CA Versailles, ch. civ. 1-5, 21 mars 2024, n° 23/05037
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Synaltic (SAS)
Défendeur :
Komeet Technologies (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vasseur
Conseillers :
Mme De Rocquigny Du Fayel, Mme Igelman
Avocats :
Me Cals, Me Pedroletti, Me Merakeb, Me Blanchet
EXPOSE DU LITIGE
La S.A.S. Synaltic, ayant pour activité le conseil en système de logiciels informatiques, a confié à compter d'avril 2021 des contrats de sous-traitance à la S.A.S. Komeet Technologies, ayant pour activité le conseil en système d'information.
La société Komeet Technologies a été créée par M. [A], ancien salarié de la société Synaltic.
D'octobre 2021 à septembre 2022, plusieurs salariés de la société Synaltic ont rejoint la société Komeet Technologies.
Affirmant craindre que les débauchages aient été un moyen pour la société Komeet Technologies d'obtenir des contacts et des compétences dont elle ne disposait pas, par requête en date du 8 février 2023, la société Synaltic a saisi le président du tribunal de commerce de Nanterre aux fins d'obtenir des mesures d'instruction in futurum.
Par ordonnance du 21 février 2023, le président du tribunal de commerce de Nanterre a fait droit à la demande de la société Synaltic et a nommé un commissaire de justice.
Le 22 mars 2023, les mesures d'instruction ont été réalisées dans les locaux de la société Komeet Technologies.
Par acte d'huissier de justice délivré le 20 avril 2023, la société Komeet Technologies a fait assigner en référé la société Synaltic aux fins d'obtenir principalement la rétractation de l'ordonnance rendue le 21 février 2023.
Par ordonnance contradictoire rendue le 17 juillet 2023, le juge des référés du tribunal de commerce de Nanterre a :
- rétracté l'ordonnance n° 2023O06786 du 21 février 2023 pour absence de motif légitime, non-respect du contradictoire et présence de mesures disproportionnées,
- dit que les documents saisis seront restitués à la société Komeet Technologies, à sa demande au contradictoire, après avoir fourni la preuve de l'extinction définitive des voies de recours, y compris subséquentes, contre la décision,
- condamné la société Synaltic à payer à la société Komeet Technologies la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société Synaltic aux dépens,
- liquidé les dépens à recouvrer par le greffe à la somme de 40,66 euros, dont TVA 6,78 euros,
- dit que l'ordonnance est mise à disposition au greffe du tribunal, les parties en ayant été préalablement avisées verbalement lors des débats dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Par déclaration reçue au greffe le 18 juillet 2023, la société Synaltic a interjeté appel de cette ordonnance en tous ses chefs de disposition.
Dans ses dernières conclusions déposées le 6 décembre 2023 auxquelles il convient de se rapporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Synaltic demande à la cour, au visa des articles 145, 493, 874 et 875 du code de procédure civile, de :
- infirmer l'ordonnance du 17 juillet 2023 en toutes ses dispositions ;
et statuant à nouveau,
- débouter la société Komeet Technologies de l'ensemble de ses demandes fins et prétentions,
- confirmer l'ordonnance du 21 février 2023 en toutes ses dispositions,
en conséquence,
- ordonner la mainlevée totale du séquestre des pièces saisies et conservées auprès de la scp la scp Judicium « M. Yves de Forcade la Roquette, M. [F] [Y] et Mme [C] [R] » commissaires de justice audienciers près le tribunal de commerce de Nanterre,
- autoriser la société Synaltic à se faire remettre par la scp la scp Judicium « M. [B] [E] la [Z], M. [F] [Y] et Mme [C] [R] » commissaires de justice audienciers près le tribunal de commerce de Nanterre, l'intégralité des pièces actuellement séquestrées en l'étude de l'huissier aux fins d'en faire usage ;
À défaut,
- fixer un jour et une heure à l'occasion de laquelle sous le contrôle du magistrat des référés ou d'un conseiller de la présente chambre dûment désigné, il sera procédé, en présence des parties convoquées, au tri des pièces séquestrées auprès de la scp la scp Judicium « M. Yves de Forcade la Roquette, M. [F] [Y] et Mme [C] [R] » commissaires de justice audienciers près le tribunal de commerce de Nanterre.
- condamner la société Komeet Technologies au paiement de la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions déposées le 17 novembre 2023 auxquelles il convient de se rapporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Komeet Technologies demande à la cour, au visa des articles 16, 496 et 497 du code de procédure civile, R. 153-1 et L. 152-3 du code de commerce, 9 du code civil, 8 de convention européenne des droits de l'homme et 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, de :
- confirmer l'ordonnance du 17 juillet 2023 du président du tribunal de commerce de Nanterre en ce qu'elle a :
- rétracté l'ordonnance n° 2023O06786 du 21 février 2023 pour absence de motif légitime, non-respect du contradictoire et décision de mesures disproportionnées ;
- dit que les documents saisis seront restitués à la sas Komeet Technologies, à sa demande au contradictoire, après avoir fourni la preuve de l'extinction définitive des voies de recours, y compris subséquentes, contre la présente décision ;
- condamné la sa Synaltic à payer à la sas Komeet Technologies la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la sa Synaltic aux dépens ;
- liquidé les dépens à recouvrer par le greffe à la somme de 40,66 euros, dont TVA 6,78 euros
- dit que la présente ordonnance est mise à disposition au greffe de ce tribunal, les parties en ayant été préalablement avisées verbalement lors des débats dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile
En conséquence,
- déclarer la société Synaltic mal fondée en son appel, la débouter, ainsi que toutes ses demandes, fins et conclusions ;
y ajoutant,
- condamner la société Synaltic à verser à la société Komeet la somme de 10 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société Synaltic aux entiers dépens qui seront recouvrés par Maître Mélina Pedroletti conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.'
L'ordonnance de clôture a été rendue le 9 janvier 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la rétractation,
Invoquant l'existence d'un motif légitime et arguant de l'existence d'une mauvaise appréciation du premier juge sur le contenu des pièces versées aux débats, la société Synaltic indique que les contrats qu'elle a conclus avec la société Komeet Technologies comprenaient des clauses de non concurrence et de non sollicitation (articles 10 et 11 des conditions générales) et expose que les agissements dont elle se plaint sont donc de nature à lui permettre d'engager la responsabilité contractuelle de l'intimée.
Elle fait valoir que la société Komeet Technologies indique clairement dans ses écritures que 'si Synaltic entend comme elle le prétend, poursuivre Komeet Technologies en concurrence déloyale / responsabilité contractuelle, les éléments dont elle dispose et qui ont été communiqués à l'appui de sa requête sont amplement suffisants sans qu'il soit nécessaire d'ordonner les mesures d'instruction sollicitées', ce qui constitue selon elle un aveu judiciaire.
L'appelante expose que les preuves en sa possession relatives au débauchage de salariés et au démarchage de certains de ses clients, qui constituent des éléments rendant crédibles ses suppositions et caractérisent donc un motif légitime, ne peuvent cependant pas exclure l'intérêt d'une mesure d'instruction in futurum dès lors qu'au contraire elle cherche à déterminer :
- si d'autres salariés ont été démarchés en vue de leur débauchage, le cas échéant sans succès ;
- si d'autres clients ou partenaires que ceux dont le nom est publié sur le site de la société Komeet Technologies ont été approchés ;
- quelles sont les modalités selon lesquelles ses salariés, clients et partenaires ont été approchés ;
- si des documents internes (fichiers clients, propositions tarifaires, documents de travail, etc) ont été transmis à la société Komeet Technologies par les salariés débauchés ;
- quelle est l'étendue des man'uvres mises en œuvre par la société Komeet Technologies à son encontre et surtout quelle est l'étendue du préjudice occasionné par ces manœuvres.
La société Synaltic affirme que l'organisation d'une mesure non contradictoire était justifiée par les circonstances et la nature des faits allégués, l'effet de surprise et le risque de disparition des pièces étant à ses dires d'autant plus établis que la société Komeet Technologies n'a eu de cesse de contester les manquements reprochés.
L'appelante réfute tout manquement à la loyauté lors du dépôt de la requête.
Arguant du caractère proportionné des mesures sollicitées et contestant toute atteinte au secret des affaires de l'intimée, la société Synaltic fait valoir que ces mesures d'instruction prévoient systématiquement une association ou une recherche en lien avec le terme 'Synaltic' afin de ne saisir que des éléments en lien avec le litige.
Elle précise que la mission confiée à l'huissier consistant à comparer des listes de clients et prospects de deux sociétés pour établir ensuite une liste des clients et prospects communs à ces deux sociétés, ne suppose aucune démarche d'analyse particulière.
Elle souligne que la période proposée est adaptée aux faits reprochés et sollicite à titre très subsidiaire, de faire application des dispositions de l'article 149 du code de procédure civile pour restreindre la mesure concernant la violation de la clause de non-concurrence aux pièces antérieures au 30 septembre 2022.
Enfin, la société Synaltic conteste toute atteinte au secret professionnel des avocats au regard de la rédaction de la mission du commissaire de justice, ainsi que toute violation du droit à la vie privée, faisant valoir que l'ordinateur utilisé par M. [A] avait un usage professionnel.
L'appelante demande la levée du séquestre ou, à défaut, l'application des dispositions des articles R. 153-3 à R. 153-10 du code de commerce.
La société Komeet Technologies conclut pour sa part à la confirmation de l'ordonnance querellée en ce qu'elle a rétracté l'ordonnance sur requête, invoquant en premier lieu l'absence de justification de la dérogation au principe du contradictoire au motif qu'elle était avertie des intentions de la société Synaltic depuis le 19 mai 2022, celle-ci lui ayant adressé une mise en demeure de cesser ses agissements déloyaux, et que le risque de dépérissement des preuves n'est pas établi.
Elle soutient en deuxième lieu que l'appelante ne justifie d'aucun motif légitime à l'organisation d'une mesure d'expertise, faisant valoir que la société Synaltic dispose déjà d'éléments suffisants pour engager une action en concurrence déloyale ou responsabilité contractuelle.
Elle affirme également que la société Synaltic n'apporte aucune consistance à ses soupçons de concurrence déloyale, le seul fait qu'un salarié parte travailler dans une entreprise concurrente exerçant dans le même secteur d'activité étant insuffisant à la caractériser.
La société Komeet Technologies précise que la pièce n° 6 de la société Synaltic produite au soutien de sa requête ne comprenait aucune clause de non-concurrence (contrairement à celle produite en appel) et en déduit que, le juge étant tenu de statuer au jour du dépôt de la requête, l'examen du juge de la rétractation s'est limité aux éléments de preuve soumis avec la requête.
L'intimée invoque en troisième lieu la violation du principe de loyauté par la société Synaltic dès lors que sa requête comporte des inexactitudes factuelles importantes (erreur sur la date du départ de M. [A] de la société, allégation d'une fausse désorganisation et d'une fausse dissimulation, présentation trompeuse concernant le client Siemens).
En quatrième lieu, la société Komeet Technologies invoque l'illégalité des mesures demandées en raison du caractère trop général des mots clés et de la période trop longue concernée, tous éléments rendant la saisie disproportionnée à ses dires.
L'intimée fait valoir en outre que les mesures sollicitées offraient à l'huissier un pouvoir d'investigation trop large et dépassant les simples constatations pour lui confier une mission d'analyse.
A titre subsidiaire et concernant le séquestre, la société Komeet Technologies expose que certaines pièces saisies portent atteinte à son secret des affaires, notamment en raison de la comparaison opérée par la commissaire de justice entre sa liste de clients et celle de la société Synaltic, ce qui rend nécessaire la mise en place des mesures prévues dans ce cadre par les articles L. 153-1 et suivants du code de commerce.
L'intimée souligne également que certains documents saisis sont :
- protégés par le secret professionnel (correspondances entre un avocat et son client),
- concernés par le respect de la vie privée (saisie sur l'ordinateur personnel de M. [A], à tout le moins sur son adresse électronique personnelle),
Ce qui justifie selon elle d'organiser les modalités de levée du séquestre ou d'ordonner la levée de ce séquestre.
Sur ce,
Selon l'article 145 du code de procédure civile : « s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées, à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ».
Le juge, saisi d'une demande de rétractation d'une ordonnance sur requête ayant ordonné une mesure sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile et tenu d'apprécier au jour où il statue les mérites de la requête, doit s'assurer de l'existence d'un motif légitime à ordonner la mesure probatoire et des circonstances justifiant de ne pas y procéder contradictoirement.
Il sera rappelé à titre liminaire que le juge est tenu d'apprécier les mérites de la requête au regard des seules conditions de l'article 145 et que le respect d'un devoir de loyauté à l'égard du juge et des autres parties n'apparaît pas au nombre de ces conditions. Aussi, pour apprécier la légalité et les mérites de la mesure d'instruction ordonnée, les développements de la société Komeet Technologies sur le caractère erroné des éléments produits par la société Synaltic au soutien de sa requête sont inopérants, même si leur valeur probante sera examinée à l'aune de la nécessité de justifier d'un motif légitime.
La régularité de la saisine du juge des requêtes étant une condition préalable à l'examen de la recevabilité et du bienfondé de la mesure probatoire sollicitée, il convient d'abord de s'assurer que la requête ou l'ordonnance y faisant droit a justifié de manière circonstanciée qu'il soit dérogé au principe de la contradiction, avant de statuer, le cas échéant, sur l'existence du motif légitime et le contenu de la mesure sollicitée.
Sur le non-recours à une procédure contradictoire,
Selon l'article 493 du code de procédure civile, l'ordonnance sur requête est une décision rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse.
Les mesures d'instruction prévues à l'article 145 du code de procédure civile ne peuvent être ordonnées sur requête que lorsque les circonstances exigent qu'elles ne soient pas prises contradictoirement.
Le juge saisi d'une demande de rétractation statue sur les mérites de la requête en se prononçant, au besoin d'office, sur sa motivation ou celle de l'ordonnance. Il est nécessaire que soient exposés de manière explicite les motifs justifiant le non-recours à une procédure contradictoire. Cette motivation doit s'opérer in concreto et ne peut pas consister en une formule de style.
L'ordonnance vise la requête et les pièces qui y sont jointes, ce qui vaut adoption implicite des motifs figurant dans la requête.
Après avoir exposé les agissements reprochés à la société Komeet Technologies de débauchage de salaries et de captation de clientèle, la société requérante Synaltic justifie son choix procédural par « la difficulté rencontrée par la requérante pour évaluer l'étendue des actes répréhensibles de la société Komeet Technologies dans la mesure où cette dernière risque de dissimuler des éléments de preuve relatifs au démarchage et à la sollicitation de clientèle », soulignant que « l'attitude de Komeet Technologies qui malgré l'évidence des faits reprochés et l'évidence de leur caractère contraire aux engagements souscrits persiste à se considérer comme tant dans son bon droit [la] convainc qu'il existe un risque majeur de dépérissement de preuves en cas de procédure contradictoire. »
L'ordonnance précise sur ce point que les éléments recherchés « sont susceptibles d'être contenus dans des messages électroniques, des fichiers informatiques ou des documents sous forme papier, qui ne sont soumis à aucune obligation de conservation » et sont donc « susceptibles d'être effacés, déplacés, ou dissimulés rapidement et facilement », concluant que le recours à une procédure non contradictoire est justifié par « l'effet de surprise » inhérent à la procédure sur requête afin d''éviter tout risque de dépérissement des preuves et de garantir l'efficacité des mesures d'instruction sollicitées.
Dans ces conditions, il sera retenu que l'ordonnance est motivée par renvoi à la nature des faits allégués de concurrence déloyale et à l'attitude de M. [A] et de la société Komeet Technologies expressément dénoncés dans la requête, justifiant le recours à cette procédure non contradictoire, de sorte que la société requérante a donc suffisamment caractérisé les circonstances nécessitant de déroger au principe de la contradiction par rapport à un contexte précis et suffisamment décrit.
La circonstance que la société Synaltic ait indiqué par écrit à la société Komeet Technologies le 19 mai 2022 qu'elle lui demandait de respecter ses obligations contractuelles et qu'elle envisageait une action judiciaire est sans incidence, dès lors que l'effet de surprise attaché à une procédure sur requête n'est pas altéré par une mise en demeure préalable.
Sur le motif légitime,
Il résulte de l'article 145 que le demandeur à la mesure d'instruction n'a pas à démontrer le bien-fondé de l'action en vue de laquelle elle est sollicitée ou l'existence des faits qu'il invoque puisque cette mesure in futurum est destinée à les établir, mais qu'il doit toutefois justifier de la véracité des éléments rendant crédibles les griefs allégués et plausible le procès en germe.
Outre son caractère légitime, la mesure d'instruction visant à améliorer la situation probatoire du requérant, son utilité pour la recherche ou la conservation des preuves doit également être établie.
Il sera également rappelé qu'il appartient à la partie requérante de justifier de ce que sa requête était fondée, et non aux demandeurs à la rétractation de rapporter la preuve qu'elle ne l'est pas.
Ne saurait constituer un aveu judiciaire au sens de l'article 1383 du code civil la phrase des conclusions de la société Komeet Technologies selon laquelle « Synaltic dispose de tous les éléments nécessaires à la démonstration de la prétendue réalité des actes reprochés » dès lors qu'il apparaît que dans le même temps l'intimée conclut à l'absence de motif légitime de la société Synaltic à solliciter une mesure d'instruction car « elle ne justifie pas d'éléments rendant crédibles les faits allégués », l'argumentation de la société Komeet Technologies étant donc équivoque.
De même, il ne saurait être demandé à la cour de se prononcer au regard des seuls contrats produits par la société Synaltic devant le juge de la rétractation, s'agissant de versions manifestement incomplètes, dès lors que d'une part, il n'est pas établi que les contrats soumis au juge de la requête étaient affectés de la même difficulté et qu'en tout état de cause, la cour statuant en appel du juge de la rétractation doit apprécier l'existence du motif légitime au jour du dépôt de la requête, à la lumière des éléments de preuve produits à l'appui de la requête et de ceux produits ultérieurement devant elle (Civ. 2è, 7 juillet 2016, 15-21.579).
La société Synaltic verse aux débats :
- le contrat de travail conclu avec M. [A] le 1er juillet 2015 comprenant une clause de non-concurrence et de non-sollicitation ainsi qu'une obligation de non-débauchage, (ce contrat de travail avant pris fin le 30 mars 2018) ;
- l'extrait Kbis de la société Kotae créée par M. [A] le 2 octobre 2019 et le contrat de prestations de services conclu entre la société Synaltic et la société KOTAE le 29 octobre 2020 comprenant une convention de non-sollicitation de personnel et une clause de non-concurrence ;
- l'extrait Kbis de la société Komeet Technologies créée le 8 avril 2021 dont la société Kotae est le directeur général et le contrat de prestations de services conclu entre la société Synaltic et la société Komeet Technologies le 14 avril 2021 comprenant une convention de non-sollicitation de personnel et une clause de non-concurrence, ainsi rédigées :
- 10. CONVENTION DE NON-SOLLICITATION DE PERSONNEL
Le client renonce à engager le personnel de l'équipe du prestataire concerné par le présent contrat (sauf accord entre les parties). Cette renonciation est valable pendant toute la durée des travaux confiés au prestataire augmentée d'une durée de vingt-quatre mois à compter de leur achèvement. Le prestataire s'engage également à ne pas solliciter directement ou indirectement le personnel de l'équipe du client pendant toute la durée du contrat augmentée d'une durée de vingt-quatre mois à compter de la fin du contrat. »
- 11. CLAUSE DE NON-CONCURRENCE
Le prestataire s'engage à ne pas faire d'offres de services auprès du « client final » directement ou indirectement par une personne interposée tel qu'une société affiliée ou l'un de ses partenaires, ainsi qu'aider/faciliter une entreprise tierce à contracter avec le « client final », ceci durant toute la durée du contrat, augmentée d'une durée de 12 (douze) mois. Le prestataire s'interdit également toute action pouvant nuire à l'image du client.
En cas de non-respect de cette clause de non-concurrence, le dédommagement du client ne pourra pas être inférieur au chiffre d'affaires réalisé indûment. »
Or la société Synaltic démontre que 4 de ses salariés ont rejoint la société Komeet Technologies suivant cette chronologie :
- M. [H] [M] : l'appelante verse aux débats son contrat de travail conclu avec le 13 mars 2017 comprenant une clause d' 'exclusivité et confidentialité et une obligation de non-débauchage (ce contrat de travail avant pris fin le 28 janvier 2022) et le profil LinkedIn de M. [H] [M] mentionnant qu'il est employé comme Data Engineer par la société Komeet Technologies depuis février 2022,
- M. [G] [S] : la société Synaltic produit le contrat de travail conclu le 22 mai 2018 comprenant une clause d' « exclusivité et confidentialité » et une obligation de non-débauchage, la lettre de démission de M. [G] [S] du 28 octobre 2021 pour une fin de contrat le 28 janvier 2022 et le profil LinkedIn de M. [G] [S] mentionnant qu'il est employé comme Data Engineer par la société Komeet Technologies depuis mars 2022,
- M. [D] [J] : l'appelante remet le contrat de travail conclu le 23 juillet 2017 comprenant une clause d' « exclusivité et confidentialité » et une obligation de non-débauchage, la lettre de démission de M. [D] [J] du 15 novembre 2021 et le profil LinkedIn de M. [D] [J] mentionnant qu'il est employé comme Data Engineer par la société Komeet Technologies depuis mai 2022,
- M. [T] [O] : le profil LinkedIn versé aux débats mentionne qu'il a été salarié par la société Synaltic entre août 2012 et octobre 2020 et qu'il est employé comme Analytics Engineer par la société Komeet Technologies depuis septembre 2022.
Si ces éléments sont de nature à étayer les griefs de violation par la société Komeet Technologies de ses obligations contractuelles de non-sollicitation de personnel, la société Synaltic ne justifie pas en quoi l'organisation d'une mesure in futurum serait justifiée à ce titre dès lors qu'elle dispose déjà de ces informations pour attester de ses dires et qu'à l'inverse, elle ne verse aux débats aucun indice laissant supposer que d'autres salariés auraient pu faire l'objet de tentatives de débauchage infructueuses.
Il y a lieu de souligner pour le surplus que le simple départ de salariés d'une entreprise vers une société concurrente ne permet pas de caractériser l'existence d'un débauchage, la société Synaltic ne justifiant en l'espèce d'aucune désorganisation de ses équipes, et ce alors qu'aucun organigramme de la société n'est versé aux débats et que la cour n'est donc pas en mesure de déterminer quelle proportion de l'effectif a quitté la société et quelles étaient leurs missions au sein de la structure.
Concernant la captation de clientèle, la société Synaltic verse aux débats son grand-livre des comptes clients concernant le client Siemens et la page du site internet de la société Komeet Technologies mentionnant la société Siemens comme client. Elle indique en outre avoir pour clients certaines autres sociétés figurant sur le site internet de la société Komeet Technologies.
Ces éléments sont insuffisants pour étayer les soupçon allégués de démarchage ou détournement de clientèle, dès lors que seule la filiale belge de la société Siemens est mentionné dans ce grand livre alors qu'il s'agit d'un groupe très important et que, pour le surplus, les griefs invoqués par la société Synaltic apparaissent purement déclaratoires.
L'appelante ne verse en effet aux débats aucun document permettant d'attester de prises de contact entre la société Komeet Technologies et ses clients et se contente d'affirmer de façon péremptoire que les sociétés le Petit Forestier, Datanumia (Edf) Simplon , Talend, Tableau et Dremio seraient ses 'clients historiques' sans communiquer le moindre justificatif de ses allégations.
Il apparaît finalement que la société Synaltic échoue à rapporter la preuve de l'existence d'un motif légitime à la mesure sollicitée et l'ordonnance querellée sera confirmée en ce qu'elle a rétracté l'ordonnance sur requête pour ce motif, sans qu'il apparaisse dès lors nécessaire d'examiner le moyen tiré de l'illégitimité des mesures ordonnées.
Sur les demandes accessoires,
L'ordonnance sera également confirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.
Partie perdante, la société Synaltic ne saurait prétendre à l'allocation de frais irrépétibles et doit supporter les dépens d'appel avec application au profit de l'avocat qui le demande des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Il serait par ailleurs inéquitable de laisser à la société Komeet la charge des frais irrépétibles exposés en cause d'appel. L'appelante sera en conséquence condamnée à lui verser une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort,
Confirme l'ordonnance attaquée ;
Y ajoutant,
Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;
Condamne la société Synaltic à verser à la société Komeet Technologies la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Synaltic aux dépens d'appel avec application au profit de l'avocat qui l'a demandé des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.