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Décisions

CA Chambéry, ch. civ. sect. 1, 26 mars 2024, n° 21/01525

CHAMBÉRY

Autre

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

La Gravure Industrielle (SAS)

Défendeur :

Basrep (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pirat

Conseillers :

Mme Reaidy, Mme Real Del Sarte

Avocats :

Me Falcoz, Me Paganelli, Selarl QG Avocats

T. com. Chambery, du 30 juin 2021

30 juin 2021

Faits et procédure

La société La gravure industrielle est spécialisée dans le marquage et la signalétique pour l'industrie sur métal ou matière plastique.

Par contrat d'agent commercial des 21 et 23 décembre 1993, à effet au 1er janvier 1994, la société La gravure industrielle a confié à la société Basrep (Sarl) le mandat de négocier la vente, au nom et pour le compte de la société La gravure industrielle, des produits qu'elle fabrique moyennant un taux de commissionnement de 12 %.

Par avenant des 31 juillet et 27 août 2007, le secteur de représentation a été fixé aux départements suivants : 01, 03, 07, 26, 38, 39, 42, 43, 63, 69, 71, 73 et 74, moyennant un taux de commissionnement de 15 % de l'ensemble des commandes reçues par la société La gravure industrielle sur les départements du secteur à compter du 1er avril 2007.

Par courriers des 30 janvier, 27 mai et 27 juillet 2020, la société La gravure industrielle a notifié à la société Basrep la rupture du contrat d'agent commercial pour faute grave. Par courriers des 23 février et 31 juillet 2020, la société Basrep a contesté la commission d'une faute grave.

Par acte d'huissier du 3 décembre 2020, la société Basrep a assigné la société La gravure industrielle devant le tribunal de commerce de Chambéry notamment aux fins de voir juger que la résiliation du contrat d'agent commercial est intervenue aux torts exclusifs de la mandante.

Par jugement du 30 juin 2021, le tribunal de commerce de Chambéry a :

- Dit que la résiliation du contrat d'agent commercial liant la société Basrep à la société La Gravure Industrielle est intervenue aux torts exclusifs de la société La Gravure Industrielle ;

- Déclaré régulières, recevables et bien fondées les demandes principales de la société Basrep à l'encontre de la société La Gravure Industrielle au titre des indemnités de fin de contrat et de préavis ;

- Condamné la société La Gravure Industrielle à payer, en deniers ou quittances valables, à la société Basrep :

- La somme de 26 138,16 euros, montant principal de la cause sus-énoncée,

- La somme de 3 267,27 euros, montant principal de la cause sus-énoncée,

- La somme de 4 500 euros à titre d'indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Les dépens ;

Au visa principalement des motifs suivants :

Aucun objectif n'étant stipulé audit contrat d'agent commercial, la société Basrep n'est soumise qu'à une obligation de moyen ;

La société La Gravure Industrielle n'a pas démontré l'existence d'une faute grave, le défaut d'information de la société Basrep quant à ses initiatives et/ou diligences concernant la prospection et l'entretien de la clientèle ne pouvant être retenue comme faute grave.

Par déclarations au greffe du 19 juillet 2021, la société La Gravure Industrielle a interjeté appel de la décision en toutes ses dispositions.

Prétentions et moyens des parties

Par dernières écritures en date du 5 octobre 2023, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société La Gravure Industrielle sollicite l'infirmation de la décision et demande à la cour de :

Au principal,

- Juger que la rupture du contrat d'agent commercial notifiée par la société La Gravure Industrielle à la société Basrep le 30 janvier 2020 est justifiée par la faute grave de la société Basrep ;

- Infirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions ;

- Juger la société Basrep mal fondée en ses demandes ;

- L'en débouter ;

- Condamner la société Basrep à rembourser à la société La Gravure Industrielle la somme de 34 061,40 euros payée par la société La Gravure Industrielle au titre de l'exécution provisoire du jugement du 30 juin 2021, le tout outre intérêts à compter du prononcé de l'arrêt à intervenir ;

Subsidiairement,

- Fixer l'indemnité due à la société Basrep à une somme de 1 euro ;

Infiniment subsidiairement,

- Fixer le montant de l'indemnité revenant à la société Basrep à une somme maximale de 6 522, 13 euros TTC correspondant à six mois de commissions ;

- Fixer le montant de l'indemnité de préavis à la somme de 3 261 euros TTC ;

- Dire qu'il sera procédé par compensation avec la somme de 30 061, 40 euros payée par l'appelante au titre de l'exécution provisoire de la décision entreprise ;

- Par conséquent, condamner la société Basrep à rembourser à la société La Gravure Industrielle, après compensation avec les sommes payées au titre de l'exécution provisoire, le trop-perçu par la société Basrep ;

- Débouter la société Basrep du surplus de ses demandes ;

- En tout état de cause, condamner la société Basrep à payer à la société La Gravure Industrielle la somme de 12 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la société Basrep aux entiers dépens d'instance et d'appel, ces derniers distraits au profit de Mme Valérie Falcoz, avocat, en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Par dernières écritures en date du 17 décembre 2021, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société Basrep sollicite de la cour de :

- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que la résiliation du contrat d'agent commercial l'a été aux torts exclusifs de la société La Gravure Industrielle ;

- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société La Gravure Industrielle à la somme de 4 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens ;

Y ajoutant sur ce point,

- Condamner la société La Gravure Industrielle à payer à la société Basrep la somme de 4 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens d'appel ;

Réformer le surplus,

- Condamner la société La Gravure Industrielle à payer à la société Basrep, à titre de l'indemnité de fin de contrat, la somme de 50 000 euros à titre de dommages intérêts ;

- Condamner la société La Gravure Industrielle à payer à la société Basrep la somme de 4 125 euros au titre de l'indemnité de préavis.

Une ordonnance en date du 23 octobre 2023 a clôturé l'instruction de la procédure. L'affaire a été plaidée à l'audience du 7 novembre 2023.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l'audience ainsi qu'à la décision entreprise.

MOTIFS ET DÉCISION

I - Sur l'imputabilité de la rupture du contrat de mandat d'agent commercial

Le contrat d'agent commercial liant les parties prévoit dans son article 2 intitulé "conditions d'exercice" « L'agent fait tous les efforts requis par la diligence professionnelle pour promouvoir le développement des ventes visées à l'article 1er et pour défendre les intérêts du mandant. Il tient le mandant informé de l'état du marché, du comportement de la clientèle et des initiatives de la concurrence. Il met en œuvre tous les soins professionnels requis pour transmettre les informations qu'il recueillera sur la solvabilité des acheteurs et pour veiller à la régularité des règlements. Il exerce cette représentation sans aucun lien de subordination...

...Il a toute liberté pour organiser les voies et moyens de sa prospection. Notamment les visites de la clientèle et ses modalités ».

Par ailleurs, l'article L. 134-4 du code de commerce énonce que : « Les contrats intervenus entre les agents commerciaux et leurs mandants sont conclus dans l'intérêt commun des parties.

Les rapports entre l'agent commercial et le mandant sont régis par une obligation de loyauté et un devoir réciproque d'information. L'agent commercial doit exécuter son mandat en bon professionnel ; le mandant doit mettre l'agent commercial en mesure d'exécuter son mandat ».

La société La Gravure Industrielle a, par courrier en date du 30 janvier 2020, résilié le contrat, estimant que la société Basrep avait commis des manquements graves à ses obligations, la privant de préavis et d'indemnités, manquements caractérisés par :

- l'absence d'initiative et de diligence en matière de prospection ou de conquêtes de nouveaux marchés ou clients malgré son aide (communication de noms d'entreprises, clientes potentielles), notamment après le salon Sepem de [Localité 3] de 2018, obligeant certaines entreprises à contacter la mandante directement ;

- l'absence de compte rendu sur les actions diligentées, l'état du marché et le comportement de la clientèle ;

- l'absence d'entretien sur la clientèle existante, partiellement perdue , sans que les griefs liés à la qualité ou la compétivité des produits ne soient objectivés ; ces agissements ayant conduit à une baisse de son chiffre d'affaire de 64 % sur trois ans et à une différence importante avec les autres mandataires (rapport de 1 à 3.5).

Aux termes de l'article L.134-12 du code de commerce, « En cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi » , tandis que l'article L. 134-13 alinéa 1er du même code prévoit que « La réparation prévue à l'article L.134-12 n'est pas due dans les cas suivants :

1o) La cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial »

La jurisprudence définit la faute comme celle « qui porte atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun et rend impossible le maintien du lien contractuel » (Com, 15 octobre 2002). Il appartient au mandant de rapporter la preuve de cette faute grave.

S'agissant de l'absence de prospection commerciale, la société La Gravure Industrielle a adressé à son agent deux courriels consécutifs en juillet 2015 et un en septembre 2015 dans lesquels elle estimait que le volume du chiffre d’affaires de la société Basrep était insuffisant sur son secteur et faisait état de la perte de clientèle. En mars 2017, elle adressait à la société Basrep une liste de clients possibles sur son secteur. En janvier 2019, elle exprimait son mécontement sur l'absence de réponses à ses trois courriels (juin, septembre et novembre 2018) sur les démarches entreprises par rapport aux visiteurs du salon Sepem de mars 2018. Par ailleurs, la société La Gravure Industrielle conseillait dans certaines des pièces produites à son agent de propecter telle ou telle société. Elle a aussi adressé des courriels concernant des clients existants.

Il n'est pas contestable que quand bien même le mandat ne prévoyait pas de précision sur les informations devant être transmises au mandant, l'agent commercial avait un devoir d'information vis à vis de la société La Gravure Industrielle. Toutefois, la société Basrep explique qu'elle communiquait avec son mandant. Dans son courriel du 23 septembre 2015, elle fait remarquer que les reproches sur le manque de prospect sont intervenus après ses demandes de paiement de factures courant juin 2015. Dans ce courrier, la société Basrep reproche à la société La Gravure Industrielle de ne pas tenir compte des remontées d'information sur son secteur (prix, concurrents) et des problèmes de qualité, de la 'courcircuiter' en prenant directement contact avec la clientèle. Elle produit également des courriels où elle évoque avec la société La Gravure Industrielle des commandes. Par ailleurs, la société La Gravure Industrielle fait état de compte rendus par d'autres mandants, mais elle n'établit pas avoir sollicité une pratique identique de la part de la société Basrep.

En réalité, il résulte des éléments versés aux débats par les parties qu'une dégradation des relations est intervenue entre elles à partir de l'été 2015, alors que le mandat datait de 1993. La tension qui s'est installée est palpable au travers du contenu de leurs échanges. En tout état de cause, il n'est pas démontré de façon certaine par les courriels éparses à partir de 2015 que la société Basrep n'effectuait plus, sur son secteur, son travail de prospect, elle disait avoir été présente sur le salon Sepem de 2016 ce que la société La Gravure Industrielle ne contestait pas, elle était présente lors du salon Sepem de 2018, comme l'a justement relevé le tribunal de commerce et la société La Gravure Industrielle ne démontre pas qu'un changement dans le remonté d'information se serait produit à partir de 2015. Par ailleurs, l'obligation d'information est réciproque et la communication de noms de clients potentiels ne doit pas être présentée comme étant une démarche anormale pesant sur le mandant.

La société La Gravure Industrielle fait état d'une baisse de chiffres d'affaires de la société Basrep de 64 % entre 2017 et 2020, de nature à établir le manque d'investissement de celle-ci et estime que le tribunal qui a retenu une baisse de 9 % n'a pas retenu les bons chiffres. Cependant, la cour dispose des mêmes chiffres que le tribunal, résultant de l'attestation du comptable de la société La Gravure Industrielle : 2017 : 87 458,16 euros ; 2018 : 97 347,40 euros ; 2019 : 79 576,11 euros, et la société La Gravure Industrielle n'en a pas fourni d'autres, notamment, elle s'est contentée d'affirmer que les chiffres de 2017 avaient connu une baisse de 60 % par rapport à ceux visés dans le courrier de rupture. Toutefois, malgré une lecture attentive de ce courrier, il n'est pas fait état de chiffres d'affaire précis avant 2017 mais il est affirmé : « le constat de votre absence de diligences se vérifie enfin au plan arithmétique en effet, sans même qu'il soit besoin de remonter à votre prédécesseur pour comparer le niveau de votre activité avec celui qu'il est raisonnable d'attendre sur votre secteur, nous constatons qu'en trois ans, votre chiffre d'affaire a encore (gras souligné émanant de la rédactrice) chuté de plus de 64 % ». Pour justifier de son affirmation, la société La Gravure Industrielle ne produit qu'un graphique représentant le chiffre d'affaires entre 2011 et 2019, mais sans autres éléments à l'appui et au demeurant très approximatif par rapport aux chiffres 2017 à 2019, sachant que la société Basrep souligne, dans son courrier du 21 février 2020, la perte d'un client important, la société Alstom à [Localité 2], ainsi que d'autres, Axeis, comatel ou novexia ou encore Celduc, pertes sur lesquelles la société La Gravure Industrielle n' a fait d'observations.

En définitive, la société La Gravure Industrielle ne démontre pas de la part de la société Basrep un désintérêt manifeste et généralisé dans l'exécution de son mandat s'étant traduit par une inertie totale dans le démarchage et la prospection. En outre, même si le graphique produit par la société La Gravure Industrielle devait être pris en considération, celle-ci ne fait pas état de remarques particulières sur la baisse amorcée en 2011, puis stoppée en 2014 avant une reprise en 2016-2017. Toutefois, sur les années 2017 à 2019 sur lesquelles la cour dispose de chiffres précis, la baisse est limitée à 9 % en comparant 2017 et 2019, cette baisse ne pouvant pas être considérée comme révélant une inactivité témoignant d'un défaut de loyauté.

C'est donc à bon droit que le tribunal de première instance a considéré que la société La Gravure Industrielle n'a pas rapporté la preuve de manquements graves de la part de son agent commercial de nature à justifier de la rupture, sans indemnités.

II - Sur le montant des indemnités de rupture et de préavis

La société La Gravure Industrielle soutient que la société Basrep ne justifie d'aucun préjudice et que l'indemnité doit être réduite en cas de faute notamment dans l'absence de communication des informations. Elle fait valoir également qu'en droit, l'indemnité doit être calculée sur la moyenne des deux dernières années et non sur les trois dernières comme l'a fait le tribunal de commerce.

La société Basrep fait valoir au contraire qu'elle a subi un préjudice important qui doit être calculé sur une moyenne de 110 000 euros de chiffre d’affaires et souligne la durée du mandant de 27 ans sans le moindre reproche pendant de très nombreuses années.

En l'absence d'élément nouveau soumis à son appréciation, la cour estime que les premiers juges ont justement évalué tant le préjudice subi par la rupture du contrat de mandat qui effectivement avait lié les parties pendant de nombreuses années sans difficultés et qui est survenu brutalement, privant la société Basrep d'une ressource, que sur l'indemnité compensatrice de préavis, en prenant pour base les trois dernières années de chiffre d’affaires.

Le jugement sera également confirmé de ces chefs.

III - Sur les mesures accessoires

Les mesures accessoires de première instance seront confirmées.

Succombant, la société La Gravure Industrielle sera tenue aux dépens d'appel.

L'équité commande de faire droit à la demande de la société Basrep au titre de l'indemnité procédurale.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne la société La Gravure Industrielle aux dépens d'appel, 

Déboute la société La Gravure Industrielle de sa demande d'indemnité procédurale,

Condamne la société La Gravure Industrielle à payer à la société Basrep une indemnité procédurale de 4 500 euros.