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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 20 mars 2024, n° 22/10771

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Association Confédération Consommation, Logement et Cadre de Vie (Sté), Comité Catholique Contre La Faim et Pour le Développement - Terre Solidaire (Sté)

Défendeur :

Nestle Nespresso (SA), Nespresso France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Brun-Lallemand

Conseillers :

Mme Depelley, M. Richaud

Avocats :

Me Ingold, Me Delage, Me Boccon Gibod, Me Utzschneider, Me Veillon

CA Paris n° 22/10771

19 mars 2024

Exposé du litige

FAITS ET PROCEDURE

Le litige oppose la Confédération consommation, logement et cadre de vie, (ci-après "la CLCV") association agréée fondée sous le régime de la loi du 1er juillet 1901 et qui a pour objet, notamment, la défense des droits des consommateurs, la représentation des locataires et la défense de l'environnement, et le Comité catholique contre la faim et pour le développement - Terre solidaire, (ci-après "le CCFD") une association nationale reconnue d'utilité publique d'une part, aux sociétés Nestlé Nespresso ayant pour activité le commerce de gros de café, thé, cacao et épices, fabrication et vente de machine expresso à haute pression, de capsules de café et autres produits accessoires et Nespresso France ayant pour activité la distribution des produits Nespresso sur le territoire français, (ci-après "les sociétés Nespresso"),d'autre part.

La CLCV expose que depuis 2016 avec l'émergence d'une concurrence croissante sur le marché des capsules, les sociétés Nespresso communiquent très largement sur les propriétés environnementales de leur café commercialisé sous forme de capsules à usage unique en diffusant des messages tels que le café est "100% neutre en carbone" grâce à la "plantation de 500 000 arbres chaque année", est approvisionné à 95% de fermes "durables" certifiées par un programme interne "AAA", est conditionné dans des capsules en aluminium "100% recyclable".

Considérant que cette communication commerciale et institutionnelle comme trompeuse, pour être inexacte et susceptible d'induire les consommateurs en erreur sur l'impact environnemental et humain réel des capsules de Café Nespresso, les associations CLCV et CCFD ont conjointement mis en demeure par courrier du 9 avril 2021 la société Nespresso France de supprimer ou modifier sa communication.

Ces courriers étant demeurés sans réponse et après constats d'huissier établis les 25 et 26 mai 2021, par une assignation délivrée le 31 mai 2021, la CLCV a fait citer les sociétés Nestlé Nespresso et Nespresso France devant le tribunal judiciaire de Paris, sur le fondement des articles L.121 à L.121-3 du code de la consommation, afin de voir modifier ou supprimer leurs allégations relatives à la neutralité carbone et au caractère 100% recyclable des capsules de café, diffusées sur leur site internet, leurs réseaux sociaux, et par voie d'affichage, ou d'impression sur les cartons de livraison et les sacs fournis en boutique, ou encore par des campagnes de publicité nationales, voir réparer le préjudice causé à l'intérêt collectif des consommateurs à hauteur de la somme de 150 000 euros et son préjudice associatif à hauteur de 40 000 euros.

L'association CCFD est intervenue volontairement à l'instance par voie de conclusions signifiées le 21 septembre 2021 afin de soutenir les demandes formées par la CLCV.

Par conclusions d'incident signifiées le 13 décembre 2021 les sociétés défenderesses ont saisi le juge de la mise en état de la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action sur le fondement de l'article 2224 du code civil.

Par ordonnance du 10 mai 2022, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris a :

- Déclaré irrecevable comme prescrite l'action de la Confédération consommation logement et cadre de vie et de l'association Comité catholique contre la faim et pour le développement - Terre solidaire ;

- Condamné la Confédération consommation, logement et cadre de vie et de l'association Comité catholique contre la faim et pour le développement - Terre solidaire aux dépens ;

- Débouté les sociétés Nespresso France et Nestlé Nespresso SA de leurs demandes en paiement formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Par déclaration reçue au greffe de la Cour le 3 juin 2022 les associations CLCV et CCFD ont interjeté appel de cette ordonnance.

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 8 janvier 2024, les associations CLCV et CCFD demandent à la Cour de :

Vus les articles 696 et 700 et 795 du code de procédure civile,

Vus les articles L. 121-1 et s, L. 621-7, L. 621-8, R. 632-1, alinéa 1er du Code de la consommation,

Vu les articles 20, 21 et 47 de la Charte des droits fondamentaux,

Vu l'article 6§1 de la CEDH,

Vu les articles 19 et 267 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union européenne (TFUE),

Vu les dispositions de la directive 2005/29/CE,

Vu les dispositions de la directive 2019/2161/CE,

Vu la jurisprudence de la CJUE et le principe d'équivalence,

Il est demandé à la Cour d'appel de Paris de :

- INFIRMER l'ordonnance de mise en état rendue en première instance (RG n°21/07463) en ce qu'elle a jugé que :

* "DECLARE IRRECEVABLE comme prescrite l'action de la Confédération Consommation Logement et Cadre de Vie et de l'association Comité Catholique Contre la Faim et pour le Développement - Terre Solidaire ;

* CONDAMNE la Confédération Consommation, Logement et Cadre de Vie et de l'association Comité Catholique Contre la Faim et pour le Développement - Terre Solidaire aux dépens".

Et, statuant à nouveau, de :

- DECLARER recevables les actions de la CLCV et de la CCFD ;

Si votre Cour l'estime nécessaire :

- SOUMETTRE à la CJUE en vue de l'interprétation des traités européens la série de questions préjudicielles suivantes ou toute autre question qui lui semblera pertinente :

1. "La directive 2005/29/CE, interprétée à la lumière de la directive 2019/2161 et du principe d'effectivité impose-t-elle au juge national de relever d'office l'existence d'une pratique commerciale déloyale en cours lorsqu'elle dispose des éléments de fait et de droit à cet effet '".

2. "La directive 2005/29/CE, interprétée à la lumière du principe d'effectivité, s'oppose-t-elle, à une interprétation des règles de prescription nationales qui rendraient impossible une action en cessation exercée par une association de consommateurs agréée, au sens de la Directive 2009/22/CE, visant à faire cesser une pratique commerciale trompeuse qui est toujours en cours ".

3. "La directive 2005/29/CE doit-elle, à la lumière du principe d'effectivité et d'équivalence, être interprétée en ce sens que le point de départ du délai de prescription de l'action visant à faire cesser une pratique commerciale trompeuse, de nature civile, ne saurait être fixé au jour de la première utilisation d'un support trompeur par le professionnel dès lors que, dans le cadre d'une action de nature pénale où le juge dispose de pouvoirs moins larges que le juge civil pour faire cesser et interdire les pratiques illicites, le point de départ du délai de prescription de l'action est fixé, dans un sens plus favorable au consommateur, au jour de la cessation de la pratique '".

4. "La directive 2005/29/CE, interprétée à la lumière du principe d'effectivité, s'oppose-t-elle à la fixation du point de départ du délai de prescription de l'action en cessation exercée par une association de consommateurs agréée, au sens de la Directive 2009/22/CE, au jour de la première utilisation d'un support trompeur par le professionnel, sans déterminer si l'association de consommateurs en a eu immédiatement connaissance, sans considération d'un délai raisonnable pour celle-ci afin de déterminer si ce support est trompeur '"

5. "La directive 2005/29/CE, interprétée à la lumière du principe d'effectivité, s'oppose-t-elle à la fixation du point de départ du délai de prescription de l'action en cessation exercée par une association de consommateurs agréée, au sens de la Directive 2009/22/CE, au jour de la première utilisation d'un support trompeur par le professionnel sans considération de l'utilisation continue et/ou répétée de l'allégation trompeuse '"

6. "La directive 2005/29/CE, à la lumière du principe d'effectivité, doit-elle être interprétée en ce sens que chaque nouvelle allégation trompeuse est de nature à faire courir un nouveau délai de prescription '".

7. "En cas de réponse négative aux questions n°2, 3, 4, 5 et 6, La directive 2005/29/CE, interprétée à la lumière du principe d'effectivité, s'oppose-t-elle à l'application de règles de prescription qui rendraient impossible une action exercée par une association de consommateurs agréée, au sens de la Directive 2009/22/CE, et visant à faire cesser une pratique commerciale trompeuse qui est toujours en cours '".

En tout état de cause,

- DÉBOUTER les sociétés Nespresso France et Nestlé Nespresso SA de l'intégralités de leurs demandes fins et prétentions ;

- CONDAMNER solidairement les sociétés Nespresso France et Nestlé Nespresso SA à payer à la CLCV et à la CCFD chacune la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- CONDAMNER solidairement les sociétés Nespresso France et Nestlé Nespresso SA aux entiers dépens au titre de l'article 696 du Code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 5 janvier 2024, la société Nestlé Nespresso, demande à la Cour de :

Vu les articles 122, et 330 du Code de procédure civile et l'article 2224 du Code civil,

- Confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance du Juge de la mise en état du Tribunal judiciaire de Paris du 10 mai 2022 (n° RG 21/07463), et notamment en ce qu'elle a :

* "Déclaré irrecevable comme prescrite l'action de la Confédération Consommation Logement et Cadre de Vie et de l'association Comité Catholique Contre la Faim et pour le Développement - Terre Solidaire ;

* Condamné la Confédération Consommation, Logement et Cadre de Vie et l'association Comité Catholique Contre la Faim et pour le Développement - Terre Solidaire aux dépens" ;

- Débouter la Confédération de la Consommation, du Logement et du Cadre de Vie et le Comité Catholique Contre la Faim et pour le Développement - Terre Solidaire de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;

- Condamner in solidum la Confédération de la Consommation, du Logement et du Cadre de Vie et le Comité Catholique Contre la Faim et pour le Développement - Terre Solidaire à verser chacune à Nestlé Nespresso la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Condamner la Confédération de la Consommation, du Logement et du Cadre de Vie et le Comité Catholique Contre la Faim et pour le Développement - Terre Solidaire aux entiers dépens ;

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 5 janvier 2024, la société Nespresso France, demande à la Cour de :

Vu les articles 122, et 330 du Code de procédure civile et l'article 2224 du Code civil,

- Confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance du Juge de la mise en état du Tribunal judiciaire de Paris du 10 mai 2022 (n° RG 21/07463), et notamment en ce qu'elle a :

* " Déclaré irrecevable comme prescrite l'action de la Confédération Consommation Logement et Cadre de Vie et de l'association Comité Catholique Contre la Faim et pour le Développement - Terre Solidaire ;

* Condamné la Confédération Consommation, Logement et Cadre de Vie et l'association Comité Catholique Contre la Faim et pour le Développement - Terre Solidaire aux dépens" ;

- Débouter la Confédération de la Consommation, du Logement et du Cadre de Vie et le Comité Catholique Contre la Faim et pour le Développement - Terre Solidaire de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;

- Condamner in solidum la Confédération de la Consommation, du Logement et du Cadre de Vie et le Comité Catholique Contre la Faim et pour le Développement - Terre Solidaire à verser chacune à Nespresso France la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Condamner la Confédération de la Consommation, du Logement et du Cadre de Vie et le Comité Catholique Contre la Faim et pour le Développement - Terre Solidaire aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 9 janvier 2024.

La Cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

Motivation

MOTIVATION

Le juge de la mise en état, après avoir relevé que la CLCV dénonce dans son assignation délivrée le 31 mai 2021, des allégations trompeuses de la part des sociétés Nespresso, dès 2016 au moins, à grande échelle sur l'ensemble du territoire français en mobilisant de nombreux canaux de communication, en a déduit que la CLCV a eu connaissance ou aurait dû avoir connaissance de par la nature de ses activités des faits qu'elle dénonce dès avril 2016 et partant, a déclaré son action irrecevable comme prescrite sur le fondement de l'article 2224 du code civil. Par voie de conséquence, il a déclaré irrecevable l'intervention volontaire accessoire de l'association CCFD.

Exposé des moyens,

Les parties font valoir pour l'essentiel les moyens suivants :

A l'appui de leur appel, les associations CLCV et CCFD soulèvent à titre préliminaire l'obligation faite au juge de la mise en état d'écarter la fin de non-recevoir tirée de la prescription, dès lors que, l'application effective du droit des pratiques commerciales trompeuses et son caractère d'ordre public et la nécessité de libérer les consommateurs des effets produits par les pratiques dénoncées, lui imposait de relever d'office la violation du droit de l'Union européenne.

Ensuite, à titre principal, les appelantes soutiennent que les objectifs de préservation de l'ordre public économique et juridique dans lequel s'inscrit leur action en cessation des pratiques commerciales trompeuses fondées sur l'article L.621-7 du code de la consommation, ainsi que les principes d'effectivité et d'équivalence du droit de l'Union et le principe de réparation intégrale de la lésion à l'intérêt collectif, commandent d'apprécier en droit interne le point de départ du délai de prescription de leur action au jour où la pratique a cessé. A cet effet, elles soulignent que leur action, fondée sur un texte spécial du droit de la consommation doit répondre aux objectifs posés par les directives 2005/29/CE et 2019/2161, d'assurer un niveau élevé de protection des consommateurs et maintenir un bon fonctionnement du marché intérieur (article 69 TFUE), et que les règles procédurales de droit interne ne doivent pas rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits substantiels tels que le droit pour une association de faire cesser une pratique déloyale et d'en demander réparation. Aussi, elles soutiennent que pour lutter efficacement contre les pratiques commerciales déloyales, elles doivent être en mesure d'agir tant que la pratique est en vigueur et que le point de départ du délai de prescription doit donc, pour ce faire, être fixé au jour de la cessation de la pratique litigieuse, comme en matière de pratique anticoncurrentielles. Elles ajoutent que l'essentiel des répercussions des pratiques dénoncées et donc du préjudice d'atteinte à l'intérêt collectif dont la CLCV poursuit la réparation s'est réalisé à compter de 2020. Les pratiques dénoncées ayant été constatées suivant procès-verbaux d'huissier établis en 2021, et celles-ci n'ayant jamais cessé, les appelantes estiment que leur action introduite en mai 2021 n'est pas prescrite en application de l'article 2224 du code civil.

A titre subsidiaire, les appelantes font valoir que le point de départ du délai de prescription doit être fixé au jour de la constatation par la CLCV du caractère trompeur de la pratique et à une date où elle a été en mesure d'agir, ou à tout le moins au jour de la diffusion de chaque nouvelle allégation trompeuse. Elles rappellent que la jurisprudence n'a pas encore tranché la question du point de départ de l'action en cessation de pratiques commerciales trompeuses répétées dans le temps et intentée par une association de consommateur. Elles soutiennent qu'il appartient à la Cour de trancher cette question en tenant compte des spécificités de l'action en cessation des pratiques commerciales trompeuses menées par une association et des objectifs poursuivis par la directive 2005/CE/29. A cet effet, elles font principalement valoir que le point de départ du délai de prescription ne peut pas être, comme l'a retenu le premier juge, le communiqué de presse d'avril 2016 dès lors que celui-ci n'avait pas eu une large diffusion, et qu'à cette période les appelantes ne disposaient pas de toutes les études leur permettant de se convaincre du caractère trompeur de la campagne de publicité menée sur les aspects environnementaux des produits Nespresso. Elles insistent sur le fait que ce n'est qu'à compter de 2020 que Nespresso a lancé des campagnes de communication nationales à très grande échelle en multipliant les supports de diffusions (affichage urbain, spots publicitaires et télévisuels, communication digitale, dispositif marketing en boutique) et précisent qu'elles n'ont mesuré le caractère trompeur des allégations dénoncées qu'à la suite du communiqué de presse publié le 28 janvier 2021 par la Commission européenne relatif au travail d'identification des allégations environnementales dite " d'écoblanchiment ". Elles relèvent en outre que certains messages constatés en 2021 par huissier dont elles réclament la cessation ne figuraient pas lors de la campagne de 2016 outre les visuels trompeurs spécifiques à la campagne nationale de 2021. Considérer ces messages spécifiques de 2021 comme non autonomes à ceux figurant dans la campagne de 2016, impliquerait selon la CLCV une dérive dangereuse au bénéfice des entreprises.

A titre très subsidiaire, les appelantes soutiennent que le principe d'effectivité impose que soient écartées les règles procédurales internes ayant pour effet de rendre impossible ou excessivement difficile l'exercice pour le consommateur des droits que lui confère l'Union européenne. A cet effet, elles rappellent qu'en se référant à la jurisprudence de la CJUE ( notamment CJUE,10 juin 2021, aff C-776/19 à C782/19), la Cour de cassation (Civ 1ère, 2 février 2022 n°20-10.036 et 30 mars 2022, n°19-17.996) a jugé qu'une demande tendant à faire constater le caractère abusif d'une clause n'est soumise à aucun délai de prescription à la lumière du principe d'effectivité, et estiment qu'un raisonnement analogue peut être tenu pour l'action d'une association de consommateur contre les pratiques commerciales déloyales. Elles ajoutent qu'il a encore été jugé par la CJUE (13 juillet 2006, aff C-295 et C-298/04) que le juge national doit écarter un délai national de prescription dans la mesure où il n'est pas exclu que le délai de prescription s'écoule avant même qu'il soit mis fin à l'infraction auquel cas toute personne ayant subi des dommages après l'écoulement du délai de prescription se trouve dans l'impossibilité d'introduire un recours. Elles font observer qu'en l'espèce le délai de prescription ne peut être considéré comme écoulé, dès lors que les allégations litigieuses n'ont pas cessé et les consommateurs, représentés par la CLCV, doivent être en mesure d'introduire un recours.

Les sociétés Nespresso concluent à la confirmation de l'ordonnance en ce que l'action des associations CCLV et CCFD est prescrite sur le fondement de l'article 2224 du code civil, pour ne pas avoir été engagée dans les cinq années de la publication du communiqué de presse du 4 avril 2016 s'agissant du caractère neutre en carbone de son café et du caractère 100% recyclable de l'aluminium de ses capsules et de l'année 2003 s'agissant du caractère durable de son approvisionnement en café.

Les sociétés Nespresso font préalablement valoir qu'il ressort clairement de la jurisprudence de la CJUE qu'à la différence de la directive clauses abusives, il n'incombe au juge national aucune obligation de relever/examiner d'office une violation alléguée de la directive pratiques commerciales déloyales (arrêt Bankia C- 109/17 du 18 septembre 2018) et que l'action en cessation opposant une association de consommateur à un professionnel n'est pas caractérisée par le déséquilibre qui existe dans le cadre d'un recours individuel impliquant un consommateur et son cocontractant professionnel (arrêt C-413/12 du 5 décembre 2013). Elles précisent que contrairement à ce qui est allégué par les appelantes, l'ajout par la directive Omnibus d'un article 11 Bis à la directive pratiques commerciales déloyales n'est pas de nature à remettre en cause ces jurisprudences dès lors que cet article vise uniquement les recours individuels engagés directement par les consommateurs et non les actions engagées par les associations de consommateurs. Elles en déduisent que rien ne justifie, sur le plan des principes, que le juge de la mise en état écarte la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action de l'association CLCV pour examiner d'office les prétendues pratiques commerciales trompeuses.

Ensuite les sociétés Nespresso rappellent notamment que selon la jurisprudence de la CJUE, chaque cas où se pose la question de savoir si une disposition procédurale nationale rend impossible ou excessivement difficile l'application du droit de l'Union doit être analysé en tendant compte de la place de cette disposition dans l'ensemble de la procédure, de son déroulement et de ses particularités devant les diverses instances nationales. A cet effet, elles soulignent qu'en l'espèce les associations de consommateurs, disposant d'importants moyens d'action à la différence des consommateurs à titre individuel, le délai de prescription commençant à courir en application de l'article 2224 du code civil à compter de la connaissance ou possible connaissance des pratiques est matériellement suffisant pour celles-ci de préparer et former leur action contre Nespresso. Elles estiment qu'il n'est pas justifié en quoi les dispositions de l'article 2224 du code civil tel qu'interprétées par la Cour de cassation notamment en matière de concurrence déloyale (Com. 26 février 2020, n°18-19.153) rendrait pratiquement impossible ou excessivement difficile l'exercice de leurs droits pour considérer que le point de départ de ce délai de prescription devrait s'appliquer au jour où les pratiques dénoncées ont cessé, voire même écarter toute prescription pour une telle action. Elles soutiennent que le principe d'effectivité est dévoyé par les appelantes pour tenter de pallier leur mauvais choix procédural, dès lors que celles-ci pouvaient en application de l'article L.  621-1 et L. 621-2 du code de la consommation également saisir la juridiction répressive et bénéficier du régime de prescription applicable devant cette juridiction. Elles soutiennent qu'il n'est pas davantage justifié qu'au nom du principe d'équivalence soient appliquées à l'action en cause les règles de prescription en matière pénale. Enfin, elles font observer que ni les "

Dans ces conditions, les sociétés Nespresso affirment que le principe du point de départ de la prescription posé par l'article 2224 du code civil est intangible et que dans son arrêt SPA du 26 février 2020, la chambre commerciale de la Cour de cassation a rappelé qu'il devait être interprété de manière stricte, quand bien même les faits visés se seraient inscrits dans la durée et n'auraient pas cessé au jour de l'introduction de l'action. Aussi, elles soutiennent qu'en sa qualité de vigie du marché, la CLCV a connu, ou a minima aurait dû connaître au sens de l'article 2224 précité, cinq ans avant l'engagement de son action le 31 mai 2021 les pratiques prétendument trompeuses qu'elle assigne à Nespresso. Elles en déduisent que la CLCV devait agir à compter du jour où les allégations prétendument trompeuses étaient publiques et non dissimulées, à la portée de la connaissance de n'importe quel individu, soit le 4 avril 2016 au plus tard, date identifiée dans l'assignation de la CLCV, par la publication du communiqué de presse s'agissant du caractère neutre en carbone de son café et du caractère 100% recyclable de l'aluminium de ses capsules et à l'année 2003 s'agissant du caractère durable de son approvisionnement en café. Elles soulignent que ces types d'allégations sont des constantes dans sa communication destinée au consommateur moyen suivants différents canaux (tweets, interview dans la presse quotidienne nationale) depuis plus de 5 ans avant l'assignation de la CLCV et que cette dernière ne peut sérieusement prétendre ne pas avoir eu connaissance des allégations litigieuses avant la campagne nationale du 18 mai 2020. Elles ajoutent que le point de départ du délai de prescription ne peut être repoussé au jour où cette dernière a pu constater le caractère "trompeur" des allégations litigieuses. Outre le fait que ce point de départ serait à la complète discrétion du demandeur en fonction de ses diligences pour rapporter la preuve des faits nécessaire au succès de son action et de la date des pièces qu'il déciderait de produire, les sociétés Nespresso relèvent que la CLCV s'appuie dans son assignation sur des études datant de 2001 et de 2011 et qu'elle a introduit dès 2009 de nombreuses actions contre l'allégation "neutre en carbone". Elles soulignent encore le caractère non autonome de chacune des allégations dénoncées comme trompeuses qui se retrouvent d'une campagne à l'autre et ne permettent pas à la CLCV de prétendre à un point de départ de prescription au jour de l'émission de chaque nouvelle allégation prétendument trompeuse.

Enfin, les sociétés Nespresso soutiennent que les solutions dégagées par les arrêts de la CJUE cités par les appelantes pour écarter les règles procédurales internes ne sont pas transposables aux actions des associations de consommateur fondées sur des pratiques commerciales déloyales (en ce sens arrêts CJUE ; C-109/17 du 19 septembre 2018- C-208/21 du 2 février 2023 et C-413/12 du 5 décembre 2013).

Réponse de la Cour,

Aux termes de son assignation délivrée le 31 mai 2021, l'association CLCV fonde son action sur l'article 121-1 du code de commerce qui prohibe les pratiques commerciales déloyales et en particulier les pratiques commerciales trompeuses définies aux articles L. 121-2 à L. 121-4 du même code.

L'association CLCV vise plus spécifiquement l'article L. 121-2 qui dans sa version du 1er juillet 2016 au 25 août 2021, dispose que :

Une pratique commerciale est trompeuse si elle est commise dans l'une des circonstances suivantes : [']

2° Lorsqu'elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur l'un ou plusieurs des éléments suivants : [']

b) Les caractéristiques essentielles du bien ou du service, à savoir : ses qualités substantielles, sa composition, ses accessoires, son origine, sa quantité, son mode et sa date de fabrication, les conditions de son utilisation et son aptitude à l'usage, ses propriétés et les résultats attendus de son utilisation, ainsi que les résultats et les principales caractéristiques des tests et contrôles effectués sur le bien ou le service ; [']

e) La portée des engagements de l'annonceur, la nature, le procédé ou le motif de la vente ou de la prestation de services ; [']

Ainsi que l'article L. 121-3 qui prévoit qu'une pratique commerciale est également trompeuse si, compte tenu des limites propres au moyen de communication utilisé et des circonstances qui l'entourent, elle omet, dissimule ou fournit de façon inintelligible, ambiguë ou à contretemps une information substantielle ou lorsqu'elle n'indique pas sa véritable intention commerciale dès lors que celle-ci ne ressort pas déjà du contexte.

1- Sur les principes du droit de l'Union invoqués

Ces dispositions sont issues de la directive 2005/29/CE sur les pratiques commerciales déloyales qui a pour objectif (articles 1er) de contribuer au bon fonctionnement du marché intérieur et d'assurer un niveau élevé de protection des consommateurs en rapprochant les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives aux pratiques commerciales déloyales qui portent atteinte aux intérêts économiques des consommateurs. Elle précise que les États membres veillent à ce qu'il existe des moyens adéquats et efficaces pour lutter contre les pratiques commerciales déloyales afin de faire respecter les dispositions de la présente directive dans l'intérêt des consommateurs (article 11).

La CJUE a dit pour droit que cette directive se borne à prévoir, à son article 5, paragraphe 1, que les pratiques commerciales déloyales "sont interdites" et que, dès lors, elle laisse aux États membres une marge d'appréciation quant au choix des mesures nationales destinées à lutter, conformément aux articles 11 et 13 de ladite directive, contre ces pratiques, à la condition qu'elles soient adéquates et efficaces et que les sanctions ainsi prévues soient effectives, proportionnées et dissuasives (arrêt du 19 septembre 2018, Bankia, C 109/17, point 31 ; arrêt 2 février 2023, C-208/21 point79). La CJUE a précisé que, si l'article 11 de la même directive se limite à exiger des États membres qu'ils veillent à ce qu'il existe des moyens adéquats et efficaces pour lutter contre lesdites pratiques, de tels moyens peuvent néanmoins consister en une action en justice contre de telles pratiques, ayant pour finalité de les faire cesser (voir, en ce sens, arrêt du 19 septembre 2018, Bankia, C 109/17, EU:C:2018:735, point 42). Elle en a déduit que l'obligation faite au juge national d'apprécier, même d'office, le caractère abusif d'une clause contractuelle relevant du champ d'application de la directive 93/13, ne saurait être étendue à la directive 2005/29, étant donné que, si ces deux directives visent à garantir un niveau élevé de protection des consommateurs, elles poursuivent néanmoins cet objectif par des modalités différentes.

Aussi, contrairement à ce que soutiennent les appelantes, le juge national n'est pas tenu de relever d'office le caractère déloyal d'une pratique, et qui plus est le juge de la mise en état qui n'est saisi que de la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action.

Les appelantes invoquent par ailleurs les principes d'effectivité et d'équivalence, pour faire courir le point de départ de la prescription à compter de la cessation de pratiques déloyales ou voir écarter toute application d'un délai de prescription à l'instar des principes adoptés pour les clauses abusives.

À cet égard, il ressort d'une jurisprudence constante de la CJUE que, en l'absence de réglementation par le droit de l'Union, il appartient à l'ordre juridique interne de chaque État membre de régler les modalités procédurales des recours en justice destinées à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l'Union, pour autant, d'une part, que ces modalités ne soient pas moins favorables que celles concernant des recours similaires de nature interne (principe d'équivalence), et, d'autre part, qu'elles ne rendent pas en pratique impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique de l'Union (principe d'effectivité) (voir, notamment, arrêt du 26 octobre 2006, [K] [W], C 168/05, point 24 et jurisprudence citée).

Toutefois, avant de s'interroger sur l'application de ces principes en la cause, il y a lieu de vérifier si l'action de la CLCV est effectivement prescrite selon les règles de droit interne.

2- Sur l'application des dispositions de l'article 2224 du code civil

En ce qui concerne les sanctions, selon l'article L. 132-1 du code de la consommation, les pratiques commerciales trompeuses sont constitutives d'un délit dès lors que la pratique est mise en 'uvre ou qu'elle produit ses effets en France, puni d'une peine d'emprisonnement de deux ans et d'une amende de 300 000 euros. Contrairement aux pratiques agressives, aucune sanction civile n'est expressément prévue au titre III des sanctions des pratiques commerciales trompeuses.

Au titre II des actions en justice des associations de défense des consommateurs du livre sixième, l'article L. 621-1 prévoit :

Les associations régulièrement déclarées ayant pour objet statutaire explicite la défense des intérêts des consommateurs peuvent, si elles ont été agréées à cette fin en application de l'article L. 811-1, exercer les droits reconnus à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif des consommateurs.

Et à la section II Action en cessation d'agissements illicites, l'article L. 621-7 prévoit :

Les associations mentionnées à l'article L. 621-1 et les organismes justifiant de leur inscription sur la liste publiée au Journal officiel de l'Union européenne en application de l'article 4 de la directive 2009/22/ CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 modifiée relative aux actions en cessation en matière de protection des intérêts des consommateurs, peuvent agir devant la juridiction civile pour faire cesser ou interdire tout agissement illicite au regard des dispositions transposant les directives mentionnées à l'article 1er de la directive précitée.

C'est dans ce cadre juridique, que les associations appelantes ont agi pour obtenir la cessation des pratiques trompeuses alléguées et la réparation d'un préjudice à l'intérêt collectif des consommateurs.

Aucun régime spécial de prescription n'est prévu au code la consommation pour cette action des associations de consommateur devant les juridictions civiles, tel que celui prévu par l'article L482-1 du code de commerce disposant que la prescription de l'action en réparation du dommage ne court pas tant que la pratique anticoncurrentielle n'a pas cessé. Il y a donc lieu d'appliquer les règles de droit commun.

L'article 2224 du code civil dispose que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit à connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

Aussi, l'association de consommateur titulaire des droits à la cessation d'une pratique commerciale déloyale et à la réparation du préjudice collectif en découlant doit agir dans un délai de cinq ans à compter du jour où elle a connu ou aurait dû connaître les pratiques commerciales dénoncées et en ce qu'elles sont mises en 'uvre dans des circonstances lui permettant de les qualifier de trompeuses au sens des dispositions des articles L.121-2 et L121-3 précités.

A l'appui de son action, la CLCV dénonce trois types d'allégations environnementales fausses utilisés par les sociétés Nespresso dans leur campagne de communication :

- L'allégation relative au caractère "neutre en carbone" du café et à la plantation d'arbres

- Les allégations relatives au caractère "100% recyclable" des capsules et de l'aluminium qui les compose

- Les allégations sur le caractère "durable" de l'approvisionnement de Nespresso

Et ce sur différents canaux de communication, notamment sur le site internet, la plateforme Youtube, sur les réseaux sociaux, sur les cartons de livraisons ainsi que sur les sacs fournis en boutique.

Si la CLCV indique clairement aux termes de son assignation que ces allégations sont des constantes dans la communication de Nespresso depuis 2016, en revanche elle s'appuie sur des indications et présentations sur différents moyens de communication tels que constatées par huissier selon des procès-verbaux établis les 25 et 26 mai 2021 (pièces n°6 et 7) pour établir des circonstances de nature à caractériser des pratiques commerciales trompeuses au sens des dispositions précitées et en obtenir la cessation.

A cet effet, la CLCV reproduit dans son assignation des visuels, logos et messages spécifiques utilisés par Nespresso pour chacune des allégations environnementales sur différents supports de communication : site internet, spots publicitaires sur YouTube, campagne d'affiches multimédia, carton de livraison et sacs fournis en boutiques, articles de presse, et communication sur les réseaux sociaux. Selon la CLCV, l'association des visuels aux messages conforte l'impression du consommateur que la production et la consommation de café en capsule aluminium n'aurait aucun impact sur l'environnement, ce qui selon elle est trompeur au sens des articles précités. La CLCV soutient que cette campagne nationale de communication a pris la forme et l'ampleur dénoncée depuis le communiqué de presse du 18 mai 2020 aux termes duquel Nespresso annonce "Parce que Nespresso agit en faveur du recyclage de ses capsules depuis plus de 10 ans mais que ses actions sont encore peu connues tant auprès de ses clients que du grand public, l'entreprise lance aujourd'hui une campagne nationale de communication diffusée en presse et en affichage Print et digital" (pièce n°11).

Ainsi, par exemple s'agissant des allégations environnementales sur le site internet de Nespresso, la CLCV fait par valoir que :

- L'allégation mettant en avant le caractère "neutre en carbone" est accompagnée de différents logos et symboles portant la mention "certifié Neutralité carbone par Ecocert" comme l'illustre des captures d'écran du constat d'huissier et laisse penser que le caractère "neutre carbone" du café serait certifié et scientifiquement prouvé, ce qui est faux selon la CLCV,

- L'allégation "neutre en carbone" est par ailleurs associée à des allégations et images selon lesquelles "Nespresso plante 500 000 arbres par an", accompagnées de visuels et de messages vantant de multiples faux bénéfices tels que "lorsque vous pratiquez l'agriculture conventionnelle, lorsque vous utilisez des produits chimiques, vous brulez le sol [']. Alors lorsque nous plantons les arbres dans les champs de café, nous enrichissons les sols".

- L'allégation relatives au recyclage des capsules de café en aluminium est accompagnée de différents logos, visuels et schémas avec les indications techniquement fausses selon CLCV telles que "100% recyclable","recyclable à l'infini","indéfiniment recyclable" ainsi que des messages sur l'aluminium tels que "un élément naturellement présent dans le sol" et "le 3ème élément naturel le plus répandu sur Terre après la silice et l'oxygène [']présent dans des nombreux produits issus de l'agriculture".

La CLCV relève encore que les affiches de la campagne 2020 promeuvent la "consommation responsable" associant des visuels de capsules aux allégations selon elle techniquement fausses telles que :

- "A L'INFINI. Les capsules Nespresso sont faites d'aluminium infiniment recyclable"

- "RE-RE-RE-RE-RE-CYCLABLE. L'aluminium de nos capsules est 100% recyclable. Nous faisons en sorte que nos capsules Original soient issues à 80% d'aluminium recyclé d'ici fin 2021."

Il n'est pas sérieusement contesté par les sociétés Nespresso que l'ensemble des visuels et messages tels que constatés par la CLCV dans ses constats d'huissier sur différents canaux de communication résultent de cette nouvelle campagne nationale de communication lancée le 18 mai 2020. Même si depuis 2016 Nespresso France communique sur les caractéristiques environnementales de ses capsules avec des messages constants sur la neutralité carbone, le 100% recyclable et la durabilité de l'approvisionnement, il n'est pas démontré, ni même allégué, que cette communication est depuis 2016 identique dans la forme et l'ampleur (visuels, messages et canaux de diffusion) dénoncée par la CLCV et constatée par huissier les 25 et 26 mai 2021.

Par ailleurs, pour fonder son action la CLCV expose avoir pu s'appuyer sur différentes études principalement réalisées entre 2018 et 2021, à savoir :

- Concernant le caractère "neutre en carbone" et la compensation de l'empreinte carbone par la plantation d'arbres :

- Un rapport du BASIC datant de 2018 intitulé "Café : la success story qui cache la crise - Étude sur la durabilité de la filière du café", révélant que Nespresso et Nestlé ont une part de responsabilité extrêmement importante dans la crise de la filière du café, (Pièce n°18 de l'Assignation),

- Un rapport du GIEC de 2019 intitulé "Changement climatique et terres émergées", "Résumé à l'intention des décideurs", révélant que le café est l'un des produits les plus émetteur de GES (Pièce n°17 de l'Assignation),

- une note de l'ADEME datant du 5 novembre 2019 intitulée "Compensation carbone volontaire : 5 règles de bonnes pratiques préconisées par l'ADEME", indiquant que les termes "100% compensé", "zéro impact carbone", sont inappropriés car trompeurs, (Pièce n°29 de l'Assignation),

- Un avis de l'ADEME datant de mars 2021 intitulé "La neutralité carbone", révélant que seule la neutralité carbone à l'échelle planétaire a une validité scientifique, (Pièce n°28 de l'Assignation),

- Un Amendement n°4981 déposé le 25 mars 2021 dans la cadre de la loi "Climat et Résilience" consacrant l'absence de fondement scientifique de l'allégation "neutre en carbone" et en interdisant la diffusion dans une publicité

- Concernant le caractère "100% recyclable" de l'aluminium et des capsules :

- Le rapport annuel du CITEO de 2019, révélant que les capsules de café sont difficilement captées dans les centres de tri et que le recyclage de l'aluminium en France serait peu efficace, (Pièce n°34 de l'Assignation),

- Une étude de 2020 intitulée "An Assessment of Recyclability of Used Aluminium Coffee Capsules", révélant que s'agissant des petits aluminiums, pour éliminer les éléments organiques de la capsule, le processus de traitement provoque une perte d'une fraction de l'aluminium de sorte qu'il est faux de dire que qu'il est "100%" recyclable, (Pièce n°37 de l'Assignation),

- Le Bilan de GES de l'aluminium disponible sur le site de l'ADEME, révélant que l'ensemble du cycle de vie de l'aluminium est responsable de l'émission significatives de GES, (Pièce n°41 de l'Assignation),

- Un avis du CNE datant de 2021, intitulé "Allégations environnementales relatives aux emballages des produits : Avis et Recommandations du CNE" révélant que le processus de recyclage de l'aluminium requiert une quantité très importante d'énergie, (Pièce n°43 de l'Assignation),

- Concernant le caractère "durable" de l'approvisionnement en café :

- Un rapport du BASIC datant de 2018 intitulé " Café : la success story qui cache la crise - Étude sur la durabilité de la filière du café ", révélant qu'en réalité, l'objectif premier du programme AAA de Nespresso serait d'assurer la qualité requise par Nespresso à des coûts acceptables grâce à l'amélioration des rendements, (Pièce n°18 de l'Assignation),

- Un article de Le Temps datant de 2020 intitulé "Travail des enfants : Nespresso sous le feu des critiques", révélant que les conditions de travail dans les fermes AAA entreraient en complète violation des droit humains de sorte qu'il est faux de dire que cette filière d'approvisionnement est durable, (Pièce n°45 de l'Assignation).

Aussi, il résulte de l'ensemble de ces éléments, que c'est à compter de la nouvelle campagne nationale de communication Nespresso débutée le 18 mai 2020, que la CLCV a eu connaissance des faits lui permettant d'exercer de manière effective son droit à faire cesser les pratiques de communication commerciales des sociétés Nespresso telles que constatées par huissier les 25 et 26 mai 2021et dénoncées comme trompeuses au sens des articlesL.121-2 et L.121-3 du code de la consommation ainsi que son droit à demander réparation du préjudice en découlant dans l'intérêt collectif.

Dès lors, en application de l'article 2224 du code civile l'action de la CLCV introduite devant le tribunal judiciaire de Paris par assignation du 31 mai 2021 n'est pas prescrite.

En conséquence l'ordonnance entreprise sera infirmée en toutes ses dispositions. La fin de non-recevoir soulevée par les sociétés Nespresso tirée de la prescription sera rejetée, l'action de la CLCV et l'intervention volontaire du CCFD seront déclarées recevables.

Sur les dépens et l'applications de l'article 700 du code de procédure civile

Les sociétés Nespresso, parties perdantes, seront condamnées aux dépens de première instance et d'appel.

En application de l'article 700 du code de procédure civile, les sociétés Nespresso seront déboutées de leur demande et condamnées à payer aux associations CLCV et CCFD chacune la somme de 10 000 euros.

Dispositif

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Infirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;

Rejette la fin de non-recevoir de tirée de la prescription de l'action de l'association Confédération consommation logement et cadre de vie et de l'association Comité catholique contre la faim et pour le développement - Terre solidaire ;

Déclare recevable l'action de la Confédération consommation logement et cadre de vie et l'intervention volontaire de Comité catholique contre la faim et pour le développement - Terre solidaire ;

Condamne les sociétés Nestlé Nespresso et Nespresso France aux dépens de première instance et d'appel ;

Condamne les sociétés Nestlé Nespresso et Nespresso France à payer à l'association Confédération consommation logement et cadre de vie et à l'association Comité catholique contre la faim et pour le développement - Terre solidaire, chacune la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.