CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 20 mars 2024, n° 21/05162
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
CMI Maintenance Est (SAS)
Défendeur :
GEA Réfrigération France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Brun-Lallemand
Conseillers :
Mme Depelley, M. Richaud
Avocats :
Me Boccara, Me Bouzidi-Fabre, Me Houssineau
FAITS ET PROCEDURE
Chargée par la SAS Sysco France de réaliser un entrepôt frigorifique sur son site de [Localité 5], la SAS GEA Réfrigération France (ci-après, "la SAS GEA"), qui a pour activité principale la fourniture et l'installation de machines à glace et d'installations frigorifiques et climatiques pour l'agro-alimentaire et l'industrie, a confié en sous-traitance à la SAS CMI Maintenance Est (ci-après, "la SAS CMI"), spécialisée dans le secteur d'activité de l'ingénierie et des études techniques ainsi que dans la maintenance des outils et équipements industriels des professionnels de l'agroalimentaire, la réalisation du lot tuyauterie de ce marché en exécution d'une commande du 8 mars 2019 de 520 000 euros HT soumise à un cahier des charges établi le 11 décembre 2018.
Alors que la SAS GEA s'inquiétait le 23 juillet 2019 du retard pris dans l'exécution des travaux dont la première phase devait être achevée le 4 août 2019 au plus tard, la SAS CMI lui adressait le 24 septembre 2019 une facture datée du 2 septembre précédent d'un montant de 220 465,74 euros HT pour des prestations complémentaires.
La SAS GEA ne s'acquittait pas de cette somme et, par courrier du 8 octobre 2019, mettait en demeure la SAS CMI de poursuivre l'exécution de ses prestations. Estimant le chantier abandonné, elle lui notifiait la résiliation du contrat avec effet immédiat par lettre du 15 octobre 2019.
C'est dans ces circonstances que, la SAS CMI a, par acte d'huissier signifié le 29 octobre 2019, assigné la SAS GEA devant le tribunal de commerce de Rennes en sollicitant l'organisation d'une médiation ainsi que d'une mesure d'expertise judiciaire et le paiement de ses factures.
Par jugement du 11 mars 2021, le tribunal de commerce de Rennes a, avec exécution provisoire, statué en ces termes :
- "rejette la demande de CMI REFRIGERATION EST de nomination d'un juge conciliateur ;
- rejette la demande de CMI REFRIGERATION EST de désignation d'un expert ;
- déboute CMI MAINTENANCE EST de toutes ses demandes, fins et conclusions au titre de l'article L. 442-6-1°5 du Code de commerce ;
- déboute CMI MAINTENANCE EST de toutes ses demandes fins et conclusions au titre de l'article L 442-6 I 2°et 3°du Code de commerce ;
- juge que CMI MAINTENANCE EST n'a pas respecté ses obligations contractuelles ;
- déboute CMI MAINTENANCE EST de ses demandes de paiement de deux factures :
* 264 558,89 euros TTC au titre de la facture n° 3182028304 de travaux supplémentaires en date du 2 septembre 2019 et des intérêts ;
* 319 904,78 euros TTC au titre de la facture numéro 3182030281 des travaux au titre de la phase 2 en date du 29 février 2020 et des intérêts ;
- condamne CMI MAINTENANCE EST à verser la somme de 26 000 € HT soit 31 200 € TTC à GEA RÉFRIGÉRATION France au titre des pénalités de retard contractuelles ;
- déboute la société CMI MAINTENANCE EST de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
- déboute la société GEA REFRIGERATION France du surplus de ses demandes, fins et conclusions ;
- condamne la société CMI MAINTENANCE EST à verser à la société GEA RÉFRIGÉRATION France la somme de 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamne la société CMI MAINTENANCE EST aux entiers dépens de l'instance [']".
Par déclaration reçue au greffe le 22 mars 2021, la SAS CMI a interjeté appel de ce jugement.
Par ordonnance du 19 septembre 2023, le conseiller de la mise en état, constatant que la demande avait été soumise au tribunal et relevait de ce fait de l'effet dévolutif de l'appel, a dit n'y avoir lieu à ordonner une expertise.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 26 juin 2021, la SAS CMI demande à la cour, au visa des dispositions des articles 131-1 et suivants du code de procédure civile, 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (ci-après, "la CESDH"), 56, 58, 143, 145 et 482 du code de procédure civile, L 442-6 I 5° du code de commerce, D. 443-3 du code de commerce et du décret n° 2009-1384 du 11 novembre 2009 ainsi que des articles 1103, 1104 ,1171, 1240 et 1303 du code civil :
- de déclarer son appel recevable et bien fondé ;
- de la recevoir en ses demandes et les dire bien fondées ;
- de débouter la SAS GEA de l'ensemble de ses demandes ;
- de lui donner acte de ce qu'elle se réserve d'enrichir ses conclusions par de plus amples conclusions ultérieures avant toute clôture des débats à intervenir ;
- à titre principal, au visa des articles 131-1 et suivants du code de procédure civile, de désigner un médiateur afin d'entendre les parties et de confronter leurs points de vue pour leur permettre de trouver une solution au conflit qui les oppose ;
- ce faisant, en tout état de cause et avant-dire droit, de désigner un expert ou un sachant aux fins d'évaluer la réalité et la consistance des travaux supplémentaires effectués sans contrepartie financière par la SAS CMI en faveur de la SAS GEA sur le site du chantier situé , [Adresse 7] ;
- de désigner ainsi monsieur [C] [T], expert en mécanique générale et en ingénierie mécanique près la cour d'appel de Paris exerçant [Adresse 1], ou tout autre expert judiciaire qu'il plaira à la cour de désigner, avec pour mission :
* 1) de se rendre sur les lieux à l'adresse du chantier SYSCO [Adresse 7], en présence des parties ou à défaut celles-ci régulièrement convoquées par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ;
* 2) de recueillir les explications des parties et se faire communiquer par les parties tous documents ou pièces qu'il estimera nécessaires à l'accomplissement de sa mission et entendre, si besoin est, tout sachant ;
* 3) d'examiner l'installation ;
* 4) de rechercher et indiquer la ou les causes des retards reprochés par la SAS GEA et apprécier la consistance des travaux supplémentaires réalisées par la SAS CMI en donnant toutes explications techniques utiles sur les moyens d'investigation employés ;
* 5) de fournir tous éléments techniques et de fait de nature à permettre, le cas échéant, à la juridiction compétente, de déterminer les responsabilités éventuellement encourues par l'ensemble des parties ;
* 6) de recueillir et annexer au rapport les éléments relatifs aux préjudices allégués et de donner son avis ;
* 7) de donner son avis sur le décompte fourni aux parties et plus généralement faire le compte entre les parties, en ce compris chaque élément de préjudice, sans oublier le préjudice d'image de la SAS CMI résultant de la rupture et de sa notoriété dans le milieu professionnel étroit des équipements industriels des professionnels de l'agroalimentaire et du froid ;
- de dire que l'expert procèdera à sa mission sous le contrôle de la cour ;
- de dire que pour l'exécution de sa mission, l'expert commis s'entourera de tous renseignements utiles à charge d'en indiquer l'origine, recueillera toutes informations orales ou écrites de toutes personnes sauf à préciser dans son rapport leurs noms, prénoms, demeure et profession ainsi que, s'il y a lieu, leur lien de parenté ou d'alliance avec les parties, de subordination à leur égard, de collaboration ou de communauté d'intérêts avec elles et qu'il pourra éventuellement recueillir l'avis d'un autre technicien dans une spécialité distincte de la sienne ;
- de dire que l'expert devra dès la première réunion des parties dresser un rapport de ses investigations et évaluera d'une manière aussi précise que possible le montant prévisible de ses honoraires et ses débours en fonction des éléments dont il dispose, mettre les honoraires et débours à la charge exclusive de la SAS GEA ;
- de dire que l'expert devra, dans le délai de quatre mois, à compter de sa saisine, sauf prorogation dûment autorisée par le juge chargé du contrôle des expertises, déposer au greffe son rapport auquel sera joint, le cas échéant, l'avis du technicien qu'il s'est adjoint et qu'il délivrera lui-même copie du tout à chacune des parties en cause ;
- de dire que l'expert, une fois ses opérations terminées, et au moins un mois avant le dépôt de son rapport définitif, communiquera à chacune des parties, sous forme de pré-rapport le résultat de ses constatations ainsi que les conclusions auxquelles il sera parvenu, et recevra et répondra aux observations que les parties auront jugé utile de lui adresser sous forme de dires à annexer au rapport définitif ;
- de dire que dans le cas où les parties viendraient à se concilier, l'expert devra constater que sa mission est devenue sans objet et en faire rapport au juge chargé du contrôle et que dans ces conditions les honoraires et débours du premier seront partagés également entre les parties ;
- de mettre à la charge de la SAS GEA la provision à valoir sur la rémunération de l'expert ;
- en conséquence et jusqu'à homologation du rapport d'expertise, de rendre opposable les termes de l'assignation à tout éventuel partenaire ou contractant et/ou client tant que de la SAS GEA que de la SAS CMI ;
- en tout état de cause, également sur le fond :
* d'infirmer le jugement rendu le 11 mars 2021 par le tribunal de commerce de Rennes en ce qu'il a débouté la SAS CMI est de ses demandes ;
* ce faisant d'inviter la SAS GEA à mieux se pourvoir et dire et juger que la SAS GEA a procédé le 15 octobre 2019 à une brusque rupture des relations commerciales établies avec la SAS CMI et, ce faisant, d'allouer à la SAS CMI ce que de droit à titre de dommages et intérêts ;
* de dire et juger que la SAS GEA abuse de sa puissance contractuelle à l'encontre de la SAS CMI et de ce fait installe la SAS CMI dans une relation de dépendance économique et, ce faisant, allouer à la SAS CMI ce que de droit à titre de dommages et intérêts ;
* de condamner la SAS GEA à payer à la SAS CMI la somme à titre principal de 264 558, 89 euros avec intérêts de droit à compter du 2 septembre 2019 au titre de la facture n° 3182028304 du 2 septembre 2019 ;
* de condamner la SAS GEA à payer à la SAS CMI la somme à titre principal de 314 904,78 euros avec intérêts de droit à compter du 29 février 2020 au titre de la facture n° 3182030281 du 29 février 2020 ;
* de condamner la SAS GEA à payer à la SAS CMI la somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens distraits au profit de me [F] [R] conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
En réponse, dans ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 17 septembre 2021, la SAS GEA demande à la cour, au visa de l'articles L. 442-6 du code de commerce (dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019), de :
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 11 mars 2021 par le tribunal de commerce de Rennes ;
- en conséquence, débouter la SAS CMI de l'ensemble de ses demandes, reconventionnellement, condamner la SAS CMI à régler à la SAS GEA la somme de 31 200 euros et condamner la même à régler à la SAS GEA la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance ;
- y ajoutant, condamner la SAS CMI à régler à la SAS GEA la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel et condamner la même aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions visées pour un exposé détaillé du litige et des moyens des parties.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 16 janvier 2024. Les parties ayant régulièrement constitué avocat, l'arrêt sera contradictoire en application de l'article 467 du code de procédure civile.
MOTIVATION
1°) Sur les demandes avant-dire droit de la SAS CMI
a) Sur la demande d'expertise
Moyens des parties
Au soutien de sa demande d'expertise, la SAS CMI expose au visa des articles 143 et 145 du code de procédure civile et 6 de la CESDH que seul l'avis d'un technicien peut éclairer la Cour sur la réalité des travaux qu'elle a effectués et qui fondent sa demande en paiement, la SAS GEA contestant leur réalité et lui imputant une inexécution totale. Elle ajoute que l'expertise permettra également d'apprécier le caractère prématuré de la rupture notifiée par la SAS GEA et la bonne foi des parties.
En réplique, la SAS GEA explique que le fondement invoqué est erroné, l'article 145 du code de procédure civile ne s'appliquant qu'avant tout procès. Elle ajoute que l'expertise sollicitée est inutile, la cour étant suffisamment éclairée par les éléments de fait produits et discutés, le technicien ne pouvant par ailleurs livrer d'avis juridique.
Réponse de la cour
Conformément aux articles 12 et 16 du code de procédure civile, le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables et doit donner ou restituer dans le respect du principe de la contradiction leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée.
Il est exact que l'article 145 du code de procédure civile n'est, ainsi que sa lettre l'indique clairement, applicable qu'avant tout procès et ne peut être mobilisé postérieurement à l'introduction de l'instance par voie d'assignation au sens de l'article 855 du code de procédure civile, une demande avant-dire droit portée par l'acte introductif d'instance n'étant pas antérieure à tout procès mais étant seulement préalable à l'examen du fond de l'affaire par la juridiction saisie. Néanmoins, la SAS GEA a spontanément rectifié le fondement de la demande de la SAS CMI en répliquant au visa de l'article 238 du code de procédure civile et en reconnaissant implicitement la possibilité de solliciter une mesure d'instruction en tout état de cause au sens de l'article 144 du code de procédure civile. Aussi, la demande sera examinée dans son cadre juridique pertinent qui est constitué des dispositions combinées des articles 143, 144, 146, 147 et 232 et suivants de ce code.
Aux termes de ces textes, le juge peut d'office ou à la demande d'une partie, ordonner, sans toutefois pallier la carence des parties, toute mesure d'instruction légalement admissible s'il ne dispose pas d'éléments suffisants pour statuer sur des faits dont dépend la solution du litige en limitant son choix à ce qui est suffisant à cette dernière et en s'attachant à retenir ce qui est le plus simple et le moins onéreux. A cet égard, l'expertise ne peut être ordonnée que si des constations ou une consultation sont insuffisantes à éclairer le juge conformément à l'article 263 du même code.
Au soutien de sa demande d'expertise, la SAS CMI invoque :
- la nécessité "d'apprécier la consistance de ce [qu'elle] a réellement installé" ainsi que de déterminer "si la rupture est nettement anticipée par rapport à la date de livraison" et "s'il y avait des motifs pour GEA de ne pas confier à la concluante la phase numéro 2 du chantier contractuellement prévu, en bref savoir si la position des uns et des autres est fondée quant à la réalité du chantier et/aux manquements éventuels d'ordre technique" ;
- le risque de dépérissement des preuves ;
- le caractère incontournable d'une "expertise in situ".
Aux termes du cahier des charges "tuyauteries réglementées" (pièce 6 de la SAS GEA), qui constitue avec la commande du 8 mars 2019 (pièce 1 de la SAS GEA) les conditions particulières visées par la convention de sous-traitance qui y est intégrée (page 31), le marché est un forfait (page 4), qualification faisant écho aux mentions de la commande qui vise un "prix ferme, définitif et non révisable", "toutes modifications par rapport au cahier des charges administratif et technique [devant] faire l'objet d'un écrit validé et signé par le chargé d'affaires GEA Réfrigération France avant exécution" (page 5).
Or, alors qu'elle n'explique pas en quoi ces stipulations manqueraient de clarté ou seraient, ainsi qu'il sera dit, déséquilibrées, la SAS CMI ne démontre pas avoir sollicité l'accord de la SAS GEA avant de concevoir et d'exécuter les travaux qu'elle qualifie de supplémentaires et dont elle demande le paiement. Le consentement ou la validation implicite de cette dernière n'est pas non plus démontré : il ne découle ni des termes du projet de transaction produit (pièce 3 de la SAS CMI), qui n'a pas force obligatoire au sens des articles 1101 et 1103 du code civil faute d'avoir été conclu et précise de surcroît explicitement que l'offre faite n'impliquait aucune reconnaissance du bienfondé des prétentions de la SAS CMI, ni des échanges versés au débat qui n'évoquent pas spécifiquement les prestations litigieuses en leur nature et en leur coût (pièces 4 à 6 de la SAS CMI), à l'instar du descriptif technique transmis par cette dernière (sa pièce 7), et dont les termes ne permettent aucune comparaison utile avec l'unique facture produite (pièce 3 de la SAS GEA). L'unique document clair sur ce point et qui correspond à cette dernière, est le tableau "confidentiel" produit en pièce 8 par la SAS CMI. Il n'est cependant pas pertinent faute d'être daté, la SAS GEA ne démontrant pas l'avoir soumis à l'approbation de la SAS CMI avant exécution des travaux. Et, rien n'éclaire la nature des travaux objet de la seconde facture qui n'est pas produite.
Les prestations litigieuses n'ayant pas été autorisées dans le respect des stipulations du cahier des charges, carence constituant un obstacle dirimant au paiement demandé, une mesure d'expertise est juridiquement inutile. Elle l'est également factuellement puisque le chantier est désormais achevé. Toute mesure d'expertise sur site est de ce fait vaine et l'examen des pièces en débat peut être réalisé, sans risque de dépérissement des preuves, l'urgence alléguée ayant disparu, par les parties et la juridiction de jugement sans le secours d'un technicien. Celui-ci ne peut de surcroît livrer un avis juridique sur les questions qui lui sont soumises et apprécier ainsi la bonne ou mauvaise foi des parties ou le bienfondé de la rupture des relations.
En conséquence, très tardive et destinée à pallier la carence de la SAS CMI dans l'administration d'une preuve aisée et dans la construction de son argumentation en fait et en droit, l'expertise n'est pas nécessaire à la solution du litige, le rejet de sa demande à ce titre n'étant pas de nature à porter concrètement atteinte au droit au procès équitable qu'elle tire de l'article 6 de la CESDH lapidairement invoqué. Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de la SAS CMI à ce titre.
b) Sur la demande de médiation
En application de l'article 131-1 du code de procédure civile dans sa version du décret n° 2022-245 du 25 février 2022 applicable aux instances en cours conformément à son article 6, le juge saisi d'un litige peut, après avoir recueilli l'accord des parties, ordonner une médiation. Le médiateur désigné par le juge a pour mission d'entendre les parties et de confronter leurs points de vue pour leur permettre de trouver une solution au conflit qui les oppose. La médiation peut également être ordonnée en cours d'instance par le juge des référés.
Et, en vertu de l'article 127-1 du code de procédure civile, dans sa version issue du même décret, à défaut d'avoir recueilli l'accord des parties prévu à l'article 131-1, le juge peut leur enjoindre de rencontrer, dans un délai qu'il détermine, un médiateur chargé de les informer de l'objet et du déroulement d'une mesure de médiation. Cette décision est une mesure d'administration judiciaire.
Au regard de l'échec de la tentative de règlement amiable du litige marqué par l'impossibilité de régulariser la transaction un temps envisagée par les parties et de l'état d'avancement de l'affaire, une mesure de médiation, à laquelle s'oppose la SAS GEA, ne se justifie pas.
En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de la SAS CMI à ce titre, celle-ci précisant, malgré le changement de terminologie opéré à la faveur de l'appel (le conciliateur étant devenu un médiateur sans modification des textes visés), que sa demande de désignation d'un médiateur est identique à celle présentée en première instance.
2°) Sur les demandes au fond de la SAS CMI
Moyens des parties
Au soutien de son appel, la SAS CMI expose que la SAS GEA l'a sciemment laissée réaliser des prestations supplémentaires nécessaires en retardant artificiellement la rupture, en contradiction avec ses engagements antérieurs et sa reconnaissance des modifications de la salle des machines qui objectivaient les nouveaux travaux facturés, peu important la qualification de marché à forfait. Elle ajoute que le tribunal ne pouvait écarter le caractère établi des relations au seul motif que le chiffre d'affaires généré par la relation représentait une faible part de son chiffre d'affaires global et qu'il n'a pas pris "parti sur le contractuel mal rédigé et dont la partie adverse a tiré avantage" alors que celui-ci "comportait délibérément des failles et des manquements, pour ce qui concerne les conditions particulières censées dicter les "déviances" du chantier". Elle précise que les premiers juges n'ont pas "répondu à la notion de condition potestative" et n'ont tiré aucune conséquence de l'absence de conditions particulières qui a permis à la SAS GEA "de contourner toutes les procédures au cours du chantier et d'accomplir, ce que l'on ne peut que qualifier de dol, en laissant acquérir des travaux supplémentaires sans les payer, en proposant un marché dit de dupes (la transaction), en gagnant du temps sous couvert d'assurances d'accomplissement de la phase numéro 2, puis en se prévalant de retards alors même qu'ils ont été causés par les travaux supplémentaires en faveur et demandés par GEA REFRIGERATION, ce pour rompre brutalement une relation commerciale établie et au final le 22 octobre 2019 [l']expulser ['] de son chantier en mettant en place au pied levé une entreprise concurrente Altead".
En réponse, la SAS GEA explique que les relations étaient ponctuelles et non établies, neuf mois ayant séparé la première commande du 25 juin 2018 pour une livraison le 7 septembre 2018 et les travaux litigieux, la totalité des prestations représentant moins de 1 % du chiffre d'affaires global de la SAS CMI. Elle ajoute subsidiairement que la rupture est fondée sur la faute grave de la SAS CMI qui est caractérisée par le non-respect du planning contractuel et par son abandon de chantier. Elle explique, au titre du déséquilibre significatif, que les conditions particulières existent, peu important leur désignation par les parties, et que la SAS CMI ne démontre ni soumission ni déséquilibre à son détriment.
Réponse de la cour
a) Sur les pratiques restrictives de concurrence
La SAS CMI, aux termes d'écritures qui ne sont rendues pleinement intelligibles que par comparaison avec les termes du jugement et des conclusions adverses, sollicite de la Cour, sans toutefois fixer le quantum des préjudices réclamés à ces titres, qu'elle constate :
- l'existence d'une rupture brutale des relations commerciales établies ;
- que "la société GEA REFRIGERATION abuse de sa puissance contractuelle à l'encontre de la société CMI MAINTENANCE et de ce fait installe la société CMI MAINTENANCE dans une relation de dépendance économique et ce faisant [qu'elle alloue] à la société CMI MAINTENANCE ce que de droit à titre de dommages et intérêts", demande comprise par la SAS GEA comme étant fondée sur un déséquilibre significatif, quoique ces termes soient absents des écritures adverses, et par le tribunal comme visant l'article L. 442-6 I 2° et 3° du code de commerce.
Elle développe sur ces points une argumentation commune constituée d'une critique de certaines affirmations du jugement sans jamais évoquer un fondement juridique et sans débattre des conditions d'application des textes régissant ses demandes. En admettant qu'elles soient conformes à l'article 954 du code de procédure civile en considération de l'expertise sollicitée par ailleurs, celles-ci seront examinées sous les qualifications retenues par le tribunal et la SAS GEA qui ne sont pas critiquées par la SAS CMI.
- Sur la rupture brutale des relations commerciales
En application de l'article L. 442-1 II du code de commerce, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels. En cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l'auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d'une durée insuffisante dès lors qu'il a respecté un préavis de dix-huit mois. Ces dispositions ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.
Au sens de ce texte, la relation, notion propre du droit des pratiques restrictives de concurrence qui n'implique aucun contrat (en ce sens, Com., 9 mars 2010, n° 09-10.216) et n'est soumise à aucun formalisme quoiqu'une convention ou une succession d'accords poursuivant un objectif commun puisse la caractériser, peut se satisfaire d'un simple courant d'affaires, sa nature commerciale étant entendue plus largement que la commercialité des articles L. 110-1 et suivants du code de commerce comme la fourniture d'un produit ou d'une prestation de service (en ce sens, Com., 23 avril 2003, n° 01-11.664). Elle est établie dès lors qu'elle présente un caractère suivi, stable et habituel laissant entendre à la victime de la rupture qu'elle pouvait raisonnablement anticiper, pour l'avenir, une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial (en ce sens, Com., 15 septembre 2009, n° 08-19.200 qui évoque "la régularité, le caractère significatif et la stabilité de la relation commerciale").
La SAS CMI ne conteste pas qu'elle a contracté avec la SAS GEA une première fois le 25 juin 2018 pour une livraison le 7 septembre 2018 (sa pièce 4) puis une seconde fois pour le marché litigieux le 8 mars 2019. Ces deux seules commandes, dont elle ne conteste pas qu'elles représentent une part anecdotique dans son chiffre d'affaires global, sont ponctuelles et portent sur des prestations précises et circonscrites dans le temps : elles sont très insuffisantes pour caractériser une relation établie faute de continuité, de stabilité et de régularité.
Ce seul constat commande la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a rejeté ses demandes à ce titre, qui ne sont par ailleurs pas chiffrées malgré l'absence de demande de sursis à statuer dans l'attente des résultats de l'expertise sollicitée.
- Sur le déséquilibre significatif
Aux termes de l'article L. 442-6 I 2° du code de commerce dans sa version applicable aux faits litigieux, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.
La caractérisation de cette pratique restrictive suppose ainsi la réunion de deux éléments : d'une part la soumission à des obligations, ou sa tentative, et d'autre part l'existence d'obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.
La soumission, ou sa tentative, implique la démonstration par tous moyens par la SAS CMI, conformément à l'article 9 du code de procédure civile, de l'absence de négociation effective, ou de sa possibilité, des clauses ou obligations incriminées. Celle-ci, qui peut notamment être caractérisée par l'usage de menaces ou de mesures de rétorsion visant à forcer l'acceptation, ne peut se déduire de la seule structure d'ensemble du marché de la grande distribution, qui peut néanmoins constituer un indice de l'existence d'un rapport de forces déséquilibré se prêtant difficilement à des négociations véritables entre distributeurs et fournisseurs (en ce sens, Com. 20 novembre 2019, n° 18-12.823). L'appréciation de cette première condition est ainsi réalisée en considération du contexte matériel et économique de la conclusion proposée ou effective, l'insertion de clauses dans une convention type ou un contrat d'adhésion ou les conditions concrètes de souscription (en ce sens, Com. 6 avril 2022, n° 20-20.887) pouvant constituer des critères pertinents de la soumission ou de sa tentative. Si l'analyse de la contrepartie participe prioritairement de l'appréciation du déséquilibre significatif, celle de son existence, plutôt que de sa suffisance, demeure utile pour caractériser une éventuelle soumission ou tentative de soumission en ce que l'absence d'avantage attendu par le cocontractant ou de réciprocité des obligations est de nature à éclairer subjectivement, à raison de la dimension purement unilatérale de la démarche, une volonté d'assujettissement.
Et, l'appréciation du déséquilibre significatif, qui peut être économique comme juridique, est globale, au regard de l'économie du contrat, et concrète. L'article L. 442-6 I 2° du code de commerce autorise, non une fixation, mais un contrôle judiciaire du prix, dès lors que celui-ci ne résulte pas d'une libre négociation et caractérise un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties (en ce sens, Com., 25 janvier 2017, n° 15-23.547, et Cconst. 30 novembre 2018, n° 2018-749 QPC). L'existence d'obligations créant un déséquilibre significatif peut notamment se déduire d'une absence totale de réciprocité ou de contrepartie à une obligation, ou encore d'une disproportion importante entre les obligations respectives des parties, les effets des pratiques n'ayant en revanche pas à être pris en compte ou recherchés (en ce sens, Com., 3 mars 2015, n° 14-10.907). En l'absence de toute présomption légale, la preuve du déséquilibre significatif incombe à l'appelante, tandis que celle d'un éventuel rééquilibrage du contrat par une ou plusieurs autres clauses repose sur l'intimée.
La SAS CMI, qui ne prouve aucun déséquilibre du rapport de force entre les parties et était libre de soumissionner, n'explique pas en quoi elle aurait été soumise à une obligation quelconque dont elle ne précise d'ailleurs pas la nature. Elle ne procède à aucune analyse du contrat de sous-traitance et du cahier des charges.
Ces carences commandent à nouveau la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a rejeté ses demandes non chiffrées.
- Sur l'avantage sans contrepartie,
Aux termes de l'article L. 442-6 I 1° du code de commerce dans sa version applicable aux faits litigieux, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers d'obtenir ou de tenter d'obtenir d'un partenaire commercial un avantage quelconque ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu. Un tel avantage peut notamment consister en la participation, non justifiée par un intérêt commun et sans contrepartie proportionnée, au financement d'une opération d'animation ou de promotion commerciale, d'une acquisition ou d'un investissement, en particulier dans le cadre de la rénovation de magasins, du rapprochement d'enseignes ou de centrales de référencement ou d'achat ou de la rémunération de services rendus par une centrale internationale regroupant des distributeurs. Un tel avantage peut également consister en une globalisation artificielle des chiffres d'affaires, en une demande d'alignement sur les conditions commerciales obtenues par d'autres clients ou en une demande supplémentaire, en cours d'exécution du contrat, visant à maintenir ou accroître abusivement ses marges ou sa rentabilité.
L'absence de motivation en fait et en droit relevée pour le déséquilibre significatif est également prégnante au titre de l'avantage sans contrepartie qui n'est pas identifié.
Le jugement sera pour les mêmes raisons confirmé en ce qu'il a rejeté la prétention indéterminée en sa mesure de la SAS CMI.
b) Sur le paiement des factures
Moyen des parties
Tandis que la SAS CMI ne développe pas d'autres moyens que ceux évoqués au titre de sa demande d'expertise, la SAS GEA soutient que les conditions particulières sont constituées du cahier des charges et de la commande, peu important la désignation choisie par les parties, et qu'elles stipulent un marché forfaitaire, toute modification du prix de la prestation devant faire l'objet d'un accord préalable écrit qui fait ici défaut et qui ne découle pas de la proposition de transaction qui portait sur un accord global intégrant les pénalités de retard. Elle ajoute que la facture au titre de la phase 2, qui n'a jamais été exécutée, n'est pas produite
Réponse de la cour
Conformément aux articles 1103 et 1194 du code civil (anciennement 1134), les conventions légalement formées, qui tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ou pour les causes que la loi autorise, doivent être exécutées de bonne foi.
Et, en vertu de l'article 1231-6 (anciennement 1153) du code civil, les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d'une obligation de somme d'argent consistent dans l'intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure. Ces dommages et intérêts sont dus sans que le créancier soit tenu de justifier d'aucune perte. Le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts de l'intérêt moratoire.
Par ailleurs, en application de l'article 1353 (anciennement 1315) du code civil, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation, chaque partie supportant la charge de la preuve des faits qu'elle allègue au soutien de ses prétentions conformément à l'article 9 du code de procédure civile.
C'est par de justes motifs que la Cour adopte en complément des siens, déjà livrés au titre de la demande d'expertise, que le tribunal a constaté que les parties étaient liées par un marché à forfait et que tous travaux supplémentaires ne pouvaient être engagés et réglés qu'en vertu d'un accord exprès préalable de la SAS GEA, celui-ci n'étant pas prouvé par la SAS CMI qui ne produit par ailleurs pas la seconde facture qu'elle oppose et qui porte sur la phase deux du chantier qui n'a pas été exécutée.
En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande en paiement de la SAS CMI.
4°) Sur les pénalités de retard
Moyens des parties
Au soutien de sa demande, à laquelle n'a pas répondu spécifiquement la SAS CMI, la SAS GEA expose que le retard de 54 jours imputable à cette dernière dans l'exécution de la phase 1 commande l'application du plafond stipulé à l'article 9 de la convention de sous-traitance.
Réponse de la cour
Conformément aux articles 1103 et 1194 du code civil (anciennement 1134), les conventions légalement formées, qui tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ou pour les causes que la loi autorise, doivent être exécutées de bonne foi.
Aux termes de l'article 9 de la convention de sous-traitance, "du seul fait du dépassement de l'échéance du terme ou du planning, le sous-traitant est mis en demeure et est redevable de plein droit des pénalités de retard définies aux conditions particulières, à défaut une indemnité journalière de 1 % du marché TTC par jour calendaire de retard avec un maximum plafonné à 5 % du montant du marché".
C'est par de justes motifs que la Cour adopte que le tribunal a constaté que la phase un a été achevée le 27 septembre 2019 avec un retard de 54 jours calendaires et que, le montant total du marché s'élevant à 520 000 euros HT, le plafond contractuel était atteint, l'indemnité de retard atteignant ainsi 26 000 euros HT, soit 31 200 euros TTC.
Aussi, le jugement entrepris sera confirmé de ce chef également.
5°) Sur les frais irrépétibles et les dépens
Le jugement entrepris sera confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.
Succombant en son appel, la SAS CMI, dont la demande au titre des frais irrépétibles sera rejetée, sera condamnée à supporter les entiers dépens d'appel ainsi qu'à payer à la SAS GEA la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions soumises à la Cour ;
Y ajoutant,
Rejette la demande de la SAS CMI Maintenance Est au titre des frais irrépétibles ;
Condamne la SAS CMI Maintenance Est à payer à la SAS GEA Réfrigération France la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SAS CMI Maintenance Est à supporter les entiers dépens d'appel.