CA Paris, Pôle 5 ch. 6, 31 janvier 2024, n° 22/13537
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Société Générale (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Braud
Conseillers :
Mme Sappey-Guesdon, Mme Chaintron
Avocats :
Me Lallement, Me Gastebled
Exposé du litige
[Y] [G] est titulaire d'un compte bancaire ouvert dans les livres de la Société générale.
Expliquant avoir donné suite à une proposition de la société LDC Crypto d'investir sur le marché des crypto-actifs au moyen de la plateforme en ligne de ladite société, [Y] [G] a, entre le 2 mai 2019 et le 18 juin 2019, passé plusieurs ordres de virement au profit de la société Crypto Diggers sur un compte bancaire situé auprès de la société UAB, en Lituanie.
Par lettre adressée le 8 juin 2020, [Y] [G] a mis en demeure la Société générale de lui rembourser la somme de 118 156 euros correspondant aux virements litigieux, estimant avoir été victime d'une société de courtage frauduleuse.
Par exploit d'huissier du 2 juillet 2020, [Y] [G] a assigné la Société générale devant le tribunal judiciaire de Paris en responsabilité et en réparation de son préjudice financier et moral.
Par ordonnance en date du 4 mars 2021, le juge de la mise en état a rejeté la demande formée par la Société générale de surseoir à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure pénale faisant suite aux plaintes déposées par [Y] [G].
Par jugement contradictoire en date du 17 mars 2022, le tribunal judiciaire de Paris a :
' Débouté [Y] [G] de l'ensemble de ses demandes formées contre la société anonyme Société générale ;
' Condamné [Y] [G] à payer à la société anonyme Société générale la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
' Condamné [Y] [G] aux dépens.
Par déclaration du 13 juillet 2022, [Y] [G] a interjeté appel du jugement.
Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 26 juin 2023, [Y] [G] demande à la cour de :
- INFIRMER le jugement du 17 mars 2022 du Tribunal judiciaire de Paris en ce qu'il a :
o Débouté Mme [Y] [G] de l'ensemble de ses demandes formées contre la société anonyme Société Générale ;
o Condamné Mme [Y] [G] à payer à la société anonyme Société Générale la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
o Condamné Mme [Y] [G] aux dépens ;
Et statuant à nouveau :
- CONDAMNER la SOCIÉTÉ GÉNÉRALE à payer à Madame [Y] [G] la somme de 118 156 Euros outre les intérêts légaux à compter de la mise en demeure adressée à cette dernière, en réparation de son préjudice financier ;
A titre subsidiaire,
- CONDAMNER la SOCIÉTÉ GÉNÉRALE à payer à Madame [Y] [G] la somme de 94 524,80 Euros outre les intérêts légaux à compter de la mise en demeure adressée à cette dernière, en réparation de son préjudice né de la perte de chance ;
En tout état de cause,
- CONDAMNER la SOCIÉTÉ GÉNÉRALE à payer à Madame [Y] [G] la somme de 5000 Euros en réparation de son préjudice moral ;
- CONDAMNER la SOCIÉTÉ GÉNÉRALE à payer chacune à Madame [Y] [G] la somme de 5 000 Euros au titre de l'article 700 du CPC ;
- CONDAMNER la banque SOCIÉTÉ GÉNÉRALE aux entiers dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 3 octobre 2023, la société anonyme Société générale demande à la cour de :
CONFIRMER le jugement du Tribunal judiciaire de Paris en date du 17 mars 2022, en ce qu'il :
- « Déboute Mme [Y] [G] de l'ensemble de ses demandes formées contre la société anonyme Société Générale ;
- Condamne Mme [Y] [G] à payer à la société anonyme Société Générale la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamne Mme [Y] [G] aux dépens ; »
En tout état de cause,
DEBOUTER Madame [G] de l'ensemble de ses demandes, moyens, fins et conclusions
CONDAMNER Madame [G] à payer la somme de 5.000 € à la SOCIÉTÉ GÉNÉRALE en vertu de l'article 700 du code de procédure civile
La CONDAMNER aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP LUSSAN.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux dernières conclusions écrites déposées en application de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 24 octobre 2023 et l'audience fixée au 30 novembre 2023.
CELA EXPOSÉ,
Sur la responsabilité de la Société générale :
Au visa de l'article 1231-1 du code civil et des articles L. 561-5 et suivants du code monétaire et financier, [Y] [G] invoque un manquement de la Société générale à son obligation de vigilance,en ce que la banque avait connaissance du risque d'escroquerie aux investissements, et en ce que, néanmoins, elle n'a pas relevé les anomalies intellectuelles qui affectaient les virements litigieux, à savoir :
' le montant élevé des opérations (118 156 euros), représentant une grande partie de l'épargne de [Y] [G],
' la fréquence des opérations (11 virements en un mois),
' un bénéficiaire au nom atypique,
' des virements à destination de l'étranger.
[Y] [G] reproche à la Société générale de ne pas l'avoir alertée sur les risques inhérents à ce type de virements vers des comptes étrangers, au profit d'un bénéficiaire au nom atypique.
Les premiers juges ont rappelé à bon droit que les obligations de vigilance et de déclaration imposées aux organismes financiers en application des articles L. 561-5 à L. 561-22 du code monétaire et financier ont pour seule finalité la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Les victimes d'agissements frauduleux ne peuvent s'en prévaloir pour réclamer des dommages-intérêts à l'organisme financier, étant ajouté qu'en l'espèce aucun soupçon de cette nature n'affecte l'origine des fonds virés, qui provenaient de l'épargne de [Y] [G].
Motivation
En application de l'article 1231-1 du code civil, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au payement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.
Comme l'énonce le tribunal, sauf disposition légale contraire, la banque est tenue à une obligation de non-ingérence dans les affaires de son client, quelle que soit la qualité de celui-ci, et n'a pas à procéder à de quelconques investigations sur l'origine et l'importance des fonds versés sur ses comptes ni même à l'interroger sur l'existence de mouvements de grande ampleur, dès lors que ces opérations ont une apparence de régularité et qu'aucun indice de falsification ne peut être décelé (Com., 25 sept. 2019, no 18-15.965, 18-16.421). Ainsi, le prestataire de services de payement, tenu d'un devoir de non-immixtion dans les affaires de son client, n'a pas, en principe, à s'ingérer, à effectuer des recherches ou à réclamer des justifications des demandes de payement régulièrement faites aux fins de s'assurer que les opérations sollicitées ne sont pas périlleuses pour le client ou des tiers.
S'il est exact que ce devoir de non-ingérence trouve une limite dans l'obligation de vigilance de l'établissement de crédit prestataire de services de payement, c'est à la condition que l'opération recèle une anomalie apparente, matérielle ou intellectuelle, soit des documents qui lui sont fournis, soit de la nature elle-même de l'opération ou encore du fonctionnement du compte.
Sur les anomalies intellectuelles alléguées par l'appelante, il ne ressort pas des ordres de virement, réalisés au moyen du service en ligne de la banque, que la Société générale ait eu connaissance de la nature des opérations de payement. Leur objet reste d'ailleurs incertain car, si [Y] [G] prétend aux termes de ses écritures qu'il s'agissait d'investissements en crypto-monnaies, elle déclare dans ses plaintes que ces virements étaient destinés à des « placements en cannabis thérapeutique Tilray soi-disant sans risque » (plaintes du 28 juin 2019 et du 24 août 2019). Au demeurant, ni la société LDC Crypto, ni la société Crypto Diggers ne figuraient dans la liste noire de l'Autorité des marchés financiers (pièces nos 1 et 5 de l'appelante).
Au soutien du caractère inhabituel des opérations litigieuses, [Y] [G] fait valoir que :
' le montant cumulé des opérations représente plus de deux fois les revenus annuels du couple, détenteur du compte joint (pièce no 14 de l'appelante : avis d'imposition) ;
' ces virements ne pouvaient être confondus avec ses dépenses courantes (pièce no 5 de l'appelante : relevés bancaires de septembre 2018 à juin 2019) ;
' elle ne faisait que très rarement des virements externes.
Toutefois, ni l'ancienneté des relations entretenues par la banque avec [Y] [G], ni les habitudes antérieures de celle-ci quant aux opérations qu'elle pratiquait sur son compte ne devaient conduire la banque à s'interroger sur la cause ou l'opportunité des virements ordonnés et à s'immiscer dans les affaires de l'intéressée (Com., 30 sept. 2008, no 07-18.988).
Au regard du fonctionnement du compte de [Y] [G], les virements litigieux n'étaient entachés d'aucune anomalie apparente. En effet, ni le montant des virements ' qui restaient couverts par le solde créditeur ', ni leur objet, qui demeurait licite, ni leur destination vers un compte détenu dans les livres d'une banque dûment agréée au sein d'un pays membre de l'Union européenne, qui n'attirait pas spécialement l'attention en terme de sécurité, ne constituaient des anomalies devant retenir la vigilance de la Société générale.
Ainsi, c'est par des motifs détaillés et pertinents que la cour fait siens, que le tribunal a estimé que la Société générale n'a pas manqué à son obligation de prudence. En conséquence, il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, et de condamner [Y] [G] aux dépens d'appel, ainsi qu'au payement d'une somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
CONDAMNE [Y] [G] à payer à la Société générale la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE [Y] [G] aux entiers dépens, dont distraction au profit de la société civile professionnelle Lussan ;
REJETTE toute autre demande plus ample ou contraire.