CA Versailles, 15e ch., 7 août 2019, n° 16/01046
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Défendeur :
Caixa Geral de Depositos (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Lesault
Conseillers :
Mme Vendryes, M. Pinoy
Avocats :
Me Dinichert-Poilvert, Me Videlaine
M. [T] [K] (ci-après M. [K]) a été embauché à compter du 30 août 2001 par contrat à durée indéterminée, par la Banque Franco-Portugaise, en qualité d'adjoint au chef d'agence.
Il a été promu chef d'agence à compter du 1er décembre 2001 par lettre du 30 novembre 2001 de la société Caixa Geral de Depositos, venue aux droits de la Banque Franco-Portugaise.
La société Caixa Geral de Depositos compte plus de 500 salariés.
La convention collective applicable est celle de la banque.
M. [K] percevait une rémunération mensuelle brute de base de 4.670,27 euros.
Par lettre du 19 décembre 2014 remise en main propre, la société Caixa Geral de Depositos a convoqué M. [K] à un entretien préalable à un éventuel licenciement pour motif disciplinaire et lui a notifié une mise à pied à titre conservatoire.
Après entretien tenu le 7 janvier 2015, M. [K] a été licencié pour faute grave par lettre recommandée avec accusé de réception du 15 janvier 2015.
Après recours de M. [K] le 22 janvier 2015 auprès de la commission paritaire de la banque, en application de l'article 27 de la convention collective de la banque et après avis de cette commission en date du 10 février 2015 communiqué le 11 février 2015, le licenciement a été rendu effectif à la date du 10 février 2015 et confirmé à M. [K] par la Caixa Geral de Depositos par lettre recommandée avec accusé de réception du 12 février 2015.
Contestant son licenciement, M. [K] a saisi le conseil de prud'hommes le 19 mars 2015.
Par jugement du 8 février 2016, le conseil de prud'hommes de Saint Germain-en-Laye a :
- débouté M. [K] de l'intégralité de ses demandes,
- condamné M. [K] aux éventuels dépens.
Par déclaration du 17 février 2016, enregistrée le 8 mars 2016, M. [K] a interjeté appel de la totalité du jugement.
Par conclusions écrites et soutenues oralement à l'audience, M. [K], appelant, demande à la cour de :
- dire et juger son licenciement à la fois vexatoire et sans cause réelle et sérieuse,
- condamner la société Caixa Geral de Depositos au paiement de :
- indemnité de préavis : 16.024,26 euros,
- congés payés y afférent : 1.602,42 euros,
- rappel mise à pied : 9.347,48 euros,
- congés payés y afférent : 943,75 euros,
- indemnité conventionnelle non disciplinaire de licenciement : 25.638,82 euros,
- dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et préjudice moral et de carrière :128.000,00 euros,
- documents sociaux en bonne et due forme,
- article 700 Code de procédure civile : 4.000,00 euros,
- intérêt légal à compter de la saisine du Conseil de prud'hommes,
- ordonner le remboursement Pôle emploi pour 6 mois,
- condamner la société Caixa Geral de Depositos aux entiers dépens.
Par conclusions écrites et soutenues oralement à l'audience, la société Caixa Geral de Depositos, intimée, demande à la cour de :
- confirmer le jugement rendu par le Conseil de prud'hommes de Saint-Germain-en-Laye en toutes ses dispositions,
- débouter en conséquence M. [K] de toutes ses demandes,
- condamner M. [K] au paiement de la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.
Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie aux conclusions déposées et soutenues à l'audience, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
1- Sur le licenciement pour faute grave
Aux termes de la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige, la société Caixa Geral de Depositos reproche au salarié d'avoir manqué à ses obligations professionnelles dans le domaine de la déontologie en n'assurant pas une indépendance entre ses intérêts personnels et ceux de la clientèle et en privilégiant ses intérêts personnels sur ceux du client et ceux de la banque, et en participant à une opération de corruption.
En application de l'article L. 1232-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse. La faute grave s'entend d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.
Il appartient à l'employeur de rapporter la preuve de l'existence d'une faute grave.
A titre liminaire, il convient de rappeler que la datation des faits dans la lettre de licenciement n'est pas nécessaire et qu'il suffit que le grief soit matériellement vérifiable.
Il est reproché au salarié aux termes de la lettre de licenciement du 15 janvier 2015 :
"Vous avez manqué à vos obligations professionnelles particulièrement dans le domaine de la déontologie en n'assurant pas une indépendance entre vos intérêts personnels et ceux de la clientèle que vous gérez et en privilégiant vos intérêts personnels sur ceux du client et ceux de la banque, voire même en participant à une opération de corruption.
Il vous est en effet reproché d'avoir bénéficié gratuitement de biens et services à tout le moins en 2011 de la part d'un client de l'agence de [Localité 2] alors que vous en étiez le directeur.
Fin novembre 2014, Monsieur [K] [X] a en effet révélé avoir effectué sans jamais en être payé divers travaux dans des biens immobiliers vous appartenant, dont votre résidence principale.
Ces travaux ont impliqué la fourniture de matériaux et leur coût avec ces fournitures, est de l'ordre de 180.000 euros selon les indications du client et compris entre 50 et 70.000 euros selon vos affirmations.
S'y est ajoutée la cession à votre bénéfice, et toujours à titre gratuit, d'un véhicule automobile d'occasion.
Après avoir reconnu ces faits par écrit, vous avez ensuite entendu faire valoir que ces travaux avaient été exécutés à la seule initiative du client et sans votre accord mais que vous en attendiez les factures pour les régler.
L'exécution de ces travaux dans vos biens immobiliers dont votre domicile sans votre accord n'est pas crédible.
L'absence de tout paiement même partiel ou même de toute tentative de paiement au cours de ces dernières années et notamment de relances du client pour le payer si on doit souscrire à votre thèse, démontrent également l'absence de toute crédibilité de vos affirmations.
Il ressort donc de l'examen de ces faits que vous avez, sans jamais en informer votre hiérarchie, à tout le moins bénéficié, voire sollicité, des cadeaux particulièrement importants quelle que soit l'évaluation retenue, de la part d'un client de l'agence que vous dirigiez.
Vous étiez alors en situation d'influer, ou de le laisser croire, sur la gestion des comptes de client.
Ces faits particulièrement graves de la part d'un cadre de votre niveau, astreint à un devoir d'exemplarité, ne permettent pas la poursuite de votre contrat de travail.
Votre licenciement intervient pour fautes graves sans préavis ni indemnité."
M. [K] a été licencié pour faute grave pour manquement à ses obligations déontologiques, l'employeur lui faisant grief de bénéficier gratuitement de biens et services de la part d'un client de l'agence de [Localité 2] avec lequel il était en situation d'influer, ou de le laisser croire, sur la gestion de ses comptes.
Les griefs formulés à l'encontre de M. [K] dans la lettre de licenciement ressortent principalement d'un rapport d'audit réalisé par la société Caixa Geral de Depositos et des pièces qui y sont annexées.
Il ressort de ce rapport d'enquête interne que la société CAE CONSTRUCTION que dirige M. [X] a réalisé des travaux dans 5 biens immobiliers appartenant à M. [K] au cours de l'année 2011.
Le 13 avril 2011, M. [X] a en outre cédé son véhicule Mercedes Vito à la société THONYMAXELLE, dont le gérant est M. [K].
M. [K] n'a jamais payé M. [X] pour les travaux réalisés ni pour la cession du véhicule.
Ces faits, dont il n'est pas justifié par la société Caixa Geral de Depositos qu'ils aient donné lieu à des poursuites pénales et à des condamnations de M. [K], ne concernent aucunement l'emploi occupé par le salarié auprès de la banque employeur ni sa relation de travail, dès lors qu'ils s'inscrivent dans le cadre de sa sphère privée et non professionnelle.
A supposer encore que ces faits soient établis et jugés, ce qui n'est pas démontré, le fait que la victime supposée ait été cliente de la banque et ait relevé du portefeuille de clientèle attribué à M. [K], ne présente pas un lien de causalité suffisant permettant à l'employeur d'affirmer que M. [K] aurait ainsi manqué au code de bonne conduite de la banque qui n'interdit nullement de faire appel à des artisans accessoirement clients de la banque, pour des besoins privés, ni en quoi il y aurait eu conflit d'intérêt, ni même manquement au règlement intérieur de la banque.
La cour constate que les déclarations de la société Caixa Geral de Depositos ne sont corroborées par aucun procès-verbal d'audition de M. [K] de sorte qu'elles reposent essentiellement sur une version des faits donnée par M. [X].
Or, les faits qui relèvent de la vie personnelle des salariés ne peuvent constituer une faute dans les relations de travail que si l'employeur démontre qu'ils sont à l'origine d'un trouble dans l'entreprise.
Par ailleurs, il n'est nullement soutenu ni démontré par la société Caixa Geral de Depositos que les échanges de nature privée entre M. [K] et M. [X] aient empiété sur son temps de travail.
Dès lors, l'employeur ne rapporte pas la preuve qui lui incombe de la consistance de la faute grave qu'il invoque à l'appui du licenciement de M. [K].
Il s'en déduit que le licenciement de M. [K] est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Le jugement déféré mérite une infirmation.
2- Sur la mise à pied conservatoire
M. [K] aurait dû bénéficier du paiement de sa période de mise à pied conservatoire du 19 décembre 2014 au 12février 2015, soit :
5.341,42 x 1 mois et 3/4 mois = 5.341,42 + 4.006,06 euros = 9.347,48 euros
Il est bien fondé à solliciter la condamnation de la société Caixa Geral de Depositos à lui payer la somme de 9.347,48 euros au titre de sa période de mise à pied et celle de 934,75 euros à titre de congés payés y afférent.
3- Sur l'indemnité conventionnelle de licenciement
Aux termes de son contrat incluant les 3 mois de préavis, M. [K] avait une ancienneté de 13 ans et 8 mois.
L'indemnité conventionnelle de licenciement doit être calculée en faisant application de l'article 26-2 de la convention collective de la banque qui prévoit que « la mensualité qui sert de base à l'assiette de calcul de cette indemnité est égale à 1/13ème du salaire de base annuel que le salarié a ou aurait perçu au cours des douze derniers mois civils précédant la rupture du contrat de travail ».
Le salaire de base annuel de M. [K] est égal à 56.043,24 euros (4.670,27 euros X 12).
Dès lors, M. [K] peut prétendre à une indemnité conventionnelle de licenciement égale à 20.692,88 euros (56.043,24 / 13 x 1/5 x 24).
Il demeure bien fondé à solliciter la condamnation de la société Caixa Geral de Depositos à lui payer la somme de 20.692,88 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement.
4- Sur les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
M. [K] avait une ancienneté de 13 ans et 8 mois et percevait avant son licenciement la somme de 4.670, 27 euros par mois.
M. [K] a créé sa propre société de courtage en assurances le 23 mars 2015, deux mois après son licenciement.
Il ne verse pas ses avis d'imposition sur les revenus ni aucun justificatif Pôle emploi postérieur au mois de novembre 2015.
La cour dispose des éléments d'appréciation suffisants pour évaluer son préjudice et condamner la société Caixa Geral de Depositos à lui payer la somme de 56.822, 00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
5- Sur le remboursement des indemnités de chômage
En application de l'article L. 1235-4 du code du travail, il y a lieu d'ordonner le remboursement par la société aux organismes concernés, parties au litige par l'effet de la loi, des indemnités de chômage qu'ils ont versées le cas échéant à M. [K] à compter du jour de son licenciement, et ce à concurrence de 3 mois.
6- Sur les demandes accessoires
Partie succombante, la société Caixa Geral de Depositos sera condamnée aux entiers dépens, qui comprendront, le cas échéant, tous les frais et honoraires d'exécution forcée.
Elle sera également déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamnée à payer à ce titre au salarié la somme de 3.000 euros.
La Cour,
Statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
INFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions,
DIT que le licenciement de M. [T] [K] est sans cause réelle et sérieuse,
CONDAMNE la société Caixa Geral de Depositos à lui verser les sommes suivantes :
- 9 347,48 euros à titre de rappel de salaires durant la période de mise à pied et celle de 934,75 euros au titre des congés payés y afférents,
- 20.692, 88 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,
- 56.822, 00 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
REJETTE la demande de la société Caixa Geral de Depositos en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
ORDONNE le remboursement par la société Caixa Geral de Depositos aux organismes concernés des indemnités de chômage qu'ils ont versées le cas échéant à M. [T] [K] à compter du jour de son licenciement, et ce à concurrence de 3 mois,
CONDAMNE la société Caixa Geral de Depositos aux dépens de première instance et d'appel, qui comprendront, le cas échéant, tous les frais et honoraires d'exécution forcée.