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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 8, 21 mars 2024, n° 22/09710

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Hébert-Pageot

Conseillers :

Mme Dubois-Stevant, Mme Lacheze

Avocats :

Me Boccon Gibod, Me Dalat, Me Dupuy

T. com. Evry, du 8 avr. 2022, n° 2021L02…

8 avril 2022

FAITS ET PROCÉDURE :

La SARLU Inovmateriaux a, le 28 février 2016, commencé une activité de négoce de matériel électrique, de sols, de peinture et de matériaux de construction pour le second 'uvre.

Elle a été immatriculée sous forme de SAS le 16 mars 2016, son capital étant détenu à hauteur de 97,5 % (1.950 actions) par la société de droit hongrois Inov Project, dirigée par M. [A], et de 2,5 % (50 actions) par M. [J], son dirigeant.

Le 27 janvier 2017, à la faveur d'une augmentation de capital, Mme [U] épouse [A] est devenue actionnaire à hauteur de 2.000 actions et, le 3 février suivant,

M. [J] lui a cédé ses 50 actions et a démissionné de son mandat social,

Mme [U] étant nommée présidente.

Selon le liquidateur, rapportant les dires de Mme [U], la société Inov Projet lui aurait cédé l'intégralité de ses actions en juillet 2018.

Le 15 février 2019, l'administration fiscale a notifié à la société Inovmatériaux une proposition de rectification fiscale à l'issue d'une vérification de la comptabilité pour les périodes du 28 février 2016 au 31 décembre 2017 qui s'était déroulée du 19 septembre au 4 décembre 2018.

Sur déclaration de cessation des paiements du 28 mars 2019 et par jugement du 1er avril suivant, le tribunal de commerce d'Evry a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société Inovmateriaux et désigné Me [C] [E] en qualité de liquidateur judiciaire. Par jugement du 2 octobre 2020, après que le cabinet Cogeed, désigné par le juge[1]commissaire, a déposé son rapport, le tribunal a reporté la date de cessation des paiements au 1er octobre 2017, soit dix-huit mois avant le jugement d'ouverture.

Sur assignation de Mme [U] par Me [E] ès qualités le 16 mars 2020, et par jugement du 8 avril 2022, le tribunal de commerce d'Evry a condamné Mme [U] à payer à Me [E] ès qualités la somme de 5.038,38 euros au titre de sa contribution à l'insuffisance d'actif de la société Inovmateriaux, a prononcé à son encontre une mesure d'interdiction de gérer pour une durée de cinq ans et a débouté les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le tribunal a apprécié trois fautes de gestion tenant à l'émission de chèques sans ordre pour payer des sous-traitants, l'encaissement de certains chèques par Mme [U] et l'encaissement de certains chèques par des tiers et deux griefs tenant à l'absence de déclaration de l'état de cessation des paiements dans le délai légal et à des détournements d'actifs.

Au titre de la responsabilité pour insuffisance d'actif, il a retenu le seul encaissement de certains chèques par Mme [U] et, au titre des sanctions personnelles, il a retenu les deux griefs.

Par déclaration du 17 mai 2022, Me [E] ès qualités a fait appel du jugement en ce qu'il a condamné Mme [U] à lui payer la somme de 5.038,38 euros au titre de sa contribution à l'insuffisance d'actif de la société Inovmateriaux et a débouté les parties de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Entre-temps, sur assignation de Mme [U] et de M. [A] par Me [E] ès qualités en répétition de l'indu et par jugement du 2 février 2023, le tribunal de commerce d'Evry a débouté Me [E] ès qualités de sa demande de remboursement de la somme de 5.038,38 euros et condamné M. [A] à payer à Me [E] ès qualités la somme principale de 80.662,05 euros au titre de chèques indument encaissés.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 2 octobre 2023, Me [E] ès qualités demande à la cour d'infirmer le jugement en ce qu'il a condamné Mme [U] à lui payer la somme de 5.038,38 euros au titre de sa contribution à l'insuffisance d'actif et débouté les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile, statuant à nouveau de condamner Mme [U] à lui payer la somme de 406.756,22 euros avec intérêts au taux légal de droit conformément à l'article 1153-1 du code civil, de dire que les intérêts se capitaliseront, pour ceux échus depuis une année entière au moins, en application de l'article 1154 du code civil, et de condamner Mme [U] à lui payer la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 18 septembre 2023, Mme [U] demande à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions et de débouter Me [E] de l'intégralité de ses demandes, à titre subsidiaire, si " le tribunal " faisait application des dispositions de l'article L. 651-2 du code de commerce, de ramener la demande de Me [E] ès-qualités à de plus justes proportions eu égard à sa situation financière.

Par avis communiqué par RPVA le 24 janvier 2023, le ministère public invite la cour à confirmer le jugement en ce qu'il a prononcé une interdiction de gérer pour une durée de 5 ans à l'égard de Mme [U] et à le réformer en condamnant cette dernière au paiement de la somme de 100.000 euros à Me [E] ès qualités au titre de contribution à l'insuffisance d'actif.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 3 octobre 2023.

SUR CE,

La Cour est saisie des seuls chefs du jugement ayant condamné Mme [U] à contribuer à l'insuffisance d'actif et débouté les parties de leur demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile. Elle n'est pas saisie des dispositions ayant prononcé une mesure d'interdiction de gérer d'une durée de cinq ans et statué sur les dépens, aucune des parties n'ayant fait appel de ces chefs.

Mme [U] est poursuivie en qualité de dirigeante de droit, son mandat social ayant débuté le 3 février 2017. La société Inovmatériaux avait développé une activité de vente de matériels, provenant notamment d'un fournisseur hongrois, en boutique à [Localité 8] et une activité de travaux de second 'uvre dont la plupart était sous-traitée aux sociétés Inovproject et Skit Europe.

Sur l'insuffisance d'actif :

Le liquidateur se prévaut d'une insuffisance d'actif de 406.756,22 euros compte tenu d'un passif admis de 448.977,93 euros et d'un actif réalisé de 42.221,71 euros.

Mme [U] ne conteste pas le montant de l'insuffisance d'actif tout en invoquant, au soutien d'une condamnation financière ramenée à de plus justes proportions par rapport à la demande de Me [E] ès qualités, le jugement du 2 février 2023 ayant condamné son époux à restituer la somme principale de 80.662,05 euros au titre de chèques qu'il a encaissés.

Me [E] ès qualités étant susceptible de recouvrer cette somme de 80.662,05 euros, la cour retiendra une insuffisance d'actif certaine prenant en compte cette possibilité en ramenant son montant à 326.094,17 euros (406.756,22 euros - 80.662,05 euros).

Sur la faute constituée d'un retard dans la déclaration de cessation des paiements :

Me [E] ès qualités reproche à Mme [U] d'avoir volontairement tardé à déclarer la cessation des paiements alors qu'elle ne pouvait ignorer cet état et soutient que cette faute de gestion a contribué à aggraver le passif à concurrence de 312.602,43 euros sous la gestion de Mme [U]. Il fait valoir qu'un rapport d'expertise a conclu à un état de cessation des paiements avéré depuis mai 2016, que si des dettes étaient antérieures à sa prise de fonction, Mme [U] avait bien connaissance de la situation financière, qu'elle n'a pas mis en 'uvre les mesures nécessaires pour restructurer la société mais a régularisé une déclaration de cessation des paiements très tardivement, le 28 mars 2019.

Mme [U] soutient que ne peut lui être reproché aucun fait antérieur à sa gestion, qu'elle a succédé à M. [J] alors que la comptabilité était quasi inexistante et qu'elle avait émis des réserves sur la gestion de son prédécesseur dès une assemblée générale du 18 août 2017, qu'elle a apporté à la gestion des affaires sociales toute l'activité et les diligences nécessaires, qu'aucun élément ne vient démontrer qu'elle a sciemment retardé la déclaration de cessation des paiements dans un intérêt personnel. Elle explique qu'une défaillance d'un débiteur a conduit à des difficultés de trésorerie et à un impayé de cotisations Urssaf mais que celles dues en 2017 ont été soldées en mai 2018, qu'elle a obtenu un échéancier de la dette Urssaf objet d'une inscription de privilège et qu'au 1er février 2019 il restait une dette au titre des 3ème et 4ème trimestres 2018 couverte également par un échéancier, que le règlement de la TVA et une dette auprès de la caisse de retraite n'ont pas permis d'assurer d'autres paiements de sorte qu'elle a saisi, le 5 mars 2019, la cellule de prévention du tribunal puis déposé une déclaration de cessation des paiements. Mme [U] soutient en outre qu'il n'est pas démontré en quoi cela a contribué à augmenter significativement le passif de la société.

Le tribunal a, par un jugement de report du 2 octobre 2020, fixé de manière définitive et irrévocable, la date de cessation des paiements de la société Inovmatériaux au 1er octobre 2017. Cette date s'impose au juge de la sanction. S'agissant par ailleurs d'apprécier l'existence d'une faute de gestion imputable au dirigeant et non d'un grief sanctionné par une interdiction de gérer, il n'est pas nécessaire d'établir que le dirigeant a omis sciemment de déclarer la cessation des paiements dans le délai légal. La démonstration d'un intérêt personnel dans la commission d'une faute de gestion n'est pas non plus nécessaire.

Constitue une faute de gestion imputable au dirigeant de droit le fait de ne pas avoir déclaré la cessation des paiements dans le délai légal et ce, quand bien même les dettes participant de cet état sont nées avant le début de son mandat social. Mme [U], dont le mandat social a commencé le 3 février 2017, ne peut dès lors invoquer des dettes antérieures à cette date ou une comptabilité incomplète au jour de sa prise de fonction pour s'exonérer de sa responsabilité à raison du défaut de déclaration de cessation des paiements dans la période courant du 1er octobre 2017 au 16 novembre 2017, date d'expiration du délai légal pour déclarer la cessation des paiements.

Alors qu'elle aurait dû déclarer la cessation des paiements au plus tard le 16 novembre 2017, Mme [U] ne l'a fait que le 28 mars 2019.

Les bilans aux 31 décembre 2016, 2017 et 2018 font apparaître des disponibilités nulles en 2016 et 2017 et de 164 euros au 31 décembre 2018 et le technicien ayant analysé la comptabilité relève que les actifs de la société étaient financés à court terme par des découverts bancaires, que la société n'avait pas de trésorerie disponible lui permettant de faire face à ses dettes courantes, que les dettes fournisseurs étaient particulièrement importantes (supérieures à 300.000 euros aux 31 décembre 2017 et 2018). Les travaux de ce même technicien montrent que l'insuffisance d'actif disponible, comprenant l'autorisation de découvert, pour couvrir le passif exigible apparaît en mai 2016 (51.597 euros), qu'elle n'a cessé de se creuser jusqu'en février 2017 (103.459 euros) et que, sous la direction de Mme [U], elle s'est stabilisée pour ensuite se creuser de nouveau. Cette insuffisance était ainsi de 155.509 euros en novembre 2017, mois au cours duquel la cessation des paiements aurait dû être déclarée au plus tard, de 203.946 euros en juillet 2018, de 268.510 euros en décembre 2018. A supposer que la dette de l'Urssaf ait fait l'objet d'un échéancier de paiement, ce qui n'est établi par aucune des pièces versées aux débats, le passif exigible hors cette dette était en toute hypothèse supérieur à l'actif disponible sur toute la période considérée.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que Mme [U] a laissé l'état de cessation des paiements de la société Inovmatériaux perdurer sous sa gestion, que la situation financière s'est dégradée pendant cette période sans qu'il ne soit fait état de mise en 'uvre de mesures propres à freiner cette dégradation et à redresser l'entreprise. La faute de gestion est ainsi caractérisée.

Selon les déclarations de créance produites aux débats, le passif exigible s'est accru, entre le 16 novembre 2017 et le 28 mars 2019, de cotisations de l'Urssaf impayées de juillet 2018 à février 2019 (35.559,96 euros), de cotisations de Humanis impayées au titre du solde 2017, du 4ème trimestre 2018 (3.340,24 euros), de factures fournisseurs de janvier 2019 (1.422 euros), de la TVA impayée en juillet et décembre 2018 (27.076 euros), de la CFE impayée au titre de 2018 (2.569 euros), soit un montant total de 69.967,20 euros. Au vu de ces seules créances, la faute imputée à Mme [U] a contribué à l'insuffisance d'actif, ce nouveau passif n'ayant pas été compensé à due concurrence par une augmentation de l'actif social, étant par ailleurs observé que la liste des créances déclarées mentionne également des créances échues au jour du jugement d'ouverture, représentant un montant total de 36.709,52 euros, nées de contrats conclus en période suspecte avec la société Grenke location les 22 novembre 2017, et 9 mai et 16 octobre 2018 et avec la société Leasecom le 1er décembre 2018.

Sur la faute constituée du défaut de paiement des créances sociales et fiscales :

Me [E] ès qualités reproche à Mme [U] un passif social et fiscal de 238.322,96 euros afférant aux années 2016, 2017, 2018 et 2019.

Mme [U] ne formule pas d'observations sur cette faute.

Les déclarations de créance montrent que la société Inovmatériaux a laissé impayées un solde de cotisations de Humanis remontant à 2016 et 2017 et des cotisations dues au titre de 2018, des cotisations de l'Urssaf chaque mois de juillet 2018 à février 2019, la CFE 2017 et 2018, l'impôt sur les sociétés dû en 2016, de la TVA afférente à en juillet et décembre 2018.

Les explications de Mme [U] quant à un impayé important de 25.000 euros à l'été 2017 ayant contribué à ne plus pouvoir assumer le paiement des charges sociales courantes sont de nature à expliquer la défaillance de la société Inovmatériaux vis-à-vis de l'Urssaf à compter de juillet 2018.

Le contrôle fiscal a été opéré sur une période, du 28 février 2016 au 31 décembre 2017, couvrant partiellement la gestion de Mme [U], a essentiellement relevé une mauvaise application du régime de la TVA, en particulier s'agissant des opérations intracommunautaires, et des paiements par la société Inovmatériaux sur la base de factures de complaisance, ces derniers faits étant invoqués pour caractériser par ailleurs un détournement d'actif.

Le seul constat des impayés de cotisations, d'impôts et de taxes, irréguliers à l'exception des cotisations de l'Urssaf en 2018, n'est pas suffisant en l'espèce pour établir une faute de gestion dès lors qu'il ne ressort pas des pièces aux débats que les défauts de paiement ont revêtu un caractère itératif et permanent tel qu'ils ont procédé d'une volonté d'éluder l'impôt et les charges sociales.

Cette faute ne sera pas retenue.

Sur la faute constituée d'un détournement d'actifs :

Me [E] ès qualités reproche à Mme [U] un détournement d'actifs constitué de règlements enregistrés en comptabilité au bénéfice des sociétés Skit Europe et Inovproject qui ont en réalité bénéficié à Mme [U] (6.437 euros), à son époux, M. [A], (78.662,05 euros) et à des tiers (83.346 euros). Il explique que l'administration fiscale a constaté ces opérations, qu'elle a qualifié les factures les justifiant de factures de complaisance, que Mme [U] a irrégulièrement émis des chèques sans ordre encaissés par des personnes physiques, que de surcroît la société Inovmatériaux a déduit la TVA figurant sur les factures litigieuses. Me [E] ès qualités fait observer que l'administration fiscale a notifié pour ces faits un redressement fiscal de 132.869 euros dont des pénalités pour manquement délibéré à concurrence de 100.863 euros.

Mme [U] soutient que les règlements à la société Skit Europe constituent des paiements de travaux réalisés par ce sous-traitant, l'ordre des chèques étant libellé par le gérant de la société Skit Europe, qu'il n'est pas démontré qu'elle en a tiré un intérêt personnel, qu'un seul règlement est libellé au nom de M. [A] mais par erreur, que les travaux facturés par la société Inovproject sont également incontestables, que M. [A] a bien reçu des paiements mais en remboursement des achats de matériaux qu'il avait lui-même effectués pour le compte de la société Inovproject et en paiement de sa rémunération, que ces pratiques relèvent de la gestion de son prédécesseur dont elle ne peut être tenue pour responsable.

La présidence de Mme [U] ayant commencé le 3 février 2017, les paiements irréguliers constatés par l'administration fiscale au titre des factures émises par les sociétés Skit Europe et Inov project en 2016 et jusqu'au 3 février 2017 ne sont pas imputables à Mme [U].

S'agissant de la société Skit Europe, les paiements irréguliers ont été d'un montant total de 31.297,28 euros en 2016 et de 10.750 euros en 2017. Une somme de 77.910 euros a en revanche été décaissée au profit de tiers, identifiés ou non, pendant la gestion de

Mme [U]. Aucun de ces paiements ne lui a bénéficié. Un paiement de 2.000 euros a bénéficié à son époux et la plupart des autres paiements ont été encaissés par M. [N] [V], alors gérant de la société Skit Europe puis salarié de la société Inovmatériaux mais ultérieurement, à compter de mars 2018.

S'agissant de la société Inov project, dont M. [A] était le gérant, les paiements irréguliers intervenus avant la gestion de

Mme [U] ont été d'un montant total de 46.222,05 euros en 2016 et de 6.560 euros en 2017. Une somme de 43.338,18 euros a en revanche été décaissée au profit de tiers pendant la gestion de Mme [U] qui a bénéficié directement d'une somme totale de 5.387 euros. Son époux a bénéficié d'une somme totale de 26.598 euros. Les bénéficiaires des autres paiements n'ont pas été identifiés.

Au total, Mme [U] est responsable de paiements irréguliers, car encaissés par des personnes non émettrices des factures correspondantes et pour certains au moyen de chèques sans ordre, pour une somme totale de 121.248,18 euros entre le 3 février et le 31 décembre 2017.

Pour expliquer ces paiements, Mme [U] fait état devant la cour d'achats de matériaux par son époux pour le compte de la société Inovmatériaux mais relativement à des travaux conduits en 2016 sous la gestion de son prédécesseur.

Pendant le contrôle fiscal, la société Inovmatériaux n'a pas été en mesure de produire des devis pour les travaux réalisés en sous-traitance par la société Skit Europe. Devant la cour, Mme [U] procède par voie d'affirmation sans produire de pièces justifiant des paiements à des personnes physiques en lieu et place des société supposées sous-traitantes de la société Inovmatériaux.

La cour retient de l'ensemble de ces éléments que le détournement d'actifs de la société Inovmatériaux imputable à Mme [U] est établi à hauteur de 33.985 euros, ces détournements ayant profité aux époux [U] et [A]. En revanche, la cour ignorant le sort des paiements encaissés par M. [N] [V] en lieu et place de la société Skit Europe dont il était le gérant et cette société n'ayant pas déclaré de créance au passif de la société Inovmatériaux, ces paiements intervenus ne sont pas retenus comme caractérisant un détournement des actifs de la société Inovmatériaux et ce, malgré leur irrégularité.

Les paiements retenus au titre de cette faute de gestion ont contribué à l'insuffisance d'actif dès lors qu'ils ont privé sans justification la société Inovmatériaux de liquidités à hauteur de 33.985 euros, alors que le passif social n'était pas réduit dans le même temps, et qu'en outre l'administration fiscale ayant appliqué une amende de 50 % des montants ainsi décaissés, le passif s'est accru de 16.992,50 euros en raison de cette faute de gestion.

La faute de gestion invoquée par le liquidateur judiciaire à l'égard de Mme [U] doit donc être retenue.

Sur la contribution financière de Mme [U] :

Me [E] ès qualités demande la condamnation de Mme [U] au paiement de la somme de 406.756,22 euros correspondant à la totalité de l'insuffisance d'actif.

Mme [U] sollicite de la cour de ramener cette demande à de plus justes proportions compte tenu de sa situation. Elle se prévaut des apports qu'elle a faits début 2019 pour soutenir la trésorerie de la société Inovmatériaux et fait observer qu'elle a deux enfants majeurs mais à charge, qu'elle est aujourd'hui salariée, que le crédit immobilier n'est plus réglé, que le bien constituant le domicile conjugal, hypothéqué, fait l'objet d'un mandat de vente, qu'elle-même et son époux ont fait l'objet d'un redressement fiscal, qu'elle est en état de surendettement et que sa situation financière est ainsi très compromise du fait de la liquidation de la société Inovmatériaux.

La cour a retenu comme fautes de gestion le retard pris dans la déclaration de cessation des paiements et un détournement d'actifs ayant contribué à l'insuffisance d'actif à hauteur respectivement d'au moins 69.967,20 euros et de 50.977,50 euros.

Le technicien désigné par le juge-commissaire a relevé que Mme [U] avait apporté en compte courant les sommes de 15.000 euros et de 5.000 euros respectivement les 30 janvier et 8 février 2019 et qu'elle n'avait pas déclaré sa créance.

Mme [U], aujourd'hui domiciliée en Suisse, est salariée en qualité d'assistante de direction depuis le 1er juin 2023 et son salaire brut est de 4.915,20 francs suisses. Elle justifie que ses enfants poursuivent des études. Elle est en situation de surendettement, un plan étant appliqué depuis le 31 août 2022 pour apurer des dettes d'un montant total de 524.800 euros, comprenant une dette fiscale supérieure à 48.000 euros, un prêt immobilier de 324.000 euros, un cautionnement de la société Inovmatériaux mis en 'uvre pour 19.675 euros, la commission de surendettement ayant retenu une mensualité de remboursement 901,35 euros. Ce plan est considéré comme un plan d'attente de deux ans en vue de la vente du bien immobilier au prix du marché. Un mandat de vente au prix de 425.000 euros du 25 avril 2023 est versé aux débats.

Les fautes de gestion commises par Mme [U] sont particulièrement graves puisque, d'une part, le retard pris dans la déclaration de cessation des paiements est très important, la société Inovmatériaux ayant été dans cet état dès le début du mandat social de Mme [U] et n'ayant jamais surmonté cet état et que, d'autre part,

Mme [U] a détourné l'actif social malgré une telle situation financière.

La gravité de ces fautes et leur incidence sur l'insuffisance d'actif justifient que

Mme [U] soit condamnée à contribuer à l'insuffisance d'actif davantage que ne l'a jugé le tribunal.

Il doit néanmoins être tenu compte des apports de fonds que Mme [U] a faits alors que la société Inovmatériaux était en cessation des paiements, début 2019, du cautionnement qu'elle a consenti, de la condamnation de son époux en paiement de la somme de 80.662,05 euros en restitution des chèques considérés comme indument encaissés, de sa situation de surendettement, dont l'issue est dépendante de la vente d'un bien immobilier.

La cour fixera ainsi à 40.000 euros la contribution de Mme [U] à l'insuffisance d'actif, déboutera Me [E] ès qualités de sa demande formée au titre des frais irrépétibles, le jugement étant confirmé sur ce point.

PAR CES MOTIFS,

La Cour, statuant dans les limites de l'appel principal,

Infirme le jugement en ce qu'il a condamné Mme [G] [U] épouse [K] à payer à Me [E] ès qualité la somme de 5.038,38 euros au titre de sa contribution à l'insuffisance d'actif de la société Inovmateriaux ;

Confirme le jugement en ce qu'il a débouté Me [E] ès qualité de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau du chef infirmé,

Condamne Mme [G] [U] épouse [K] à payer à Me [E] ès qualité la somme de 40.000 euros au titre de sa contribution à l'insuffisance d'actif de la société Inovmateriaux ;

Y ajoutant,

Déboute Me [E] ès qualité de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel ;

Condamne Mme [G] [U] épouse [K] aux dépens d'appel.