Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 1 - ch. 3, 26 mars 2024, n° 23/04317

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Carmila France (SASU)

Défendeur :

Samjo (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Chazalette

Conseillers :

Mme Blanc, Mme Georget

Avocats :

Me Todisco, Me Cossé, Me Pavrette, Me Bracka

TJ Créteil, du 21 févr. 2023, n° 22/0148…

21 février 2023

Par acte du 15 février 2002, la société Carmila France a donné à bail commercial à la société Samjo, exerçant sous l'enseigne Oxy jeune, un local d'une surface totale de 149,80 m², situé dans le [Adresse 3] à [Localité 5], moyennant un loyer annuel de base fixé lors du renouvellement au montant de 54 689,04 euros HT.

La destination des lieux loués est l'activité de 'prêt à porter hommes et femmes sportswear - jeannerie - unisexe'.

La bailleresse a fait délivrer à la preneuse plusieurs commandements de payer visant la clause résolutoire.

Par acte d'huissier du 19 octobre 2021, la société Carmila France a fait assigner la société Samjo devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Créteil aux fins de constat de l'acquisition de la clause résolutoire du fait du caractère infructueux du commandement de payer du 11 juin 2021 délivré pour une dette de 207 604,33 euros au 1er juin 2021.

Par ordonnance du 12 mai 2022, le président du tribunal judiciaire de Créteil a estimé qu'il n'y avait pas lieu à référé en raison de l'existence de contestations sérieuses et renvoyé les parties à mieux se pourvoir au fond.

Le 31 août 2022, un nouveau commandement de payer visant la clause résolutoire a été délivré à la société Samjo pour la somme de 334 686,99 euros au titre des loyers et charges arrêtés au 3 août 2022.

Par acte extrajudiciaire du 21 octobre 2022, la société Carmila France a fait assigner la société Samjo devant la juridiction des référés du tribunal judiciaire de Créteil, aux fins, notamment, de voir constater l'acquisition de la clause résolutoire, d'obtenir l'expulsion de la preneuse et sa condamnation au paiement d'une provision sur la dette locative.

Par ordonnance contradictoire du 21 février 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire de Créteil a :

déclaré la société Carmila France recevable à agir à l'encontre de la société Samjo ;

dit n'y avoir lieu à référé sur l'ensemble des demandes présentées par la société Carmila France à l'encontre de la société Samjo tant à titre principal que subsidiaire ;

renvoyé les parties à se pourvoir devant le juge du fond ;

condamné la société Carmila France à payer à la société Samjo une somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamné la société Carmila France aux dépens de l'instance en référé ;

rappelé que la présente décision est exécutoire de plein droit.

Par déclaration du 27 février 2023, la société Carmila France a relevé appel de cette décision en critiquant l'ensemble des chefs de son dispositif.

Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées le 23 novembre 2023, la société Carmila France demande à la cour de :

réformer l'ordonnance rendue le 21 février 2023 par le président du tribunal judiciaire de Créteil en ce qu'elle a :

dit n'y avoir lieu à référé sur l'ensemble des demandes présentée par la société Carmila France à l'encontre de la société Samjo tant à titre principal qu'à titre subsidiaire ;

renvoyé les parties à mieux se pourvoir devant le juge du fond ;

condamné la société Carmila France à payer à la société Samjo une somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamné la société Carmila France aux dépens de l'instance en référé ;

confirmer l'ordonnance rendue en ce qu'elle l'a déclarée recevable à agir à l'encontre de la société Samjo ;

y faisant droit,

constater l'acquisition de la clause résolutoire à l'expiration du délai imparti par le commandement délivré, soit le 30 septembre 2022, et par voie de conséquence, la résiliation du bail des 13 et 15 février 2002 ;

ordonner l'expulsion de la société Samjo ou de tous occupants de son chef des locaux situés [Adresse 3] ;

ordonner qu'en cas de maintien provisoire dans les lieux, il sera dû une indemnité d'occupation mensuelle de 12 453,48 euros jusqu'à la libération effective ;

ordonner que l'expulsion se fera si nécessaire avec le concours de la force publique et d'un serrurier en vue de la reprise des locaux ;

condamner la société Samjo au versement de la somme provisionnelle de 462 019,16 euros au titre des loyers et charges suivant décompte arrêté au 30 septembre 2023 avec intérêts au taux légal majoré de cinq points à compter du commandement de payer ;

condamner la société Samjo au paiement d'une somme de 46 201 euros au titre de la clause pénale ;

juger que le dépôt de garantie restera acquis au bailleur au titre de la clause pénale ;

ordonner le retrait par la société Samjo des meubles, qui en supportera intégralement les frais, dans un délai de 8 jours à compter de la signification de l'ordonnance à intervenir ;

ordonner que, passé ce délai de 8 jours, faute de retrait amiable, elle sera autorisée à enlever les meubles et à les entreposer dans tel bien qu'elle déterminera dans l'attente de leur vente forcée, dont le coût sera exclusivement supporté par la société Samjo ;

débouter la société Samjo de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile en première instance et en cause d'appel ;

condamner la société Samjo à lui payer une somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et en tous les dépens qui comprendront le coût du commandement.

Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées le 3 octobre 2023, la société Samjo demande à la cour de :

In limine litis :

infirmer l'ordonnance rendue le 21 février 2023 par le président du tribunal judiciaire de Créteil en ce qu'elle a :

déclaré la société Carmila France recevable à agir à son encontre ;

à titre principal :

confirmer l'ordonnance rendue le 21 février 2023 par le président du tribunal judiciaire de Créteil en toutes ses dispositions ;

à titre subsidiaire :

suspendre les effets de la clause résolutoire ;

débouter la société Carmila France de ses demandes au titre des mois de fermeture administrative du centre commercial ;

accorder à la société Samjo 24 mois de délai pour procéder à l'apurement de l'arriéré locatif selon les modalités suivantes : 23 échéances de 1 000 euros chacune et la 24ème à hauteur de 364 298,28 euros ;

en tout état de cause :

condamner la société Carmila France au règlement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamner la société Carmila France aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 11 janvier 2024.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties susvisées pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

Sur ce,

Sur la recevabilité

L'article 562 du code de procédure civile dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 dispose que l'appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent et que la dévolution ne s'opère pour le tout que lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.

L'article 954, alinéa 3, du même code, prévoit que la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.

Il résulte de la combinaison de ces articles que la partie qui entend voir infirmer le chef d'un jugement l'ayant déboutée d'une demande et accueillir celle-ci doit formuler une prétention en ce sens dans le dispositif de ses conclusions d'appel (2e Civ., 4 février 2021, n° 19-23.615).

Or, au cas présent, si la société Samjo fait valoir dans le corps de ses conclusions l'autorité de la chose jugée attachée à l'ordonnance du 12 mai 2022 et forme une demande d'infirmation de l'ordonnance querellée en ce qu'elle déclare la société Carmila recevable, aucune prétention tendant à voir déclarer irrecevables les demandes de la société Carmila France ne figure au dispositif de ses conclusions.

La cour n'est donc saisie d'aucune fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée.

A titre surabondant, il n'y a pas lieu d'opposer la chose jugée à la société Carmila France qui peut se prévaloir, depuis l'ordonnance du 12 mai 2022, d'un nouveau commandement de payer et d'une augmentation de la dette locative.

Sur l'acquisition de la clause résolutoire

Selon l'article 834 du code de procédure civile, dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal judiciaire peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.

Selon l'article 835, alinéa 1er, du même code, le président du tribunal judiciaire peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

En application de ces textes, il est possible, en référé, de constater la résiliation de plein droit d'un contrat de bail en application d'une clause résolutoire lorsque celle-ci est mise en oeuvre régulièrement.

Aux termes de l'article L.145-41 du code de commerce, toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.

Aux cas présent, le bail renouvelé contient une clause résolutoire ainsi rédigée : 'à défaut par le preneur d'exécuter une seule des clauses, charges et conditions du présent bail et de respecter scrupuleusement les dispositions légales applicables ou de payer exactement à son échéance un seul terme de loyer, des charges ou des accessoires, le présent bail sera, si bon semble au bailleur, résilié de plein droit et sans aucune formalité judiciaire, un mois après une simple mise en demeure d'exécuter ou un simple commandement de payer contenant déclaration par ledit bailleur de son intention d'user du bénéfice de la présente clause, et demeuré sans effet pendant ce délai, nonbstant toute consignation ou offres réelles ultérieures.'

Cette clause contractuelle, comme les dispositions de l'article L.145-41 du code de commerce, sont reproduites dans le commandement de payer délivré à la société Samjo le 31 août 2022 pour une somme de 334 686,99 euros, échéances des deux premiers trimestres 2022 incluses.

Il n'est pas contesté que les causes de ce commandement n'ont pas été apurées dans le délai d'un mois que sa délivrance a fait courir.

Pour s'opposer à la demande de constat de l'acquisition de la clause résolutoire, la société Samjo fait valoir que le bailleur a manqué à ses obligations de bonne foi, de commercialité et de jouissance paisible.

Cependant, il résulte de l'article 1719 du code civil que le bailleur commercial est obligé, par la nature même du contrat, de délivrer au preneur la chose louée et d'entretenir cette chose en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée, sans être tenu, en l'absence de clause particulière, d'en assurer la commercialité (3e Civ., 15 décembre 2021, pourvoi n° 20-14.423).

Or, au cas présent, les conditions générales du bail permettent de constater, sans qu'il y ait lieu à interprétation sur ce point, que les parties n'ont pas entendu faire peser une telle obligation de commercialité sur la société Carmila France.

Par ailleurs, sous couvert de mauvaise foi et de manquement du bailleur à son obligation de lui assurer une jouissance paisible, le preneur ne fait en réalité état que de manquements à cette obligation de commercialité inexistante.

Enfin, alors que le commandement de payer délivré pour un montant erroné n'est pas nul mais reste valable pour la partie non contestable de la dette, la société Samjo admet ne pas avoir payé la totalité de la dette locative visée par le commandement qui lui a été délivré.

Les contestations de l'intimée ne sont donc pas suffisamment sérieuses pour faire échec à la constatation de l'acquisition de la clause résolutoire.

Il convient dès lors de constater l'acquisition de la clause résolutoire à l'expiration du délai imparti par le commandement délivré, soit le 30 septembre 2022 à minuit.

La décision du premier juge sera infirmée de ce chef.

Sur la condamnation au paiement d'une provision

En application de l'article 835, alinéa 2, du code de procédure civile que le président du tribunal judiciaire peut, dans les limites de la compétence du tribunal, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.

Une contestation sérieuse survient lorsque l'un des moyens de défense opposé aux prétentions du demandeur n'apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision au fond qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient saisir les juges du fond.

Par ailleurs, l'effet de la mesure générale et temporaire d'interdiction de recevoir du public sur la période du 17 mars au 10 mai 2020, prévue par les arrêtés des 14 et 16 mars 2020 du ministre des solidarités et de la santé, ainsi que par les décrets n° 2020-293 du 23 mars 2020 et n° 2020-423 du 14 avril 2020, sans lien direct avec la destination contractuelle du local loué, ne peut être assimilé à la perte de la chose, au sens de l'article 1722 du code civil. En outre, cette mesure générale de police administrative portant interdiction de recevoir du public n'est pas constitutive d'une inexécution, par le bailleur, de son obligation de délivrance. Enfin, pour échapper au paiement de ses loyers, un locataire n'est pas fondé à invoquer à son profit la force majeure résultant de cette mesure (3e Civ., 30 juin 2022, pourvoi n° 21-20.190).

Dès lors en invoquant la perte partielle de la chose louée, l'exception d'inexécution et la force majeure du fait de la fermeture du centre commercial du 17 mars au 10 mai 2020 en raison de la crise sanitaire liée à l'épidémie de Covid-19, la société Samjo ne caractérise aucune contestation sérieuse.

Par ailleurs, si la société appelante fait valoir, au visa des articles L.145-40-2 et R.145-35 et suivants du code de commerce, que la provision sollicitée intègre des charges insuffisamment justifiées et que les régularisations annuelles ne sont pas démontrées, la bailleresse produit les relevés individuels de charges (pièces 9 et 10) mentionnant les sommes réclamées à titre de charges et travaux, leur répartition par tantièmes et le montant des régularisations annuelles qui sont reportées sur le décompte des sommes réclamées de sorte qu'aucune contestation sérieuse de ce fait ne justifie de rejeter la demande de provision.

Il convient dès lors de condamner la société Samjo au paiement de la somme provisionnelle de 462 019,16 euros au titre des loyers et charges suivant décompte arrêté au 30 septembre 2023 avec intérêts au taux légal à compter du commandement de payer du 31 août 2022 sur la somme de 334 686,99 euros et du présent arrêt pour le surplus.

Sur la suspension des effets de la clause résolutoire

L'article1343-5, alinéa 1er, du code civil dispose que le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.

L'article L.145-41 alinéa 2 du code de commerce prévoit que les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues à cet article peuvent en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge.

Cependant, alors que la société Samjo n'a pas réglé un seul loyer depuis février 2020, ses demandes tendant à se voir accorder un délai pour payer les sommes qui pourraient être mises à sa charge et à voir suspendre les effets de la clause résolutoire seront rejetées.

Son expulsion sera dès lors autorisée selon les modalités prévues au dispositif.

Sur les demandes au titre de la clause pénale et de voir juger que le dépôt de garantie restera acquis au bailleur

Ces demandes excèdent les pouvoirs du juge des référés qui peut seulement allouer une provision.

L'ordonnance entreprise qui dit n'y avoir lieu à référé sur l'ensemble des demandes sera confirmée sur ce point par substitution de motifs.

Sur les demandes accessoires

Compte tenu du sens de la présente décision, les dispositions de l'ordonnance entreprise relatives aux dépens et aux frais irrépétibles seront infirmées.

La société Samjo sera condamnée aux dépens de la première instance comme de l'appel ainsi qu'au paiement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Infirme l'ordonnance entreprise dans les limites de l'appel sauf en ce qu'elle dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes de voir juger que le dépôt de garantie restera acquis au bailleur et au titre de la clause pénale ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Constate l'acquisition de la clause résolutoire insérée au bail au 30 septembre 2022 à minuit ;

Condamne la société Samjo à verser à la société Carmila France une provision de 462 019,16 euros au titre des loyers et charges suivant décompte arrêté au 30 septembre 2023 avec intérêts au taux légal à compter du commandement de payer du 31 août 2022 sur la somme de 334 686,99 euros et du présent arrêt pour le surplus ;

Rejette la demande de délais suspendant les effets de la clause résolutoire ;

Autorise la société Carmila France à faire procéder à l'expulsion de la société Samjo des locaux qu'elle occupe, ainsi que de tous occupants de son chef, avec le concours de la force publique, en cas de besoin ;

Dit que la société Samjo devra verser à la société Carmila France une indemnité d'occupation d'un montant mensuel égal au montant du loyer, augmenté des charges, qui aurait été dû si le bail s'était poursuivi ;

Dit que le sort des meubles et autres objets garnissant les lieux sera réglé selon les dispositions des articles L.433- I et suivants et R.433-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution ;

Condamne la société Samjo à payer à la société Carmila France la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Samjo aux dépens de la première instance et de l'appel.