Cass. 2e civ., 20 janvier 2022, n° 19-23.721
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Pireyre
Rapporteur :
M. Pradel
Avocat général :
M. Grignon Dumoulin
Avocats :
SCP Célice, Texidor, Périer, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Riom, 24 septembre 2019), M. [B] et Mme [C] ont acquis le 11 décembre 2008 de M. et Mme [T] une maison d'habitation. Se plaignant de désordres dans l'immeuble acquis, M. [B] et Mme [C] ont assigné leurs vendeurs ainsi que l'agence immobilière devant un tribunal de grande instance.
2. Les acquéreurs de l'immeuble soupçonnant l'existence de vices cachés, liés, notamment, à un incendie qui se serait produit en 2002, ont saisi en cours de procédure le juge de la mise en état afin qu'il enjoigne à la société Axa assurance, alors assureur du bien, tiers à la procédure, de produire les éléments utiles à la solution du litige.
3. Par une première ordonnance du 24 juin 2014, le juge de la mise en état a enjoint à la société Axa assurance de communiquer au tribunal, dans un délai de 30 jours suivant la signification de l'ordonnance, un ensemble de documents en sa possession relatifs au sinistre survenu dans cet immeuble par incendie en 2002 et à son indemnisation éventuelle.
4. Par une seconde ordonnance du 7 avril 2015, signifiée le 9 septembre 2015, le juge de la mise en état a renouvelé son injonction à la société Axa assurance en précisant que, faute de communiquer les documents visés dans les 15 jours, elle serait redevable d'une astreinte de 1 000 euros par jour de retard.
5. Le tribunal de grande instance a statué sur le fond du litige par un jugement, devenu irrévocable, du 19 mai 2017.
6. Le 25 mai 2018, M. [B] et Mme [C] ont assigné la société Axa France IARD (l'assureur) devant un juge de l'exécution en liquidation de l'astreinte.
7. Cette société a, notamment, invoqué l'irrégularité de la signification de l'ordonnance du juge de la mise en état du 7 avril 2015.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, et sur le second moyen, pris en ses première, deuxième, troisième et quatrième branches, ci-après annexés
8. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
9. L'assureur fait grief à l'arrêt de déclarer recevable l'action de M. [B] et Mme [C], de liquider l'astreinte fixée par ordonnance du juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Clermont-Ferrand en date du 7 avril 2015 à la somme de 516 000 euros pour la période ayant couru du 25 septembre 2015 au 21 février 2017 et de le condamner en tant que de besoin à payer cette somme à M. [B] et Mme [C], alors « que ne constitue une exception de procédure que le moyen qui tend à faire déclarer irrégulière la procédure suivie devant la juridiction saisie de cette exception ; qu'en revanche, ne constitue pas une telle exception le moyen destiné à faire échec à une demande adverse tiré de l'irrégularité d'une procédure distincte ; qu'en jugeant irrecevable le moyen soulevé par la société Axa France IARD tiré de l'irrégularité de la signification de l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal de grande instance ayant prononcé l'astreinte litigieuse pour n'avoir pas été soulevé in limine litis cependant que cette irrégularité n'affectait pas la procédure en cours devant la cour d'appel de Riom saisie du recours formé contre le jugement du juge de l'exécution du tribunal d'instance, la cour d'appel a violé les articles 73 et 74 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
10. En premier lieu, selon l'article R. 131-1 du code des procédures civiles d'exécution, l'astreinte prend effet à la date fixée par le juge, laquelle ne peut être antérieure au jour où la décision portant obligation est devenue exécutoire.
11. Il en résulte que, dans l'instance en liquidation d'astreinte, l'allégation d'une irrégularité affectant la signification de la décision ayant prononcé l'obligation sous astreinte ne constitue pas une exception de procédure, au sens de l'article 73 du code de procédure civile, mais un moyen de défense au fond opposé à la demande de liquidation, recevable en tout état de cause, par application de l'article 72 du même code.
12. C'est, dès lors, à tort que la cour d'appel a considéré que le moyen pris de la nullité de la signification de la décision assortie d'astreinte constituait une exception de procédure, irrecevable pour ne pas avoir été présentée in limine litis.
13. En second lieu, si l'absence de mention, dans l'acte de signification d'une décision, de la voie de recours ouverte, de son délai ou de ses modalités a pour effet de ne pas faire courir le délai de recours, la signification ne peut être considérée comme nulle à défaut de preuve de l'existence d'un grief.
14. Par ailleurs, selon l'article 140 du code de procédure civile, sur le fondement duquel a été prononcée l'ordonnance du 7 avril 2015, l'ordonnance faisant injonction à un tiers de produire une pièce est exécutoire à titre provisoire.
15. Par suite, quand bien même l'acte de signification de cette ordonnance aurait été affecté d'erreurs portant sur l'indication de la voie de recours ouverte, comme l'alléguait l'assureur dans ses conclusions d'appel, cette circonstance ne serait pas de nature à empêcher l'astreinte de courir.
16. Par ce motif de pur droit, substitué d'office à ceux justement critiqués par le moyen, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, l'arrêt liquidant l'astreinte se trouve légalement justifié de ce chef.
Mais sur le second moyen, pris en sa sixième branche
Enoncé du moyen
17. L'assureur fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'en toute hypothèse, la société Axa France IARD faisait valoir dans ses conclusions d'appel que la liquidation de l'astreinte et sa condamnation subséquente étaient manifestement disproportionnées au regard du bénéfice prétendu ; qu'en statuant comme elle l'a fait sans répondre aux conclusions de la compagnie Axa sur ce point, la cour d'appel méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 131-4 du code des procédures civiles d'exécution, tel qu'interprété à la lumière de l'article 1er du Protocole n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et l'article 455 du code de procédure civile :
18. Aux termes du premier de ces textes, le montant de l'astreinte provisoire est liquidé en tenant compte du comportement de celui à qui l'injonction a été adressée et des difficultés qu'il a rencontrées pour l'exécuter. Elle est supprimée en tout ou partie s'il est établi que l'inexécution ou le retard dans l'exécution de l'injonction du juge provient, en tout ou partie, d'une cause étrangère.
19. Selon le second, tout jugement doit être motivé. Le défaut de réponse aux conclusions constitue un défaut de motifs.
20. Suivant une jurisprudence constante, le juge saisi d'une demande de liquidation ne peut se déterminer qu'au regard des seuls critères prévus à l'article L. 131-4 du code des procédures civiles d'éxecution. Dès lors, il ne peut limiter le montant de l'astreinte liquidée au motif que le montant sollicité par le créancier de l'astreinte serait excessif (2e Civ., 25 juin 2015, pourvoi n° 14-20.073) ou qu'il serait trop élevé au regard des circonstances de la cause (2e Civ., 7 juin 2012, pourvoi n° 10-24.967) ou de la nature du litige (2e Civ., 30 janvier 2014, pourvoi n° 13-10.255). L'arrêt d'une cour d'appel qui se référait au caractère « manifestement disproportionné » du montant a ainsi été cassé (2e Civ., 26 septembre 2013, pourvoi n° 12-23.900), de même que celui ayant réduit le montant de l'astreinte liquidée en se fondant sur « l'application du principe de proportionnalité » (2e Civ., 19 mars 2015, pourvoi n° 14-14.941). Dans aucune de ces affaires n'était invoquée l'application de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de son Protocole n° 1.
21. Cependant, selon ce dernier texte invoqué par le moyen, « toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »
22. L'astreinte, en ce qu'elle impose, au stade de sa liquidation, une condamnation pécuniaire au débiteur de l'obligation, est de nature à porter atteinte à un intérêt substantiel de celui-ci. Elle entre ainsi dans le champ d'application de la protection des biens garantie par ce Protocole.
23. Il en résulte que le juge qui statue sur la liquidation d'une astreinte provisoire doit apprécier le caractère proportionné de l'atteinte qu'elle porte au droit de propriété du débiteur au regard du but légitime qu'elle poursuit.
24. Dès lors, si l'astreinte ne constitue pas, en elle-même, une mesure contraire aux exigences du Protocole en ce que, prévue par la loi, elle tend, dans l'objectif d'une bonne administration de la justice, à assurer l'exécution effective des décisions de justice dans un délai raisonnable, tout en imposant au juge appelé à liquider l'astreinte, en cas d'inexécution totale ou partielle de l'obligation, de tenir compte des difficultés rencontrées par le débiteur pour l'exécuter et de sa volonté de se conformer à l'injonction, il n'en appartient pas moins au juge saisi d'apprécier encore , de manière concrète, s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre le montant auquel il liquide l'astreinte et l'enjeu du litige.
25. Pour liquider l'astreinte à un montant de 516 000 euros, l'arrêt énonce que l'assureur ne démontre pas en quoi il a rencontré la moindre difficulté, à tout le moins pour adresser au juge de la mise en état une réponse à la demande qui lui était faite, et qu'il ne se prévaut pas de l'existence d'une cause étrangère qui l'aurait empêché d'exécuter l'obligation dans le délai fixé.
26. En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de l'assureur qui invoquait une disproportion manifeste entre la liquidation sollicitée et le bénéfice attendu d'une communication des éléments sollicités, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il liquide à la somme de 516 000 euros l'astreinte fixée par ordonnance du juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Clermont-Ferrand du 7 avril 2015 pour la période ayant couru du 25 septembre 2015 au 21 février 2017 et en ce qu'il condamne en tant que de besoin la société Axa France IARD à payer cette somme à M. [B] et Mme [C], l'arrêt rendu le 24 septembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Riom ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.