CA Bordeaux, 1re ch. civ., 31 janvier 2024, n° 21/03131
BORDEAUX
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Gascogne Bois (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Poirel
Conseillers :
Mme Vallee, M. Breard
Avocats :
Me Miller, Me Danthez
EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE.
Selon acte sous seing privé du 11 avril 2018, la SAS Gascogne Bois a conclu avec le Groupement Forestier de [Localité 7] un contrat d'achat de bois sur pied portant sur un lot de pins situé sur la commune de [Localité 9], lieudit [Localité 7], pour un montant total de 220 000 euros HT.
Aux termes de ce contrat, il est prévu que le Groupement Forestier De [Localité 7] délivre, à la société Gascogne Bois, 3 653 pins sur pied sur les parcelles cadastrées C[Cadastre 2], [Cadastre 3], [Cadastre 4] et [Cadastre 5].
Le nombre de pins prévu au contrat a été évalué sur la base d'un relevé de comptage par classe de circonférence, fourni par le Groupement Forestier De [Localité 7] .
Le 7 mars 2018, le Groupement Forestier De [Localité 7] a requis de M. [O] [V], exerçant sous l'enseigne Entreprise [V] [O], la réalisation de l'opération de comptage par cubage.
Par suite, la société Gascogne Bois expose que l'exploitation effectuée en septembre 2018 a révélé une quantité totale de bois extraite de 2 633 tonnes brutes, soit une quantité en deçà de celle attendue, mettant alors en doute l'exactitude du nombre de pins réellement vendu par le Groupement Forestier De [Localité 7].
Par courrier du 31 janvier 2019, la société Gascogne Bois a informé le Groupement Forestier De [Localité 7] des difficultés relatives au nombre de pins et a sollicité une indemnité.
Par courrier du 02 février 2019, Le Groupement Forestier de [Localité 7] a contesté le décompte effectué par la société Gascogne Bois et n'a pas fait droit à la demande en indemnisation.
L'expert mandaté par la société Gascogne Bois a rendu son rapport le 11 mars 2019.
Par courrier recommandé du 12 mars 2019, la société Gascogne Bois a réclamé la somme de 70 000 euros HT au Groupement Forestier De [Localité 7].
Par acte d'huissier du 18 juin 2019, la société Gascogne Bois a fait assigner le Groupement Forestier De [Localité 7] devant le tribunal de grande instance de Bordeaux aux fins, notamment, de le voir condamner au paiement de dommages et intérêts en réparation de son préjudice financier.
Par acte d'huissier du 03 juillet 2019, le Groupement Forestier De [Localité 7] a fait assigner en intervention forcée M. [V], exerçant sous l'enseigne Entreprise [V] [O], aux fins de lui rendre opposable la procédure et d'engager sa responsabilité quant à l'opération de cubage.
Les deux instances ont été jointes.
Par jugement contradictoire du 20 mai 2021, le tribunal judiciaire de Bordeaux a :
- débouté la société Gascogne Bois de sa demande, et par là même a débouté le Groupement Forestier De [Localité 7] de sa demande formée à titre subsidiaire à l'encontre de M. [V], à titre personnel et en sa qualité de représentant légal de l'entreprise [V] [O],
- débouté les parties de tout autre chef de demande,
- condamné la société Gascogne Bois aux dépens ainsi qu'à payer au Groupement Forestier De [Localité 7] la somme de 1 000 euros titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'à payer à M. [V], en sa qualité de représentant légal de l'entreprise [V] [O], la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 précité,
- dit n'y avoir lieu au prononcé de l'exécution provisoire.
La société Gascogne Bois a relevé appel de ce jugement par déclaration du 1er juin 2021 et par conclusions déposées le 10 novembre 2023, elle demande à la cour de :
- réformer dans toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Bordeaux le 20 mai 2021 sauf en ce que ce dernier a dit n'y avoir lieu au prononcé de l'exécution provisoire,
Et statuant à nouveau,
A titre principal,
- condamner Le Groupement Forestier de [Localité 7] à payer à la Société Gascogne Bois la somme de 100 670,40 euros TTC au titre de réduction du prix pour exécution imparfaite,
- le condamner au paiement d'une somme de 2 100 euros TTC au titre des frais d'expertise exposés,
- le condamner au paiement d'une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance,
- le débouter de tout appel en garantie ainsi que de ses autres demandes,
A titre subsidiaire,
- constater que M. [V] a commis une faute,
- constater que M. [V] est responsable sur le fondement de l'article 1240 du code civil,
- condamner M. [V], pris tant en son nom personnel qu'en sa qualité de représentant de l'Entreprise [V] [O], à payer à la société Gascogne Bois la somme de 100 670,40 euros TTC en réparation de son préjudice financier,
- le condamner au paiement d'une somme de 2 100 euros TTC au titre des frais d'expertise exposés,
- le condamner au paiement d'une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance,
- débouter M. [V] de toutes ses demandes.
Par conclusions déposées le 12 janvier 2022, le Groupement Forestier De [Localité 7] demande à la cour de :
- déclarer la société Gascogne Bois mal fondée en son appel et l'en débouter,
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 20 mai 2021 par le tribunal
judiciaire de Bordeaux,
- condamner la société Gascogne Bois à payer au concluant une indemnité de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les entiers dépens,
A titre infiniment subsidiaire pour le cas où la cour reformerait ledit jugement,
- déclarer l'appel en garantie du concluant recevable et fondé,
- condamner en conséquence M. [V], pris tant en son nom personnel qu'en sa qualité de représentant de L'entreprise [V] [O] à le relever intégralement indemne de toutes condamnations en principal intérêts et frais susceptibles d'être mises à sa charge au profit de la société Gascogne Bois,
- dans ce cas, condamner M. [V], pris tant en son nom personnel qu'en sa qualité de représentant de L'entreprise [V] au paiement d'une indemnité de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Par conclusions déposées le 25 octobre 2021, M. [V] demande à la cour de :
- déclarer la société Gascogne Bois recevable mais mal fondée en son appel,
En conséquence,
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 20 mai 2021 par le tribunal judiciaire de Bordeaux,
- condamner le Groupement Forestier De [Localité 7] à payer M. [V] agissant tant en son nom personnel qu'en qualité de représentant légal de l'Entreprise [O] [V] la somme de 3 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Gascogne Bois à payer M. [V] agissant tant en son nom personnel qu'en qualité de représentant légal de l'entreprise [O] [V] la somme de 3 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner le Groupement Forestier De [Localité 7] à payer M. [V] agissant tant en son nom personnel qu'en qualité de représentant légal de l'entreprise [O] [V] la somme de 3 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner le Groupement Forestier De [Localité 7] et la société Gascogne Bois aux entiers dépens, en ce compris ceux de première instance.
L'affaire a été fixée à l'audience rapporteur du 27 novembre 2023.
L'instruction a été clôturée par ordonnance du 13 novembre 2023.
Motivation
MOTIFS DE LA DÉCISION
I Sur les demandes de la société Gascogne Bois
La société appelante affirme qu'il appartient au vendeur de garantir le nombre d'arbres à l'acheteur et que le comptage des pins a été trompeur, quand bien même il aurait été sous-traité.
Ainsi, elle ne conteste pas avoir souscrit le contrat objet du litige, mais l'avoir fait au vu d'un comptage erroné fourni par le Groupement Forestier de la Chaume de 3.653 arbres, reprenant l'estimation élaborée par M. [V].
Se prévalant des articles 1217, 1223 du code civil, elle estime que la garantie du nombre d'arbres prévue par l'article 2 du contrat signé et qu'il ne s'agit pas d'une vente en bloc, mais d'une vente au compte prévue par l'article 1585 du code civil.
Elle en déduit que la vente n'était pas parfaite au vu de cette garantie, le nombre effectivement livré était inférieur, ce qui fonde sa demande en indemnisation du manque, soit un tiers des pins achetés.
Elle remet en cause une obligation de sa part à avoir à recompter les arbres, précisant ne s'être aperçue de la quantité insuffisante de bois qu'une fois l'extraction de celui-ci terminée.
Elle rappelle qu'au vu du dénombrement physique effectué a posteriori par son expert amiable, il a été compté 2.260 pins livrés, soit 1.393 unités manquantes et une perte de 83.892 € sur une vente d'un montant total de 220.000 €.
Elle soutient que deux recomptages ont été effectués, le premier en présence de M. [V] et avec l'accord du Groupement Forestier de [Localité 7], le second par un expert forestier.
Elle admet qu'un juge ne peut trancher un litige en se fondant uniquement sur une expertise amiable unilatérale, quand bien même le rapport de l'expert aurait été soumis à la discussion pendant l'instance judiciaire, mais dit fournir des éléments complémentaires et note que ces dernières conclusions ne sont pas contestées.
Elle argue qu'il n'est opposé aucun argument aux conclusions de l'expertise amiable et qu'il ne saurait lui être opposé une estimation faussée établie avant la vente.
Elle considère que les premiers juges ont commis une erreur d'appréciation quant aux éléments qui leur étaient soumis.
A titre subsidiaire, elle souligne avoir appelé en garantie M. [V], dont l'estimation a servi de support à la conclusion du contrat objet du présent litige.
Elle observe que le calcul effectué par ce dernier est une estimation basée sur une méthode traditionnelle, mais n'a pas tenu compte du nombre d'arbre existant et elle avance qu'une inexécution contractuelle peut être reprochée à cette partie à l'égard du Groupement Forestier de [Localité 7].
Elle met en avant que seul ce manquement contractuel a créé un préjudice à son égard, ce qui lui permet d'opposer sa responsabilité extracontractuelle à l'intéressé en application de l'article 1240 du code civil.
Elle dit à ce titre que la faute est constituée par le mauvais comptage, ce qui a faussé le prix de vente à l'origine de son préjudice financier. Surtout, elle souligne le fait que le lien de causalité découle du fait que son préjudice découle de la mauvaise estimation réalisée par l'intéressé, ce qui justifie l'existence d'un intérêt à agir à son encontre sur ce fondement.
Elle s'oppose à ce qu'il existe une tradition française selon laquelle il revient à l'acheteur d'évaluer la parcelle qu'il souhaite exploiter, notamment en ce que ce n'est pas elle qui a fait appel à ses services, mais bien le Groupement Forestier de [Localité 7].
***
L'article 1353 du code civil énonce que 'Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver.
Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation'.
Il est constant que si le juge ne peut refuser d'examiner une pièce régulièrement versée aux débats et soumise à la discussion contradictoire, il ne peut se fonder exclusivement sur une expertise réalisée à la demande de l'une des parties (Cour de Cassation, chambre mixte le 28 septembre 2012, n°11-18.710).
La cour constate qu'il résulte de la liste des pièces annexée aux conclusions de la société appelante que celle-ci verse aux débats, afin de fonder l'existence d'une erreur de décomptage au sein de la convention conclue avec le Groupement Forestier de [Localité 7], le seul rapport non contradictoire de son expert amiable.
Il ne saurait être opposé, comme le fait la société Gascogne Bois, le silence des parties intimées ou le fait que celles-ci n'aient pas elles-mêmes fait effectuer une expertise, sauf à inverser la charge de la preuve qui lui incombe. De même, le décomptage effectué par ses seuls soins, en ce qu'il ne repose que sur ses seuls dires, ne saurait être retenu comme élément probatoire.
Dès lors, il convient de constater que la société Gascogne Bois ne rapporte pas la preuve de ce qu'il existait un nombre insuffisant de pins dans le lot faisant l'objet de la vente conclue le 11 avril 2018.
C'est pourquoi, l'ensemble des prétentions de la société requérante sera rejeté et la décision attaquée sera confirmée.
II Sur les demandes annexes.
En l'espèce, l'équité commande que la société Gascogne Bois soit condamnée à verser à M. [V] et au groupement Forestier de [Localité 7], ensemble, la somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de l'article 696 alinéa premier du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. Sur ce fondement, la société Gascogne Bois qui succombe au principal, supportera la charge des dépens.
Dispositif
PAR CES MOTIFS
La Cour,
CONFIRME la décision rendue par le tribunal judiciaire de Bordeaux le 20 mai 2021 ;
Y ajoutant,
CONDAMNE la société Gascogne Bois à verser à M. [V] et au groupement Forestier de [Localité 7], ensemble, la somme de 2.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la société Gascogne Bois aux entiers dépens de la présente instance.