CA Reims, ch. soc., 6 février 2019, n° 17/02662
REIMS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Lidl (SNC)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Robert-Warnet
Conseillers :
Mme Sautron, M. Becuwe
M. I. a été engagé par contrat à durée indéterminée le 11 février 1991 par la société Lidl en qualité 'd'adjoint chef de magasin'.
Au dernier état de son contrat de travail, il occupait les fonctions de 'responsable technique régional, qualification cadre'.
Il a été convoqué par lettre du 4 juillet 2016 à un entretien préalable à un éventuel licenciement.
Par lettre du 3 août 2016, il a été licencié 'pour cause réelle et sérieuse', avec dispense d'exécution du préavis rémunéré, l'employeur lui reprochant un comportement déloyal ayant consisté dans le fait d'avoir 'bénéficié' avec ses proches d'un voyage au Maroc payé par un partenaire commercial pour les fêtes de fin d'année 2009.
Contestant son licenciement, le salarié a saisi le conseil de prud'hommes de Troyes de diverses demandes indemnitaires de ce chef.
Par un jugement du 27 septembre 2017, la juridiction prud'homale l'en a débouté.
Par déclaration du 13 octobre 2017, M. I. a fait appel.
Par conclusions déposées le 1er décembre 2017, il sollicite l'infirmation du jugement et réitère ses prétentions.
L'appelant soutient essentiellement que le licenciement est fondé sur des faits prescrits au sens de l'article L. 1332-4 du code du travail et qu'en outre, n'ayant pas été au Maroc à la date visée dans la lettre de licenciement, il n'a pas bénéficié du voyage qu'il n'a d'ailleurs pas accepté.
Par des conclusions en réponse déposées le 9 février 2018, la société Lidl sollicite la confirmation du jugement, sauf en ce qu'il rejette sa demande de frais irrépétibles, ainsi que l'octroi d'indemnités de frais irrépétibles de première instance et d'appel.
La société intimée prétend avoir tardivement appris les faits reprochés au salarié à l'occasion d'une enquête interne portant sur des faits de corruption.
Elle souligne avoir engagé la procédure de licenciement à l'intérieur du délai de prescription de deux mois.
Estimant que M. I. a bien participé au voyage au Maroc offert par le partenaire commercial, elle considère qu'il importe peu, en toute hypothèse, qu'il ait pu, en définitive, y renoncer dès lors que l'organisation effective de ce voyage et la dépense engagée supposent qu'il avait bien accepté le cadeau en violation du 'Code de bonne conduite'.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 22 octobre 2018.
Après y avoir rappelé l'obligation générale de loyauté de l'article L. 1222-1 du code du travail ainsi les obligations du 'Code de bonne conduite' figurant dans le document 'Valeurs de l'entreprise' qui prévoit que le collaborateur n'accepte 'aucun cadeau ou attention particulière de nos partenaires commerciaux', l'employeur motive en ces termes la lettre de licenciement du 3 août 2016 :
' Or, à la suite d'informations récemment portées à notre connaissance, et des premiers contrôles opérés, il apparaît que vous avez bénéficié d'un voyage à Agadir du 28 février 2009 au 4 janvier 2010, entièrement financé par la société '2 t pic', entreprise sous-traitante de la société 'GTI' avec laquelle vous collaboriez dans le cadre de l'exercice de vos fonction de Responsable Technique' ;
' De tels agissements sont extrêmement graves non seulement par eux-mêmes, mais aussi par l'atteinte portée à la réputation et aux pratiques de notre société' ;
' Les faits sont d'autant moins acceptables compte tenu de votre statut, de votre fonction et de votre devoir d'exemplarité' ;
' En conséquence, nous vous notifions votre licenciement pour cause réelle et sérieuse'.
Aux termes de l'article L. 1332-4 du code du travail, 'Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance (...)'.
L'engagement des poursuites peut être constitué par la convocation à l'entretien préalable.
En l'espèce, il résulte des attestations d'un 'Directeur Construction' de la société Lidl et du gérant de l'entreprise sous-traitante '2 t pic' qu'au cours du mois de juin 2016, le premier a reçu plusieurs entreprises au sujet d'une affaire de corruption d'un salarié.
A cette occasion, le gérant de l'entreprise sous-traitante lui a indiqué avoir payé au profit de M. I. et de sa famille un voyage au Maroc sur la période incriminée, paiement effectué auprès d'une agence de voyages pour un montant approximativement égale à la somme de 10 000 euros à la demande de la société principale avec laquelle M. I. était en étroite relation professionnelle.
Il ressort de l'attestation du 'responsable service' que ce dernier, alors requis par le directeur aux fins de vérification, a contacté l'agence de voyages laquelle lui a confirmé, le 28 juin 2016, que M. I. figurait parmi les neuf voyageurs bénéficiant d'un voyage du 28 décembre 2009 au 4 janvier 2010 au Maroc qui avait été payé.
Il s'en déduit que c'est le 28 juin 2016 que l'employeur a eu connaissance des faits qui fondent le licenciement.
Les poursuites ayant été engagées par la convocation le 4 juillet 2016 à l'entretien préalable et le licenciement prononcé le 3 août 2016, soit dans le délai d'un mois de cet entretien et surtout, car tel est le moyen, à l'intérieur du délai de prescription de deux mois, le licenciement repose, en conséquence, sur des faits non atteints de prescription.
2°/ Sur la cause réelle et sérieuse :
Il résulte d'une attestation officielle de passage à la frontière établie le 12 mai 2017 au nom du directeur général de la sûreté nationale du royaume du Maroc que M. I. n'est entré au Maroc, en 2010, qu'à une seule reprise, en l'occurrence le 21 novembre 2010.
Une attestation de la compagne de l'époque de M. I., qui était également indiquée comme bénéficiaire du voyage au Maroc, indique qu'ils ont, sur la période incriminée dans la lettre de licenciement, passé en France les fêtes de fin d'année.
Ces éléments suffisent à jeter un doute, qui doit profiter au salarié en application de l'article L. 1235-1 du code du travail, sur sa présence effective au Maroc à l'occasion du voyage offert à neuf personnes à l'instigation du partenaire commercial, même si aucun remboursement n'a été opéré.
En revanche, comme le souligne à juste titre l'employeur, 'bénéficier' d'un voyage, comme il l'est indiqué dans la lettre de licenciement, n'implique nullement de partir effectivement en voyage.
Le seul fait qu'un voyage soit offert par un partenaire commercial, ou à l'instigation de celui-ci, suffit à caractériser un avantage ou un profit, donc un bénéfice.
Et si ce voyage est accepté par un salarié de la société Lidl, il constitue l'acceptation déloyale et clairement prohibée par le 'Code de bonne conduite' interne d'un bénéfice, peu important l'usage que le destinataire décidera finalement d'en faire.
La seule question est donc celle de savoir si M. I. avait accepté le voyage.
Or, il ressort du contrat de vente du voyage litigieux conclu entre la société '2 t pic' et l'agence de voyages que neuf personnes devaient partir au Maroc du 28 décembre 2009 au 4 janvier 2009, dont M. I. ainsi que 'Mme C. Lydie et Arthur I. C.', pour un coût total réglé par cette société de 10 388,60 euros.
Ce contrat a été établi à la suite du courriel adressé à l'agence de voyages par le dirigeant de la société 'GTI', partenaire commercial professionnel et régulier de M. I..
Selon ce courriel, ce dirigeant devait également avec deux de ses proches accompagner M. I. et sa famille au Maroc.
Ce courriel fait, par ailleurs, état, d'une part, de la date de naissance du jeune Arthur I. C. 'né le 5 juillet 2008" avec une réservation sur place au 'baby club', d'autre part, de l'identité de Mme C. Lydie.
Un tel courriel suppose que M. I. ait indiqué à son partenaire commercial des éléments précis sur sa vie privée relatifs à sa compagne de l'époque et à leur enfant commun dans l'optique du voyage.
Ce voyage, d'un coût relativement élevé, a été payé par chèque du 13 novembre 2009 par la société '2 t pic' sur ses propres fonds et il ne peut, dans ces conditions, être sérieusement retenu que le dirigeant de la société 'GTI' n'ait pas informé M. I. qu'ils partiraient en vacances ensemble au Maroc pour les fêtes de fin d'année et ne se soit pas assuré de son consentement.
M. I. se contente de soutenir qu'il n'a pas accepté le cadeau, et non qu'il n'en a pas été informé.
Mais cela aurait dû alors le conduire à signaler à son employeur la tentative dont il faisait l'objet compte tenu de son ampleur, ce qu'il n'a curieusement pas fait.
Ce silence s'explique nécessairement par le fait qu'il avait accepté de partir au Maroc, tous frais déjà payés.
Cette situation traduit, en réalité, des liens entre M. I. et son partenaire commercial qui ont évolué dans un sens l'amenant à transgresser le 'Code de bonne conduite' interne, peu important qu'il ait pu finalement décider de ne pas participer au voyage.
Cette affaire concerne un salarié occupant un poste stratégique et a provoqué un malaise évident au sein de la société Lidl.
Elle était également encore présente dans l'esprit d'un partenaire commercial qui en a fait état en 2016, ce qui ne pouvait pas laisser indifférent l'employeur.
Ce dernier n'a pas choisi le terrain de la faute grave et a préféré, tout en respectant la procédure disciplinaire, se placer sur celui de la cause réelle et sérieuse.
Le licenciement 'pour cause réelle et sérieuse' apparaît justifié.
Il s'en déduit que les demandes indemnitaires présentées de ce chef par M. I. seront rejetées.
Il y aura donc lieu de confirmer le jugement.
3°/ Sur les frais irrépétibles :
La société Lidl sollicite une indemnité de frais irrépétibles pour l'instance devant le conseil de prud'hommes, ce que la cour d'appel peut lui accorder mais lui refusera.
En effet, l'équité et la situation économique respective des parties fondent ce rejet ainsi que la répartition de la charge des dépens arrêtée en première instance.
En revanche, si M. I. avait bien le droit de faire appel, il succombe à nouveau, ce qui justifie de le débouter de sa prétention et de le condamner équitablement à payer à la société Lidl la somme de 1 200 euros de ce chef.
Les dépens d'appel suivront le sort de cette condamnation.
La cour d'appel statuant publiquement, contradictoirement, et après en avoir délibéré conformément à la loi :
- confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 27 septembre 2017 par le conseil de prud'hommes de Troyes ;
- y ajoutant, condamne M. I. à payer à la société Lidl la somme de 1 200 euros au titre des frais irrépétibles ;