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Décisions

CA Amiens, 1re ch. civ., 19 mars 2024, n° 21/04111

AMIENS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Gomina (EURL)

Défendeur :

Époux, U (Veuve)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Fallénot

Conseillers :

M. Adrian, Mme Segond

Avocats :

Me Le Roy, Me De Lamarliere, Me Delevacque, Me Schuller, Me Varela Fernandes, Me Lecocq, Me Gaubour

CA Amiens n° 21/04111

18 mars 2024

PRETENTIONS DES PARTIES

Vu les conclusions d'appelant notifiées le 13 septembre 2023 par Mme [S] et par l'Eurl [S] visant à :

- Infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Tribunal Judiciaire d'Amiens le 09 juin 2021,

Statuant à nouveau,

- Ordonner à Maître [J], conformément aux dispositions de l'article 138 du code de procédure civile, de produire, dans un délai maximum de 15 jours à compter de la décision à intervenir, l'entier dossier dudit Notaire relatif à la vente des époux [P] relative à l'immeuble sis [Adresse 3]) (lot n°1) cadastré section AB n°[Cadastre 5] ca, et notamment tous échanges de correspondances, actes sous seing privé et actes authentiques ainsi que tous projets d'acte sous seing privé ou actes authentiques établis par ledit Notaire,

- Constater et en tant que de besoin juger que les dispositions de l'article L 145-46-1 du code de Commerce n'ont pas été respectées, et qu'il n'a pas été procédé valablement à la notification à l'EURL [S] de son droit de préemption lui permettant d'acquérir le local commercial pour le prix de 30.000 €,

- Juger nulle et de nul effet la notification du droit de préemption opérée par Maître [F] [J] le 11 mars 2019 et annuler cette notification ; à tout le moins, juger que cette notification du 11 mars 2019 est irrégulière et qu'elle n'a pu produire aucun effet.

Dans ces conditions, juger que le délai d'un mois mentionné à l'article L145-46-1 du code de Commerce permettant au locataire de prendre position suite à la notification du droit de préemption n'a pas commencé à courir.

En toute hypothèse,

- Constater que l'EURL [S] a fait valoir qu'elle était disposée à procéder à l'acquisition du local commercial moyennant le prix de 30.000 €.

- Juger parfaite la vente moyennant le prix de 30.000 € au profit de l'EURL [S] de l'ensemble immobilier,

- Ordonner la publication de l'arrêt à intervenir à la Conservation des Hypothèques.

- Débouter purement et simplement les époux [L] de toutes leurs demandes, fins et conclusions, et notamment les demandes formulées dans le cadre de leur appel incident.

- Débouter Madame [K] [U] veuve [P] de toutes ses demandes, fins et conclusions.

- Condamner in solidum les époux [L], ou à défaut toutes parties succombantes, au paiement d'une somme de 5.000 € par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

- Condamner les époux [L], ou à défaut toutes parties succombantes, en tous les frais et dépens.

Vu les conclusions d'intimés notifiées par M. et Mme [L] le 11 mai 2023 visant à :

- la confirmation du jugement en ce qu'il a rejeté les demandes de Mme [S] et de l'Eurl [S] et en ce qu'il a déclaré la vente intervenue M. et Mme [P] et M. et Mme [L], avec les dispositions subséquentes,

- l'infirmation du jugement en ce qu'il les a déboutés de leur demande de condamnation in solidum de Monsieur [X] [P], Madame [K] [P], Madame [A] [S] et I'EURL [S] à leur payer 5.000 € à titre de dommages et intérêts,

Statuant à nouveau,

- Condamner in solidum l'EURL [S] et Madame [S] à leur payer la somme de 5.000 € au titre de leur préjudice ;

En tout état de cause,

- Débouter l'EURL [S], Madame [A] [S] et Madame [K] [P], représentée par Madame [I] [Z], tutrice, de toutes leurs demandes, fins, moyens et prétentions ;

- condamner Mme [S] et l'Eurl [S] aux dépens et à leur payer la somme de 5 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les dépens d'appel.

Vu les conclusions d'intimée notifiées par Mme [U] veuve [P] le 16 mars 2022 sollicitant de :

- Confirmer le jugement rendu le 9 juin 2021 par le tribunal judiciaire d'Amiens, sauf en ce qu'il a :

Condamné Mme [K] [P] à payer, avec Mme [A] [S] et l'EURL [S], une somme de 1500,00 € aux époux [L] sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamné Mme [K] [P] à payer, avec Mme [A] [S] et l'EURL [S] aux dépens de première instance,

Y ajoutant,

- Condamner Mme [A] [S] et l'EURL [S] à verser à Mme [K] [P] une somme de 1500 € au titre des frais irrépétibles,

- Condamner Mme [A] [S] et l'EURL [S] aux dépens d'appel.

L'instruction a été clôturée le 13 décembre 2023.

MOTIFS

Le droit de préemption du preneur à bail commercial est prévu et régi par l'article L.145-46-1 du code de commerce, rappelé par le jugement et par les écritures des parties. Il est exact que lorsque le locataire envisage de recourir à un prêt, le délai de réalisation de la vente avec le locataire est prolongé à quatre mois dans les termes suivants :

'Lorsque le propriétaire d'un local à usage commercial ou artisanal envisage de vendre celui-ci, il en informe le locataire par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, ou remise en main propre contre récépissé ou émargement. Cette notification doit, à peine de nullité, indiquer le prix et les conditions de la vente envisagée. Elle vaut offre de vente au profit du locataire. Ce dernier dispose d'un délai d'un mois à compter de la réception de cette offre pour se prononcer. En cas d'acceptation, le locataire dispose, à compter de la date d'envoi de sa réponse au bailleur, d'un délai de deux mois pour la réalisation de la vente. Si, dans sa réponse, il notifie son intention de recourir à un prêt, l'acceptation par le locataire de l'offre de vente est subordonnée à l'obtention du prêt et le délai de réalisation de la vente est porté à quatre mois.

Si, à l'expiration de ce délai, la vente n'a pas été réalisée, l'acceptation de l'offre de vente est sans effet. (...)'.

1. Sur la portée du 'compromis du 5 décembre 2018" et sur la demande d'ordonnance au notaire de produire son 'entier dossier'.

En premier lieu, Mme [S] et l'Eurl [S] demandent à la cour, comme elles l'avaient déjà demandé en première instance, d'ordonner à Me [J] de produire, dans un délai maximum de 15 jours à compter de la décision à intervenir, 'l'entier dossier dudit Notaire relatif à la vente des époux [P]'.

La demande est fondée sur l'article 138 du code de procédure civile qui permet dans certains cas au juge d'ordonner à un tiers au litige, non mis en cause, de produire une pièce ou un acte juridique. La demande est faite sans forme et le juge apprécie discrétionnairement son bien-fondé.

Surtout, en second lieu, Mme [S] veut faire admettre en justice qu'elle a conclu un compromis parfait le 5 décembre 2018.

Les deux questions sont liées et méritent d'être examinées ensemble.

L'acte du 5 décembre 2018 est produit aux débats et les autres pièces du dossier permettent de conclure qu'il n'existe aucune ambiguïté sur la situation : ce 'compromis' n'a jamais acquis force obligatoire entre les parties.

Ce second 'compromis' du 5 décembre 2018 (pièce [S] 4) fait suite à des démarches entreprises par Mme [S] après le premier compromis du 19 juin 2018, visant à faire reconnaître par M. et Mme [P], retraités, âgés, demeurant à [Localité 10], que le prix était trop élevé pour le bien vendu.

La lettre en réponse, du 27 novembre 2018, envoyée de [Localité 10] à Mme [S], est également produite aux débats (pièce [S] 5). Elle est rédigée et signée par M. [P] seul ('je suis convaincu des termes de votre courrier, je vous accorde la vente à 30 000 €') alors que le bien appartient à M. et Mme [P].

L'acte du 5 décembre 2018 fait explicitement référence au précédent compromis et indique comme vendeurs M. et Mme [P].

Or, il n'est pas signé par Mme [P], qui confirme par ses conclusions d'appel n'avoir jamais été capable d'accepter un tel acte, ne serait-ce que sur le plan de sa capacité physique.

L'offre de prêt du Crédit Agricole est produite par les époux [L] en pièce 17, elle indique avoir été émise le 4 janvier 2019, soit postérieurement au délai fixé au 21 décembre 2018.

S'il a été suivi, en effet, de la rédaction d'un projet d'acte authentique établi par Me [J], produit par les époux [L] en pièce 12, projet établi à 30 000 € au profit cette fois de l'Eurl [S] et non plus de Mme [S], celui-ci n'est signé par aucune des parties.

Il en résulte que le projet du 5 décembre 2018, en tant qu'il modifiait le compromis du 19 juin 2018, est resté une simple velléité entre M. [P] et Mme [S] et n'a acquis aucune valeur de promesse de vente.

La demande de production du dossier de Me [J] est inutile.

Le jugement sera confirmé sur ces deux points.

2. Sur la validité de la notification du droit de préemption faite par la notaire le 11 mars 2019 et sur la purge du droit de préemption.

Mme [S] et l'Eurl [S] soutiennent encore que le droit de préemption n'a pas été notifié régulièrement de sorte que l'Eurl [S] est 'encore en droit d'exercer son droit de préemption et de devenir propriétaire de l'immeuble' (conclusions, page 12).

Il est exact que la notification du 11 mars 2019 (pièce [L] 15), faite par Me [J] à l'Eurl [S], utilise le terme de 'droit de préférence du locataire' au lieu de l'expression légale de 'droit de préemption' ; toutefois cette erreur est restée sans conséquence sur les droits de Mme [S] ou de l'Eurl [S] dès lors que :

- le notaire a reproduit le texte de l'article L. 145-46-1 du code de commerce dans son intégralité et en a indiqué les bonnes conséquences à l'Eurl [S], sans erreurs ;

- Mme [S] ne s'est jamais méprise sur ses droits.

Ce point est confirmé, s'il en était besoin, par le courrier de Me [J] du 5 août 2019, qui est la première pièce à faire suite à la notification du droit de préemption de la locataire du 11 mars 2019 (pièce [L] 6). La notaire indique à l'Eurl [S], titulaire du bail et du droit de préemption :

'Vous avez accepté la proposition le 29 mars 2019 au prix de 40 000 € [Mme [S] ne fait référence qu'à l'obtention d'une offre de prêt par le Crédit Agricole à hauteur de 30 000 €] avec l'intention de recourir à un prêt. Conformément à l'article L.145-46-1, vous aviez quatre mois à compter de l'acceptation pour régulariser l'acte de vente...par conséquence la vente peut être réalisée au profit de Monsieur et Madame [L]'.

Le défaut de production d'une offre de prêt à hauteur de 40 000 € dans le délai de quatre mois a donc seul fait échec au droit de préemption.

Il importe peu que la notification du 11 mars 2019 ait été faite par le notaire plutôt que par les propriétaires eux-mêmes -ce qui est la pratique - dès lors qu'elle a été faite en leur nom et pour leur compte.

La notification du 11 mars 2019 n'a pas été tardive, l'article L145-46-1 du code de commerce n'imposant aucun délai. La promesse de vente [P]-Mme [S] du 19 juin 2018, qui seule subsistait, à 40 000 €, a été notifiée comme il se devait aux titulaires du droit de préférence, les époux [L]. Ceux-ci l'ayant accepté le 25 février 2019, dans le délai d'un mois, il convenait de notifier le droit de préemption à l'Eurl [S], ce qui a été fait le 11 mars 2019.

Faute de production d'une offre de prêt à 40 000 € et de régularisation dans les quatre mois, le droit de préemption de l'Eurl [S] n'a pas été transformé en accord des volontés.

Me [J] était en droit, voire en devoir, de considérer que seul le pacte de préférence accepté par les époux [L] le 25 février 2019 était transformé en vente sous réserve de la notification du droit de préemption.

Le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il a jugé que le droit de préemption était valablement purgé.

3. Sur le caractère parfait de la vente entre M. et Mme [P] et M. et Mme [L].

L'acceptation de l'offre de vente formulée en exécution d'un pacte de préférence vaut vente (Civ.3e, 22 septembre 2004, n°02-21.441).

C'est par des motifs que la cour approuve que le premier juge a considéré que la vente était devenue parfaite entre M. et Mme [P] et M. et Mme [L].

Le jugement doit donc être également confirmé sur ce point.

4. Sur la demande de dommages et intérêts formée par les époux [L].

La situation a été suffisamment complexe, le notaire ayant d'ailleurs consulté le Cridon, pour que le comportement de Mme [S] ne puisse être interprété comme fautif, outre que les époux [L] ne font pas spécialement part d'un préjudice spécifique.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande.

5. Sur les dépens et les frais irrépétibles.

Le défaut de comparution de M. et Mme [P] en première instance conduit la cour à ne pas modifier les décisions du premier juge sur ces points.

En appel, il convient de faire supporter par Mme [S] et l'Eurl [S] les dépens des parties et leurs frais irrépétibles dans une mesure modérée.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, en dernier ressort,

Confirme le jugement rendu par le tribunal judiciaire d'Amiens en toutes ses dispositions,

Condamne Mme [A] [S] et l'Eurl [S] aux dépens d'appel et à payer la somme de 2 500 € à M. et Mme [R] [L] et [H] [E] épouse [L] et la somme de 1 500 € à Mme [K] [P] ;

Déboute Mme [K] [P], Mme [A] [S] et l'Eurl [S] de leurs propres demandes au titre de leurs frais irrépétibles.