Cass. com., 27 mars 2024, n° 22-16.136
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vigneau
Rapporteur :
M. Calloch
Avocat général :
M. de Monteynard
Avocat :
SARL Cabinet Rousseau et Tapie
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 28 février 2022), M. [L] et sa soeur, [O] [LZ] [X] [N], ont confié en 2006 la gestion de leur patrimoine à la société Chatel patrimoine, conseiller en gestion de patrimoine et en investissements financiers.
2. En septembre 2012, un représentant de cette société s'est rendu à leur domicile pour leur présenter et leur remettre une plaquette décrivant le projet d'acquisition, par un groupe dont la société Vova était la filiale, d'une chaîne de restaurants. Le 13 décembre 2012, M. [L] et sa soeur ont souscrit à l'emprunt obligataire émis par cette dernière société pour financer l'opération.
3. Seul le premier intérêt obligataire a été payé fin 2013 et la société Vova a été mise en liquidation judiciaire en 2017. M. [L] et les ayants droit de [O] [LZ] [X] [N], entre temps décédée (les consorts [L]), ont assigné la société Chatel patrimoine et ses assureurs, les sociétés MMA IARD assurances mutuelles et MMA IARD, en réparation du préjudice subi en raison de la perte de leur investissement.
Moyens
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches
Enoncé du moyen
4. Les consorts [L] font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes à l'encontre de la société Chatel patrimoine et de ses assureurs, alors :
« 1°/ qu'aux termes des articles L. 541-1, I et II et L. 550-1 du code monétaire et financier, les conseillers en investissements financiers proposent par voie de publicité ou de démarchage d'acquérir des droits sur des biens mobiliers ou immobiliers lorsque les acquéreurs n'en assurent pas eux-mêmes la gestion, ou recueillent des fonds à cette fin ; qu'en considérant que la remise par la société Chatel de la plaquette de l'opération n'engageait pas sa responsabilité en qualité de conseiller en investissements financiers du fait qu'elle n'avait pas été chargée de sa présentation et qu'elle était étrangère à sa conception, la cour d'appel a statué par des motifs impropres à écarter sa responsabilité en qualité de conseiller en investissements financiers résultant de la présentation de la plaquette et de l'organisation du financement de l'opération, privant ainsi son arrêt de base légale au regard des dispositions susvisées, ensemble l'article 1147 (désormais 1231-1) du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
2°/ qu'aux termes de l'article L. 541-1, II, du code monétaire et financier, les conseillers en investissements financiers peuvent recevoir aux fins de transmission des ordres pour le compte d'un client auquel ils ont fourni une prestation de conseil ; que, pour refuser à la société Chatel patrimoine la qualité de conseil en investissements financiers, la cour d'appel a énoncé que "s'agissant du suivi de l'opération, il ressort des documents contractuels, des échanges de courriers, qu'ils établissent que la société Chatel est bien intervenue en qualité de conseiller en gestion de patrimoine, de CIF auprès des consorts [L], dans le cadre des missions qui lui avaient été confiées par ces derniers", que "les courriers versés aux débats adressés par la société Chatel aux consorts [L], indiquent qu'elle est intervenue pour concrétiser le financement des obligations Vova", et que "ces échanges traduisent l'intervention de la société Chatel pour transmettre les demandes de ses clients et faire exécuter les ordres donnés en sa qualité d'intermédiaire" ; qu'elle a pourtant conclu que "les solutions qu'elle a pu proposer pour le financement des obligations souscrites ne permettent pas d'en déduire que la société Chatel a agi en qualité de CIF" ; qu'en statuant par de tels motifs, dont il résultait, contrairement à la déduction qu'elle en a faite, que la société Chatel patrimoine, en transmettant les ordres de ses clients aux fins de financement de leur souscription à l'emprunt obligataire qu'elle leur avait présenté, agissait en qualité de conseiller en investissements financiers, la cour d'appel a statué par des motifs impropres à écarter la qualité de conseiller en investissements financiers, privant ainsi son arrêt de base légale au regard des dispositions susvisées. »
Motivation
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 541-1, I et II, L. 544-1 et L. 550-1 du code monétaire et financier, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2007-544 du 12 avril 2007, et l'article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :
5. Il résulte de ces textes que le conseiller en investissement financier peut fournir un service de réception et de transmission d'ordres pour le compte d'un client auquel il fournit une prestation de conseil, le cas échéant par voie de démarchage.
6. Pour rejeter les demandes d'indemnisation des consorts [L] fondées sur les manquements allégués de la société Chatel patrimoine à ses obligations de conseiller en investissements financiers, l'arrêt, après avoir relevé que le représentant de la société Chatel patrimoine s'est rendu au domicile de ses clients pour leur remettre la plaquette de présentation de l'opération « Marmiton », a concrétisé la souscription par ses clients à l'acquisition d'obligations émises par la société Vova en transmettant leurs demandes et en faisant exécuter leurs ordres, puis que la société Chatel patrimoine est intervenue, en qualité de conseiller en gestion de patrimoine et de conseiller en investissement financier auprès des consorts [L], retient qu'il n'est pas établi qu'elle était chargée de la présentation et du contenu de la plaquette décrivant l'opération d'acquisition de la chaîne de restauration et son financement, qu'elle était étrangère à sa conception et à sa rédaction et qu'elle n'a perçu à ce titre aucune rémunération en qualité d'intermédiaire ou de courtier. Il en déduit que cette société n'a pas agi, pour l'opération litigieuse, en qualité de conseiller en investissement financier, n'a pas contracté un devoir de conseil sur le contenu de la plaquette, et qu'elle n'avait pas à vérifier l'exactitude des documents remis et qu'elle n'était pas tenue de remettre un rapport écrit préalable sur les avantages et risques liés à l'acquisition des obligations Vova, dès lors qu'elle n'était pas partie à l'opération.
7. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé, par refus d'application, les textes susvisés.
Dispositif
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 28 février 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.