CA Lyon, 8e ch., 20 mars 2024, n° 23/02292
LYON
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Bagels (SARL)
Défendeur :
Rodamco France (SASU)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Boisselet
Conseillers :
Mme Masson-Bessou, Mme Drahi
Avocats :
Me Nouvellet, Me Zeitoun, Me Ducret, SCP Saidji & Moreau
Exposé du litige
Le groupe Bagelstein est un réseau de restauration rapide spécialisé dans les bagels.
Le groupe détient la marque Bagelstein qui est exploitée par des restaurants en propre et par le bais d'un réseau de franchisés. La société Bagels est une des sociétés composant le groupe.
Par acte sous seing privé en date du 27 décembre 2011, la société Rodamco France a donné à bail commercial à Messieurs [T] [H] et [K] [C], agissant pour le compte de la société Bagels, alors en cours de formation, un local commercial au sein du Cours Oxygène du Centre commercial « [4] » à [Localité 5].
Le bail porte sur un local n°B17 bis d'une surface de 31m² environ, situé au niveau 1 du centre.
La destination du local est : « restauration sur place et à emporter de bagels, pains, plats, desserts, salades, soupes, gâteaux, tartes, crèmes glacées. L'ensemble de ces articles devra être diffusé sous la marque Bagelstein ».
Le Bail a été consenti moyennant un loyer de base annuel hors charges et hors taxes de 46.500 € payable par quart et d'avance, chaque trimestre et un loyer variable additionnel fixé à la différence positive entre 7 % HT du chiffre d'affaires réalisé sur l'année civile et le loyer de base annuel HT.
Par exploit du 13 janvier 2023, le Bailleur a fait assigner le preneur devant le juge des référés du Tribunal judiciaire de Lyon aux fins d'obtenir au principal sa condamnation à titre provisionnel à lui payer la somme de 196.708,52 € TTC à titre de l'arriéré de loyers, charges et accessoires, arrêté au 11 janvier 2023 outre 19.670,85 € au titre de la clause pénale stipulée dans le bail.
Par ordonnance du 20 février 2023, le Juge des référés du Tribunal judiciaire de Lyon a :
Condamné la société Bagels à payer à la société Rodamco France la somme de 196.708,52 € avec intérêts au taux légal à compter de la délivrance de l'assignation le 13 janvier 2023, et capitalisation des intérêts qui seraient dus pour une année entière ;
Débouté la société Rodamco France de sa demande de condamnation au titre de la clause pénale ;
Condamné la société Bagels aux dépens et à payer à la société Rodamco France à payer à la société Bagels la somme de 1.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par déclaration régularisée par RPVA le 17 mars 2023, la société Bagels a interjeté appel des chefs de décision de cette ordonnance, à l'exception de celui rejetant la demande au titre de la clause pénale.
Aux termes de ses dernières écritures, régularisées par RPVA le 7 juillet 2023, la société Bagels demande à la cour de :
Vu l'article 873 du Code de procédure civile ;
Vu les articles 1719, 1720, 1722, 1218, 1219, 1231-1 et 1343-5 du Code civil,
Débouter la société Rodamco France de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
Infirmer l'ordonnance rendue par le juge des référés du Tribunal judiciaire de Lyon le 20 février 2023, sauf en ce qu'elle a rejeté la demande relative à l'application de la clause pénale.
Statuant à nouveau,
A titre principal,
Infirmer l'ordonnance querellée en ce qu'elle a condamné la société Bagels à payer à la société Rodamco France la somme de 196.708,52 € avec intérêts au taux légal à compter de la délivrance de l'assignation le 13 janvier 2023, et capitalisation des intérêts qui seraient dus pour une année entière ;
Confirmer l'ordonnance querellée en ce qu'elle a débouté la société Rodamco France de sa demande de condamnation au titre de la clause pénale ;
Débouter la société Rodamco France de sa demande de condamnation provisionnelle.
A titre subsidiaire,
Accorder à la société Bagels un délai de 24 mois pour apurer le montant de sa dette ;
En tout état de cause,
Condamner la société Rodamco France à payer à la société Bagels la somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens d'instance.
La société Bagels soutient à titre principal que les demandes provisionnelles de la société Rodamco France se heurtent à des contestations sérieuses.
L'appelante relève en premier lieu, au visa des articles 1719, 1218, 1210 du Code civil, qu'elle est fondée à opposer l'exception d'inexécution en raison des manquements du bailleur à son obligation de délivrance en raison d'un cas de force majeure.
Elle expose à ce titre :
que le bailleur, au visa de l'article 1719 du Code civil, doit mettre à la disposition du preneur un bien conforme à sa destination, soit un bien qui permet d'exercer l'activité mentionnée dans le contrat de bail et qui doit ainsi être à même de recevoir du public ;
qu'en l'espèce, du fait des mesures prises par le gouvernement durant la crise sanitaire liées au Covid 19, le gouvernement a imposé deux périodes de fermeture administrative qui ont empêché le bailleur, sans faute de sa part, d'exécuter son obligation de délivrance à savoir, la mise à disposition de biens conformes aux destination contractuelles soit l'activité de restaurant ;
que ces mesures et plus généralement la pandémie de Covid 19 présentent le caractère de force majeure pour le bailleur, au sens de l'article 1218 du Code civil, notamment du fait de leur caractère irrésistible ;
que l'inexécution du bailleur en raison d'un cas de force majeure suspend le contrat et les obligations corrélatives du preneur, justifiant que celui-ci soit exonéré de son obligation de paiement des loyers pendant la période de fermeture administrative des locaux ;
qu'en outre, en dépit de la fin de la crise sanitaire, le bailleur ne satisfait toujours pas à son obligation de délivrance, dans la mesure où le centre commercial est en proie à des nuisibles, et plus précisément à la prolifération de rats, d'autant plus dommageable s'agissant d'un commerce de bouche.
L'appelante soutient en second lieu qu'il existe une second contestation sérieuse tenant à la perte de la chose louée, au sens de l'article 1722 du Code civil.
Elle fait ainsi valoir :
que l'article 1722 du Code civil est applicable au cas où, sans qu'il y ait eu détérioration matérielle, le preneur se trouve, par suite des circonstances, dans l'impossibilité de jouir de cet immeuble et d'en faire usage conformément à sa destination, et notamment qu'il peut être considéré qu'il y a destruction partielle en cas d'impossibilité temporaire de jouir de la chose louée, ce qui a pour conséquence que le preneur est libéré de son obligation de paiement ;
qu'en l'espèce, elle s'est vue au total imposer la fermeture administrative de son établissement et une interdiction d'accueillir du public pendant près de 10 mois et que par la suite, elle a souffert des jauges imposées en matière d'accueil du public et de la mise en place obligatoire du pass sanitaire, ce qui constitue une impossibilité temporaire de jouir des locaux loués et s'assimile à une perte partielle de la chose prévue à l'article 1722 du Code civil, d'autant que les centres commerciaux ont fait l'objet d'une mesure de fermeture spécifique et que les restaurants qui s'y trouvaient n'ont pu réouvrir ;
qu'elle est donc fondée à solliciter judiciairement l'application de l'article 1722 du Code civil pour être exonérée des loyers dus pendant toute la période de fermeture administrative, ce qui constitue une contestation sérieuse concernant la demande en paiement de la société Rodamco, contestation que seul le juge du fond est habilité à trancher.
L'appelante fait état en troisième lieu au visa des articles 1719 et 1729 du Code civil, d'une troisième contestation sérieuse tenant au manquement du bailleur à assurer la commercialité du centre commercial, en ce que :
l'obligation de délivrer au preneur la chose en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée implique notamment, dans le cas particulier où le local loué est situé dans un centre commercial ou une galerie marchande, l'obligation d'assurer au preneur un environnement commercial favorable ;
en l'espèce, il était prévu à l'article 17 du contrat de bail que le bailleur devait assurer la bonne commercialité du centre commercial et au mois de Juin 2021, le bailleur a ouvert un 'Food Court' dédié à la restauration, et ainsi détourné le flux de clientèle du centre commercial historique en laissant les anciennes enseignes de restauration à l'abandon ;
le bailleur a ainsi manqué à son obligation de délivrance, l'installation de cette hall alimentaire ayant provoqué une chute du chiffre d'affaires de la société Bagels et ne lui permettant plus d'exercer son activité commerciale dans des conditions normales.
A titre subsidiaire, l'appelante sollicite des délais de paiement sur 24 échéances, au visa de l'article 1343 -5 du Code civil, faisant valoir :
que les relations contractuelles perdurent depuis près de 12 ans, et qu'elle a toujours fini par payer ses loyers ;
que sa dette a été générée, d'une part, par une situation exceptionnelle, à savoir la crise sanitaire, et d'autre part, par la décision du bailleur d'ouvrir un Food-Court qui a dévié la clientèle vers lui au détriment des preneurs historiquement implantés dans le centre commercial ;
que son expert-comptable atteste qu'elle sera en mesure de respecter l'échéancier dont elle demande l'octroi.
Enfin, en tout état de cause, elle sollicite la confirmation de l'ordonnance querellée en ce qu'elle a rejeté la demande de condamnation au paiement d'une indemnité forfaitaire de 10 % sur la dette principale, seule le juge du fond ayant le pouvoir de moduler cette sanction contractuelle en fonction des circonstances de l'espèce, la demande de condamnation au titre de la clause pénale se heurtant à une contestation sérieuse au regard des manquements du bailleur.
Aux termes de ses dernières écritures, régularisées par RPVA le 5 janvier 2024, la société Rodamco France demande à la cour de :
Vu les articles 1103, 1104 et 1343-2 (1134 et 1154 ancien) du Code civil,
Vu l'article 835 alinéa 2 du Code de procédure civile :
Confirmer l'ordonnance de référé du 20 février 2023 en toutes ses dispositions, excepté en ce qu'elle a rejeté la demande de condamnation provisionnelle au paiement de l'indemnité de 10 % stipulée au bail ;
Infirmer l'ordonnance de référé de ce dernier chef sur appel incident de la société Rodamco France ;
Statuant à nouveau et ajoutant aux condamnations de première instance par voie d'actualisation de la créance de la société Rodamco France :
Condamner par provision la société Bagels à payer à la société Rodamco France :
239.649,19 € TTC, correspondant à l'arriéré en principal figurant au décompte arrêté au 4 janvier 2024 ;
les intérêts sur cette somme en principal au taux légal à compter de la date de délivrance de la présente assignation, avec capitalisation desdits intérêts conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du Code civil.
Condamner la société Bagels à lui payer par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, la somme de 6.000 € ;
Condamner la société Bagels aux dépens.
Elle expose :
que le preneur a accumulé de mauvaise foi de très nombreux impayés au titre de ses loyers, redevances, charges et accessoires et qu'à la date du 11 janvier 2023, sa dette locative s'établissait à la somme représentant plus de trois années et demi de loyer de base de 196.708,52 € TTC ;
qu'en aucun cas, les fermetures administratives du centre commercial Cours Oxygène imposées par l'Etat ne saurait juridiquement fonder un refus de paiement de ses arriérés par le preneur, celui-ci étant au demeurant coutumier de l'accumulation d'impayés bien avant la crise liée au covid 19, comme en atteste la lecture du relevé de son compte locataire ;
que la condamnation provisionnelle du preneur au paiement de ses arriérés de loyers, redevances, charges et accessoires doit être confirmée, n'étant pas contestable, et que bien plus, la dette s'est aggravée pour atteindre à la date du 12 mai 2023, la somme de 239.649,19 €, à laquelle il convient qu'il soit désormais condamné ;
que par ailleurs, le juge des référés peut allouer une provision sur le montant d'une clause pénale, à hauteur du montant qui n'est pas sérieusement contestable, et qu'au regard de l'économie générale du contrat et des défaillances récurrentes de la société Bagels dans l'exécution des obligations nées du bail, la clause pénale contractuelle qui s'élève à 10 % des sommes dues ne revêt pas de caractère manifestement excessif qui puisse justifier sa réduction, la décision déférée devant dès lors être infirmée en ce qu'elle n'a pas fait droit à la demande provisionnelle à hauteur de 19.670,85 € au titre de la clause pénale.
L'intimée soutient que les éléments opposés par le preneur pour s'opposer à sa demande provisionnelle ne constituent aucunement une contestation sérieuse.
Elle observe au préalable que l'examen du bilan de la société Bagels révèle que la société Bagels a reçu des aides de l'Etat Français pour des montants significatifs de respectivement 92.537 € en 2020 et 446.840 € en 2021 et que ces aides reçues n'ont incontestablement pas été affectées au paiement des loyers et charges dues.
Elle fait valoir que le preneur ne peut sérieusement opposer l'exception d'inexécution, alors que :
la société Bagels n'a jamais été confrontée à l'impossibilité définitive d'user des locaux loués car les périodes de fermetures administratives n'ont été que provisoires, et par ailleurs très limitées dans le temps, une perte de la chose louée ne pouvant être retenue et qu'il ne peut pas plus être retenu de ce fait un manquement du bailleur à son obligation de délivrance, ce qu'a confirmé expressément la Cour de cassation ;
le bail ne contient aucune clause de « bonne commercialité » à la charge du Bailleur, mais il stipule au contraire en son article 20 qu'en en cas de défaut d'exploitation des autres locaux du Centre ou de certains d'entre eux, le Bailleur n'étant pas responsable de l'état de commercialité du Centre ;
l'ouverture du Food-Court, ne revêt aucun caractère fautif de la part du Bailleur au regard de la clause d'absence d'exclusivité stipulée au contrat de bail ;
L'intimée ajoute, s'agissant de l'invasion de nuisibles (rats) :
qu'il s'agit d'un phénomène ponctuel, qui n'a duré que peu de temps et qui, surtout, a été circonscrite à des zones spécifiques du centre commercial (quais de livraison et réserves de stockage des denrées périssables) et non dans les allées et les boutiques du Centre Cours Oxygène ;
qu'en tout état de cause, il s'agit d'un problème général concernant toute l'agglomération Lyonnaise, et ceci en rapport avec une carence des services municipaux de lutte contre la prolifération des rats ;
qu'elle est liée par un contrat annuel avec une entreprise de dératisation qui prévoit une intervention de ce prestataire par semaine, et ce douze mois sur douze, et donc qu'il est faux d'alléguer le moindre manquement du Bailleur à son obligation de délivrance.
La société Rodamco France demande enfin le rejet de la demande subsidiaire de délai de paiement, faisant valoir :
que le preneur ne cesse d'accumuler des arriérés depuis le 15 janvier 2021, date à partir de laquelle ses impayés ont augmenté sans cesse, passant de 47.902,11 € à cette date à 196.708,52 € au 11 janvier 2023 ;
qu'il ressort de cette chronologie que la société Bagels s'est déjà auto-octroyée d'autorité les 24 mois de délai de grâce qu'elle réclame aujourd'hui à la cour tout en ne faisant pas le moindre effort pour diminuer sa dette faramineuse représentant plus de trois années et demi de son loyer de base annuel.
Il convient de se référer aux écritures des parties pour plus ample exposé, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
I : Sur les contestations sérieuses opposées par la société Bagels aux demandes provisionnelles de la société Rodamco France concernant l'arriéré de loyer
Aux termes de l'article 835 alinéa 2 du Code de procédure civile, le juge des référés peut accorder une provision au créancier dès lors que l'existence de l'obligation ne se heurte à aucune contestation sérieuse.
Il convient en application de ces dispositions de déterminer si les demandes de provision de la société Rodamco France ne sont pas sérieusement contestables, au regard des éléments opposés par la société Bagels.
1) Sur l'exception d'inexécution par manquement du bailleur à son obligation de délivrance en raison d'un cas de force majeure
La cour rappelle au préalable que l'ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations est entrée en vigueur le 1er octobre 2016, et que dès lors, tous les contrats conclus avant l'entrée en vigueur de la loi nouvelle restent régis par la loi en vigueur à l'époque de leur conclusion, par application de l'article 2 du Code civil.
En l'espèce, la signature du bail commercial étant intervenue le 27 décembre 2011, donc avant l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, seuls les articles du Code civil anciens sont applicables.
La cour rappelle que la théorie jurisprudentielle de l'exception d'inexécution, par la suite consacrée par les dispositions des articles 1219 et 1220 du Code civil, autorise le preneur à ne pas exécuter ses obligations dès lors que le bailleur n'exécute pas les siennes, étant observé que seule une inexécution grave est susceptible de la légitimer.
En l'espèce, l'appelante soutient que les mesures administratives prises à l'occasion de la crise sanitaire liée à l'épidémie de Covid 19 étaient de nature à empêcher le bailleur d'exécuter son obligation de délivrance en raison d'un cas de force majeure, ce qui justifierait que, de son côté, elle soit dispensée du paiement du loyer et charges.
Pour autant, la cour observe, d'une part, que le preneur est bien entré en possession des locaux loués, ce depuis le 27 décembre 2011, début du contrat de bail et que, d'autre part, ce qu'il analyse en un manquement du bailleur à son obligation de délivrance s'avère être en réalité une impossibilité d'exploiter les lieux loués, laquelle ne résulte que de décisions politiques sur lesquelles le bailleur n'a aucune prise, celui-ci n'étant aucunement impliqué par une impossibilité temporaire d'exploitation qui ne résulte aucunement de son fait.
Il en résulte que l'impossibilité d'exploitation du fait des mesures prises en conséquence de l'épidémie de Covid 19, fussent-elles ou non constitutives d'un cas de force majeure, est sans rapport avec l'obligation de délivrance du bailleur et qu'à l'évidence, il ne peut être opposé une exception d'inexécution de ce chef, qui pourrait caractériser une contestation sérieuse s'opposant au paiement provisionnel de l'arriéré de loyers sollicité par le bailleur.
2) Sur l'exception d'inexécution par manquement du bailleur à son obligation de délivrance en raison de la présence de nuisibles
L'appelante soutient également que le bailleur a manqué à son obligation de délivrance en raison de la présence de nuisibles dans le centre commercial, siège des locaux loués, ce qui rend les locaux impropres à leur destination, d'autant qu'y est exploité un commerce de bouche et l'autoriserait à opposer l'exception d'inexécution.
Si les articles de presse qu'elle produit atteste de la présence de rats dans le centre commercial, force est toutefois de constater que l'appelante ne rapporte aucunement la preuve de la présence de rats au sein même des locaux qu'elle exploite et bien plus qu'une telle présence a nui à son exploitation et qu'elle ne justifie pas plus avoir présenté au bailleur des réclamations à ce titre durant le cours du bail, alors qu'elle occupe les lieux depuis décembre 2011.
Surtout, la société Rodamco, qui explique que la présence de nuisible est circonscrite à des zones spécifiques du centre commercial, en l'occurrence les quais de livraison et les réserves de stockages de denrées périssables, justifie en tout état de cause d'un contrat annuel de dératisation avec la société Sapian, et de l'intervention de cette société chaque semaine afin de maîtriser le phénomène, dont elle n'a aucunement la maîtrise.
Il en résulte qu'il n'est aucunement démontré un manquement du bailleur à ce titre qui pourrait justifier que le preneur lui oppose l'exception d'inexécution et l'existence par voie de conséquence d'une contestation sérieuse s'opposant au paiement provisionnel de l'arriéré de loyers sollicité par le bailleur.
3) Sur la perte de la chose louée
Le preneur soutient être fondée à solliciter judiciairement l'application de l'article 1722 du Code civil pour être exonéré des loyers dus pendant la période de fermeture administrative liée à la crise sanitaire, cette fermeture administrative correspondant à une perte partielle de la chose louée, et qu'il existe donc une contestation sérieuse concernant la demande en paiement du bailleur.
Aux termes de l'article 1722 du Code civil, si pendant la durée du bail, la chose louée est détruite en totalité ou en partie par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit. Si elle n'est détruite qu'en partie, le preneur peut, suivant les circonstances, demander ou une diminution du prix, ou la résiliation même du bail. Dans l'un et l'autre cas, il n'y a lieu à aucun dédommagement.
En l'espèce, le bien loué n'a été aucunement détruit, que ce soit en totalité et en partie, l'impossibilité d'exploitation ne pouvant aucunement être assimilée à une destruction, sauf à détourner de leur sens les dispositions précitées.
Il en résulte que la cause d'exonération pour destruction des locaux loués invoquée par la société Bagels ne constitue pas une contestation sérieuse.
4) Sur le manquement du bailleur à assurer la commercialité du centre commercial
L'appelante fait valoir qu'aux termes du bail, notamment en son article 17, le bailleur a l'obligation d'assurer la bonne commercialité du centre commercial, qu'au mois de juin 2021, il a ouvert un 'Food-Court' regroupant des enseignes liées à la restauration, lequel concurrence les établissements de bouche installés historiquement dans le centre commercial et que depuis cette installation, le flux de clientèle s'est détourné de son établissement.
Elle soutient que ses difficultés sont ainsi liées au manquement du bailleur à son obligation de commercialité, qu'elle se trouve ainsi dans l'impossibilité d'exercer son activité commerciale de façon normale, que de ce fait, ses obligations contractuelles sont dépourvues de contrepartie réelle, et qu'elle est donc fondée à opposer une contestation sérieuse à la demande provisionnelle de la société Rodamco France.
La cour observe en premier lieu que l'article 17 du contrat de bail, auquel la société Bagels fait référence, est sans rapport avec une obligation de bonne commercialité incombant au bailleur puisqu'elle a trait à l'animation du centre commercial et institue à la charge du preneur l'obligation de participer au financement des actions de promotion et d'animation du centre commercial.
La cour observe également que le bail ne contient aucune clause de « bonne commercialité » à la charge du Bailleur, et que comme le souligne à raison le bailleur :
d'une part, il stipule au contraire en son article 20 qu'en en cas de défaut d'exploitation des autres locaux du Centre commercial ou de certains d'entre eux, le bailleur n'étant pas responsable de l'état de commercialité du Centre ;
d'autre part, il stipule en son article 3.4 ne conférer au preneur aucune exclusivité commerciale dans le centre commercial, dont les autres locaux pourront être exploités, loués ou cédés librement pour des commerces de même nature et qu'à ce titre, le bailleur ne sera responsable, en aucun cas, de la concurrence que les autres personnes physiques ou morales exerçant quelque activité que ce soit dans le centre pourraient faire au preneur.
Il en résulte à l'évidence que l'ouverture du Food-Court ne peut être considérée comme caractérisant un manquement du bailleur à ses obligations contractuelles et qu'il ne saurait être retenue une contestation sérieuse à ce titre.
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La cour déduit de l'ensemble des ces éléments qu'il n'existe aucune contestation sérieuse à la demande en paiement provisionnel faite par le bailleur au titre de l'arriéré de loyers et charges, dont le montant en outre n'est pas contesté et confirmé par le décompte versé aux débats par le bailleur, dont il ressort qu'au 11 janvier 2023, il était effectivement dû par la société Bagels la somme de 196.78,52 € TTC au titre de l'arriéré de loyers et charges.
La cour en conséquence confirme la décision déférée en ce qu'elle a condamné la société Bagels à payer à la société Rodamco France la somme provisionnelle de 196.708,52 € avec intérêts au taux légal à compter de la délivrance de l'assignation du 13 janvier 2023, et capitalisation des intérêts qui seraient dus pour une année entière ;
Le bailleur sollicite l'actualisation de la dette, à hauteur de la somme de 239.649,19 € TTC correspondant à l'arriéré locatif arrêté au 4 janvier 2024, ce que confirme le décompte qu'il verse aux débats.
La société Bagels sera donc en conséquence condamnée à payer à la société Rodamco France la somme de 239.649,19 € TTC correspondant à l'arriéré locatif arrêté au 4 janvier 2024, outre intérêts au taux légal à compter du 13 janvier 2023, date de l'assignation sur la somme de 196.708,52 € et à compter du 5 janvier 2024, date des conclusions de la société Rodamco France pour le surplus, avec capitalisation des intérêts qui seraient dus pour une année entière, comme le sollicite le bailleur, en application de l'article 1343-2 du Code civil.
II : Sur la demande subsidiaire de délais de paiement
La société Bagels sollicite des délais de paiement de 24 mois pour apurer sa dette, au visa de l'article 1343-5 du Code civil, selon lequel le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, échelonner dans la limite de deux années le paiement des sommes dues.
Elle se prévaut à l'appui de sa demande de l'origine de la dette, due à la crise sanitaire et d'une situation financière qui lui permet de respecter l'échéancier, ce que confirme son expert-comptable.
Pour autant, la cour ne peut que constater, outre que la société Bagels ne justifie pas de sa situation financière pour l'année 2023, que la dette s'est aggravée de façon considérable sans pour autant que la société Bagels s'en explique, que son compte locatif est régulièrement débiteur depuis l'année 2018 et donc bien avant la crise sanitaire comme le révèle le décompte du bailleur, alors qu'elle ne conteste pas par ailleurs avoir reçu des aides de l'état conséquentes en 2020 et 2021.
La cour en déduit qu'il n'est pas justifié de faire droit à sa demande de délais de paiement, d'autant que le bailleur, de son côté, doit supporter de façon constante depuis l'année 2020 une dette locative qui ne fait que croître, et rejette cette demande.
III : Sur la clause pénale
La cour rappelle qu'en application de l'article 954 du Code de procédure civile, la cour d'appel ne doit statuer que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions des parties et qu'elle ne peut de ce fait se prononcer sur des prétentions qui n'y seraient pas intégrées.
En l'espèce, si la société Rodamco France demande dans le dispositif de ses écritures l'infirmation de la décision déférée en ce qu'elle a rejeté sa demande de condamnation provisionnelle au paiement de l'indemnité de 10 % stipulée au bail, elle ne sollicite dans ce même dispositif aucune condamnation à ce titre.
La cour n'est donc pas saisie de cette demande, sur laquelle elle ne peut statuer.
IV : Sur les demandes accessoires
La cour confirme la décision déférée qui a condamné la société Bagels, partie perdante, aux dépens de la procédure de première instance et la confirme également en ce qu'elle l'a condamnée à payer à la société Rodamco France la somme de 1.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, justifiée en équité.
La cour condamne la société Bagels, qui succombe à hauteur d'appel, aux dépens de la procédure d'appel.
La cour condamne la société Bagels à payer à la société Rodamco France la somme de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, à hauteur d'appel, justifiée en équité.
PAR CES MOTIFS
La Cour :
Confirme la décision déférée dans son intégralité,
Y ajoutant :
Condamne la société Bagels, après actualisation de la dette à payer à la société Rodamco France la somme de 239.649,19 € TTC au titre de l'arriéré de loyers et charges, arrêté au 4 janvier 2024, outre intérêts au taux légal à compter du 13 janvier 2023, date de l'assignation sur la somme de 196.708,52 € et à compter du 5 janvier 2024, pour le surplus, avec capitalisation des intérêts qui seraient dus pur une année entière, en application de l'article 1343-2 du Code civil ;
Déboute la société Bagels de l'intégralité de ses demandes, y compris sa demande de délais de paiement ;
Condamne la société Bagels, aux dépens de la procédure d'appel ;
Condamne la société Bagels à payer à la société Rodamco France la somme de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, à hauteur d'appel ;
Rejette toute autre demande plus ample ou contraire.