CA Lyon, 3e ch. a, 23 mars 2024, n° 23/08702
LYON
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Fitnessea Developpement (SAS), AJ UP (Selarl)
Défendeur :
La Procureure Générale
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Gonzalez
Conseillers :
Mme Jullien, Mme Le Gall
Avoués :
Me Laffly, Me De Belval
EXPOSÉ DU LITIGE
La SAS Fitnessea développement est une filiale de la SAS Fitnessea Group et fait partie du groupe L'Appart fitness.
Le 28 octobre 2020, le président du tribunal de commerce de Lyon a désigné la Selarl BCM, représentée par M. [A], en qualité de mandataire ad hoc des sociétés du groupe. Le 17 décembre 2020, M. [A] a été désigné conciliateur de la société Fitnessea group, puis le 4 mai 2021, des autres sociétés du groupe.
Le 27 septembre 2021, les sociétés du groupe ont signé un protocole de conciliation avec les actionnaires, les obligataires, les prêteurs seniors, les banques moyens termes, les crédits bailleurs et les loueurs financiers, sous l'égide du conciliateur.
Le 25 mai 2022, le président du tribunal de commerce de Lyon a désigné la Selarl BCM en qualité de mandataire ad hoc des sociétés du groupe. Le 17 août 2022, il a prorogé la mission de celui-ci jusqu'au 24 novembre 2022.
Le 25 novembre 2022, le tribunal de commerce de Lyon a ouvert une procédure de sauvegarde au bénéfice de la société Fitnessea group et de chacune de ses onze filiales, dont la société Fitnessea développement. La Selarl AJ Up a été désignée en qualité d'administrateur judiciaire et la Selarlu [D] en qualité de mandataire judiciaire.
La Selarl AJ Up a souhaité privilégier l'adoption d'un plan par classes de parties affectées pour la société Fitnessea Group.
Concernant les filiales, onze plans de sauvegarde prévoyant un règlement progressif de l'intégralité du passif hors groupe sur neuf ans ont été préparés.
Le 4 novembre 2023, le délai de réponse accordé aux créanciers concernant le projet de plan a expiré. La Selarlu [D], en qualité de mandataire judiciaire, a recensé 0,84 % de refus. Elle a donné un avis favorable à l'adoption du plan de sauvegarde.
Dans son rapport écrit, le juge-commissaire indiquait que les plans proposés sont liés à l'adoption du plan principal de la société Fitnessea Group et donnait un avis favorable à l'adoption de ces plans si le plan principal de la société mère était lui-même adopté.
Le ministère public était défavorable à l'adoption du plan de sauvegarde de la société Fitnessea Group.
Le 10 novembre 2023, le tribunal de commerce de Lyon a rejeté le plan de sauvegarde de la société Fitnessea Group.
Par jugement contradictoire du 10 novembre 2023, le tribunal de commerce de Lyon a rejeté le plan de sauvegarde de la société Fitnessea développement et dit que les dépens seront passés en frais privilégiés de la procédure de sauvegarde.
La société Fitnessea développement et la Selarl AJ UP, ès-qualités, ont interjeté appel par déclaration du 20 novembre 2023.
Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 3 janvier 2024, la société Fitnessea développement et la Selarl AJ UP ès-qualités demandent à la cour au visa des dispositions du livre V du code de commerce, de :
- réformer le jugement du tribunal de commerce de Lyon du 10 novembre 2023 en ce qu'il a :
o rejeté le plan de sauvegarde de la société Fitnessea développement,
o dit que les dépens seront passés en frais privilégiés de la procédure de sauvegarde, et statuant à nouveau,
- arrêter le plan de sauvegarde de la société Fitnessea développement selon les modalités suivantes :
o le règlement immédiat des frais de justice et des créances inférieures à 500 euros,
o le règlement des créances au titre des contrats en cours poursuivis conformément aux termes contractuels,
o le règlement à 100%, sans intérêts, sur neuf ans des autres créances selon échéances annuelles,
- désigner M. [H] [E] comme la personne tenue d'exécuter le plan,
- fixer la durée du plan jusqu'à l'année 2032, soit au paiement du dernier dividende promis,
- ordonner le paiement immédiat des créances égales ou inférieures à 500 euros,
- dire que les paiements prévus par le plan sont portables et que les dividendes seront payés entre les mains du commissaire à l'exécution du plan qui procédera à leur répartition par l'utilisation exclusive de son compte à la Caisse des Dépôts et Consignations,
- dire que les sommes à répartir correspondant aux créances litigieuses ne seront versées qu'à compter de l'admission définitive de ces créances au passif,
- nommer la Selarl AJ UP représentée par Maître [X] [Z] en qualité commissaire chargé de veiller à la bonne exécution du plan,
- dire que la mission des commissaires à l'exécution du plan ne prend fin qu'au paiement de la dernière échéance prévue par le plan si celle-ci est postérieure à l'échéance stipulée par les parties avant l'ouverture de la procédure,
- dire que, pour chaque échéance, le débiteur établira un tableau mentionnant les noms et adresses des créanciers, le montant et la référence du chèque de règlement du dividende (ou de son virement, le cas échéant),
- dire que l'ensemble, tableau et chèque, sera transmis aux commissaires à l'exécution du plan, lesquels, après contrôle, transmettront les chèques à chaque créancier,
- dire que le commissaire à l'exécution du plan devra établir un rapport annuel sur le paiement des échéances,
- dire qu'à défaut de règlement de tout ou partie des échéances fixées par le présent arrêt, le commissaire à l'exécution du plan saisira le tribunal,
- maintenir la Selarl AJ UP représentée par M. [X] [Z] en qualité d'administrateur judiciaire jusqu'au règlement des frais de procédure,
- maintenir la Selarlu [D] représentée par M. [J] [D] en qualité de mandataire judiciaire pendant le temps nécessaire à la vérification des créances,
- dire que les dépens seront passés en frais privilégiés de la procédure de sauvegarde, très subsidiairement,
- convertir la procédure de sauvegarde de la société L'appart location en redressement judiciaire,
- prolonger de six mois la période d'observation à compter de la décision à intervenir.
Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 26 janvier 2024, la Selarlu [D] demande à la cour, au visa des articles L. 626-29 et suivants du code de commerce, de :
- considérer le vote favorable de la majorité des créanciers « dans la monnaie »,
- prendre acte de l'avis favorable du mandataire judiciaire au projet de plan de sauvegarde en l'absence de solution alternative,
- dire que le débiteur devra justifier d'une situation actualisée pour confirmer son redressement,
- réformer le jugement dont appel,
- adopter le plan de sauvegarde présenté, subsidiairement,
- renvoyer devant le tribunal de commerce pour poursuite de la période d'observation de sauvegarde,
- condamner en tant que de besoin l'appelante aux dépens, qui seront tirés en frais privilégiés de la procédure et à tout le moins mise à la charge de l'appelante.
Le ministère public, par conclusions du 27 février 2024 communiquées aux parties par voie dématérialisée le 28 février 2024, requiert l'infirmation du jugement entrepris et l'adoption du plan de sauvegarde dans les termes proposés par l'administrateur et le mandataire judiciaire.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 20 février 2024, les débats étant fixés au 7 mars 2024.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur l'adoption du plan de sauvegarde
La société Fitnessea développement et la Selarl AJ UP ès qualités font valoir que :
- les prévisions établies sont compatibles avec l'adoption d'un plan de continuation permettant le désendettement progressif de la société,
- l'expert M. [O] a confirmé que les conditions d'adoption du plan de sauvegarde avec classes de parties affectées de la société holding Fitnessea Group sont bien réunies, s'agissant de la meilleure alternative pour la collectivité des créanciers
; il s'est fait assister de l'experte Mme [U] qui a procédé à une valorisation de tous les droits au bail et de tous les fonds de commerce du groupe,
- le projet de plan de sauvegarde la concluante conduit à maintenir l'activité de l'entreprise, ce que confirment le cabinet Eight Advisory et M. [O],
- le projet ne prévoit aucun licenciement,
- le projet prévoit le remboursement de l'intégralité du passif de la société,
- le projet paraît réalisable au vu des résultats de la période d'observation,
- M. [O] estime que les prévisionnels établis sont sérieux,
- le plan est soutenu par la forte volonté du dirigeant,
- les créanciers soutiennent le plan ; le taux de refus est extrêmement faible.
La Selarlu [D] fait valoir que :
- en montant de créance, il a été voté favorablement au projet de plan à 67%,
- le tribunal a relevé que les créanciers dans la monnaie avaient exprimé un vote favorable,
- les éléments comptables et financiers prévisionnels tendent à démontrer que les objectifs du plan peuvent être tenus,
- le temps écoulé depuis la décision du tribunal permettra l'établissement d'une situation actualisée laquelle sera intéressante pour apprécier la tendance du redressement ; à ce stade, elle ne peut que confirmer son avis favorable en faveur d'un plan de sauvegarde tel que présenté,
- vu l'état du passif, il n'est pas démontré que les créanciers seraient mieux traités dans une optique différente de celle proposée, puisqu'il n'y a pas de solution alternative,
- la mise en redressement judiciaire aurait un effet négatif sur l'exploitation en donnant des signaux négatifs aux adhérents, nuisant au chiffre d'affaires.
Le ministère public fait valoir que :
- la valorisation des pas de porte réalisée par l'experte Mme [U]-[V] répond à la lacune relevée dans le jugement et démontre une faible valeur liquidative au regard des sommes proposées en plan de continuation,
- l'Etat apparaît avantagé dans le plan de sauvegarde mais devra indemniser les prêts garantis par ses soins pour les créanciers ; il ne percevra in fine que 9% de remboursement de ses créances, soit moins que les banques et fournisseurs,
- les fournisseurs, partenaires bancaires et le CSE de la société ont voté favorablement à l'adoption du plan, la trésorerie a été renforcée depuis le jugement, et les comptes prévisionnels fournis sont documentés et pertinents ; la question de la pérennité apparaît donc résolue,
- le plan répond aux objectifs de poursuite de l'activité, maintien de l'emploi et apurement du passif ; il n'y a pas d'atteinte excessive aux droits des créanciers ; le plan offre une perspective raisonnable d'éviter la cessation des paiements du débiteur ou de garantir la viabilité de l'entreprise ; ainsi, le critère du meilleur intérêt et celui de la priorité absolue sont respectés.
Sur ce,
L'article L.620-1 du code de commerce dispose que :
'Il est institué une procédure de sauvegarde ouverte sur demande d'un débiteur mentionné à l'article L. 620-2 qui, sans être en cessation des paiements, justifie de difficultés qu'il n'est pas en mesure de surmonter. Cette procédure est destinée à faciliter la réorganisation de l'entreprise afin de permettre la poursuite de l'activité économique, le maintien de l'emploi et l'apurement du passif.
La procédure de sauvegarde donne lieu à un plan arrêté par jugement à l'issue d'une période d'observation et, le cas échéant, à la constitution de classes de parties affectées, conformément aux dispositions des articles L. 626-29 et L. 626-30.'
Le plan de sauvegarde de la société Fitnessea développement s'inscrit dans la restructuration de la société Fitnessea
Group, holding opérationnelle du groupe. Le plan de sauvegarde de cette dernière étant adopté par arrêt du même jour, il importe que celui des filiales le soit également.
En effet, le plan de sauvegarde de la filiale prévoit le maintien de l'activité, un règlement progressif sur neuf ans de l'intégralité du passif hors groupe, et une absence de licenciements.
Il convient également de souligner le très faible taux de refus des créanciers, de 0,84 % selon les indications du mandataire judiciaire.
De surcroît, il sera observé que l'ensemble des parties ainsi que le ministère public conviennent toutes de la nécessité d'adopter le plan de sauvegarde proposé.
Sur les dépens
Les dépens seront tirés en frais privilégiés de la procédure de sauvegarde.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant contradictoirement,
Infirme le jugement déféré ;
Statuant à nouveau,
Arrête le plan de sauvegarde de la société Fitnessea développement selon les modalités suivantes :
- le règlement immédiat des frais de justice et des créances inférieures à 500 euros,
- le règlement des créances au titre des contrats en cours poursuivis conformément aux termes contractuels,
- le règlement à 100%, sans intérêts, sur neuf ans des autres créances selon échéances annuelles, le premier remboursement intervenant selon le tableau suivant :
Année
1
2
3
4
5
6
7
8
9
Taux
2,5 %
2,5 %
5 %
10 %
10 %
15 %
15 %
20 %
20 %
Le premier règlement interviendra en mars 2025 et le dernier règlement interviendra neuf ans après l'arrêté du plan, soit en mars 2033.
. les annuités de l'échéancier présenté ci-dessus seront payées à chaque date anniversaire de la date d'arrêté du plan,
soit après une année de carence (le versement du premier douzième de la première annuité du plan intervenant quant à elle dans le mois suivant l'adoption du plan) ;
. les dividendes seront portables et feront l'objet d'un versement mensuel du douzième de l'annuité entre les mains du commissaire à l'exécution du plan ;
. les pourcentages visés pour les annuités de cet échéancier seront appliqués sur le montant total de chacune des créances définitivement admises en principal et, le cas échéant, en accessoires du principal ;
Désigne Monsieur [H] [E] comme la personne tenue d'exécuter le plan ;
Fixe la durée du plan jusqu'à l'année 2033, soit au paiement du dernier dividende promis ;
Ordonne le paiement immédiat des créances égales ou inférieures à 500 euros ;
Dit que les paiements prévus par le plan sont portables et que les dividendes seront payés entre les mains du commissaire à l'exécution du plan qui procédera à leur répartition par l'utilisation exclusive de son compte à la Caisse des Dépôts et Consignations ; dit que les sommes à répartir correspondant aux créances litigieuses ne seront versées qu'à compter de l'admission définitive de ces créances au passif ;
Nomme la SELARL AJ UP, représentée par M. [X] [Z], en qualité de commissaire chargé de veiller à la bonne exécution du plan ;
Dit que la mission des commissaires à l'exécution du plan ne prend fin qu'au paiement de la dernière échéance prévue par le plan si celle-ci est postérieure à l'échéance stipulée par les parties avant l'ouverture de la procédure ;
Dit que, pour chaque échéance, le débiteur établira un tableau mentionnant les noms et adresses des créanciers, le montant et la référence du chèque de règlement du dividende (ou de son virement, le cas échéant) ;
Dit que l'ensemble, tableau et chèque, sera transmis aux commissaires à l'exécution du plan, lesquels, après contrôle, transmettront les chèques à chaque créancier ;
Dit que le commissaire à l'exécution du plan devra établir un rapport annuel sur le paiement des échéances ;
Dit qu'à défaut de règlement de tout ou partie des échéances fixées par le présent arrêt, le commissaire à l'exécution du plan saisira le tribunal ;
Maintient la SELARL AJ UP, représentée par M. [X] [Z], en qualité d'administrateur judiciaire jusqu'au règlement des frais de procédure ;
Maintient la SELARL [D], représentée par M. [J] [D], en qualité de mandataire judiciaire pendant le temps nécessaire à la vérification des créances ;
Dit que les dépens seront tirés en frais privilégiés de la procédure de sauvegarde.