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Décisions

CA Riom, ch. com., 20 mars 2024, n° 23/00023

RIOM

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Bio Auvergne II (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dubled-Vacheron

Conseillers :

Mme Theuil-Dif, M. Kheitmi

Avocats :

Me De Rocquigny, Me Franck

TJ Clermont-Ferrand, du 18 nov. 2022, n°…

18 novembre 2022

Exposé du litige :

Suivant un acte sous seing privé du 21 avril 2006, M. [B] [H] a donné à bail commercial, à la SARL Bio Auvergne, des locaux situés à [Adresse 3].

Les parties ont conclu le 5 mai 2010 un nouveau bail, étendant les locaux loués au 6 de la [Adresse 6] ; ce nouveau bail était conclu pour une durée de neuf années à compter du 1er avril 2010, avec un loyer de 2 056 euros par mois, outre une provision sur les charges incombant à la société preneuse.

Ce contrat a été modifié par un avenant, à la suite d'une sous-location que la société preneuse avait consentie le 17 décembre 2011 avec la société Brice Méline, pour exercer une activité de restauration dans une partie des locaux : le loyer convenu entre M. [H] et la SARL Bio Auvergne a été porté à 2 300 euros hors taxe à compter du 1er octobre 2011.

Le 29 juillet 2021, la SARL Bio Auvergne II a fait signifier à M. [H] une demande de renouvellement du bail à effet du 1er novembre 2021, en contrepartie d'un loyer fixé à la somme résultant de l'application de la règle du plafonnement.

Les parties se sont accordées sur le renouvellement du bail, mais non sur le montant du loyer ; elles se sont fait assigner mutuellement le 7 juillet et le 1er août 2022 devant le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand.

Le juge des loyers commerciaux, par un jugement du 18 novembre 2022, a prononcé la jonction des deux instances ouvertes par les assignations des parties, dit que le bail s'est renouvelé pour une durée de neuf années à compter du 27 octobre 2021, fixé le loyer à la valeur locative, soit 3 289,60 euros par mois, hors taxe et hors charges, et condamné la SARL Bio Auvergne II à payer à M. [H] une somme de 3 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens. Le tribunal a rejeté le surplus des demandes des parties.

Sur requête de M. [H], ce jugement a été rectifié suivant un nouveau jugement du 5 mai 2023 : le loyer en cause était fixé à 4 000 euros par mois, hors taxes et hors charges, à compter du 1er novembre 2021.

M. [H], par une déclaration reçue au greffe de la cour le 2 janvier 2023, a interjeté appel du jugement du 18 novembre 2022, rectifié le 5 mai 2023.

Il demande à la cour de réformer le jugement, et de dire que le loyer doit être fixé à la somme de 6 000 euros par mois, sans TVA et hors charges, à compter du 1er novembre 2021.

M. [H] fait valoir que le jugement est affecté de deux erreurs : le premier juge a d'abord omis de prendre en considération, dans le calcul de la valeur locative, une surface d'environ 350 m², qui dans le bail initial était donnée à bail sans loyer, en contrepartie de la prise en charge, par la société locataire, des grosses réparations de l'article 606 du code civil ; or depuis la loi du 18 juin 2014 et son décret d'application, ces mêmes réparations ne peuvent être imputées au preneur, de sorte que cette surface devait être prise en considération pour fixer la valeur locative, à partir du renouvellement du bail. Le jugement comporte ensuite, toujours selon l'appelant, une erreur de calcul en ce qu'il se fonde sur un loyer fixé en dernier lieu à 2 056 euros en 2013, alors que ce loyer était en réalité de 2 500 euros.

La SARL Bio Auvergne II forme appel incident et demande à la cour de fixer le loyer en cause à la somme de 2 690,44 euros par mois, sans TVA et hors charges locatives, en application de la règle du plafonnement contenue dans l'article L. 145-34 du code de commerce. Elle fait valoir que pendant le bail écoulé à partir du 1er avril 2010, les éléments de commercialité énumérés à l'article L. 145-33 du même code n'ont fait l'objet d'aucune modification notable : le local est resté inchangé, l'adjonction d'une surface supplémentaire a été compensée par une augmentation du loyer pour l'ensemble du local, et la loi du 18 juin 2014, interdisant au bailleur de faire supporter certaines charges au preneur, n'est pas applicable aux baux en cours à la date de publication de son décret d'application, ce qui est le cas du bail en litige, expiré le 1er octobre 2021. La SARL Bio Auvergne II expose encore, pour contester le déplafonnement, que les améliorations apportées aux lieux par le preneur ne peuvent justifier le déplafonnement que lors du second renouvellement suivant l'exécution des travaux ; et que les modifications des facteurs externes de commercialité, telles que la création à proximité d'une ligne de tramway, le projet de construction de nouveaux logements ou l'installation d'une station de vélos, ne peuvent non plus fonder le déplafonnement, soit parce qu'elles sont intervenues avant ou après le bail expiré, ou soit parce qu'elles n'ont pas eu d'effet favorable sur l'activité de commerce de détail de produits alimentaires spécialisés, qu'exerce la SARL Bio Auvergne II.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 23 janvier 2024.

Il est renvoyé, pour l'exposé complet des demandes et observations des parties, à leurs dernières conclusions déposées le 17 janvier 2024 et le 21 janvier 2024.

Motifs de la décision :

Les deux parties s'accordent pour demander à la cour de dire que le bail en cause s'est renouvelé pour une durée de neuf ans, à compter du 27 octobre 2021 ; il sera fait droit à leur demande, le jugement étant confirmé de ce chef.

Il est rappelé que le loyer du bail renouvelé doit être fixé en principe à la valeur locative (article L. 145-33 du code de commerce) ; que cependant selon l'article L. 145-34, à moins d'une modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l'article L. 145-33, le taux de variation du loyer applicable lors de la prise d'effet du bail à renouveler, si sa durée n'est pas supérieure à neuf ans, ne peut excéder la variation, intervenue depuis la fixation initiale du loyer du bail expiré, de l'indice trimestriel des loyers commerciaux ou de l'indice trimestriel des loyers des activités tertiaires mentionnés aux premier et deuxième alinéas de l'article L. 112-2 du code monétaire et financier.

Le bail ayant précédé le renouvellement susdit, conclu à effet du 1er avril 2010, a couru de cette date jusqu'au 27 octobre 2021 par suite de sa prolongation tacite, de sorte que la variation du loyer du bail renouvelé ne peut en principe dépasser la variation des indices susdits, à moins d'une modification notable, au cours du bail écoulé, de l'un ou de plusieurs des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l'article L. 145-33 du code. Parmi ces éléments figurent les obligations respectives des parties (3° de l'article L. 145-33).

Ainsi que l'a rappelé le premier juge, la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014, et son décret d'application du 3 novembre 2014, ont interdit de mettre à la charge du locataire les dépenses relatives aux grosses réparations mentionnées à l'article 606 du code civil (article R. 145-35 du code de commerce) ; cette interdiction est applicable, selon l'article 8 du décret n° 2014-1317 du 3 novembre 2014, aux contrats conclus ou renouvelés à compter de la publication de ce décret, intervenue le 5 novembre 2014.

La SARL Bio Auvergne soutient que l'entrée en vigueur du nouvel article R. 145-35 du code de commerce, qui prive d'effet la clause du bail du 5 mai 2010 lui imputant la charge des grosses réparations, n'est intervenue qu'à la date du renouvellement, et non au cours du bail écoulé, de sorte qu'elle ne pourrait constituer une modification notable, propre à fonder le déplafonnement selon l'article L. 145-34 ; cependant, l'article R. 145-8 du code de commerce, deuxième alinéa, dispose que les obligations découlant de la loi, et génératrices de charges pour l'une ou l'autre partie depuis la dernière fixation du prix du bail, peuvent être invoquées par celui qui est tenu de les assumer ; l'interdiction édictée dans le nouvel article R. 145-35 est intervenue au cours du bail écoulé, dès lors que cet article a été publié le 5 novembre 2014, et la circonstance qu'il ne soit entré en vigueur qu'à la date du renouvellement, selon les dispositions transitoires du décret, n'empêche que cette réforme législative et réglementaire a bien pour effet de modifier les obligations convenues entre les parties selon l'acte de bail, à la date du renouvellement et pour la période du bail renouvelé, qu'elle a donc une incidence sur la valeur locative à cette date et pour cette période ; elle doit par suite être prise en considération. M. [H] est recevable à invoquer cette réforme comme un élément de modification pouvant justifier le déplafonnement, sous réserve qu'elle comporte une modification notable, dans le cas particulier, des obligations respectives des parties.

À cet égard, le transfert de la charge des grosses réparations de l'article 606 du code civil porte sur un local qui, selon les documents produits par les parties (notamment les photographies versées par la SARL Bio Auvergne, pièce n°15/2), se situe au rez-de-chaussée d'un bâtiment collectif de construction récente, de sorte que ce local ne paraît pas devoir nécessiter, dans l'avenir prévisible, de grosses réparations telles que définies à l'article 606 du code civil : celles des gros murs et des voûtes, le rétablissement de poutres ou de couvertures entières, celui des murs de soutènement et de clôture, aussi en entier. M. [H] ne fait d'ailleurs pas état de travaux de cette nature qui auraient été réalisés ou même seulement projetés, depuis le bail initial conclu entre les parties en 2006 ; au surplus de tels travaux relèveraient a priori de la copropriété, s'agissant d'un immeuble bâti à usage au moins partiel d'habitation, et dont la propriété paraît répartie entre plusieurs personnes, comme prévu à l'article 1er de la loi du 10 juillet 1965 : la charge de leurs dépenses n'incomberaient donc pas à M. [H] personnellement. Celui-ci ne rapporte pas la preuve, qui lui incombe, que cette modification du droit, intervenue au cours du bail écoulé et lui ayant transféré la charge des grosses réparations, constitue dans le cas particulier une modification notable des obligations des parties, au sens de l'article L. 145-33 du code de commerce. Il n'y a donc pas lieu à déplafonnement pour ce motif.

M. [H] invoque une autre cause de déplafonnement : la modification notable des facteurs locaux de commercialité. Il expose que le local en litige se situe dans le quartier de [Adresse 5] à [Localité 2], qui a connu lors des vingt dernières années un essor important, caractérisé par la construction de nombreux bâtiments, la réfection de services publics, la création puis le prolongement d'une ligne de tramway. La SARL Bio Auvergne conteste cette appréciation, aux motifs que certaines des modifications du quartier invoquées par le bailleur sont intervenues avant ou après la période du bail expiré, qui s'est écoulée du 1er avril 2010 au 27 octobre ou au 1er novembre 2021 : la ligne de tramway est entrée en service en 2006, son prolongement n'a eu aucun effet sur la fréquentation du commerce en cause, et la construction de nouveaux logements était toujours à l'état de projets en 2021 ; la société locataire conteste l'incidence d'autres modifications, intervenues pendant le bail écoulé : elle expose que l'installation du siège d'entreprises ou d'institutions telles que la caisse d'allocations familiales, le CHU [4], le quotidien La Montagne, la faculté dentaire ou le commissariat de police, s'est faite en des lieux trop éloignés du local en cause pour influer sur sa fréquentation.

Le local se situe, selon les plans des lieux que produit le bailleur, dans une rue adjacente à [Adresse 5], non loin de l'arrêt du tramway 1er Mai, du Pôle Santé République et du siège de la Carsat, et à faible distance du siège de La Montagne ; au vu de ces plans, et au contraire de ce que soutient la SARL Bio Auvergne, l'installation de ces lieux de travail de plusieurs dizaines ou centaines de personnes, intervenue pendant le bail écoulé, constitue un élément favorable au commerce considéré, destiné à la vente de produits biologiques. Le bailleur verse en outre aux débats des articles publiés dans La Montagne et Le Moniteur en mars 2015, mai 2017 et novembre 2018, qui présentent le développement du quartier de [Adresse 5] comme un fait qui restait actuel : « Une voie de plus en plus royale ' Depuis quinze ans, [Adresse 5] ne cesse de se transformer ' [Adresse 5] à [Localité 2] poursuit sa mue vers l'habitat ' La mutation du quartier République se poursuit à [Localité 2] .. ; » : pièces n°7 et 12 de M. [H].

La SARL Bio Auvergne reconnaît d'ailleurs qu'une station de vélos de location a été créée dans la [Adresse 6] au cours du bail écoulé, donc à proximité immédiate du commerce en cause ; ainsi que l'a énoncé le premier juge, et au contraire de ce qu'affirme la société locataire, les utilisateurs de vélos urbains sont des clients potentiels d'un commerce de détail de produits biologiques, notamment alimentaires. La SARL Bio Auvergne précise d'autre part que le local se situe approximativement au milieu de la ligne A du tramway, de sorte que le prolongement de cette ligne en cours de bail, en décembre 2013, avec l'adjonction de trois nouvelles stations, est lui aussi de nature à créer un afflux de clients nouveaux.

Ces modifications des facteurs locaux de commercialité, considérées dans leur ensemble, présentent un caractère notable ; elles ont eu d'ailleurs une incidence favorable sur l'activité exercée par la société preneuse : s'il est vrai que celle-ci justifie d'une baisse de son activité au cours de l'année 2022, dans le cadre d'une crise de la vente de produits alimentaires biologiques pendant la même année, cette baisse s'est manifestée après la date du renouvellement du bail le 27 octobre 2021, et elle apparaît liée à la dégradation des circonstances économiques générales, qui peuvent elles-mêmes évoluer de nouveau, dans un sens favorable ; la modification des facteurs locaux de commercialité, ci-avant relevée, a bien eu un effet notable et propice à l'activité du commerce considéré, fût-ce en limitant les pertes qu'elles a connues en 2022.

C'est donc à bon droit que le premier juge a écarté la règle du plafonnement, et fixé le loyer selon la valeur locative.

Il a déterminé ce loyer en augmentant de 60 % le loyer en cours à la date du renouvellement, soit 2 500 x 60 % = 4 000 euros, pour tenir compte de l'évolution favorable des facteurs externes de commercialité pendant la période écoulée entre 2010 et 2021.

Les parties ne formulent pas de critique argumentée de cette évaluation, et ne produisent aucun élément de comparaison, tiré de loyers pratiqués dans le voisinage. Le local est situé dans un bâtiment de construction récente, et les parties ne font pas état de particularités, qui favoriserait ou au contraire entraverait son usage, selon la destination prévue au contrat : celle de négoce de produits alimentaires, d'articles de phytothérapie ou d'habillement, et « tout le marché bio ». Les obligations respectives des parties n'ont été modifiées que par l'effet de la loi, ayant transféré les grosses réparations à la charge du bailleur : comme énoncé, cette modification n'a pas eu d'incidence notable sur la valeur locative. Les parties ne donnent pas de description précise du local, dont la surface se compose, selon l'acte de bail, d'un magasin de 500 m² environ et d'un dépôt de 100 m² environ au 8 de la [Adresse 6], d'un emplacement de stationnement d'environ 150 m² à la même adresse, et d'un entrepôt d'environ 350 m² au 6 de la même rue.

Le loyer fixé par le premier juge apparaît pertinent et fondé, au vu de ces éléments et de la situation particulière du local, en retrait par rapport à l'axe principal situé avenue de la République ; M. [H] en convient d'ailleurs, puisqu'il admet en page 12 de ses écritures que le « déplafonnement à hauteur de 60 % est acceptable », et ne critique que le calcul final, au motif qu'il ne prend pas en compte le dernier loyer fixé par les parties soit 2 500 euros ' alors que cette erreur a déjà été réparée dans le jugement rectificatif du 5 mai 2023.

Il convient par suite de confirmer le jugement, en ce qu'il a fixé le loyer à 4 000 euros, sans qu'il y ait lieu d'ordonner une expertise, la cour n'ayant pas à pallier la carence des parties qui n'ont produit aucun terme de comparaison, aucun avis officieux d'expert ni aucun autre document technique, pouvant remettre en cause l'appréciation du premier juge.

Il est conforme à l'équité d'allouer à la société intimée une somme de 2 000 euros pour les frais d'instance irrépétibles qu'elle a exposés en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS :

Statuant après en avoir délibéré, publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort ;

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Condamne M. [B] [H] à payer à la SARL Bio Auvergne une somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

Rejette toutes autres demandes ;

Condamne M. [H] aux dépens de l'appel.