Maison Drucker de sa demande de pénalités de retard ;

- Débouté la SAS Maison Drucker de sa demande au titre de la résistance abusive ;

Statuant à nouveau,

- Juger que la société Maison Drucker a failli à son obligation de délivrance des commandes passées les 21 décembre 2017 et 27 mars 2018 ;

- Juger la société SEMV bien fondée à invoquer l'exception d'inexécution et retenir ainsi le solde des factures émises les 27 février et 18 juin 2018 par la société Maison Drucker ;

- Condamner la société Maison Drucker à reprendre et mettre en conformité ou à procéder au remplacement des 45 chaises livrées non conformes dans un délai d'un mois à compter de la signification du jugement (sic) à intervenir et passé ce délai, sous astreinte de 500 € par jour de retard ;

- Condamner la société Maison Drucker à payer à la société SEMV la somme de 56.695,70 € au titre du préjudice économique subi par la société SEMV ;

- Condamner la société Maison Drucker à verser à la société SEMV la somme de 10.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Débouter la société Maison Drucker de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- Condamner la société Maison Drucker aux entiers dépens, lesquels seront recouvrés au profit de la SELARL Minault Teriitehau, agissant par Me Stéphanie Teriitehau, avocat, et ce conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions notifiées le 15 mai 2023, la société Maison Drucker demande à la cour de :

- Confirmer la décision déférée sur ces demandes en ce qu'elle a :

' Condamné la SARL SEMV à régler à la SAS Maison Drucker la somme de 9.885,13 €, outre intérêt au taux légal à compter du 16 janvier 2020 ;

' Condamné la SARL SEMV à régler à la SAS Maison Drucker la somme de 80 € au titre des frais de recouvrement pour les deux factures impayées ;

' Ordonné la capitalisation des intérêts ;

' Dit n'y avoir lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

' Débouté la SARL SEMV de sa demande tendant à voir :

- Condamner la SAS Maison Drucker à lui payer la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner la SAS Maison Drucker aux dépens ;

' Condamné la SARL SEMV aux entiers dépens ;

- Infirmer la décision déférée :

1) En ce qu'elle a débouté la SAS Maison Drucker de ses demandes tendant à voir condamner la SARL SEMV à verser à la SAS Maison Drucker :

- les pénalités de retard de droit prévues à l'article L.441-10 du code de commerce,

- 1.000 € à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive,

- 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

2) En ce qu'elle a condamné la SAS Maison Drucker à verser à la SARL SEMV 421,65 € au titre du préjudice économique subi par cette dernière ;

Par conséquent, statuant de nouveau,

1) Condamner la SARL SEMV à payer à la SAS Maison Drucker :

- les pénalités de retard de droit prévues à l'article L.441-10 du code de commerce, au taux BCE + 10 points à compter du jour suivant la date de règlement figurant sur la facture,

- 1.000 € à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive,

- 1.500 € en indemnisation des frais irrépétibles engagés au titre de la première instance ;

2) Débouter la SARL SEMV de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice économique ;

En toute hypothèse,

- Rejeter toutes les prétentions de la SARL SEMV ;

- Condamner la société SEMV à verser à la SAS Maison Drucker la somme de 3.000 € en indemnisation de ses frais irrépétibles engagés dans la présente instance d'appel, outre aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 28 septembre 2023.

Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit par l'article 455 du code de procédure civile.

Motivation

MOTIFS

1/ Sur l'exécution par les parties de leurs obligations respectives au titre des contrats de vente

La société SEMV soutient que le vendeur a une obligation de délivrance et que la société Maison Drucker ayant manqué à cette obligation, elle est bien fondée à invoquer l'exception d'inexécution afin de s'opposer au règlement du solde des factures. Elle fait valoir que la société Maison Drucker a manqué à son obligation de délivrance à deux reprises, une première fois en ne livrant pas les quantités prévues dans le devis de la première commande et une seconde fois en livrant un mobilier non conforme à son usage qui s'est détérioré après quelques semaines d'utilisation. Elle sollicite en conséquence l'infirmation du jugement entrepris en ce qu'il l'a condamnée à payer à la société Maison Drucker la somme de 9.885,13 €.

La société Maison Drucker réplique que la société SEMV a manqué à son obligation contractuelle principale à savoir le paiement du prix et précise que le solde des deux factures aurait dû être payé avant l'expédition du mobilier, en application des conditions de paiement spécifiées sur le devis accepté par la société SEMV. Elle soutient qu'elle a parfaitement rempli son obligation de délivrance de la chose vendue en ce qu'elle a livré la première commande dans le délai contractuel (à savoir 8 à 12 semaines à compter du versement de l'acompte) ; que si la seconde commande a été livrée avec deux semaines de retard, elle avait prêté le mobilier correspondant de sorte que la société SEMV n'a subi aucun préjudice. Elle ajoute que les chaises étaient conformes lors de la livraison et que la détérioration des chaises n'est apparue que 8 mois après leur livraison en raison d'une utilisation non conforme par la société SEMV qui les a laissées en permanence à l'extérieur. Elle précise que les deux bons de livraisons ont été signés sans réserve par la société SEMV, ce qui démontre que le matériel ne présentait pas de défauts à la livraison. Elle souligne qu'elle a cherché une solution amiable en acceptant de faire un raccord de vernis sur plusieurs chaises malgré l'absence de paiement du solde des factures par la société SEMV. Elle constate enfin que la société SEMV n'a soulevé aucune contestation quant à une non conformité du mobilier objet de la seconde commande et que, pourtant, elle s'est abstenue de régler la facture correspondante. Elle conclut à la confirmation du jugement attaqué sur ce point.

*****

L'article 1582 du code civil dispose que 'la vente est une convention par laquelle l'un s'oblige à livrer une chose et l'autre à la payer'.

L'article1604 du même code définit la délivrance comme 'le transport de la chose vendue en la puissance et possession de l'acheteur'. Outre la délivrance matérielle du bien meuble vendu, la notion de délivrance comprend également la remise par le vendeur à l'acquéreur d'une chose conforme au contrat.

Enfin, l'article 1217 de ce code énonce que :

'La partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté, ou l'a été imparfaitement, peut :

- refuser d'exécuter ou suspendre l'exécution de sa propre obligation ;

- poursuivre l'exécution forcée en nature de l'obligation ;

- obtenir une réduction du prix ;

- provoquer la résolution du contrat ;

- demander réparation des conséquences de l'inexécution.

Les sanctions qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulées; des dommages et intérêts peuvent toujours s'y ajouter.'

Il est rappelé que la preuve incombe à l'acquéreur qui soulève l'exception d'inexécution.

En l'espèce, la société SEMV estime que le solde des deux factures de la société Maison Drucker n'est pas dû compte tenu du non-respect par cette dernière de son obligation de délivrance tant matérielle, en raison du retard dans les livraisons, que relative à la conformité des marchandises.

Concernant le retard dans les livraisons, la cour constate que l'offre de prix de la société Maison Drucker, acceptée par la société SEMV le 21 décembre 2017, précisait un délai de livraison de 8 à 12 semaines à compter du règlement de l'acompte et que les marchandises ont été livrées le 13 mars 2018. Si les parties ne sont pas d'accord sur la date de paiement de l'acompte (la société SEMV affirmant l'avoir réglé lors de l'acceptation de l'offre de prix et la société Maison Drucker répliquant l'avoir reçu le 8 janvier 2018), le délai de livraison indiqué dans le devis a, quelle que soit la date retenue, été respecté par la société Maison Drucker. En revanche, celle-ci reconnaît que la seconde commande du 27 mars 2018, portant notamment sur les tables, a été livrée avec deux semaines de retard, le 4 juillet 2018. Toutefois, la société Maison Drucker ayant prêté des tables équivalentes dès le 13 mars 2018, date de la première livraison, la société SEMV n'a subi aucun préjudice lié à ce retard. Il en résulte que la société SEMV échoue à démontrer un manquement de la société Maison Drucker à son obligation de délivrance en raison d'un retard dans la livraison.

Concernant la non-conformité des marchandises, il appartient à l'acquéreur de démontrer que le bien remis n'est pas conforme aux spécifications contractuelles ou qu'il présente un défaut esthétique. La non-conformité s'apprécie au moment de la délivrance du bien, soit pour un bien meuble au moment de sa livraison. La cour constate que les chaises et banquettes, pour lesquelles la société SEMV se plaint d'une non-conformité, ont été livrées par la société Maison Drucker le 13 mars 2018 et que dans le bon de livraison, la société SEMV n'a émis aucune réserve. Le 23 mars 2018, elle a d'ailleurs commandé 8 chaises supplémentaires et n'a également émis aucune réserve dans le bon de livraison du 4 juillet 2018. Ce n'est que le 15 novembre 2018, soit 8 mois après la première livraison, que la société SEMV a informé la société Maison Drucker que les chaises étaient détériorées. Ce défaut n'étant pas présent lors de la livraison et étant apparu après plusieurs mois d'utilisation, il n'est pas exclu qu'il soit dû à une mauvaise utilisation du mobilier par la société SEMV et notamment à une absence de mise au sec la nuit, tel que préconisé dans les conditions d'utilisation des meubles en rotin que la société SEMV ne conteste pas avoir reçues en même temps que l'offre commerciale de la société Maison Drucker. Il en résulte que l'appelante ne démontre pas la non-conformité des chaises aux spécifications contractuelles.

La société SEMV échouant à démontrer un manquement de la société Maison Drucker à son obligation de délivrance, il lui appartient de respecter sa propre obligation consistant à payer le solde des deux factures n°FN180082 et FN180359, soit la somme de 4.304,65 € TTC et celle de 5.580,48 € TTC.

Par conséquent, il convient de confirmer le jugement rendu en ce qu'il a condamné la société SEMV à régler à la société Maison Drucker la somme de 9.885,13 € TTC.

2/ Sur la demande de la société SEMV de remise en conformité des chaises

La société SEMV soutient que la totalité des chaises était non conforme et qu'aucune n'a pu bénéficier d'une véritable mise en conformité par la société Maison Drucker. Elle fait valoir qu'en acceptant de reprendre la totalité des chaises, la société Maison Drucker a reconnu que les 6 chaises reprises en novembre 2018 n'étaient toujours pas conformes. Elle souligne que le bon de livraison des 15 chaises reprises le 19 novembre 2019 indiquait que les formes des chaises avaient été remplacées mais qu'elles étaient non vernies. Enfin, elle indique que pour les 15 autres chaises restituées le 4 septembre 2020, il n'existe aucun bon de livraison et elle en déduit que la preuve est ainsi rapportée qu'aucune réparation n'a été faite. Elle sollicite donc la condamnation, sous astreinte, de la société Maison Drucker 'à reprendre et mettre en conformité ou à procéder au remplacement des 45 chaises livrées non conformes'.

La société Maison Drucker conteste la non-conformité des chaises et explique qu'elle a accepté, malgré l'absence de paiement du solde des factures, de reprendre des chaises et de les réparer afin de démontrer sa bonne foi. Elle fait valoir que le bon de livraison des 6 chaises ayant fait l'objet d'un raccord de vernis a été signé sans réserve par la société SEMV. Elle précise qu'elle a accepté de faire un raccord de vernis sur 30 autres chaises mais qu'elle n'a toujours pas été réglée. Elle rappelle que la seconde commande n'a fait l'objet d'aucune contestation et qu'elle n'a pourtant pas été payée.

******

Il résulte des pièces du dossier que :

- la société Maison Drucker a, dès le 19 novembre 2018, conditionné la reprise des chaises pour réparation à leur paiement s'agissant d'un 'service après-vente' et elle a réclamé, à plusieurs reprises, le paiement de ses factures. Elle a finalement accepté de reprendre et réparer 36 chaises au total dans le but d'être payée ;

- la société SEMV s'est toujours opposée au règlement des deux factures tant que les chaises ne seraient pas réparées arguant du non-respect par la société Maison Drucker de son obligation de délivrance et elle estime que les 36 chaises reprises par la société Maison Drucker ne sont toujours pas conformes.

La cour constate tout d'abord que la société SEMV demande à la cour d'ordonner à la société Maison Drucker de réparer les '45 chaises livrées non conformes' sans préciser quels sont, selon elle, les défauts entachant lesdites chaises et les réparations à réaliser. Elle se contente de communiquer quelques photographies de qualité médiocre et non datées, qui ne permettent pas de déterminer s'il s'agit des chaises livrées en mars 2018 et si elles ont déjà fait l'objet de réparations de la part de la société Maison Drucker.

Ensuite, si l'article 1217 du code civil permet à la partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté de demander l'exécution forcée en nature de cet engagement, il est rappelé que la société SEMV n'a pas réussi à démontrer l'existence d'un manquement de la société Maison Drucker à son obligation de délivrance et qu'elle ne peut donc pas demander l'exécution forcée de cette obligation.

Par conséquent, il convient d'infirmer le jugement en ce qu'il a dit que la société Maison Drucker devait tenir son engagement de réparer le reste des chaises, soit un dernier lot d'environ 15 chaises.

3/ Sur la demande de la société SEMV de dommages et intérêts pour préjudice économique

La société SEMV s'estime bien fondée à demander réparation du préjudice résultant de l'absence de mobilier conforme près de trois ans après que les commandes ont été passées, en application des dispositions de l'article 1217 du code civil. Elle fait valoir qu'elle a été privée de 15 couverts en extérieur pendant toute la saison estivale de juin à septembre 2020 et que le préjudice est d'autant plus important qu'en pleine pandémie de coronavirus, les clients souhaitaient être accueillis en terrasse. Elle évalue son préjudice économique à la somme de 56.695,70 €, calculé sur la base d'un ticket moyen en fonction du chiffre d'affaires réalisé aux mois de juin, juillet, août et septembre 2020 ainsi que du nombre de couverts.

La société Maison Drucker affirme qu'elle n'a commis aucune faute et que, par conséquent, elle ne peut pas être condamnée à payer des dommages et intérêts pour préjudice économique. Elle souligne que la société SEMV a décidé, de sa propre initiative, de retirer le mobilier de sa terrasse et qu'elle est donc seule responsable de la réduction du nombre de couverts. Elle critique le calcul de la société SEMV qui part du principe que les clients consommeraient tous les jours le même ticket et qui ne tient pas compte du fait que toutes les tables ne peuvent pas être occupées tous les jours.

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L'article 1217 du code civil permet à la partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté de demander des dommages et intérêts.

En l'espèce, la société SEMV sollicite la condamnation de la société Maison Drucker à lui verser des dommages et intérêts pour le préjudice subi résultant du non-respect de son obligation de délivrance. Toutefois, la société SEMV ayant échoué à démontrer l'existence d'un manquement de la société Maison Drucker à son obligation de délivrance, elle ne peut qu'être déboutée de sa demande de dommages et intérêts.

Par conséquent, il convient d'infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Maison Drucker à verser à la société SEMV la somme de 421,65 euros TTC au titre du préjudice économique subi.

4/ Sur la demande de la société Maison Drucker relative à la résistance abusive

La société Maison Drucker affirme que la société SEMV a retenu abusivement le paiement du solde des factures alors qu'elle avait accepté, malgré l'absence de paiement, de reprendre les meubles ainsi que de les réparer et qu'elle a multiplié les tentatives pour trouver une solution amiable. Elle fait valoir que l'exception d'inexécution invoquée n'étant pas fondée, il appartenait à la société SEMV de régler le solde des factures, d'autant que ces paiements auraient dû être effectués avant la livraison. Elle invoque le coût humain et matériel qu'a engendré l'attitude de la société SEMV, dont elle souligne la mauvaise foi, et qui justifie le paiement de dommages-intérêts pour résistance abusive à hauteur de 1.000 €.

La société SEMV soutient que la retenue du paiement du solde des factures était justifiée au regarde du principe de l'exception d'inexécution. Elle approuve le tribunal de commerce d'avoir jugé que la société Maison Drucker n'apporte pas la preuve que la société SEMV lui a causé, de mauvaise foi, un préjudice distinct de celui réparé par la condamnation à lui payer le solde des factures outre intérêts au taux légal.

*****

L'article 1231-6 du code civil dispose que :

'Les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d'une obligation de somme d'argent consistent dans l'intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure.

Ces dommages et intérêts sont dus sans que le créancier soit tenu de justifier d'aucune perte.

Le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts de l'intérêt moratoire.'

Comme l'ont justement retenu les premiers juges, la société Maison Drucker ne rapporte pas la preuve d'un préjudice distinct de celui déjà réparé par la condamnation de la société SEMV à lui payer le solde impayé des factures augmenté des intérêts de retard.

Par conséquent, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Maison Drucker de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive.

5/ Sur la demande de la société Maison Drucker relative aux pénalités de retard

La société Maison Drucker soutient qu'en application de l'article L.441-10 du code de commerce, les pénalités de retard sont dues de plein droit, sans rappel et sans à avoir à être indiquées dans le contrat. Elle indique que la mention relative aux pénalités de retard figurant sur la facture, qui ne répond pas aux conditions requises, ne peut se substituer à l'article L.441-10 qui prévoit un taux de pénalités ne pouvant être inférieur à trois fois le taux d'intérêt légal. Elle ajoute qu'elle est en droit de solliciter des intérêts de retard et des pénalités de retard s'agissant de deux fondements différents, les intérêts de retard étant fondés sur les dispositions de l'article 1344-1 du code civil et étant dus à compter de la mise en demeure tandis que les pénalités de retard sont prévues par l'article L.441-10 du code de commerce et sont exigibles dès le jour suivant la date de règlement indiquée sur la facture impayée.

La société SEMV répond que la société Maison Drucker ne peut solliciter des intérêts de retard sur les deux factures alors que le mobilier n'a été livré en intégralité que le 4 juillet 2018. Elle ajoute que la société Maison Drucker est irrecevable à solliciter à la fois l'application du taux légal au solde des factures et l'application des pénalités de retard sur le fondement de l'article L. 441-10 du code de commerce.

*****

Aux termes de l'article L.441-6 I du code de commerce, dans sa rédaction applicable au litige compte tenu de la date de passation des commandes et de la date d'émission des factures litigieuses :

'Les conditions de règlement doivent obligatoirement préciser les conditions d'application et le taux d'intérêt des pénalités de retard exigibles le jour suivant la date de règlement figurant sur la facture (...) dans le cas où les sommes dues sont réglées après cette date. Sauf disposition contraire qui ne peut toutefois fixer un taux inférieur à trois fois le taux d'intérêt légal, ce taux est égal au taux d'intérêt appliqué par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente majoré de 10 points de pourcentage. Dans ce cas, le taux applicable pendant le premier semestre de l'année concernée est le taux en vigueur au 1er janvier de l'année en question. Pour le second semestre de l'année concernée, il est le taux en vigueur au 1er juillet de l'année en question. Les pénalités de retard sont exigibles sans qu'un rappel soit nécessaire. (...)'

Les intérêts de retard et les pénalités de retard qui ont le même objet, à savoir réparer le préjudice causé par le retard de paiement du débiteur, ne peuvent se cumuler.

Les factures n°FN180082 et FN180359 de la société Maison Drucker portent la mention : 'Pénalités de retard, Taux légal (Article 3 loi 92.1442 du 31/12/1992)'. Mais il est également indiqué dans ses conditions générales de vente que 'Tout retard de paiement entraînera automatiquement la facturation des intérêts de retard. Ceux-ci seront égaux au taux de base bancaire + 3% en vigueur au moment du non paiement des factures'.

Afin de se conformer aux dispositions de l'article L. 441-6 du code de commerce, il convient de fixer un taux équivalent à trois fois le taux d'intérêt légal.

Par conséquent, la cour infirmera le jugement en ce qu'il a condamné la société SEMV à régler des intérêts au taux légal à compter du 16 janvier 2020 et, statuant à nouveau, la condamnera à payer à la société Maison Drucker des intérêts de retard à un taux équivalent à trois fois le taux légal à compter du jour suivant la date de facturation.

La cour confirmera le jugement en ce qu'il a débouté la société Maison Drucker de sa demande de pénalités de retard, condamné la société SEMV à régler la somme de 80 euros au titre des frais de recouvrement des deux factures et ordonné la capitalisation des intérêts.

6/ Sur les frais irrépétibles et les dépens

Compte tenu de la solution du litige, le jugement entrepris sera confirmé du chef des dépens et des frais irrépétibles.

En application de l'article 696 du code de procédure civile, la société SEMV sera condamnée aux dépens d'appel. Elle sera en outre condamnée à verser à la société Maison Drucker la somme de 5.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Dispositif

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement rendu le 11 mars 2022 par le tribunal de commerce de Nanterre en ce qu'il a condamné la société Maison Drucker à des dommages-intérêts pour préjudice économique, en ce qu'il a dit que la société Maison Drucker devait tenir son engagement de réparer le reste des chaises et s'agissant des intérêts de retard ;

Le confirme pour le surplus ;

Statuant à nouveau,

Condamne la société SEMV à payer à la société Maison Drucker, outre les sommes en principal de 4.304,65 € et 5.580,48 €, les intérêts de retard au taux équivalent à trois fois le taux légal à compter du du jour suivant la date de facturation ;

Déboute la société SEMV de ses plus amples demandes ;

Y ajoutant,

Condamne la société SEMV aux dépens d'appel ;

Condamne la société SEMV à payer à la société Maison Drucker la somme de 5.000 € au titre.