CA Aix-en-Provence, ch. 1-8, 20 mars 2024, n° 22/08968
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Pharmacie Taillandier (SELAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Coulange
Conseillers :
Mme Robin-Karrer, M. Patriarche
Avocats :
Me Polintchev, Me Badie, Me Hariot
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE ANTÉRIEURE
À compter du 7 mars 2019, Madame [T] [K] épouse [N] a effectué des "prestations de vente" pour le compte de la société PHARMACIE TAILLANDIER, société d'exercice libéral exploitant une officine de pharmacie située [Adresse 1] à [Localité 4] sous l'enseigne "Pharmacie Belfontaine".
La relation entre les parties a pris fin le 17 octobre 2019.
Par acte du 10 décembre 2019, Madame [N] a saisi le juge des référés du tribunal de commerce afin d'obtenir le paiement d'indemnités en réparation de la rupture brutale de ce qu'elle qualifiait alors de 'relation commerciale établie' au sens de l'article L. 442-1 du code de commerce.
La société PHARMACIE TAILLANDIER a contesté cette qualification et revendiqué la compétence des tribunaux civils en application de l'article L. 721-5 du même code.
Par ordonnance rendue le 28 janvier 2020, ce magistrat a relevé l'existence de difficultés sérieuses quant à la qualification du contrat et renvoyé la demanderesse à se pourvoir devant les juridictions du fond.
Madame [N] a alors saisi le 14 janvier 2021 le tribunal judiciaire de Marseille d'une demande en paiement de la somme de 8.783,66 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture brutale et abusive de ce qu'elle qualifiait désormais de contrat de prestation de services.
Elle a été déboutée des fins de cette action par un jugement rendu le 18 mai 2022, aux motifs qu'elle n'établissait pas le cadre juridique dans lequel elle avait exercé son activité, ni la nature, la durée ou les modalités précises de ses interventions, non plus que la faute imputée à la partie adverse.
L'intéressée a interjeté appel de cette décision le 22 juin 2022.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Aux termes de ses conclusions récapitulatives notifiées le 14 février 2023, Madame [T] [K] épouse [N] expose qu'elle est intervenue au sein de la Pharmacie TAILLANDIER en tant qu'animatrice de vente en parapharmacie, en qualité d'auto-entrepreneur immatriculé au répertoire SIRENE, moyennant une rémunération de 200 euros par jour ouvré, et que le planning de ses interventions était d'ores et déjà prévu jusqu'au 31 décembre 2019.
Toutefois le 17 octobre 2019, à la suite d'un entretien au sujet de commentaires négatifs formulés à son endroit par des clients sur un site internet, les gérants de la pharmacie lui auraient signifié verbalement la fin de leur collaboration avec effet immédiat.
Elle fonde son action sur l'article 1211 du code civil, suivant lequel, lorsqu'un contrat est conclu pour une durée indéterminée, chaque partie peut y mettre fin à tout moment, sous réserve de respecter le délai de préavis prévu, ou à défaut un délai raisonnable.
Elle demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris et, statuant à nouveau, de condamner l'intimée à lui payer :
- 7.600 euros en contrepartie de la perte des rémunérations qu'elle aurait dû percevoir entre le 18 octobre et le 31 décembre 2019,
- 3.000 euros en réparation du préjudice moral subi du fait des conditions vexatoires dans lesquelles est intervenue la rupture,
- 183,34 euros au titre des intérêts du prêt bancaire qu'elle a été contrainte de souscrire pour pallier sa perte de revenus.
Elle réclame accessoirement une somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre ses entiers dépens.
Dans ses écritures en réplique notifiées le 16 décembre 2022, la société PHARMACIE TAILLANDIER reconnaît l'existence d'une relation contractuelle sans écrit, et précise que l'intéressée intervenait en remplacement d'une autre animatrice.
Elle confirme également la tenue de l'entretien du 17 octobre 2019, mais conteste en revanche être à l'origine de la rupture, soutenant que celle-ci serait intervenue à l'initiative de Madame [N].
Elle conclut à la confirmation du jugement déféré, sauf en ce qu'il a rejeté sa demande reconventionnelle en dommages-intérêts pour procédure abusive, qu'elle réitère devant la cour à hauteur de 3.000 euros.
Elle réclame accessoirement paiement de 3.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre ses entiers dépens.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 22 janvier 2024.
DISCUSSION
Nonobstant l'absence de contrat écrit, le cadre juridique dans lequel Madame [N] déclare avoir exercé son activité n'est pas remis en cause par la PHARMACIE TAILLANDIER, non plus que la nature, la durée ou les modalités de ses interventions, lesquelles se déduisent des factures produites aux débats, de sorte que le premier juge ne pouvait rejeter pour ces motifs l'action de la demanderesse.
En vertu de l'article 1211 du code civil, lorsqu'un contrat est conclu pour une durée indéterminée, chaque partie peut y mettre fin à tout moment, sous réserve de respecter le délai de préavis prévu, ou à défaut un délai raisonnable, sous peine d'engager sa responsabilité.
Conformément à l'article 9 du code de procédure civile, il incombe cependant à l'appelante de démontrer que les gérants de la pharmacie sont bien à l'initiative de la rupture, ce que ceux-ci contestent, la preuve pouvant en être apportée par tous moyens.
Cependant, force est de constater que Madame [N] ne procède que par voie d'affirmations, sans rapporter aucunement cette preuve, ni par écrit, ni par témoins, ni encore par présomptions.
La plainte contre personne non dénommée qu'elle a déposée le 19 octobre 2019 auprès du commissariat de police du 8ème arrondissement pour diffamation n'a pas eu de suites, et n'impliquait pas directement les gérants de la pharmacie.
L'intimée produit de son côté une attestation de Madame [D] [Y], également employée au sein de l'officine, selon laquelle Madame [N] lui aurait déclaré au téléphone l'après-midi même de son départ qu'elle avait décidé de quitter son poste en raison des problèmes de santé de son époux.
Il convient en conséquence de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté les demandes principales.
Le présent arrêt n'étant rendu que par application des règles gouvernant la charge de la preuve, il ne peut être fait grief à l'appelante d'avoir agi en justice de manière dilatoire ou abusive, de sorte que la décision déférée doit être également confirmée en ce qu'elle a débouté la PHARMACIE TAILLANDIER de sa demande reconventionnelle en dommages-intérêts.
En revanche, l'équité commande d'allouer à l'intimée une indemnité de 1.500 euros au titre de ses frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne Madame [T] [K] épouse [N] aux dépens de l'instance d'appel, ainsi qu'à verser à la société PHARMACIE TAILLANDIER une somme de 1.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.