Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 10, 25 mars 2024, n° 23/10005

PARIS

Arrêt

Autre

PARTIES

Demandeur :

Pâtisserie E. Ladurée (SAS)

Défendeur :

Easy Froid (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Blanc

Conseillers :

M. Le Vaillant, Mme Castermans

Avocats :

Me Teytaud, Me Fournier, Me Lallement, Me Yon

T. com. Evry, du 9 mai 2023, n° 2021F005…

9 mai 2023

FAITS ET PROCEDURE

La société Ladurée produit et commercialise des macarons, pâtisseries et viennoiseries. La société Easy Froid est spécialisée dans la vente et la location de matériels frigorifiques notamment.

La société Ladurée a conclu des contrats de location de containers frigorifiques auprès de la société Easy Froid. Cinq contrats de location ont été conclus en 2013, 2015, 2018 et 2019.

Des divergences sont intervenues entre les deux sociétés au sujet de l'entretien et de pannes des containers frigorifiques durant l'année 2020.

Le 16 juillet 2020, la société Easy Froid a résilié l'ensemble des contrats de location. La société Ladurée a restitué le matériel à la société Easy Froid le 13 octobre 2020.

Par assignation en date du 30 juin 2021, la société Easy Froid a assigné la société Ladurée devant le tribunal de commerce d'Evry en paiement de pénalités et frais de remise en état des matériels loués. 

A titre reconventionnel, invoquant la rupture brutale, par la société Easy Froid, de relations commerciales établies, la société Ladurée a notamment demandé au tribunal, à titre principal, de juger qu'il était dépourvu de pouvoir juridictionnel pour connaître du litige, en application des articles L. 442-4, III, et D. 442-3 du code de commerce et, à titre subsidiaire, de condamner la société Easy Froid à lui payer la somme de 30 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de cette rupture brutale.

Par jugement du 9 mai 2023, le tribunal de commerce d'Evry a statué comme suit :

- Déclare la société Ladurée recevable, mais mal fondée en sa demande de fin de non-recevoir ;

En conséquence,

- Se déclare compétent pour connaître du présent litige ;

- Dit que, faute par les parties de présenter une déclaration d'appel dans le délai de 15 jours à compter de la notification du jugement conformément aux dispositions de l'article 83 du code de procédure civile, la présente instance se poursuivra devant le tribunal et sera appelée à l'audience du 13 juin 2023, le présent jugement tient lieu de convocation ;

- Dit à Monsieur le greffier du tribunal de procéder à la notification du présent jugement aux parties et aux avocats constitués par lettre recommandée avec demande d'avis de réception conformément aux dispositions de l'article 84 du code de procédure civile et, le cas échéant, par lettre simple à leurs représentants ;

- Rappelle que la présente instance est suspendue jusqu'à l'expiration du délai pour former appel et, en cas d'appel, jusqu'à ce que la cour d'appel ait rendu sa décision en conformité avec les règles de l'article 80 du code de procédure civile ;

- Réserve l'application des dispositions des règles de l'article 700 du code de procédure civile et la liquidation des dépens en fin de cause.

Par déclaration du 15 juin 2023, la société Ladurée a interjeté appel de ce jugement.

Par dernières conclusions signifiées le 26 janvier 2024 , la société Ladurée demande à la cour de :

Vu le jugement du 9 mai 2023,

Vu les articles L. 442-1, II, L. 442-4, III et D. 442-3 du code de commerce,

Vu les articles 123, 124 et 125 du code de procédure civile,

Vu l'article 700 du code de procédure civile,

Vu les pièces communiquées,

In Limine Litis et à titre principal,

- infirmer le jugement en ce qu'il a déclaré compétent le tribunal de commerce d'Evry pour statuer sur le litige opposant la société Ladurée et la société Easy Froid ;

En conséquence,

- juger que le tribunal de commerce d'Evry n'est pas compétent pour statuer sur le litige opposant la société Ladurée et la société Easy Froid ;

- infirmer le jugement du 9 mai 2023 rendu par le tribunal de commerce d'Evry en toutes ses dispositions

- inviter la société Easy Froid à mieux se pourvoir devant tribunal de commerce de Paris.

A titre subsidiaire

- Infirmer le jugement du 9 mai 2023 rendu par le tribunal de commerce d'Evry en toutes ses dispositions

Statuant de nouveau,

- Déclarer la fin de non-recevoir soulevée par la société Ladurée recevable et bien fondée

En conséquence

Déclarer l'action de la société Easy Froid irrecevable en vertu de la fin de non-recevoir soulevée par la société Ladurée sur le fondement des articles L. 442-4, III et D. 442-3 du code de commerce, le tribunal de commerce d'Evry n'ayant pas le pouvoir juridictionnel pour connaître du présent litige relatif à l'application de l'article L. 442-1, II du code de commerce

- Renvoyer les parties à mieux se pourvoir ;

En tout état de cause,

- Débouter la société Easy Froid de l'ensemble de ses demandes,

- Condamner la société Easy Froid à payer à Ladurée la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la société Easy Froid aux entiers dépens,

Par dernières conclusions signifiées le 29 janvier 2024, la société Easy Froid demande à la cour de :

Vu le jugement du 9 mai 2023,

Vu la requête autorisant à assigner à jour fixe,

Vu l'assignation à jour fixe délivrée,

Vu les conclusions signifiées par la société Ladurée,

Vu la jurisprudence de la Cour de cassation en date du 18 octobre 2023, FS-B+R, n°21-15.378

- Dire irrecevable l'appel interjeté,

A tout le moins,

- Dire tant irrecevable que mal fondé l'appel, la Cour étant saisie d'une fin de non-recevoir au lieu d'une exception d'incompétence laquelle serait irrecevable ;

En tout état de cause,

- Confirmer la décision entreprise ;

- Dire mal fondée la fin de non-recevoir ;

- La débouter de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- La condamner à payer à la société Easy Froid la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que les entiers dépens.

MOTIFS DE LA DÉCISION,

La société Ladurée soutient qu'elle est fondée à soulever in limine litis l'incompétence du tribunal de commerce d'Evry au regard du revirement opéré par l'arrêt de la Cour de cassation du 18 octobre 2023. Elle soutient que c'est à tort que la partie adverse lui reproche de ne pas avoir soulevé une exception d'incompétence alors que le revirement n'avait pas encore lieu, que l'état du droit applicable considérait qu'il s'agissait d'une fin de non-recevoir. Elle conclut à l'infirmation du jugement en ce qu'il s'est déclaré compétent.

Elle ajoute qu'elle s'est conformée aux dispositions du jugement, qu'elle n'avait pas le choix, la déclaration d'appel devant être présentée « dans un délai de 15 jours à compter de la notification du jugement conformément aux dispositions de l'article 83 du code de procédure civile » .

A titre subsidiaire, elle soutient que la fin de non-recevoir invoquée dans ses conclusions régularisées en première instance est recevable et bien fondée, le tribunal de commerce d'Evry étant dépourvu du pouvoir juridictionnel pour connaitre du litige relatif à l'application de l'article L. 442-1, II du code de commerce, en raison d'une fin de non-recevoir tenant à la rupture brutale des relations commerciales.

La société Easy Froid soulève l'irrevevabilité de l'appel initié sur le fondement des dispositions de l'article 84 du code de procédure civile alors que le débat portait devant le tribunal sur la fin de non-recevoir tirée du défaut de pouvoir juridictionnel de la juridiction saisie. Elle ajoute, au surplus, que la Cour de cassation, dans un arrêt du 18 octobre 2023, a retenu que la règle découlant de l'application combinée des articles L. 442-6, III, devenu L. 442-4, III, et D. 442-3, devenu D. 442-2, du code de commerce, institue une règle de compétence d'attribution exclusive et non une fin de non-recevoir. Ainsi, la société Ladurée aurait dû soulever une exception d'incompétence in limine litis devant le tribunal de commerce d'Evry, exception qui est désormais irrecevable puisqu'elle a conclu au fond en première instance.

Réponse de la cour,

Sur la recevabilité de l'appel

La société Ladurée est appelante d'un jugement rendu par le tribunal de commerce d'Evry qui a statué comme suit :

- « Déclare la société Ladurée mal fondée en sa fin de non-recevoir,

En conséquence, se déclare compétent pour statuer sur le fond du litige ».

Le tribunal a indiqué que dans le cas où un appel serait interjeté par les parties, la déclaration d'appel devait être présentée conformément aux dispositions de l'article 83 du code de procédure civile.

Aux termes de ce dernier article lorsque le juge s'est prononcé sur la compétence sans statuer sur le fond du litige, sa décision peut faire l'objet d'un appel.

Il résulte des articles 544, alinéa, et 545 du code de procédure civile que le jugement qui se borne à écarter une fin de non-recevoir, sans trancher une partie du principal ni mettre fin à l'instance, n'est pas susceptible d'appel immédiat.

En l'espèce, le tribunal a statué sur une fin de non-recevoir et non sur une exception d'incompétence quand bien même il renvoie les parties dans le dispositif du jugement à présenter leur déclaration d'appel : « dans un délai de 15 jours à compter de la notification du jugement conformément aux dispositions de l'article 83 du code de procédure civile ».

Il s'ensuit que le tribunal a statué sur une fin de non revoir mais n'a pas mis fin à l'instance. En application des articles précités l'appel est donc irrecevable.

Il résulte de la solution adoptée qu'il n'y a pas lieu de statuer sur les autres demandes.

En application de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante sera condamnée aux dépens.

Il paraît équitable d'allouer à la société Easy Froid la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles qu'elle a exposés.

PAR CES MOTIFS

La cour,

DIT irrecevable l'appel interjeté,

REJETTE l'ensemble des autres demandes ;

CONDAMNE la société Ladurée à payer à la société Easy Froid la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société Ladurée aux dépens.