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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 1-1, 24 novembre 2023, n° 23/06603

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

ABCFP (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Brue

Conseillers :

Mme Ouvrel, Mme De Bechillon

Avocats :

Me Tollinchi, Me Jourdan

TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de …

12 janvier 2021

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

Par acte sous seing privé des 17 et 24 mai 2016, la SCI Rimont, M. [L] [K] et Mme [J] [I] épouse [K] se sont engagés à vendre à la société BFP Capital, un ensemble immobilier constitué d'un bâtiment de trois étages donnant sur la [Adresse 3] à [Localité 1], ainsi qu'un terrain sur cour sur lequel sont édifiées diverses constructions, ce pour le prix de 14 millions d'euros, avec un versement par le bénéficiaire de la somme de 700 000 €, puis du même montant lorsque le permis de construire serait définitif. La date limite de réitération par acte authentique a été fixée au 24 mai 2017.

Ce compromis était conclu sous l'unique condition suspensive de l'obtention d'un permis de construire qui a été délivré par la Ville de [Localité 1] le 22 mai 2017.

La SAS ABCFP s'est substituée à la société BFP Capital, par acte du 12 septembre 2016.

Les diagnostics réalisés le 28 janvier 2016 et au cours de l'année 2017ont révélé la présence d'amiante dans les appartements du R2, R 4 et dans le local du rez-de-chaussée, ainsi que sur le mur mitoyen ouest et dans la façade est de la cour intérieure.

Les engagements souscrits par les vendeurs ont été prorogés au 30 octobre 2017, puis au 29 décembre 2017.

Un protocole est intervenu les 29 janvier et 2 février 2018, prorogeant la date d'échéance au 30 juin 2018 et prévoyant un versement complémentaire de 150 000 €.

Vu l'assignation du 11 janvier 2019, par laquelle la SAS ABCFP a fait citer la SCI Rimont,

M. [L] [K] et Mme [I] épouse [K], devant le tribunal de grande instance de

Grasse, en réalisation de vente forcée avec diminution du prix.

Vu le jugement rendu le 12 janvier 2021, par le Tribunal judiciaire de Grasse ayant :

- Rappelé qu'il n'est saisi que des dernières écritures notifiées par la société ABCFP le 23 septembre 2020,

- Déclaré sans objet la fin de non-recevoir soulevée par SCI Rimont et M. [L] [K] ' de l'irrecevabilité des écritures antérieures de la SAS ABCFP.

- Déclaré sans objet la fin de non-recevoir soulevée par les époux [K] et la SCI Rimont portant sur le principe d'Estoppel, eu égard au fait que n'étaient visées que les écritures déposées les 21 décembre 2019 et 22 juin 2020,

- Fait droit à la demande des défendeurs, d'obtenir la radiation de la publication des assignations en référé et au fond délivrées à la demande de la Société ABCFP,

- Débouté la Société ABCFP de l'intégralité de ses demandes,

- Constaté que la promesse de vente des 17 et 24 mai 2016 est caduque de plein droit par l'acquisition de la clause résolutoire mentionnée à l'acte.

- Débouté les époux [K] et la SCI Rimont de leur demande en dommages et intérêts,

-Condamné la Société ABCFP au paiement d'une somme de 5.000 €, en application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile, outre aux entiers dépens,

- Ordonné l'exécution provisoire.

Vu la déclaration d'appel du 12 février 2021, par la SAS ABCFP.

Vu le décès de Mme [J] [I] épouse [K], le 10 janvier 2022.

Vu les conclusions transmises, le 6 octobre 2021, par l'appelante.

Elle soutient avoir réclamé à l'origine une réfaction du prix à 10 millions d'euros sur le fondement de la théorie de l'imprévision et ne pas avoir conclu en contradiction au détriment d'autrui, ayant modifié ses demandes en réponse aux moyens développés par les intimés dans leurs écritures.

La SAS ABCFP estime que le prononcé par le tribunal de la caducité de la promesse initiale de vente ne l'empêche pas de solliciter la nullité du protocole d'accord pour obtenir restitution des sommes versées au bénéficiaire.

Elle considère que le protocole emporte novation aux précédents accords et qu'il doit être qualifié de promesse unilatérale de vente et non de promesse synallagmatique dès lors que seul le promettant avait souscrit à l'engagement de vendre et que le bénéficiaire

n'avait souscrit aucune obligation d'acquérir l'ensemble immobilier objet de la vente et que la levée d'option se manifestait par le fait que si le bénéficiaire souhaitait acquérir l'ensemble immobilier objet de la promesse, il avait l'obligation de se rendre au rendez-vous de signature des actes de vente, de régulariser ceux-ci et de procéder au paiement du prix.

Et qu'il résulte de la mention du protocole selon laquelle « Les comparants conviennent que si la vente ne peut être régularisée du fait de la société BFP Capital au 30 juin 2018, le compromis de vente deviendra caduc et sans effet sauf le cas où un accord conventionnel entre les parties interviendrait préalablement.» que les promettants, ne peuvent poursuivre la réalisation forcée de la vente en cas de carence du bénéficiaire.

L'appelante invoque la nullité de la promesse unilatérale de vente pour défaut d'enregistrement en application de l'article 1589-2 du Code civil.

Elle sollicite subsidiairement l'annulation de la promesse synallagmatique de vente initiale, pour:

- ne pas avoir été informée antérieurement à sa signature de la présence d'amiante sur les murs mitoyens de la propriété vendue, précisant que la clause d'exclusion de garantie liée à l'amiante ne concerne que les immeubles vendus.

- erreur liée à la présence d'amiante sur les murs mitoyens.

- Indétermination du prix, dès lors qu'il a été fixé en tenant compte du diagnostic lié à l'amiante qui s'est révélé incomplet.

Et sa caducité, à défaut d'obtention d'un permis de construire pouvant être mis en 'uvre compte tenu de la présence d'amiante.

Elle en conclut que les sommes versées pour un total de 850'000 € doivent lui être restituées.

Vu les conclusions transmises le 14 décembre 2022, par la SCI Rimont et M. [L] [K]

en son nom personnel et en sa qualité d'héritier de [J] [I].

Ils soulèvent l'irrecevabilité des demandes en raison du principe de l'Estoppel dès lors qu'il était initialement réclamé l'exécution du compromis de vente, puis son annulation.

La SCI Rimont et M. [L] [K] invoquent la caducité du compromis pour non réalisation et non versement du prix de vente entre les mains du notaire dans le délai prévu. Ils considèrent que le protocole du 29 janvier 2018 portant prorogation du compromis initial constitue une promesse synallagmatique de vente et d'achat et non une promesse unilatérale de vente.

Les intimés estiment que la SAS ABCFP qui a acquiescé au prononcé de la caducité de la promesse synallagmatique de vente initiale est irrecevable à agir sur les causes de nullité du contrat. Ils se réfèrent sur ce point à la motivation du tribunal.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 11 septembre 2023.

Motivation

SUR CE

Sur l'Estoppel

L'estoppel constitue une fin de non-recevoir, lorsqu'une partie se contredit en cours de procédure détriment d'autrui.

Elle ne peut ainsi se prévaloir d'une position contraire à celle qu'elle a prise antérieurement, lorsque ce changement se produit au détriment d'un tiers.

Les intimés font remarquer que par l'assignation devant le premier juge délivrée le 11 janvier 2019, la SAS ABCFP réclamait la réalisation de la vente, en exécution de la promesse sous-seing-privé des 17 et 24 mai 2016, ainsi que la fixation du prix à la somme de 10 millions d'euros, compte tenu du défaut d'information des vendeurs sur la présence d'amiante et que dans ses conclusions déposées devant la cour d'appel le 4 mai 2021 reprenant ses dernières conclusions transmises au tribunal le 23 septembre 2020, elle réclame l'annulation du protocole d'accord et subsidiairement l'annulation et la caducité de la promesse de vente susvisée et de ses avenants.

Il apparaît en effet que les demandes émanent du même plaideur et sont fondées sur les mêmes conventions, dans le cadre du même litige.

Il est cependant pas contesté que la SCI Rimont et M. [L] [K] se sont opposés, dès la première instance à toute demande de réfaction du prix fondée sur la théorie de l'imprévision et que la SAS ABCFP l'a abandonnée, pour réclamer l'annulation de la caducité de la promesse de vente et de ses avenants.

Il y a lieu de considérer qu'elle n'a ainsi fait que répondre aux moyens développés par les défendeurs et que la modification certes radicale de ses demandes, est liée à l'évolution du litige.

Dans ces conditions, l'exception d'irrecevabilité soulevée par la SCI Rimont et M. [L] [K] sur le fondement de l'estoppel ne peut être retenue en l'espèce.

Sur les demandes de la SAS ABCFP:

La déclaration d'appel transmise le 12 février 2021 par la SAS ABCFP précise que l'appel tend à la réformation du jugement, en ce que le tribunal l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée à payer à la SCI Rimont et M. [L] [K], la somme de 5 000 €, en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens et ordonné l'exécution provisoire.

La position a donc été prise avant les écritures d'appel de l'autre partie.

Dans ses dernières conclusions déposées devant la cour, la société ABCFP sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a constaté que la promesse de vente des 17 et 24 mai 2016 est caduque de plein droit par l'acquisition de la clause résolutoire mentionnée à l'acte.

Et son infirmation pour le surplus et réclame:

- A titre principal, qu'il soit jugé que le protocole d'accord des 29 janvier et 3 février 2018 doit

être qualifié de promesse unilatérale de vente et qu'il doit être déclaré nul faute

d'avoir été enregistré dans le délai de 10 jours, conformément aux dispositions des articles 1589-2 du Code civil et 1840 A du code général des impôts et en conséquence la condamnation in solidum M. [L] [K] et Mme [J] [I] épouse [K] et la SCI Rimont à lui restituer la somme de 850 000 € ;

- A titre subsidiaire, qu'il soit jugé que la promesse de vente des 17 et 24 mai 2016 a été conclue

sur la base d'une erreur ;

- Qu'elle ne stipule ni un objet, ni un prix déterminé ou déterminable,

- Que la condition suspensive dont a été affecté cet acte n'a pas été réalisée ;

- En conséquence, juger nulle ou subsidiairement caduque la promesse de vente des 17

et 24 mai 2016, ainsi que l'ensemble de ses avenants et condamner M. [L] [K] et Madame [J] [I] épouse [K] et la SCI Rimont à luirestituer à la société ABCFP la somme de 850 000 €.

Il résulte de ces éléments que le constat par le tribunal de la caducité de plein droit par l'acquisition de la clause résolutoire mentionnée à l'acte de la promesse de vente des 17 et 24 mai 2016 est définitive et qu'elle ne peut donc plus être remise en cause pour quelque motif que ce soit.

Il ressort de la motivation du jugement déféré que ce constat résulte de l'absence de régularisation de l'acte authentique dans le délai imparti fixé au 30 juin 2018 par le protocole intervenu les 29 janvier et 2 février 2018 ayant prorogé le délai initialement fixé.

Ce protocole ne peut en conséquence non plus être remis en cause.

La demande d'annulation de ce protocole est, en conséquence, irrecevable.

Il en est de même pour les demandes subsidiaires d'annulation de déclaration de caducité de la promesse de vente des 17 et 24 mai 2016.

En effet, les premiers juges ont à juste titre considéré que la seule prorogation du délai de réitération dans le protocole du mois de janvier 2018 ne pouvait constituer une novation de la convention signée au mois de mai 2016, dès lors qu'il comporte la possibilité d'un accord conventionnel permettant de remettre en cause la caducité pour non-respect de la date, celui-ci étant équivalent à la possibilité de chacune des parties de poursuivre la vente forcée, visée dans l'accord initial.

Le constat de la caducité de l'acte principal entraîne de droit celle de l'avenant subséquent.

Cette caducité prive de tout effet tant le compromis de vente du 24 mai 2016 que le protocole d'accord du 29 janvier 2018 et rend donc sans objet le versement des sommes de 700'000 € et de 150'000 € par la SAS ABCFP à l'occasion de la signature de ces actes, soit au total 850 000 €.

Elle est donc fondée à en solliciter le remboursement par la SCI Rimont et M. [L] [K], ce, avec avec intérêt au taux légal à compter des conclusions du 23 septembre 2020 qui en comportent pour la première fois la demande.

Sur les demandes reconventionnelles formées par la SCI Rimont et M. [L] [K]:

L'octroi de dommages et intérêts sur le fondement de la responsabilité délictuelle ne peut intervenir sans la démonstration de l'existence d'une faute, d'un préjudice te d'un lien de causalité.

La SCI Rimont et M. [L] [K] invoquent un abus de droit d'ester en justice, ayant causé un préjudice financier et moral.

Ils affirment que la SAS ABCFP a multiplié les atermoiements pour repousser la date la régularisation de l'acte, dès lors qu'elle ne disposait pas des fonds nécessaires au paiement du prix.

Il n'est cependant pas contesté que cette société avait été créée pour les besoins de l'opération immobilière litigieuse et que son absence d'activité au cours de l'année 2018 ne peut lui être reprochée, alors que l'acte n'avait pas été signé.

La proportion de ses fonds propres de son capital n'ont pas d'incidence sur ses capacités de financement de l'opération, alors que l'obtention d'aucun prêt n'est visée dans les conditions suspensives du compromis de vente et qu'un éventuel emprunt pouvait être garanti sur le bien immobilier et justifié par la perception de loyers.

Il ressort par ailleurs des pièces du dossier que la présence d'amiante sur les murs mitoyens de l'immeuble voisin a été décelée postérieurement à la signature de la promesse de vente et qu'un différend est également intervenu quant à la localisation de celle-ci sur l'emprise de terrain vendu.

Si l'examen des documents versés aux débats révèle que la présence d'amiante sur le mur mitoyen avait déjà été signalée par le syndic de l'immeuble voisin au cours de l'été 2016, puis par l'architecte désigné par l'acquéreur en 2017, il apparaît que cette situation n'était toujours pas résolue en 2019.

Il est constant que l'Apave a estimé le 18 juin 2018 que les travaux prévus ne pouvaient être réalisés dans le respect de la réglementation des travailleurs et que M. [D], architecte mandaté par la SAS ABCFP a confirmé que la dépose des plaques de fibrociment étaient indispensable, du fait de leur détérioration.

Dès lors que le compromis mentionne dans sa page 15 que le prix de vente doit prendre en compte le contenu des diagnostics techniques, il ne peut être considéré que l'action initiale en réduction de prix, pouvait a priori avoir pour but d'obtenir un avantage manifestement excessif.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, l'exercice d'une procédure judiciaire ne peut en l'espèce constituer des faits pouvant être qualifiés de violence.

L'existence d'une faute pouvant être imputée à la SAS ABCFP n'apparaît ainsi pas établie.

Aucun document n'est fourni aux fins de démontrer l'existence d'un lien direct et certain entre le comportement de la société appelante et l'état de santé des époux [K] et le fait que la procédure ait pu avoir une incidence sur leur moral.

Le préjudice financier ne peut être réduit à un calcul mathématique de l'inflation, à partir du prix de vente, sans tenir compte de l'évolution de la valeur du bien sur laquelle aucun élément n'est fourni.

Dans ces conditions, les demandes à titre de dommages et intérêts formées par la SCI Rimont et M. [L] [K] doivent être rejetées.

Sur les demandes accessoires:

Il n'y avait pas lieu, en équité, de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en première instance.

Le jugement est confirmé, sauf en ce qui concerne les frais irrépétibles et les dépens.

Il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile en casuse d'appel.

La partie perdante est condamnée aux dépens, conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.

Dispositif

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Déclare irrecevables, la demande d'annulation du protocole du 29 janvier 2018, ainsi que les demandes subsidiaires d'annulation de déclaration de caducité de la promesse de vente des 17 et 24 mai 2016, formées par la SAS ABCFP.

Confirme le jugement déféré, sauf en ce qui concerne les frais irrépétibles et les dépens,

Statuant à nouveau de ces chefs,

Dit n'y avoir lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile en première instance.

Dit n'y avoir lieu de condamner la SAS ABCFP aux dépens de première instance

Y ajoutant,

Condamne la SCI Rimont et M. [L] [K] à payer à la SAS ABCFP la somme de

850 000 €, avec avec intérêt au taux légal à compter du 23 septembre 2020.

Dit n'y avoir lieu de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile, en cause d'appel.

Condamne la SCI Rimont et M.[L] [K] aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.