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Décisions

CA Versailles, 19e ch., 2 février 2022, n° 21/02247

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Caixa Geral de Depositos (Sté), Pole Emploi (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Montagne

Conseillers :

M. Bouchard, M. Baby

Cons. prud’h. Saint-Germain en Laye, du …

8 février 2016

FAITS ET PROCEDURE,

M. Jorge G. a été embauché, à compter du 30 août 2001, selon contrat de travail à durée indéterminée en qualité d'adjoint au chef d'agence par la société Banque Franco-Portugaise aux droits de laquelle est venue la société Caixa Geral de Depositos (ci-après la société CGD).

La convention collective applicable à la relation de travail est la convention collective nationale de la banque.

À compter du 1er décembre 2001, M. G. a été promu dans l'emploi de chef d'agence.

À compter du 13 janvier 2009, M. G. a été nommé chef d'agence à Saint-Germain-en-Laye.

A compter du 11 décembre 2012, M. G. a été nommé dans l'emploi de directeur d'agence à Sartrouville.

Par lettre du 19 décembre 2014, la société CGD a convoqué M. G. à un entretien préalable à un éventuel licenciement, avec mise à pied à titre conservatoire.

Par lettre du 15 janvier 2015, la société CGD a notifié à M. G. son licenciement pour faute grave.

Le 11 février 2015, la commission paritaire de la banque en formation recours a 'pris acte'du licenciement de M. G..

Le 19 mars 2015, M. G. a saisi le conseil de prud'hommes de Saint-Germain en Laye

pour contester le bien-fondé de son licenciement et demander la condamnation de la société CGD à lui payer des indemnités de rupture et un rappel de salaire sur la période de mise à pied conservatoire.

Par un jugement du 8 février 2016, le conseil de prud'hommes (section encadrement) a :

- débouté M. G. de ses demandes ;

- condamné M. G. aux dépens.

Sur appel de M. G., la cour d'appel de céans (15ème chambre) a, par arrêt du 7 août 2019, infirmé le jugement attaqué en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, a :

- dit le licenciement de M. G. sans cause réelle et sérieuse ;

- condamné la société CGD à payer à M. G. les sommes suivantes :

* 9 347,48 euros à titre de rappel de salaire afférent à la période de mise à pied conservatoire et 934,75 euros au titre des congés payés afférents ;

* 20'692,88 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement ;

* 56'822 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

* 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté la société CGD de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonné le remboursement par la société CGD des indemnités de chômage à concurrence de trois mois ;

- condamné la société CGD aux dépens de première instance et d'appel.

Par arrêt du 31 mars 2021 rendu entre, d'une part, la société CGD, demanderesse au pourvoi et, d'autre part, M. G. et Pôle emploi, défendeurs à la cassation, la Cour de cassation (chambre sociale) a cassé et annulé, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 7 août 2019, entre les parties, par la cour d'appel de céans et a remis l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la même cour d'appel autrement composée.

Le 9 juillet 2021, M. G. a saisi la cour de céans en mettant dans la cause la société CGD et Pôle Emploi.

Aux termes de ses conclusions du 29 novembre 2021 soutenues oralement à l'audience, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé des moyens, M. G. demande à la cour d'infirmer le jugement du conseil de prud'hommes du 8 février 2016 et, statuant à nouveau, de :

- dire son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

- condamner la société CGD à lui payer les sommes suivantes :

* 16'024,26 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 1 602,42 euros bruts au titre des congés payés afférents ;

* 9 347,48 euros brut à titre de rappel de salaire sur la mise à pied conservatoire et 943,75 euros brut au titre des congés payés afférents ;

* 25'638,82 euros net à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement ;

* 128'000 euros net à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et préjudice moral et de carrière ;

- ordonner à la société CGD de lui remettre des documents de fin de contrat conformes à l'arrêt à intervenir ;

- dire que les condamnations porteront intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud'hommes ;

- ordonner le remboursement des allocations de chômage à hauteur de six mois d'indemnisation ;

- condamner la société CGD à lui payer une somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Aux termes de ses conclusions du 14 décembre 2021, soutenues oralement à l'audience, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé des moyens, la société CGD demande à la cour de :

- confirmer le jugement attaqué ;

- débouter M. G. de ses demandes et le condamner à lui payer une somme de 4000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Pôle emploi,avisé à l'audience par lettre recommandée avec demande d'avis de réception qui a été signé,n'a pas comparu ni été représenté à l'audience.

SUR CE :

Sur le bien-fondé du licenciement et ses conséquences :

Considérant que la lettre de licenciement pour faute grave notifiée à M. G., qui fixe les limites du litige, est ainsi rédigée : ' Faisant suite à l'entretien dont vous avez bénéficié le 7 janvier 2015, nous sommes amenés à vous notifier votre licenciement pour fautes graves.

Vous avez manqué à vos obligations professionnelles particulièrement dans le domaine de la déontologie en n'assurant pas une indépendance entre vos intérêts personnels et ceux de la clientèle que vous gérez et en privilégiant vos intérêts personnels sur ceux du client et ceux de la banque, voire même en participant à une opération de corruption.

Il vous est en effet reproché d'avoir bénéficié gratuitement de biens et services à tout le moins en 2011 de la part d'un client de l'agence de Saint Germain en Laye alors que vous en étiez le directeur.

Fin novembre 2014, M. José C. a en effet révélé avoir effectué sans jamais en être payé divers travaux dans des biens immobiliers vous appartenant, dont votre résidence principale.

Ces travaux ont impliqué la fourniture de matériaux et leur coût avec ces fournitures, est de l'ordre de 180.000 euros selon les indications du client et compris entre 50 et 70.000 euros selon vos affirmations.

S'y est ajoutée la cession à votre bénéfice, et toujours à titre gratuit, d'un véhicule automobile d'occasion.

Après avoir reconnu ces faits par écrit, vous avez ensuite entendu faire valoir que ces travaux avaient été exécutés à la seule initiative du client et sans votre accord mais que vous en attendiez les factures pour les régler.

L'exécution de ces travaux dans vos biens immobiliers dont votre domicile sans votre accord n'est pas crédible.

L'absence de tout paiement même partiel ou même de toute tentative de paiement au cours de ces dernières années et notamment de relances du client pour le payer si on doit souscrire à votre thèse, démontrent également l'absence de toute crédibilité de vos affirmations.

Il ressort donc de l'examen de ces faits que vous avez, sans jamais en informer votre hiérarchie, à tout le moins bénéficié, voire sollicité, des cadeaux particulièrement importants quelle que soit l'évaluation retenue, de la part d'un client de l'agence que vous dirigiez.

Vous étiez alors en situation d'influer, ou de le laisser croire, sur la gestion des comptes de client.

Ces faits particulièrement graves de la part d'un cadre de votre niveau, astreint à un devoir d'exemplarité, ne permettent pas la poursuite de votre contrat de travail.

Votre licenciement intervient pour fautes graves sans préavis ni indemnité (...)' ;

Considérant que M. G., qui reconnaît que M. C., client de son agence, a accompli des travaux dans son domicile et dans d'autres biens immobiliers lui appartenant en 2011 et lui a cédé gratuitement un véhicule, soutient que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse aux motifs que :

- il n'est pas démontré en quoi il aurait manqué au code de bonne conduite de la banque, lequel n'interdit nullement de faire appel à des clients dans le cadre de la sphère privée, ainsi qu'au code de gestion des conflits d'intérêts et au règlement intérieur ;

- il s'est borné à faire appel à un client pour ses besoins personnels ;

- il n'est pas démontré qu'il a en échange consenti des avantages au client en cause ;

- le licenciement est fondé sur une dénonciation calomnieuse de M. C. ainsi que sur une enquête interne montée de toutes pièces au cours de laquelle des aveux lui ont été extorqués ;

- le code de bonne conduite, le code de gestion des conflits d'intérêts, le manuel de conformité auxquels se réfère l'employeur pour établir des manquements n'ont pas été soumis aux formalités de publicité d'un règlement intérieur et lui sont inopposables en ce qu'il les a signés postérieurement aux faits reprochés ;

- s'il est évident que l'acceptation de cadeaux important de la part d'un client pourrait selon les circonstances constituer une violation du code de bonne conduite édicté par l'employeur, il n'est pas établi qu'il s'agissait de cadeaux puisqu'il avait l'intention de les payer et a en reçu les factures de la part de M. C. après le licenciement, le 2 mars 2015 ;

- le doute doit lui profiter ;

Considérant que la société CGD soutient que M. G. a profité de sa position pour obtenir des cadeaux importants de la part d'un client ou à tout le moins les a acceptés, sans le révéler à son employeur, méconnaissant ainsi l'obligation contractuelle de loyauté et de probité ainsi que les obligations contractuelles issues des règles internes qu'il a acceptées en les signant avant les faits litigieux ;

Considérant que la faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise; que la charge de la preuve de cette faute incombe à l'employeur qui l'invoque ; qu'aux termes de l'article 1134 du code civil, dans sa version applicable au litige : 'Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. /Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise./ Elles doivent être exécutées de bonne foi' ; qu'aux termes de l'article L. 1222-1 du code du travail, le contrat de travail est exécuté de bonne foi ; qu'un motif tiré de la vie personnelle de salarié peut justifier un licenciement disciplinaire s'il constitue un manquement de l'intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail ;

Qu'en l'espèce, il est tout d'abord constant que M. G., alors qu'il était chef d'agence bancaire, a, à tout le moins, fait exécuter des travaux dans son domicile et dans divers biens immobiliers lui appartenant, par des sociétés dirigées par M C., lequel était client de son agence ;

Qu'il ressort ensuite des débats et des pièces versées que ces travaux ont été exécutés après le mois d'août 2011, puisque M. G. explique qu'il les a commandés à M. C. après avoir obtenu des devis d'autres entreprises, lesquels datent de la mi-août 2011 ; que ces travaux de rénovation et d'aménagement d'une maison et d'appartements sont conséquents et s'évaluent a minima à plusieurs dizaines de milliers d'euros ;

Qu'il ressort par ailleurs des débats que M. G. n'a, avant son licenciement du 15 janvier 2015, jamais payé d'acompte à M. C., ni jamais reçu de facture de sa part, ni d'ailleurs jamais demandé de paiement ; que s'il invoque à l'instance un litige avec M. C. sur la qualité des travaux accomplis expliquant un non-paiement, il s'appuie sur un rapport d'architecte établi le 3 janvier 2015 à sa demande, soit après l'engagement de la procédure de licenciement, sans produire aucun élément antérieur ; que les factures de travaux qu'il produit ont été établies en mars 2015, soit plusieurs semaines après le licenciement, manifestement pour les besoins de la cause, et il n'est pas contesté qu'encore à ce jour M. G. n'a effectué aucun paiement ; qu'il se déduit de ces éléments que la société intimée établit que les travaux en cause ont été accomplis à titre gratuit et peuvent ainsi être qualifiés de cadeaux ;

Que l'acceptation de cadeaux d'un montant aussi important de la part d'un client de l'agence qu'il dirigeait, sans le révéler à son employeur, place M. G. dans une situation de conflit d'intérêts et constitue de la part du salarié un manquement à son obligation contractuelle de loyauté envers la société CGD laquelle découle des dispositions légales d'ordre public mentionnées ci-dessus ;

Que ce fait constitue de surcroît un manquement aux obligations contractuelles expressément acceptées par M. G. puisqu'il ressort des pièces versées qu'il a signé, avant la commande des travaux en cause, d'une part, en 2010, le code de bonne conduite interne à l'entreprise qui prévoit, dans son article 10, intitulé « interdiction d'acceptation d'avantages » que :« les collaborateurs de la CGD sont tenus à l'obligation de ne pas accepter ou solliciter un quelconque avantage incluant prêt, cadeaux, ou autres profits émanant de personnes avec lesquelles ils entrent en relation et/ou sont en contact direct dans l'exercice de leurs relations professionnelles » et qu'il a signé, d'autre part, le 26 mai 2011, le manuel de 'conformité' interne à l'entreprise qui reprend les dispositions précitées, et ajoute, dans son article 3 intitulé « cadeaux et avantages » que « les collaborateurs ne doivent pas (') solliciter ou accepter des avantages (cadeaux, bénéfices ou faveurs) qui seraient en conflit avec leurs devoirs envers les clients et la CGD FRANCE ('), accepter (') des cadeaux excessifs [de] clients (') » ;

Qu'en outre, il est constant que M. G. a reçu à titre gratuit un véhicule utilitaire, de type Mercédès-Benz Vito, de la part de M. C. le 18 avril 2011 ; que s'il ressort des pièces versées que ce véhicule avait un fort kilométrage et avait été refusé au contrôle technique, il n'en demeure pas moins qu'il disposait d'une valeur résiduelle ; que là encore, M. G. n'a, avant son licenciement du 15 janvier 2015, jamais reçu de factures, ni d'ailleurs jamais demandé de paiement ; que la facture qu'il produit a été établie elle-aussi en mars 2015, soit plusieurs semaines après le licenciement, manifestement pour les besoins de la cause, et il n'est pas contesté là non plus qu'encore à ce jour M. G. n'a effectué aucun paiement ; qu'il s'agit de l'acceptation d'un autre cadeau de la part d'un client en contravention aux règles légales et contractuelles mentionnées ci-dessus ;

Qu'il résulte de ce qui précède que les manquements répétés et majeurs de M. G. à son obligation contractuelle de loyauté sont établis ; que ces faits rendaient impossible la poursuite du contrat de travail ;

Que le licenciement est donc fondé sur une faute grave, comme l'ont justement estimé les premiers juges ;

Qu'en conséquence, il y a lieu de débouter M. G. de ses demandes d'indemnités de rupture et de rappel de salaire sur la période de mise à pied à titre conservatoire ; que le jugement attaqué sera confirmé sur ces points ;

Sur la remise de documents sociaux de fin de contrat :

Considérant qu'eu égard à la solution du litige, il y a lieu de débouter M. G. de cette demande nouvelle en appel ;

Sur le remboursement par l'employeur des allocations de chômage à Pôle emploi :

Considérant qu'eu égard à la solution du litige, il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail ; que le jugement attaqué sera confirmé sur ce point ;

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens :

Considérant qu'eu égard à la solution du litige, il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il statue sur ces deux points ; que M. G., qui succombe en appel, sera débouté de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure suivie en appel et sera condamné à payer à la société CGD une somme de 1 500 euros à ce titre ainsi qu'aux dépens d'appel ;

PAR CES MOTIFS :

Vu l'arrêt de la Cour de cassation (chambre sociale) du 31 mars 2021,

La cour, statuant par mise à disposition au greffe et par arrêt réputé contradictoire, dans les limites de la cassation prononcée,

Confirme le jugement entrepris,

Y ajoutant,

Condamne M. Jorge G. à payer à la société Caixa Geral de Depositos une somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure suivie en appel,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes,

Condamne M. Jorge G. aux dépens d'appel.