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Décisions

CA Metz, ch. soc. sect. 2, 25 juin 2019, n° 17/02386

METZ

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Wolf

Conseillers :

Mme Buchmann, Mme Le Berre

Cons. prud’h. Forbach, du 4 août 2017, n…

4 août 2017

M. Denis S. a été embauché par la SAS P. Frères, selon contrat à durée indéterminée, à compter du 19 février 1996, en qualité de conducteur de travaux. En dernier lieu il occupait un poste d'ingénieur affaires, avec un statut de cadre.

Il était responsable de l'exécution du contrat de maintenance liant son employeur à la société Total Petrochemicals France (ci après Total) sur le site de cette société à Carling et dépendait de l'agence régionale de Lorraine de la société P. établie à Saint Avold.

Le 18 novembre 2015, M. S. a été convoqué à un entretien préalable au licenciement fixé au 2 décembre 2015 et mis à pied à titre conservatoire.

A compter du 18 novembre 2015, le salarié a été placé en arrêt maladie.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 8 décembre 2015, M. S. a été licencié pour faute. Il lui est reproché un non-respect des règles relatives à l'éthique en place dans la société (biens offerts dans le but d'obtenir ou de conserver un avantage commercial pour la société).

Par demande introductive d'instance datée du 6 avril 2016, M. S. a saisi le conseil de prud'hommes aux fins de contester son licenciement et d'en obtenir l'indemnisation.

La SAS P. Frères a demandé au conseil de débouter M. S., le condamner au paiement de 5.000,00 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers frais et dépens de l'instance.

Par jugement du 4 août 2017, le conseil de prud'hommes de Forbach, section encadrement, a statué ainsi qu'il suit :

·  juge que le licenciement de M. Denis S. est dénué de cause réelle et sérieuse,

En conséquence,

·  condamne la SAS P. Frères à lui payer les sommes de :

- 55.512,00 € au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 500,00 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

·  déboute la SAS P. Frères de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

·  condamne la SAS P. Frères aux frais et dépens.

Pour parvenir à cette décision, le conseil a estimé que les pratiques « anciennes et généralisées » qui étaient reprochées à M. S., à savoir les cadeaux faits aux contremaîtres de la société Total, étaient connues à la fois de la direction de l'agence de Saint-Avold et de la direction générale, à qui les notes de frais étaient transmises et que M. S. n'était qu'un maillon de la chaîne désigné comme bouc émissaire, l'initiative des faits revenant à MM. M., B. et R..

Par déclaration formée par voie électronique au greffe le 28 août 2017, la SAS P. Frères a régulièrement interjeté appel de ce jugement qui lui a été notifié le 9 août 2017 au vu de l'émargement de l'accusé de réception postal.

Par ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 23 mars 2018, la SAS P. Frères demande à la cour de :

·  rejetant toutes fins et conclusions contraires,

·  dire et juger que les faits reprochés à M. S. à l'appui de son licenciement sont avérés,

·  dire et juger que les faits reprochés à M. S. ont été commis en violation des principes éthiques rappelés dans sa délégation de pouvoirs du 8 octobre 2013 et par conséquent, en violation de son obligation d'exécuter son contrat de travail de bonne foi à l'égard de son employeur,

·  dire et juger que M. S. ne peut pas exonérer sa responsabilité dans la commission des faits reprochés, par la participation d'autres salariés de l'agence locale de Saint-Avold,

·  dire et juger que les pratiques locales de l'agence de Saint-Avold n'étaient ni connues, ni validées par la direction du siège de la société P. Frères,

En conséquence,

·  infirmer le jugement entrepris et statuer à nouveau,

·  dire et juger que le licenciement de M. S. repose sur une cause réelle et sérieuse,

·  débouter M. S. de sa demande de dommages et intérêts,

·  condamner M. S. au paiement de la somme de 5.000 € au titre des frais irrépétibles,

·  condamner le même aux entiers dépens.

Par ses dernières conclusions datées du 23 janvier 2018, notifiées par voie électronique le même jour, M. S. demande à la cour de :

·  confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Forbach en date du 4 août 2017 sauf en ce qu'il a condamné la société P. Frères à payer la somme de 55.512,00 € au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

·  condamner la société P. Frères à payer à M. Denis S. la somme de 124.227,00 € au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

·  à titre subsidiaire confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

·  en tout état de cause, condamner la société P. Frères à payer à M. Denis S. la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile à hauteur d'appel.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 16 janvier 2019.

MOTIFS DE LA DECISION

M. Denis S. a été licencié par une lettre recommandée avec accusé de réception en date du 8 décembre 2015, dont le contenu est rappelé dans le jugement entrepris, pour une cause réelle et sérieuse tenant à la violation de sa délégation de pouvoirs, datée du 8 octobre 2013, qui, dans un article E « Ethique des Affaires », lui fait interdiction, « directement ou par toute personne ou entité agissant en son nom, d'offrir (ou de recevoir) tout argent, bien, service ou autre libéralité à tout employé de gouvernement ou de société publique ou privée dans le but d'obtenir ou de conserver un avantage commercial pour la société. » , soit de corrompre un partenaire commercial ou de se laisser corrompre par lui.

La Cour constate que cette délégation de pouvoirs, consentie par M. Gilbert B., directeur régional adjoint de l'agence de Lorraine de la société P., conférait à M. S. de larges pouvoirs en matière de négociations des contrats, de commandes d'achats ou de sous-traitance, d'émission de réclamation auprès des clients, fournisseurs et sous-traitants ou de transaction des litiges, mais également en matière d'application de la législation du travail, des règles d'hygiène et de sécurité, de gestion du personnel, notamment le pouvoir d'appliquer des sanctions disciplinaires, de respect du droit de la concurrence et des règles d'éthique déjà évoquées, le salarié engageant sa responsabilité pour « toute utilisation de ces pouvoirs à des fins contraires aux intérêts de l'entreprise ».

La Cour rappelle que la preuve du caractère réel et sérieux des motifs du licenciement est l'oeuvre commune des parties, le juge devant former sa conviction au vu des éléments fournis par chaque partie, mais l'employeur ayant néanmoins l'obligation préalable d'alléguer et de justifier du ou des faits précis qui fonde(nt) le licenciement.

En l'espèce, pour apprécier le caractère réel du grief reproché à M. S., il faut d'abord rechercher si la corruption d'employés de la société Total que sous-tend ce manquement à l'éthique, - est évoquée « notamment » la fabrication de barbecues et de fours à pizza pour des contremaîtres de cette société, ainsi que la fabrication et la livraison d'une serre au domicile privé d'un exploitant - et la participation active de l'appelant à ces faits précis, est matériellement démontrée.

L'employeur qui doit apporter cette preuve le fait en l'occurrence de manière exhaustive, en produisant notamment :

- les quatre lettres anonymes (annexes 16 à 19 de l'appelante) envoyées courant novembre 2015 à la direction de la société Total ou de la société P., dont le jugement entrepris rappelle le contenu et dont la Cour constate qu'elles dénonçaient le système de pots-de-vin mis en place par des cadres de P., dont la fabrication des barbecues et fours à pizza, l'achat de divers cadeaux pour les clients et en dernier lieu la construction de la serre, sans pour autant dédouaner M. S., comme il le prétend, l'un des courriers ne rapportant que le fait que M. M. avait cherché lors d'une réunion à inciter le personnel à imputer à M. S. la seule responsabilité des faits, alors que les auteurs de ce courrier rappelaient que M. M. et M. B. « ont toujours donné leur accord obligatoire » ou ont signé les factures pour les commandes de matériaux nécessaires à la réalisation de la serre, M. S. n'étant qualifié par eux de « bouc émissaire » que par rapport au fait que les « autres cadres » de l'agence ayant pratiqué de « la même façon » semblaient épargnés ;

- le compte rendu de l'entretien du 17 novembre 2015 de M. S., qui a signé ce document et l'a donc approuvé, avec des membres de la direction générale de la société P. (annexe 21 de l'appelante) dont il ressort que l'appelant était parfaitement au courant des faits dénoncés par les lettres anonymes, reconnaissant que les demandeurs pour la fabrication des divers objets étaient des contremaîtres de Total, qui sont ses « contacts habituels », dont il a cité plusieurs noms, dont M. M. pour la commande de la serre à destination d'un tiers, fabriquée dans l'atelier de Saint-Avold et livrée au domicile de ce dernier, et que la direction de l'agence, ancienne et nouvelle, connaissait ces faits « le chef d'atelier n'étant pas autorisé à faire des travaux sans l'autorisation de sa direction » ;

Au cours de cet entretien, M. S. a aussi reconnu être au courant de l'évacuation une semaine auparavant de matériels provenant d'un vapocraqueur du site en cours de démontage, par deux camions, à la demande de M. H., contremaître chez Total, lesquels ont été « acheminés à l'agence de Saint-Avold et probablement ferraillés par la direction de l'agence. »

- les nombreux documents (annexes 9 à 15, 26 à 70 de l'appelante, cf. aussi ses conclusions détaillant ces documents), démontrant que, soit pour l'achat d'accessoires ou de matériels servant aux fabrications litigieuses, soit pour l'achat en 2014 et 2015 de divers cadeaux (téléphones, ordinateur et tablette, four multifonctions, appareil photo, vélo, matériels de bricolage...) à destination de membres du personnel de Total, désignés par leur nom sur les devis, factures ou bons de livraison (H., M., B....), pour un total de près de 20 000 euros, M. S. était non seulement au courant, mais aussi a participé aux faits, en émettant les commandes, en désignant les bénéficiaires de sa main et sous sa signature ou en ayant fait figurer son nom comme personne à contacter pour la livraison.

Il est constaté que plusieurs bons de commande portent la mention du nom de M. S. et sa signature comme « émetteur » et de M. B. comme « approbateur », que plusieurs bons d'achat ont aussi été approuvés par lui, de même que plusieurs états mensuels de la caisse au nom de M. S. mentionnent les divers cadeaux et leurs destinataires, l'appelante expliquant que les achats de cadeau donnaient lieu, d'une part pour les cadeaux de moindre valeur soit à l'émission de bons de caisse payés en liquide, la caisse étant gérée à sa guise par le salarié, avec seulement pour obligation de remplir un état de ses dépenses, soit à l'émission de bons d'achats approuvés par ce dernier pour les dépenses facturées et réglées par l'agence autrement qu'en liquide, d'autre part pour les dépenses plus importantes à l'émission d'un bon de commande par celui qui veut engager l'achat (l'émetteur), approuvé par un responsable de l'agence de Saint-Avold (l'approbateur), puis, après livraison, au paiement de la facture par la comptabilité du siège.

Tous ces éléments confirment largement la corruption des employés de Total par des salariés de la société P., dont certes les cadres de l'agence de Saint-Avold (M. M., directeur régional, dont le nom apparaît parfois, ou M. B., directeur régional adjoint), mais aussi et avant tout M. S., qui gérait le marché de son employeur sur le site Total de Carling et était donc en contact direct avec les corrompus, qu'il désignait comme bénéficiaire des cadeaux.

La société P. prouve par ailleurs que l'objectif de ces cadeaux, ce qu'elle n'a appris qu'après le licenciement de M. S., était la surfacturation, par imputation d'heures fictives, des heures accomplies sur site par les employés de la société P. au détriment de la société Total, l'intimée précisant que c'est les contremaîtres deTotal qui validaient les heures facturées à leur employeur.

En l'espèce, la société Total a établi après audit une surfacturation de 11 397 heures, soit à 35 euros de l'heure, un trop payé de 398.895 euros, dont elle a réclamé le remboursement à la société P. par courrier du 23 août 2016 et l'appelante confirme le pacte de corruption par au moins une mention sur l'un des documents (annexe 35-1) concernant l'achat d'un vélo destiné à M. M. (désigné par M. S. sous sa signature) de « 175h x 35 = 6125 euros » et d'une demande par mail de M. S. à M. B. concernant un accord pour cet achat (annexe 34) précisant que de son côté il n'y avait « pas de problème de pointage ».

La matérialité du manquement de M. S. à l'obligation d'éthique imposée par sa délégation de pouvoirs dans le cadre de son contrat de travail et donc la réalité du motif de son licenciement est donc parfaitement démontrée par l'employeur.

Il est relevé que M. S. ne conteste pas sérieusement cette matérialité, ne commentant notamment pas les pièces produites par l'employeur portant son nom ou sa signature, mais seulement celles mettant en cause d'autres salariés cadres tels M. L. ou M. R., qui n'ont pas été inquiétés, ou soulignant qu'il n'intervenait pas dans le processus de pointage ou de validation des heures, ce que dément la pièce susvisée et nécessairement le fait qu'il supervisait comme chef de contrat les salariés de P. exécutant le marché pour Total sur le site de Carling et devait donc connaître les heures réellement exécutées par ses subordonnés et celles qualifiées par lui de « supplémentaires », mais en réalité fictives, dont il n'est pas certain qu'elles ont profité à ces salariés.

Même s'il n'est pas démontré qu'il a personnellement tiré un avantage des faits, et même s'il n'a pas été le seul à y participer, M. S. y a néanmoins activement contribué, en complicité avec les cadres de l'agence de Saint-Avold et les contremaîtres de Total.

S'il produit ainsi plusieurs témoignages d'anciens salariés de l'agence de Saint-Avold, tels que cités par le jugement entrepris, mettant tous en cause pour la fabrication des barbecues et fours à pizza la direction de cette agence, à savoir M. R., ancien directeur, parti à la retraite en septembre 2014, M. Jean-Claude M., son successeur et M. B., son adjoint, pour en avoir donné l'ordre au chef d'atelier, qui supervisait les travaux, ces témoignages ne l'exonèrent pas pour autant de sa propre responsabilité, puisqu'il a notamment reconnu lors de l'entretien susvisé avec la direction connaître les contremaîtres de Total qui passaient commande et qu'il existe des documents attestant qu'il a participé aux commande de matériels pour au moins un barbecue et pour la confection de la serre.

Contrairement à ce qu'il prétend, M. S. n'a pas servi de « bouc émissaire », puisque l'appelante justifie des sanctions appliquées aux principaux cadres impliquées dans les faits, M. M. qui a aussi été licencié pour cause réelle et sérieuse et M. B. qui a été rétrogradé à un poste sans responsabilités, et de l'action qu'elle a entreprise contre M. R. en répétition du trop versé qu'elle a du rembourser à la société Total.

S'agissant du caractère sérieux du grief, celui-ci découle de la nature même du manquement, la corruption étant non seulement contraire à l'obligation souscrite par le salarié de respecter l'éthique de la société et son obligation plus générale d'exécuter de bonne foi le contrat de travail mais aussi susceptible de sanctions pénales.

Les faits litigieux ont aussi porté une atteinte certaine à l'image de l'appelante et lui ont nui gravement puisque, outre la somme importante qu'elle a dû reverser à Total, la société P. a perdu le marché, qui occupait une soixantaine de salariés, étant dès lors obligée, comme elle en justifie, de placer son établissement de Lorraine sous activité partielle sur autorisation du Ministère du travail.

L'appelante fait encore valoir à juste titre que M. S., qui n'allègue, ni ne démontre qu'il aurait agi sous une quelconque contrainte, avait la possibilité de dénoncer la corruption et de bénéficier de l'immunité accordée par l'article L. 1161-1 du code du travail, mais qu'il ne l'a pas fait alors que le pacte de corruption avait cours depuis déjà plusieurs années, ce qui démontre aussi un manquement du salarié à son obligation de loyauté.

Si M. S. prétend pouvoir être excusé parce qu'il aurait agi sur ordre, « au vu et au su de son employeur et sur son autorisation, avec sa validation et son financement », il convient de rappeler que selon une jurisprudence constante, encore rappelée récemment, la commission d'une infraction à l'instigation ou avec l'autorisation d'un supérieur hiérarchique ne retire pas aux agissements leur caractère fautif (Soc. 01.07.2015, 3 espèces).

En l'occurrence, même s'il apparaît que la direction régionale de Saint-Avold était parfaitement au courant des faits de corruption, qu'elle autorisait et même initiait, ce constat ne saurait pour autant retirer au grief son caractère fautif et sérieux.

Par ailleurs, si M. S. laisse entendre que la direction centrale de la société était elle aussi « complice » des faits, ce qui ne saurait davantage excuser sa faute, il ne démontre cependant pas que lui-même ou l'agence de Saint-Avold auraient agi sur ordre de cette direction ou avec son aval.

En effet, la seule circonstance que les achats litigieux apparaissaient dans des notes de frais, que Mme B., agent administratif, qui témoigne pour l'intimé, indique avoir envoyé tous les fins de mois « à la demande de la direction de P. de Paris », avec les justificatifs portant au dos les numéros de commande et les « invités pour les fiches cadeaux », au service comptabilité de la société, ne préjuge pas d'une demande ou d'un accord de la direction pour ces cadeaux.

Il convient d'observer que les agences régionales de la société P. disposaient d'une large autonomie de gestion, comme en atteste la délégation de pouvoirs du directeur régional, lui permettant d'engager la société jusqu'à un montant de 3 millions d'euros (annexe 25 de l'appelante), qui fait que les dépenses litigieuses n'avaient pas à être autorisées par le siège et que la centralisation de la comptabilité n'impliquait pas nécessairement un contrôle de toutes les dépenses, a fortiori si elles étaient d'un montant relativement modeste ou transitaient par la caisse et avaient été avalisées à l'échelon régional.

Ainsi, même si Mme B. ajoute à son témoignage que « chaque année les comptes étaient contrôlés par des commissaires aux comptes », ce fait, sachant que le contrôle de ces commissaires, a fortiori dans une grande entreprise, se fait souvent par sondage, n'est pas dirimant, l'appelante contestant toute implication dans les faits incriminés et précisant avoir procédé à des audits dans ses autres agences après la découverte de ces faits et n'avoir découvert aucune pratique similaire.

Il est encore relevé que si M. S. fait valoir spécifiquement qu'au moins une des pièces produites par l'appelant corrobore ses dires, soit montre que pour l'achat d'un four multifonctions d'une valeur de 1890 euros la secrétaire de direction de l'agence de Saint Avold, Mme K., a envoyé un mail à la trésorerie de la société, avec copie à des « personnes attachées au siège » (sans précision de leurs fonctions), pour demander le virement du montant correspondant, avec comptabilisation dans un compte se terminant en 111 (qui était selon l'appelante celui qui enregistrait toutes les opérations avec la société Total) et annonce d'un envoi de la pièce justificative par courrier à rattacher à la pièce comptable, ce seul fait ne justifie cependant pas d'une connaissance par la direction de la société de l'objet illégal de cet achat - étant observé que la facture correspondante porte uniquement la signature de M. M., qui a donc seul approuvé la dépense, mais pas la mention du destinataire de l'objet, et que le lieu de livraison spécifié était l'agence régionale de Saint-Avold.

En définitive, le caractère à la fois réel et sérieux du motif du licenciement, dont l'appelante fait justement observer qu'il aurait pu relever de la faute grave ou même de la faute lourde si elle avait connu par avance le but poursuivi par ses cadres et l'ampleur de la fausse facturation, est largement établi.

Le jugement entrepris sera dès lors infirmé et M. S. sera débouté de sa demande de dommages et intérêts.

L'intimé, qui succombe, supportera les dépens de première instance et d'appel.

Il est équitable par ailleurs d'allouer à la société P. une somme de 5000 euros pour les frais autres que les dépens exposés lors des deux instances.

PAR CES MOTIFS,

La Cour, statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau,

Dit que le licenciement de M. Denis S. repose sur une cause réelle et sérieuse ;

Déboute M. Denis S. de sa demande de dommages et intérêts ;

Condamne M. Denis S. aux dépens de première instance et d'appel et à payer à la SAS P. Frères une somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.