CA Poitiers, 2e ch., 26 mars 2024, n° 23/02211
POITIERS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Selarl (SELARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Pascot
Conseillers :
M. Vetu, M. Lecler
Avocats :
Me Mazaudon, Me De La Rocca
Le 3 juin 2002, Monsieur [S] [X] [I] et Madame [B] [K] [E] épouse [X] [I] (les époux [X] [I]) ont acquis la propriété d'un local commercial, d'une superficie de 43,86 m² sis [Adresse 7].
Le 17 juin 2021, Monsieur [X] [I] a conclu un contrat de bail commercial avec Madame [D] [P] pour une durée de neuf ans à compter du 2 août 2021 pour un loyer mensuel de 600 euros hors charges portant sur le local susdit.
Le 30 décembre 2022, Monsieur [X] [I] et Madame [I] ont délivré à Madame [P] un commandement de payer visant la clause résolutoire du bail pour un montant de 3886 euros en principal correspondant à des loyers et charges impayés.
Le 30 décembre 2022, Monsieur [X] [I] et Madame [I] ont attrait Madame [P] devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Poitiers.
Dans le dernier état de ses demandes, les époux [X] [I] ont demandé :
- de constater la résiliation du bail à la date du 30 janvier 2023 ;
- d'ordonner l'expulsion de Madame [P] ainsi que celle de tous biens et occupants de son chef, si besoin avec le concours de la force publique et d'un serrurier ;
- de condamner Madame [P], à titre provisionnel, à régler la somme 1.081,82 euros au titre de la taxe foncière de 2022 ;
- de condamner Madame [P], à titre provisionnel, à régler la somme de 843,45euros au titre de des charges locatives dues ;
- de condamner à Madame [P], par provision, à régler la somme de 200 euros au titre du paiement du mobilier ;
- de condamner Madame [P], par provision, à régler une indemnité d'occupation d'un montant de 660 euros par mois à compter du 1er février 2023 et ce jusqu'à la libération effective des lieux ;
- d'ordonner que le montant du dépôt de garantie resterait acquis au bailleur à titre d'indemnisation provisionnelle ;
- de débouter Madame [P] de sa demande visant à accorder des délais de paiement et ordonner la suspension des effets de la clause résolutoire;
- à titre subsidiaire si par impossible la juridiction accordât des délais de règlement à Madame [P], d'ordonner qu'à défaut de règlement d'une échéance du loyer courant de la dette, la clause résolutoire retrouverait son plein effet ;
- de condamner Madame [P] aux entiers dépens en ce compris le coût du commandement de payer du 30 décembre 2022, le coût de la levée de l'extrait K bis et des créanciers inscrits auprès du greffe du tribunal de commerce, ainsi que le droit de plaidoirie de 13 € ;
- de condamner Madame [P] à lui payer la somme de 1500 € au titre des frais irrépétibles.
Dans le dernier état de ses demandes, Madame [P] a demandé :
- de lui accorder un délai de 22 mois pour le paiement des sommes dues ;
- de l'autoriser à se libérer de sa dette en 21 versements mensuels de 300 euros et un 22e versement de 144 euros ;
- d'ordonner la suspension des effets de la clause résolutoire pendant le cours du délai accordé ;
- de rappeler en tant que besoin que la clause résolutoire ne jouerait pas si le locataire se libérait dans les conditions fixées par le juge ;
- de dire n'y avoir lieu à condamnation au titre des frais irrépétibles ;
- de débouter les époux [X] [I] de leurs demandes contraires.
Par ordonnance contradictoire en date du 26 juillet 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire de Poitiers a :
- déclaré irrecevables les demandes de Madame [X] [I] relatives à l'application de la clause résolutoire et les demandes provisionnelles portant sur le paiement des loyers, charges impayées et mobilier ainsi que le dépôt de garantie ;
- constaté l'acquisition de la clause résolutoire du bail commercial au 30 janvier 2023 ;
- ordonné, à défaut de libération des lieux dans le délai de 15 jours à compter de la signification de la décision, l'expulsion de Madame [P] des lieux, ainsi que celle de tous occupants de son chef, au besoin avec l'assistance de la force publique ;
- condamné Madame [P] à verser à titre provisionnel à Monsieur [X] [I] la somme de 3600 euros au titre des loyers impayés au 30 janvier 2023 outre la somme de 506,25 euros au titre des charges impayées et celle de 527,40 euros au titre de la taxe foncière et la somme de 200 euros au titre de l'acquisition de mobilier ;
- condamné Madame [P] à payer à Monsieur [X] [I] et Madame [X] [I] une indemnité d'occupation provisionnelle mensuelle de 660 euros à compter du 1er février 2023 jusqu'à libération des lieux ;
- ordonné que le dépôt de garantie versé par Madame [P] resterait acquis à Monsieur [X] [I] ;
- condamné Madame [P] à payer à Monsieur [X] [I] et Madame [X] [I] la somme de 1000 € au titre des frais irrépétibles ;
- condamné Madame [P] aux dépens qui comprendraient le coût du commandement de payer.
Par jugement en date du 13 septembre 2023, le tribunal de commerce de Poitiers a ouvert une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de Madame [P] et a désigné la société d'exercice libéral [R] [G] - Mjo en la personne de Maître [R] [G] en qualité de mandataire judiciaire à son redressement (le mandataire judiciaire).
Le 2 octobre 2023, Madame [P] et le mandataire judiciaire ont relevé appel de ce jugement, en intimant Monsieur [X] [I] et Madame [I].
Le 4 octobre 2013, les appelants ont été avisés de la fixation de l'affaire en circuit court.
Le 11 octobre 2023 Madame [P] et le mandataire judiciaire ont signifié leur déclaration d'appel, l'avis de fixation à bref délai et leurs écritures déposées le 10 octobre 2023 à Monsieur [X] [I] et Madame [I] chacun à étude de commissaire de justice.
Le 20 octobre 2023, Monsieur [X] [I] et Madame [I] ont constitué avocat.
Par jugement en date du 10 janvier 2024, le tribunal de commerce de Poitiers a converti la procédure de redressement judiciaire de Madame [P] en liquidation judiciaire et a désigné la société d'exercice libéral [R] [G] - Mjo en la personne de Maître [R] [G] en qualité de liquidateur judiciaire (le mandataire judiciaire).
Le 18 janvier 2024, Madame [P] et le mandataire judiciaire ont demandé :
- de donner acte à la société d'exercice libéral [R] [G] - Mjo de son intervention volontairement en reprise de l'instance d'appel en sa nouvelle qualité de liquidateur de la liquidation judiciaire de Madame [P] ;
- d'infirmer l'ordonnance déférée en ses toutes ses dispositions, sauf en ce qu'elle avait déclaré irrecevables les demandes de Madame [X] [I] relatives à l'application de la clause résolutoire et les demandes provisionnelles portant sur le paiement des loyers, charges impayées et mobilier ainsi que le dépôt de garantie ;
- de juger Monsieur [X] [E] et Madame [K] [E] irrecevables ou à tout le moins mal fondés en toutes leurs demandes formées à leur encontre et les en débouter.
Le 9 novembre 2023, les époux [X] [I] ont demandé :
- d'ordonner la fixation de leur créance au passif de Madame [P];
- de confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle avait condamné Madame [P] représentée désormais par la Selarl Mjo, prise en la personne de Monsieur [R] [G], au règlement de la somme de 1000€ en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance en ce compris le coût du commandement de payer,
y ajoutant,
- condamner le mandataire judiciaire aux dépens d'appel.
Pour plus ample exposé, il sera expressément renvoyé aux écritures précitées des parties déposées aux dates susdites.
Le 23 janvier 2024 a été ordonnée la clôture de l'instruction de l'affaire.
MOTIVATION :
A titre liminaire, il y aura lieu de déclarer recevable l'intervention volontaire de la Selarl [G] Mjo, en sa qualité de liquidateur judiciaire de Madame [P].
Selon l'article 834 du code de procédure civile, dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal judiciaire peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.
L'article 835 alinéa 2 du même code ajoute que dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le juge des référés peut accorder une provision au créancier ou ordonner l'exécution de l'obligation, même s'il s'agit d'une obligation de faire.
Le juge des référés n'est pas tenu de caractériser l'urgence pour constater l'acquisition de la clause résolutoire et la résiliation du bail, ni pour allouer des provisions au titre des loyers et charges impayés, ou pour indemnité d'occupation.
L'article L. 145-41 du code de commerce dispose que toute clause insérée dans le bail, prévoyant sa résiliation de plein droit, ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement, à peine de nullité, doit mentionner ce délai.
Aux termes de l'article L. 621-21 du code de commerce, le jugement d'ouverture de la procédure collective du débiteur interrompt ou interdit toute action en justice de la part des créances dont la créance est née antérieurement au jugement d'ouverture, et tendant notamment au paiement d'une somme d'argent.
L'article L. 622-22 du même code dispose que les instances en cours sont interrompues jusqu'à ce que le créancier poursuivant ait procédé à la déclaration de sa créance. La procédure reprend alors de plein droit, les organes de la procédure étant appelés à l'instance, mais celle-ci ne tend alors qu'à la constatation de la créance et à sa fixation au passif de la procédure collective.
L'instance en cours, qui aux termes de l'article L. 622-22 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi du 26 juillet 2009 de sauvegarde des entreprises, est interrompue jusqu'à ce que le créancier poursuivant ait procédé à la déclaration de sa créance, est celle qui tend à obtenir, de la juridiction saisie du principal, une décision définitive sur l'existence et le montant de cette créance.
Tel n'est pas le cas de l'instance en référé, qui tend à obtenir une condamnation provisionnelle, de sorte que la créance faisant l'objet d'une telle instance doit être soumise à la procédure de vérification des créances et à la décision du juge-commissaire (Cass. com., 6 octobre 2009, n°08-12.416, Bull. 2009, IV, n°123).
L'instance en référé tendant à la condamnation du débiteur au paiement d'une provision n'est pas une instance en cours interrompue par l'ouverture de la procédure collective du débiteur, de sorte que la cour d'appel, statuant sur l'appel formé par ce dernier contre l'ordonnance l'ayant condamné au paiement d'une provision, doit infirmer cette ordonnance et dire n'y avoir lieu à référé, la demande en paiement étant devenue irrecevable en vertu de la règle d'interdiction des poursuites édictée par l'article L. 622-21 du code de commerce (Cass. com., 18 septembre 2018, n°17-13.210, Bull. 2018, IV, n°100).
Il résulte de la combinaison des articles L. 145-41 et L. 622-21 du code de commerce que l'action introduite par le bailleur, avant le placement sous sauvegarde de justice du preneur, en vue de faire constater l'acquisition de la clause résolutoire figurant au contrat de bail commercial pour défaut de paiement des loyers ou des charges échus antérieurement au jugement d'ouverture de la procédure, ne peut être poursuivie après ce jugement.
Dès lors, viole ces textes la cour d'appel qui, pour déclarer recevable une demande en résiliation d'un bail commercial, retient que l'ouverture d'une procédure collective n'interdit pas d'invoquer le bénéfice d'une clause résolutoire délivrée antérieurement dont le jeu doit s'apprécier au moment de la délivrance du commandement de payer (Cass. com., 13 avril 2022, n°21-15.336, publié).
C'est seulement si la décision de justice constatant l'acquisition de la clause résolutoire est passée en force jugée avant l'ouverture de la procédure collective que le bailleur peut bénéficier des effets de la résiliation et obtenir l'expulsion du preneur (Cass. com., 23 novembre 2004, n°03-13.196, Bull., 2004, IV, n°198, Cass. 3e civ., 9 janvier 2008, n°06-21.499, Bull. 2008, III, n°1, Cass. 3e civ., 25 janvier 2023, n°21-21.957, diffusé).
L'action introduite par le bailleur, avant la mise en redressement judiciaire des locataires, en vue de faire constater l'acquisition de la clause résolutoire prévue au contrat de bail pour défaut de paiement des loyers échus antérieurement au jugement d'ouverture de la procédure collective, ne peut plus être poursuivie postérieurement, dès lors qu'elle n'a donné lieu à la date du jugement, qu'à une ordonnance de référé frappée d'appel qui n'était donc pas passée en force de chose jugée. Et il importe peu à cet effet que l'ordonnance de référé soit exécutoire à titre provisoire (Cass. com., 28 octobre 2008, n°07-17.662, Bull. 2008, IV, n°184).
C'est alors que la locataire se trouvait encore in bonis que l'ordonnance déférée a constaté l'acquisition de la clause résolutoire, ordonné son expulsion, et l'a condamné au paiement de provisions au titre des loyers et charges impayés et pour indemnité d'occupation.
Mais au cours de l'instance d'appel dont la régularité n'est pas critiquée, la locataire a fait l'objet d'une procédure collective.
Les bailleurs font valoir avoir déclaré leurs créances en cours d'instance d'appel le 6 novembre 2023.
Les bailleurs font encore valoir qu'en dépit de l'ouverture de son redressement judiciaire, il n'est pas contestable qu'au jour de l'assignation et au jour de l'audience tenue devant le premier juge, leurs demandes étaient recevables et bien fondées.
Mais l'instance en référé qu'ils ont poursuivie ne constitue pas une instance en cours interrompue par l'ouverture de la procédure collective, de telle sorte que leurs demandes de condamnations provisionnelles se heurtent désormais à hauteur de cour à la règle tirée de l'interdiction des poursuites, et ce peu important qu'ils aient entre-temps déclaré leur créance.
S'agissant de la disposition de l'ordonnance déférée ayant constaté l'acquisition de la clause résolutoire, il sera ajouté que celle-ci, ayant été frappée d'appel, l'action y afférente ne peut plus être poursuivie.
Du tout, il résultera qu'il y aura lieu de déclarer irrecevables en l'ensemble de leurs prétentions les bailleurs, ce compris à hauteur de cour, et l'ordonnance sera infirmée de ces chefs.
* * * * *
Il y aura lieu de rappeler que le présent arrêt vaudra titre de restitution des sommes allouées en exécution de l'ordonnance déférée.
Les bailleurs seront condamnés in solidum aux entiers dépens de première instance, et l'ordonnance sera infirmée de ce chef.
Ils seront en outre condamnés in solidum aux entiers dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS:
La cour,
statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi,
Déclare recevable l'intervention volontaire de la société d'exercice libéral [R] [G] - Mjo en la personne de Maître [R] [G], en qualité de liquidateur judiciaire de Madame [D] [P] ;
Infirme l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions ;
Déclare irrecevable l'ensemble des prétentions de Monsieur [S] [X] [I] et de Monsieur [S] [X] [I] et Madame [B] [K] [E] épouse [X] [I] ;
Rappelle que le présent arrêt vaudra titre de restitution des sommes allouées en exécution de l'ordonnance déférée ;
Condamne in solidum Monsieur [S] [X] [I] et Madame [B] [K] [E] épouse [X] [I] aux entiers dépens de première instance et d'appel.