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Décisions

CA Poitiers, 2e ch., 14 novembre 2023, n° 22/01700

POITIERS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Hugom (SARL)

Défendeur :

Façade Ouest (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pascot

Conseillers :

M. Vetu, M. Lecler

Avocats :

Me Michot, Me Gatin, Me Glaentzlin

T. com. La Rochelle, du 20 mai 2022

20 mai 2022

EXPOSÉ DU LITIGE

Par acte du 03 mars 2020, une promesse de vente a été signée entre la SAS Façade Ouest et la SARL Hugom portant sur l'acquisition d'un ensemble immobilier situé, [Adresse 3]), pour un prix de vente de 514.000 € Toutes Taxes Comprises.

Une indemnité d'immobilisation a été fixée à la somme forfaitaire de 50.000 €. L'acte stipulait que le bénéficiaire devait verser la somme de 25.000 €, à titre de séquestre, dans les 10 jours suivant la signature de la promesse de vente.

Cette promesse de vente a par ailleurs été subordonnée à la réalisation d'une condition suspensive d'obtention d'un prêt.

La bénéficiaire de la promesse a communiqué à la promettante une attestation de refus de crédit émanant de la banque CIC datée du 08 avril 2020.

Par courrier recommandé du 1er juillet 2020, la société Façade Ouest a mis en demeure la société Hugom de régler l'indemnité d'immobilisation de 50.000 €.

Par courrier du 02 septembre 2020, la société bénéficiaire a contesté l'existence d'une quelconque faute de sa part et a refusé de verser l'indemnité d'immobilisation.

Le 19 mars 2021, la SAS Façade Ouest a attrait la société Hugom devant le tribunal de commerce de La Rochelle.

Par jugement en date du 22 mai 2022, le tribunal de commerce de La Rochelle a statué ainsi :

Vu les articles 1231-5, 1304-3 et 1304-4 du code civil,

Vu l'article 514 du code de procédure civile,

- reçoit la SAS Façade Ouest en ses demandes, fins et conclusions, les dit bien fondées et lui en fait partiellement droit,

- dit que la promesse de vente conclue le 03 mars 2021 est une promesse unilatérale de vente,

- constate que la SARL Hugom a été défaillante dans l'administration de la preuve de demandes de prêt conforme aux stipulations contractuelles,

- dit que la condition suspensive est réputée accomplie par application de l'article 1304-3 du code civil,

- dit que la condition suspensive est une clause pénale qu'il convient de maintenir dans son quantum,

- condamner la SARL Hugom à payer à la SAS Façade Ouest la somme de 50.000 € au titre de l'indemnité d'immobilisation stipulée dans la promesse unilatérale de vente du 03 mars 2020,

- condamne la SARL Hugom au paiement de la somme justement appréciée de 2.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- constate que l'exécution provisoire est de droit,

- condamne, conformément à ce qu'indique l'article 696 du Code de procédure civile, la SARL Hugom au paiement des entiers dépens de l'instance comprenant les frais de greffe s'élevant à la somme de soixante euros et ving-deux centimes TTC.

Par déclaration en date du 05 juillet 2022, la SARL Hugom a relevé appel de cette décision en visant ses chefs expressément critiqués.

La SARL Hugom, par dernières conclusions transmises par voie électronique en date du 03 octobre 2022, demande à la cour de :

Rejetant toutes conclusions contraires comme injustes ou non fondées,

- Infirmer le jugement prononcé par le tribunal de commerce de La Rochelle le 20 mai 2022 en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

Vu les dispositions de l'article 1304-3 du Code Civil,

Vu les dispositions de l'article 1304-4 du Code Civil,

Vu la jurisprudence,

- Juger que l'acte régularisé le 03 mars 2020 constitue une promesse synallagmatique de vente,

- Juger que la SARL Hugom n'a pas manqué à ses obligations,

En conséquence,

- Juger que la condition suspensive a défailli,

- Débouter la SAS Façade Ouest de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

Subsidiairement,

- Juger que l'indemnité qualifiée d'immobilisation doit s'analyser en une clause pénale,

En conséquence,

Vu les dispositions de l'article 1231-5 du Code Civil,

Vu la jurisprudence,

- Juger que le montant de la clause pénale sollicitée par la SAS Façade Ouest sera réduite à l'euro symbolique,

- Condamner la SAS Façade Ouest à restituer à la SARL Hugom la somme de 52.199,12 € versée en exécution de l'exécution provisoire du Jugement dont appel,

En tout état de cause,

- Condamner la SAS Façade Ouest au paiement d'une somme de 4.000 € en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- Condamner la même aux entiers dépens de l'instance.

La SAS Façade Ouest, par dernières conclusions transmises par voie électronique en date du 26 décembre 2022, demande à la cour de :

Vu l'article 1304-3 du Code civil,

Vu l'article 514 du Code de procédure civile

Vu l'article 1231-5 du Code civil

Vu la jurisprudence précitée,

- Juger que la promesse de vente du 03 mars 2020 constitue une promesse unilatérale de vente,

- Juger que la SARL Hugom ne justifie pas avoir présenté de demande de prêt conforme aux stipulations de la promesse de vente du 03 mars 2020,

- Juger que la SARL Hugom a manqué à ses obligations contractuelles,

- Juger que la condition suspensive doit être réputée accomplie,

- Juger que l'indemnité d'un montant de 50.000 € n'est pas disproportionnée,

En conséquence,

- Débouter la SARL Hugom de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions,

- Confirmer en toute ses dispositions le jugement rendu le 20 mai 2022 par le tribunal de commerce de La Rochelle (RG N°2021001308),

En tout état de cause,

- Condamner la SARL Hugom à payer à la SAS Façade Ouest la somme de 4.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- Condamner la SARL Hugom aux entiers dépens.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie expressément aux dernières conclusions précitées pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.

L'instruction de l'affaire a été clôturée suivant ordonnance datée du 30 août 2023 en vue d'être plaidée à l'audience du 13 septembre 2023, date à compter de laquelle elle a été mise en délibéré à ce jour.

Motivation

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la qualification de la promesse de vente

1. Selon l'article 1124 du Code civil, une promesse unilatérale est un contrat par lequel une partie, le promettant, accorde à l'autre, le bénéficiaire, le droit d'opter pour la conclusion d'un contrat dont les éléments essentiels sont déterminés, et pour la formation duquel ne manque que le consentement du bénéficiaire. La promesse unilatérale est ainsi un contrat unilatéral au sens de l'article 1106 du Code civil.

2. Selon l'article 1589 du même code, la promesse de vente vaut vente, lorsqu'il y a consentement réciproque des deux parties sur la chose et sur le prix.

3. La SARL Hugom fait valoir que la promesse unilatérale doit être requalifiée de promesse synallagmatique en raison du caractère excessif de l'indemnité d'immobilisation, correspondant à 10 % du prix de vente du bien et, au regard de la durée du délai d'option, ces éléments ne lui laissant en réalité d'autre choix que d'acquérir.

4. L'intimée réplique que :

- La seule introduction d'une clause prévoyant une indemnité d'immobilisation n'est pas de nature à conférer au contrat la qualification de promesse synallagmatique de vente.

- Ni le montant de l'indemnité litigieuse, ni le délai pour lever l'option ne sont de nature à contraindre le bénéficiaire à lever l'option.

5. La cour rappelle qu'il est de principe que ni l'existence, ni l'importance de l'indemnité d'immobilisation, laquelle constitue le prix de l'exclusivité consentie au bénéficiaire de la promesse, n'exercent d'influence sur la qualification de cette dernière, celle-ci restant une promesse unilatérale malgré l'existence d'une obligation souscrite par le bénéficiaire. Il est néanmoins parfois admis que si le montant de l'indemnité est excessif, il convient de requalifier l'avant-contrat en promesse synallagmatique de vente.

6. La cour indique, d'une part, qu'une telle indemnité, ne peut être qualifiée d'excessive dans le présent litige dès lors qu'elle ne représente que 10 % du prix de vente, l'appelant se référant à des cas d'espèce aux termes desquels il était sollicité du bénéficiaire, des indemnités représentant la totalité du prix de vente ou, a minima, 50% de ce prix de vente.

7. La cour indique, d'autre part, qu'il est inopérant en l'espèce de lier l'importance de cette indemnité au délai de la condition suspensive d'obtention d'un prêt, lesquels ne se confondent d'ailleurs pas, dès lors que l'acte précise que la réitération devait intervenir dans le délai minimum de un mois (délai de l'article L. 313-41 du Code de la consommation) et au plus tard, trois mois après la signature du compromis et qu'en outre, le bénéficiaire avait toute latitude selon les stipulations contractuelles pour renoncer au bénéfice de la condition suspensive légale de l'article L. 313-41 précité soit :

- en acceptant des offres de prêts à des conditions moins favorables que celles-ci dessus exprimés, et en notifiant ces offre et acceptation au PROMETTANT,

- en exprimant une intention contraire à celle ci-dessus exprimée, c'est-à-dire, de ne plus faire appel à un emprunt et en doublant cette volonté nouvelle de la mention manuscrite de l'article L. 313-42 du Code de la consommation ; cette volonté nouvelle et la mention fai[sant], dans cette hypothèse l'objet d'un écrit notifié au promettant.

8. L'indemnité d'immobilisation n'étant pas excessive et le délai d'option étant lui-même susceptible de modifications sur initiative du bénéficiaire, c'est à bon droit que le premier juge a constaté que la SARL Hugom était défaillante à démontrer que l'indemnité d'immobilisation prévue dans la promesse de vente était un moyen de la contraindre à acquérir le bien.

9. La décision entreprise sera confirmée de ce chef.

Sur la réalisation de la condition suspensive

10. Selon l'article 1103 du Code civil, 'Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits'.

11. L'article 1104 du même code ajoute que les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.

12. Par ailleurs, l'article 1304-3 du Code civil, rappelé dans la promesse unilatérale de vente, dispose que 'La condition suspensive est réputée accomplie si celui qui y avait intérêt en a empêché l'accomplissement.'

13. Il est constant que l'acquéreur doit respecter les caractéristiques de la demande de prêt prévues dans la promesse et la preuve lui incombe de ce qu'il a déposé une demande de prêt conforme aux stipulations contractuelles, portant à la fois sur le montant, le taux et la durée du financement mentionnés dans la promesse de vente ou le compromis.

A défaut d'une demande de prêt correspondant aux stipulations de la promesse de vente, la condition suspensive tenant à l'obtention du prêt est réputée accomplie en application de l'article 1304-3 du Code civil.

14. L'appelante fait valoir que la condition suspensive aurait été accomplie dès lors que :

- Son intention initiale a toujours été celle de souscrire un prêt amortissable sur une durée de vingt ans, comme en attestent deux demandes de crédit antérieures à la signature de la promesse de vente et que c'est ainsi par inattention qu'elle n'a pas fait corriger la promesse litigieuse ;

- Elle a sollicité auprès de la banque l'octroi d'un prêt amortissable sur une durée de vingt ans afin de faciliter l'obtention du crédit ;

- L'épidémie de la Covid 19 a entraîné la fermeture administrative de l'hôtel [8] ([Localité 7]), récemment acquis par la SARL Hugom, qui devait lui permettre de financer cette nouvelle acquisition ;

- La SARL Hugom n'a pas été en mesure de s'acquitter de la somme de 25.000 € devant être versée dans les quinze jours de la signature de l'acte en raison du de la préservation de l'intégralité des salaires des salariés du [8] ;

- Rien n'oblige l'établissement bancaire à motiver son refus de prêt et le Crédit Mutuel n'a pas accepté de délivrer une attestation de refus de prêt à la société à la bénéficiaire ;

- Il appartenait à la promettante, le cas échéant, de lui faire délivrer une sommation d'assister dans le délai de quinze jours à compter du 3 juin 2020, date à laquelle la promesse de vente prenait fin.

15. L'intimée objecte que :

- La condition suspensive est réputée réalisée dès lors que la demande de prêt s'écarte des dispositions contractuelles qu'il s'agisse d'une condition liée à l'identité de la personne qui sollicite le prêt ou des modalités du prêt sollicité ; or, les documents transmis par la société bénéficiaire ne permettent pas d'établir que les demandes de prêts étaient conformes aux engagements stipulés dans la promesse de vente litigieuse. Par ailleurs, la société bénéficiaire confirme qu'aucun refus de prêt ne lui a été notifié ;

- Aucune demande de rectification n'a été formulée par la bénéficiaire pour allonger la durée du prêt contractuellement prévue ;

- La demande de prêt a été sollicitée au mois de février 2020, soit un mois avant le début du confinement. De ce fait, la SARL Hugom ne peut se prévaloir de la crise sanitaire pour justifier un manquement à ses obligations contractuelles ;

- La sommation par exploit d'huissier est un droit offert au promettant, et non pas une obligation.

16. La cour observe que la promesse de vente en date du 03 mars 2020 était expressément consentie sous la condition suspensive d'obtention d'un ou plusieurs prêts rentrant dans le champ d'application de l'article L. 313-40 du Code de la consommation et répondant aux caractéristiques suivantes :

' Organisme prêteur : tous

' Montant maximal de la somme empruntée : QUATRE CENT MILLE EUROS (400.000,00 €)

' Durée maximale de remboursement : 15 ans

' Taux nominal d'intérêt maximal : 1.20 % l'an (hors assurances).

' Garantie : que ce ou ces prêts soient garantis par une sûreté réelle portant sur le bien ou le cautionnement d'un établissement financier, à l'exclusion de toute garantie personnelle devant émaner de personnes physiques (sauf le cas de garanties personnelles devant être consenties par les associés et gérant de la société qui se rendrait acquéreur), ainsi qu'une assurance décès invalidité.

17. La cour rappelle en outre qu'il a été prévu à l'acte que 'Toute demande non conforme aux stipulations contractuelles, notamment quant au montant emprunté, au taux et à la durée de l'emprunt, entraînerait la réalisation fictive de la condition au sens de l'article 1304-3 du Code civil'

18. Dès lors, la SARL Hugom qui reconnaît s'être engagée en pleine connaissance de cause est malvenue à plaider l'erreur ou des contingences qui seraient propres à son gérant (absence de logement) ou, encore, les conseils donnés par son expert-comptable, étant précisé que la seule attestation de refus de crédit immobilier produite aux débats atteste d'une demande d'un prêt sur 20 ans, le tout, sans en référer au taux prévu à l'acte.

19. Enfin, la cour note que l'appelante ne rapporte pas la preuve, par ses explications et les pièces produites aux débats, que si elle avait présenté une demande conforme aux stipulations de l'offre, celle-ci aurait été rejetée, étant rappelé qu'elle avait, aux termes du contrat, la possibilité d'aller devant le notaire et de renégocier à un nouveau taux la condition suspensive d'obtention du prêt.

20. Elle échoue ainsi définitivement à démontrer qu'elle n'a pas empêché l'accomplissement de la promesse.

21. Au regard de ce qui précède, la condition suspensive a défailli du fait de la SARL Hugom. Dans la mesure où la promesse de vente est devenue caduque en dépit d'une condition suspensive présumée réalisée et la SARL Hugom est consécutivement tenue au paiement de l'indemnité d'immobilisation stipulée contractuellement.

22. La décision sera là encore confirmée sur ce point.

Sur la modération de l'indemnité d'immobilisation

23. L'appelante conclut à la réduction de l'indemnité d'immobilisation dès lors que :

- L'indemnité doit être analysée en une clause pénale en ce qu'elle constitue un moyen coercitif pour obliger le bénéficiaire de la promesse à se rendre acquéreur. Elle doit ainsi être réduite par le juge à l'euro symbolique.

- Le préjudice invoqué par la promettante, selon lequel la vente a été conclue pour un prix inférieur de 15.833 €, s'explique par l'absence de meubles dans le bien vendu.

- Concernant les autres préjudices, la promettante ne produit aucun élément à l'appui de ses affirmations et n'a rencontré aucune difficulté pour vendre le bien rapidement après le refus d'octroi du prêt.

24. L'intimé lui répond que :

- La valeur des meubles, atteints d'une vétusté très prononcée, et figurant sur la liste de la promesse de vente du 03 mars 2020 n'est pas susceptible d'atteindre le montant de 15.833 € ;

- Elle a subi des préjudices complémentaires liés à cette immobilisation, à savoir, le paiement d'intérêts intercalaires supplémentaires, les frais annexes réalisées, la perte du placement éventuel de la marge qui aurait été effectué à l'issue de l'opération avec la SARL Hugom.

25. La cour, se référant aux développements qui précèdent, rappelle que la nature de l'indemnité d'immobilisation prévue à la promesse de vente notariée n'a jamais été remise en cause par l'appelante de sorte qu'une telle clause ne peut être assimilée à une clause pénale et que la cour ne peut, par application des dispositions de l'article 1231-5 du Code civil, en modérer le montant.

26. La décision sera réformée sur ce point dès lors que le premier juge a considéré qu'il s'agissait, à tort, d'une clause pénale.

Sur les autres demandes

27. Il apparaît équitable de condamner la SARL Hugom à payer à SAS Façade Ouest une indemnité de 3.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et de rejeter la demande formée au même titre par l'appelante.

28. La SARL Hugom qui échoue en ses prétentions sera condamnée aux dépens d'appel.

Dispositif

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme le jugement du tribunal de commerce de La Rochelle en date du 20 mai 2022 sauf en ce qu'il a :

- dit que la condition suspensive est une clause pénale qu'il convient de maintenir dans son quantum,

Statuant à nouveau,

Dit que la nature de la condition suspensive est exclusive de celle de la clause pénale,

Déboute en conséquence la SARL Hugom de sa demande de modération de la condition suspensive,

Y ajoutant,

Condamne la SARL Hugom à payer à la SAS Façade Ouest une indemnité de 3.000 € par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

Condamne la SARL Hugom aux dépens d'appel.