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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 3, 26 mars 2024, n° 23/05121

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Maisons du Monde France (SAS)

Défendeur :

Cargo (SAS), Yliades (SAS), Fabrique de Styles (SAS), Fabrique de Styles Oceane (SAS), Aevum (SAS), Fabrique de Styles Ares (SAS), Abrive (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Chazalette

Conseillers :

Mme Blanc, Mme Georget

Avocats :

Me Boccon Gibod, Me Massot, Me Louembé, Me Herman, Me de Mity

T. com. Paris, du 7 mars 2023, n° 202204…

7 mars 2023

La société Maisons du monde, créée en 1996, exploite un groupe de plus de 300 magasins, en France et dans le monde, consacrés à la décoration et à l'ameublement.

La société Cargo est un groupe spécialisé dans l'importation et la distribution de produits non alimentaires. Sa filiale Yliades est spécialisée dans le commerce de gros d'articles de décoration et d'ameublement. La société Fabrique de styles est une société filiale de la société Yliades qui exploite des magasins de décoration et d'ameublement, notamment en franchise : la société Fabrique de styles océane, à [Localité 11] près de [Localité 18] (44), la société Aevum à [Localité 7] près de [Localité 6] (31), la société Fabrique de styles océane Arès, près de [Localité 13] (33), la société FDS [Localité 12] (2A), la société Abrive à Lanester, près de [Localité 17] (56).

La société Zagass design est spécialisée dans l'aménagement de magasins, la signalétique et l'identité visuelle.

Expliquant avoir découvert, à l'occasion de la procédure au fond à l'encontre de la société Fabrique de styles pour concurrence déloyale et parasitaire, des éléments de preuve démontrant que les sociétés Cargo et Yliades ont donné des instructions pour faire élaborer par l'agence Zagass design un aménagement-type de magasin qui copie le concept de magasin Maisons du monde, caractérisant des faits de parasitisme commis par les sociétés Zagass design, Cargo et Yliades, la société Maisons du monde France a demandé par voie de requêtes adressées aux présidents des tribunaux de commerce de [Localité 19] le 19 juillet 2022 (Zagass design), [Localité 13] le 13 juillet 2022 (Yliades) et [Localité 6] le 19 juillet 2022 (Cargo), à être autorisée à faire pratiquer des mesures d'instruction in futurum.

Par ordonnance du 19 juillet 2022, le président du tribunal de commerce de Paris a fait droit à la requête et a désigné un huissier de justice avec pour mission de se rendre au siège de la société Zagass design. La mesure a été exécutée le 31 août 2022.

Par acte extrajudiciaire du 13 septembre 2022, les sociétés Cargo, Yliades ainsi que la société Fabrique de styles et ses franchisés ont fait assigner en référé la société Maisons du monde France devant le président du tribunal de commerce de Paris en lui demandant de rétracter l'ordonnance sur requête rendue le 19 juillet 2022, avec les conséquences de droit.

Par ordonnance de référé du 7 mars 2023, le président du tribunal de commerce de Paris a statué comme suit :

Disons recevables les demandes de FDS et ses franchisés FDS Océane, Aevum, FDS Ares, FDS [Localité 12] et Abrive ;

Rétractons notre ordonnance rendue le 19 juillet 2022 sous le numéro 22.1083/2235931 ;

Subordonnons l'exécution provisoire de la présente ordonnance à la constitution d'une garantie et disons qu'à cet effet le commissaire de justice conservera les pièces qu'il a recueillies sous séquestre jusqu'à la décision définitive ;

Déboutons Cargo, Yliades, FDS et autres de leurs demandes de déclarer nulles les constatations effectuées et d'interdiction sous astreinte à MDM d'utiliser le procès-verbal dressé à l'occasion des opérations de constatation ;

Condamnons MDM à payer à l'ensemble des demanderesses une somme totale de 15 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamnons en outre la SAS Maisons du monde France aux dépens de l'instance, dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 160,87 euros TTC dont 26,60 euros de TVA.

Par déclaration du 14 mars 2023, la société Maisons du monde France a interjeté appel de cette décision en ce qu'elle a :

dit recevables les demandes des sociétés Fabrique de styles, Fabrique de styles océane, Aevum, Fabrique de styles océane Arès, FDS [Localité 12], Abrive,

rétracté l'ordonnance rendue le 19 juillet 2022 ;

condamné Maisons du monde à payer à l'ensemble des demanderesses une somme totale de 15 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamné en outre la SAS Maisons du monde France aux dépens de l'instance, dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 160,87 euros TTC dont 26,60 euros de TVA.

Aux termes de ses dernières conclusions en date du 22 janvier 2024 auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé des moyens développés, elle demande à la cour de :

la déclarer recevable et bien fondée en son appel,

Y faisant droit

infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a statué par les chefs suivants :

Disons recevables les demandes de FDS et ses franchisés FDS Océane, Aevum, FDS Ares, FDS [Localité 12] et Abrive ;

Rétractons notre ordonnance rendue le 19 juillet 2022 sous le numéro 22.1083/2235931 ;

Condamnons MDM à payer à l'ensemble des demanderesses une somme totale de 15 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamné en outre la SAS Maisons du monde France aux dépens de l'instance, dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 160,87 euros TTC dont 26,60 euros de TVA.

Statuant à nouveau,

A titre principal

déclarer irrecevables les demandes formées par les sociétés Fabrique de styles, Fabrique de styles Océane, Aevum, Fabrique de styles Ares, FDS [Localité 12] et Abrive pour défaut d'intérêt personnel et légitime à agir ;

A titre subsidiaire

juger que la demande de rétractation formée par les sociétés Cargo, Yliades, Fabrique de styles, Fabrique de styles Océane, Aevum, Fabrique de styles Ares, FDS [Localité 12] et Abrive est mal fondée ;

En conséquence,

débouter les sociétés les sociétés Cargo, Yliades, Fabrique de styles, Fabrique de styles Océane, Aevum, Fabrique de styles Ares, FDS [Localité 12] et Abrive de leur demande de rétractation de l'ordonnance du 19 juillet 2022 ainsi que de toutes leurs autres demandes ;

débouter les sociétés Cargo, Yliades, Fabrique de styles, Fabrique de styles Océane, Aevum, Fabrique de styles Ares, FDS [Localité 12] et Abrive de leur demande visant à modifier l'ordonnance sur requête rendue par le président du tribunal de commerce de Paris le 19 juillet 2022 enregistrée sous le numéro 22.1083/22.35931 afin de cantonner les mesures ordonnées aux seuls éléments ayant trait aux linéaires des magasins à l'enseigne Fabrique de styles ;

ordonner la mainlevée du séquestre visant l'ensemble des éléments recueillis par Me [P] le 31 août 2022 dans les locaux de la société Zagass design ;

ordonner la communication desdits éléments à son profit ;

En tout état de cause,

déclarer irrecevables et à tout le moins mal fondées l'ensemble des demandes des sociétés Cargo, Yliades, Fabrique de styles, Fabrique de styles Océane, Aevum, Fabrique de styles Ares, FDS [Localité 12] et Abrive et les en débouter ;

condamner les sociétés Cargo, Yliades, Fabrique de styles, Fabrique de styles Océane, Aevum, Fabrique de styles Ares, FDS [Localité 12] et Abrive à lui verser la somme de 50 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Les sociétés Cargo, Yliades, Fabrique de styles, Fabrique de styles océane, Aevum, Fabrique de styles océane Arès, FDS [Localité 12], Abrive, aux termes de leurs dernières conclusions en date du 23 janvier 2024 auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé des moyens développés, demandent à la cour de :

A titre principal :

débouter la société Maisons du monde France de ses entières demandes ;

confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise ;

A titre subsidiaire :

modifier l'ordonnance sur requête rendue par le président du tribunal de commerce de Paris le 19 juillet 2022 enregistrée sous le numéro 22.1083/22.35931 afin de cantonner les mesures ordonnées aux seuls éléments ayant trait aux linéaires des magasins à l'enseigne Fabrique de styles ;

ordonner la restitution par Me [P] à la société Zagass design de l'ensemble des pièces et documents saisis et copiés en application de l'ordonnance du19 juillet 2022 enregistrée sous le numéro 22.1083/22.35931 qui sont sans lien avec les linéaires des magasins Fabrique de styles, dans un délai de cinq (5) jours ouvrés à compter de la signification de la décision à intervenir, et ce sous astreinte de dix mille euros par jour de retard à la charge de la société Maisons du monde France ;

A titre infiniment subsidiaire, en cas d'infirmation de l'ordonnance dont appel :

convoquer les parties à une prochaine audience afin que soient examinées les pièces saisies et mises sous séquestre par Me [P] et qu'il soit statué sur la mainlevée totale ou partielle du séquestre dans les conditions des articles R. 153-2 et suivants du code de commerce ;

ordonner à Me [P], préalablement à cette audience et dans un délai raisonnable avant celle-ci, de remettre aux intimées l'intégralité des éléments saisis chez la société Zagass design et conservés sous séquestre à son étude ;

En tout état de cause,

condamner la société Maisons du monde France à leur payer la somme supplémentaire de trente mille euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamner la société Maisons du monde France aux entiers dépens de la présente instance en application de l'article 699 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 25 janvier 2024.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties susvisées pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

Sur ce,

En vertu de l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé. L'article 493 du même code prévoit que l'ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler la partie adverse.

Par ailleurs, il résulte des articles 497 et 561 du code de procédure civile que la cour d'appel, saisie de l'appel d'une ordonnance de référé statuant sur une demande en rétractation d'une ordonnance sur requête prescrivant des mesures d'instruction destinées à conserver ou à établir, avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, est investie des attributions du juge qui l'a rendue devant lequel le contradictoire est rétabli.

Cette voie de contestation n'est donc que le prolongement de la procédure antérieure : le juge doit apprécier l'existence du motif légitime au jour du dépôt de la requête, à la lumière des éléments de preuve produits à l'appui de la requête et de ceux produits ultérieurement devant lui. L'application de ces dispositions suppose de constater la possibilité d'un procès potentiel, non manifestement voué à l'échec, sur la base d'un fondement juridique suffisamment déterminé, sans qu'il revienne au juge des référés de se prononcer sur le fond et dont la solution peut dépendre de la mesure d'instruction sollicitée. Cette mesure ne doit pas porter une atteinte illégitime aux droits et libertés fondamentaux d'autrui. Le juge doit encore rechercher si la mesure sollicitée exigeait une dérogation au principe du contradictoire. Les circonstances justifiant cette dérogation doivent être caractérisées dans la requête ou l'ordonnance qui y fait droit.

Dans sa requête du 19 juillet 2022, la société Maisons du monde rappelait qu'elle avait fait assigner la société Fabrique de styles, et son franchisé la société Fabrique de styles océane, le 5 octobre 2020 devant le tribunal de commerce de Paris pour concurrence déloyale et parasitaire, après avoir constaté que cette nouvelle filiale avait ouvert des magasins présentant des ressemblances frappantes avec ses magasins (linéaires similaires, assemblés de manière similaire, sols et éclairages similaires, merchandising similaire, etc.), tout en utilisant des codes de communication similaires (codes couleurs d'enseigne similaires, codes de communication en magasins et sur Internet similaires, etc.).

La société Maisons du monde expliquait que se retrouve dans ses magasins depuis 2010 une combinaison spécifique de huit caractéristiques, qui reflètent la personnalité de l'enseigne, portant sur ses linéaires, ses sols, son parcours client, son système d'éclairage, sa scénographie, son petit mobilier de présentation, la présentation des produits (merchandising) et la sortie du magasin. Elle assurait que son concept de magasin était devenu une signature de l'enseigne et une des clés de son succès en France et à l'étranger, mis en avant dans les documents de référence pour les investisseurs.

La société Maisons du monde exposait que, par ailleurs, depuis 2011, elle exploitait avec succès son enseigne en lettres majuscules blanches dans un cartouche noir et que cette identité était déclinée à la fois à l'intérieur, à l'extérieur des magasins Maisons du monde et sur le Web.

La société Maisons du monde soutenait que, en dehors des faits spécifiques reprochés à la société Fabrique de styles et son franchisé, plusieurs éléments tendaient à démontrer que la société Cargo était l'instigatrice d'une stratégie parasitaire globale à son encontre avec sa filiale Yliades, en amont de l'ouverture des magasins et du site litigieux aujourd'hui exploités par sa filiale Fabrique de styles.

La société Maisons du monde soutenait que les factures de l'agence Zagass design révélaient que c'est la société Cargo qui l'avait missionnée en 2018, en collaboration avec Yliades, pour élaborer un aménagement-type de magasin qui avait été exploité par la suite par sa filiale pour la concurrencer de manière déloyale. Elle indiquait que dans le cadre de la procédure à l'encontre de Fabrique de styles, celle-ci avait en effet produit quatre factures de l'agence Zagass design :

la première facture n° YLI01 1811 422, en date du 26 novembre 2018 montrait, selon elle, que, le 13 novembre 2018, l'agence Zagass design avait envoyé une proposition à M. [Z] [J], directeur marketing du groupe Cargo pour « la création d'un concept de magasin de décoration et de mobilier pour Yliades » ;

la deuxième facture n° YLI01 1901 431, en date du 31 janvier 2019, démontrerait que Zagass design avait réalisé un aménagement-type début 2019 ;

la troisième facture n° YLI011905 440, en date du 15 mai 2019, démontrerait que Zagass design avait participé à la mise au point du concept de magasin de décoration et mobilier pour Yliades grâce à un chantier pilote ;

la quatrième facture n° YLI01 1911 456, en date du 22 novembre 2019, démontrerait que Zagass design avait suivi le chantier des premiers magasins litigieux et réalisé un « guide d'application » courant 2019 sous la direction de Cargo.

La société Maisons du monde affirmait que ce faisceau d'indices tendait à démontrer que les sociétés Cargo et Yliades avaient elles-mêmes commis, avec la collaboration de la société Zagass design, des actes de parasitisme, distincts de ceux commis par la société Fabrique de styles, en élaborant probablement dès fin 2017 une politique parasitaire, en amont de l'ouverture des magasins et du site litigieux exploités par leur filiale Fabrique de styles.

Elle indiquait qu'elle entendait ainsi notamment engager une action en parasitisme à l'encontre des sociétés Cargo et Yliades pour obtenir la cessation de leurs agissements parasitaire ainsi que la réparation du préjudice causé par leurs actes de parasitisme. Pour ce faire, elle expliquait avoir besoin de connaître l'ensemble des éléments relatifs à l'origine et l'étendue des actes litigieux commis par les sociétés Cargo et Yliades, mais aussi ceux permettant de déterminer le rôle exact joué par la société Zagass design dans les faits litigieux.

Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir

La société Maisons du monde fait valoir qu'il ressort clairement de sa requête du 19 juillet 2022 que le procès qu'elle envisage vise les sociétés Cargo et Yliades qui doivent répondre leurs actes propres et personnels.

Elle en déduit que la société Fabrique de styles et ses franchisées, les sociétés Fabrique de styles océane, Aevum, Fabrique de styles océane Arès, Fabrique de styles [Localité 12], Abrive, n'ont pas d'intérêt à demander la rétractation de l'ordonnance sur requête du 19 juillet 2022.

Les intimés affirment que la société Fabrique de styles et ses franchisées ne sont pas moins concernés que les sociétés Cargo et Yliades par l'issue de la mesure d'instruction qui a vocation à leur être opposée à l'occasion de leur procès au fond contre la société Maisons du monde. Elles soutiennent qu'elles sont en effet parties à la contestation globale de la société Maisons du monde sur des prétendus actes de concurrence déloyale et parasitisme, et doivent par conséquent bénéficier du droit d'exercer un recours contre l'ordonnance.

Lorsqu'une mesure d'instruction est ordonnée sur requête sur le fondement de l'article 145 précité, le défendeur potentiel à l'action au fond envisagée est nécessairement une personne intéressée même si cette ordonnance ne lui est pas opposée (Civ. 2, 1er sept. 2016, 151-19.799 ; com. 1er févr. 2023, 22-17.101). En l'espèce, la société Maisons du monde a caractérisé l'action au fond qu'elle envisage uniquement contre les sociétés Cargo, Yliades et Zagass design, en retenant que la société Cargo avait fait élaborer un aménagement-type de magasin constituant un kit de copie du concept de ses magasins, notamment pour permettre à Yliades d'écouler des produits grâce à un canal de distribution attractif et performant, kit de copie qui peut potentiellement être vendu à des acteurs étrangers. Les faits reprochés aux sociétés Cargo, Yliades et Zagass design relèvent donc de l'organisation d'une opération de parasitisme, à laquelle la société Fabrique de styles et ses franchisées ne sont pas parties prenantes dans le cadre d'un éventuel procès à venir.

Faute d'intérêt à agir, l'action en rétractation des sociétés Fabrique de styles, Fabrique de styles océane, Aevum, Fabrique de styles océane Arès, la société Fabrique de styles [Localité 12], Abrive sera déclarée irrecevable.

Sur le motif légitime

Les sociétés Cargo et Yliades rappellent que la société Maisons du monde indiquait dans sa requête que ses magasins présentaient une combinaison spécifique de huit caractéristiques, reflétant la personnalité de son enseigne. Elles expliquent que, lors de l'audience qui s'est tenue devant le tribunal de commerce de Paris le 9 juin 2023, la société Maisons du monde a reconnu que l'objet du litige était en réalité cantonné aux linéaires des magasins de la société Fabrique de styles. Elle affirme que le jugement du 9 octobre 2023 mentionne expressément : « la société Maisons du monde précise lors de l'audience que la présence de linéaires blancs suffirait à démarquer la société Fabrique de styles de la société Maisons du monde » ; et encore : « la société Maisons du monde n'a pas défini précisément le concept de ses magasins qui auraient été repris puisque selon son propre aveu lors de l'audience, il n'existe pas de plan type de points de ventes ». Les sociétés Cargo et Yliades ajoutent que ces propos de la société Maisons du monde ont été réitérés dans ses dernières écritures devant le tribunal de commerce de Montauban : « le nouveau concept de magasin utilisé à Bègles par Fabrique de styles, avec en particulier des linéaires blancs très différents dans tout le magasin, pourrait écarter les risques de confusion et d'association ».

Les sociétés Cargo et Yliades soutiennent qu'en avouant que la faute reprochée à la société Fabrique de styles était en réalité strictement limitée à la reprise de linéaires, la société Maisons du monde a redéfini par ricochet le périmètre de celle reprochée à Zagass, Cargo et Yliades. Selon elles, non seulement la société Maisons du monde a reconnu que sept caractéristiques ont en réalité toujours été en dehors de la cause mais, en outre, que leur combinaison, qui détermine selon la société Maisons du monde son concept de magasin, n'est pas en question. Elles en déduisent que la société Maisons du monde n'a jamais eu d'argument, et savait ne pas en avoir au jour de la requête, pour se prétendre la victime des actes de concurrence déloyale visés dans sa requête, qui supposent la démonstration d'un risque de confusion tenant compte de tous les éléments pertinents du cas d'espèce et non de la seule prétendue reprise d'un élément isolé, ou de parasitisme, qui suppose, entre autres, la démonstration d'investissements concernant l'élément prétendument repris.

Cependant, les documents produits par la société Maisons du monde au juge de la requête, et dont ni l'existence ni le contenu ne sont critiqués par les intimées, permettent de constater qu'elle a démontré l'existence de faits crédibles tenant, d'une part, à l'existence de ses doléances de longue date concernant des actions des sociétés du groupe Cargo pour copier le concept de ses magasins reposant sur une combinaison de huit caractéristiques d'organisation externe et interne des lieux de ventes et, d'autre part, à l'existence de factures de l'agence Zagass design portant sur la création d'un concept de magasin de décoration et de mobilier pour la société Yliades, la réalisation d'un aménagement-type, la mise au point du concept de magasin grâce à un chantier pilote, le chantier des premiers magasins litigieux et la réalisation d'un « guide d'application ». La société Maisons du monde démontre donc l'existence d'un litige plausible, bien qu'éventuel et futur, dont le contenu et le fondement sont cernés, approximativement au moins, et sur lequel pourrait influer le résultat des mesures d'instruction critiquées.

Au demeurant, il convient de relever que, dans son jugement du 9 octobre 2023, le tribunal de commerce de Paris a rappelé les moyens de la société Maisons du monde, en pages 7 et 8 de la décision, reprenant intégralement son argumentaire sur le caractère original de l'aménagement de ses magasins reposant sur la combinaison de huit caractéristiques. Il en résulte qu'en indiquant par ailleurs que la société Maisons du monde avait admis à l'audience qu'elle fondait son action sur la violation de la seule caractéristique concernant les linéaires, ce jugement contient des motifs contradictoires qui ne permettent pas de retenir que la société Maisons du monde a amendé expressément et sans équivoque la substance des faits qu'elle a exposés dans la requête litigieuse. La même observation doit être faite s'agissant de l'extrait des conclusions le tribunal de commerce de Montauban cité par les intimés, qui utilise le conditionnel et exprime un argument nettement dubitatif.

Sur l'absence de proportionnalité des mesures ordonnées

Les sociétés Cargo et Yliades font valoir que si le juge de la requête avait eu connaissance du périmètre réel du litige, il n'aurait jamais autorisé le commissaire de justice à procéder à des saisies documentaires aussi étendues, en utilisant des mots clés aussi larges. Selon elles, le juge de la requête aurait, au mieux, autorisé le commissaire de justice à ne se faire communiquer que les éléments relatifs à l'élaboration des linéaires des magasins Fabrique de styles. Les sociétés Cargo et Yliades en déduisent que la mesure d'instruction ordonnée n'était pas circonscrite dans son objet aux véritables faits litigieux, à savoir les linéaires des magasins la société Fabrique de styles, et que le commissaire de justice s'était trouvé investi de pouvoirs disproportionnés par rapport à la réalité du litige. Ce moyen est dépourvu de portée et sera rejeté, compte tenu des développements qui précèdent rejetant les allégations des intimés soutenant que la réalité du litige était limitée à la copie du type de linéaires.

Sur la modification de l'ordonnance sur requête

Les sociétés Cargo et Yliades demandent que les mesures d'instruction soient cantonnées à ce qui concerne uniquement les linéaires des magasins Fabrique de styles. Elle explique qu'il n'est pas concevable que des éléments totalement étrangers au litige désormais limité à la reprise de linéaires, puissent être communiqués à la société Maisons du monde. Ce moyen est dépourvu de portée et sera rejeté, compte tenu des développements qui précèdent rejetant les allégations des intimés soutenant que la réalité du litige était limitée à la copie du type de linéaires.

Sur la mainlevée du séquestre

En vertu de l'article L. 153-1 du code de commerce, lorsque, à l'occasion d'une instance civile ou commerciale ayant pour objet une mesure d'instruction sollicitée avant tout procès au fond ou à l'occasion d'une instance au fond, il est fait état ou est demandée communication ou la production d'une pièce dont il est allégué par une partie ou un tiers ou dont il a été jugé qu'elle est de nature à porter atteinte à un secret des affaires, lejuge peut, d'office ou à la demande d'une partie ou d'un tiers, si la protection de ce secret ne peut être assurée autrement et sans préjudice de l'exercice des droits de la défense :

1° Prendre connaissance seule de cette pièce et, s'il l'estime nécessaire, ordonner une expertise et solliciter l'avis, pour chacune des parties, d'une personne habilitée à l'assister ou la représenter, afin de décider s'il y a lieu d'appliquer des mesures de protection prévues au présent article ;

2° Décider de limiter la communication ou la production de cette pièce à certains de ses éléments, en ordonner la communication ou la production sous une forme de résumé ou en restreindre l'accès, pour chacune des parties, au plus à une personne physique et une personne habilitée à l'assister ou la représenter ;

3° Décider que les débats auront lieu et que la décision sera prononcée en chambre du conseil ;

4° Adapter la motivation de sa décision et les modalités de publicité de celle-ci aux nécessités de la protection du secret des affaires.

La société Maisons du monde affirme vainement que les pièces saisies ne bénéficient pas du secret des affaires et qu'aucune disposition légale ne prévoit leur communication à un tiers à la partie requise. En effet, dès lors que la recevabilité de la demande de rétractation des sociétés Cargo et Yliades n'a pas été contestée et que leur intérêt à agir n'a pas été remis en cause, il est nécessaire à l'exercice des droits de la défense qu'elles puissent prendre connaissance des pièces qui ont vocation à leur être opposées dans le cadre d'un procès éventuel au fond, de façon à demander, le cas échéant, la mise en 'uvre de la protection des informations saisies au titre du secret des affaires. Il ne peut leur être fait reproche, avant qu'elles aient pu consulter ces documents saisis, de ne pas formuler de manière consistante les raisons les conduisant à réclamer cette protection.

En outre, l'article L. 153-1 précité prévoit expressément que la procédure spéciale d'examen des pièces a vocation à être organisée, y compris lorsque c'est un tiers qui allègue que la communication ou la production de la pièce litigieuse est de nature à porter atteinte à un secret des affaires.

Enfin, la société Maisons du monde, qui ignore aussi le contenu de ces pièces, procède par voie d'allégation en affirmant qu'elles sont nécessaires au litige et qu'elles sont par-là inéligible à la protection prévue par la loi. Le contrôle de proportionnalité opéré par le juge entre les intérêts divergents en présence ne peut en effet intervenir qu'une fois que le défendeur potentiel à l'action au fond envisagée a eu connaissance des pièces séquestrées, et à l'issue de la procédure organisée par les articles R. 143-1 et suivants du code de procédure civile.

Il sera donc au préalable enjoint aux commissaires de justice instrumentaires de remettre aux sociétés Cargo et Yliades, sur une clé USB, une copie de l'ensemble des éléments collectés en exécution de l'ordonnance sur requête, ainsi que le fichier d'inventaire.

Il sera ensuite nécessaire de permettre à la cour de prendre connaissance des pièces litigieuses conformément aux dispositions des articles R. 153-2 à R. 153-9 du code de commerce, ainsi qu'il est dit au dispositif ci-dessous, et de rabattre l'ordonnance de clôture pour permettre aux parties de conclure à la suite de l'audience en chambre du conseil.

Les frais de copie des éléments séquestrés et du contrôle de cohérence diligenté par les commissaires de justice seront avancés par la partie la plus diligente et liquidés avec les dépens d'appel.

Le sort des dépens, de première instance comme d'appel, et la charge des frais irrépétibles seront réservés.

PAR CES MOTIFS

Déclare irrecevables à agir les sociétés Fabrique de styles, Fabrique de styles océane, Aevum, Fabrique de styles océane Arès, la société Fabrique de styles [Localité 12], Abrive ;

Infirme l'ordonnance entreprise, sauf les dispositions regardant la charge des dépens de première instance et des frais irrépétibles sur lesquelles il sera statué ultérieurement ;

Statuant à nouveau,

Déboute les sociétés Cargo et Yliades de leur demande de rétractation de l'ordonnance sur requête rendue le 19 juillet 2022 par le président du tribunal de commerce de Paris (22.1083/22.35931) ;

Déboute les sociétés Cargo et Yliades de leur demande de modification de l'ordonnance sur requête rendue le 19 juillet 2022 par le président du tribunal de commerce de Paris (22.1083/22.35931) ;

Renvoie l'examen de la demande de levée de séquestre à l'audience du mardi 10 septembre 2024 à 09h30 en chambre du conseil ' salle [Localité 21] 4-Z-10 ;

Enjoint à la SCP [G] [H] et [K] [P], en qualité de commissaire de justice instrumentaire et séquestre, de remettre sans délai aux sociétés Cargo et Yliades, à l'une d'entre elles au moins, sur une clé USB, une copie de l'ensemble des éléments collectés lors des opérations de constat menées le 31 août 2022 dans les locaux de la société Zagass design en exécution de l'ordonnance sur requête du 19 juillet 2022, ainsi que le fichier d'inventaire, et de dresser procès-verbal de cette diligence ;

Enjoint aux sociétés Cargo et Yliades de :

procéder à un tri des pièces séquestrées en trois catégories, devant chacune comporter un inventaire précis des pièces contenues :

catégorie A : les pièces qui pourront être communiquées en l'état sans examen ;

catégorie B : les pièces qui sont concernées par le secret des affaires et que les sociétés Cargo et Yliades refusent de communiquer ;

catégorie C : les pièces que les sociétés Cargo et Yliades refusent de communiquer mais qui ne sont pas concernées par le secret des affaires ;

communiquer ce tri, qui sera accompagné d'une numérotation distincte, à la SCP [G] [H] et [K] [P], en qualité de commissaires de justice instrumentaires et séquestres, au plus tard le 5 juillet 2024 pour un contrôle de cohérence avec les fichiers initiaux séquestrés ;

remettre à la cour à l'audience en chambre du conseil du 10 septembre 2024 :

1°) la communication du procès-verbal de remise de la copie des pièces séquestrées et du contrôle de cohérence effectué par les huissiers instrumentaires, sous forme de note ou de procès-verbal ;

2°) la version confidentielle intégrale des pièces de catégories B ;

3°) une version non confidentielle ou un résumé des mêmes pièces ;

4°) un mémoire précisant les motifs conférant aux pièces de catégorie B le caractère d'un secret des affaires ;

Indique aux parties qu'elles pourront être entendues ensemble ou séparément pour un propos liminaire, conformément au dernier alinéa de l'article R. 153-3 du code de commerce, avant que l'examen des pièces commence hors la présence de la partie requérante (intimée). Limite la présence à l'audience en chambre du conseil à deux personnes physiques par partie, outre les avocats.

Dit que les frais des commissaires de justice concernant leurs diligences décrites ci-dessus seront avancés par la partie la plus diligente et liquidés avec les dépens d'appel ;

Révoque l'ordonnance de clôture ;

Dit que l'affaire sera clôturée à nouveau le 26 septembre 2024 à 10h00 en salle de procédure E0-K-20 et renvoie les parties à l'audience publique du lundi 30 septembre 2024 à 9h30, salle Portalis 2-Z-60 pour que l'affaire soit plaidée au fond ;

Réserve les dépens et les demandes fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.