CA Paris, Pôle 5 - ch. 2, 22 mars 2024, n° 23/02764
PARIS
Arrêt
Autre
PARTIES
Demandeur :
Jurisystem (SAS)
Défendeur :
Institut National de la Propriété Industrielle (INPI), Cabinet Lexia (SCP)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Renard
Conseillers :
Mme Lehmann, Mme Chokron
Avocats :
Me Buthiau, Me Bredillard, Me Berdeaux
Vu la décision rendue le 26 janvier 2023 par le directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle (INPI) qui, statuant sur l'opposition formée par la société Cabinet Lexia (SCP), au fondement de la marque verbale française LEXIA n°13 4 010 966 déposée le 10 juin 2013 pour des 'Services juridiques et judiciaires; conseil, représentation et assistance juridique; négociations juridiques; assistance et représentation judiciaire' et de la dénomination sociale CABINET LEXIA, à l'encontre de la demande d'enregistrement présentée le 14 février 2022 par la société Jurisystem (SAS), portant sur le signe verbal [I].FR, l'a reconnue justifiée pour partie des services visés dans cette demande, à savoir les ' Services juridiques; médiation; recherches judiciaires; conseils en propriété intellectuelle'.
Vu le recours contre cette décision déposé le 1er février 2023 par la société Jurisystem et les conclusions au soutien de ce recours remises au greffe de la cour le 14 avril 2023.
Vu l'acte d'huissier de justice délivré le 19 avril 2023 à la société Cabinet Lexia, alors non constituée, portant signification de la déclaration de recours et des conclusions au soutien du recours.
Vu les dernières conclusions de la société requérante, notifiées par voie électronique le 13 décembre 2023, demandant à la cour de déclarer recevable le recours, déclarer recevables ses pièces et, subsidiairement, ses pièces n°1, 4, 5, 6, 7 bis et 8, annuler la décision objet du recours, condamner la société Cabinet Lexia à lui verser la somme de 6.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Vu les observations écrites du directeur général de l'INPI du 1er septembre 2023 concluant à l'existence d'un risque de confusion entre le signe de la demande d'enregistrement et la marque antérieure, de même qu'entre ce signe et la dénomination sociale antérieure, au bien fondé de la décision attaquée qui a accueilli l'opposition pour les ' Services juridiques; médiation; recherches judiciaires; conseils en propriété intellectuelle'et, par voie de conséquence, au rejet du recours.
Vu les conclusions en défense au recours de la société Cabinet Lexia, respectivement notifiées par voie électronique le 17 juillet 2023 et le 6 décembre 2023, demandant à la cour de déclarer irrecevable le recours en ce qu'il n'y est pas indiqué, pas plus que dans les premières conclusions de la société requérante, qu'il est recherché l'annulation de la décision attaquée, déclarer irrecevables les pièces n°2 à 8 de la société Jurisystem non préalablement soumises au directeur général de l'INPI dans le cadre de la procédure d'opposition, en toute hypothèse, 'confirmer' la décision objet du recours en ce qu'elle a reconnu l'existence d'un risque de confusion tant avec la marque antérieure LEXIA qu'avec la dénomination sociale CABINET LEXIA et en ce qu'elle a reconnu l'opposition justifiée pour les 'Services juridiques; médiation; recherches judiciaires; conseils en propriété intellectuelle', condamner la société requérante à lui verser la somme de 7.000 euros au titre des frais irrépétibles et aux dépens dont distraction.
Le ministère public ayant été avisé de la date d'audience.
SUR CE, LA COUR :
Sur la recevabilité du recours
La société Cabinet Lexia soulève à titre liminaire que le recours est, par application de l'article R. 411-19 du code de la propriété intellectuelle, irrecevable dès lors que la société requérante n'a pas mentionné, non seulement dans sa déclaration de recours du 1er février 2023 mais également dans ses conclusions prises au soutien du recours le 14 avril 2023, qu'elle poursuivait l'annulation de la décision du directeur général de l'INPI du 23 janvier 2023, objet du recours. Elle ajoute que la demande en annulation de cette décision énoncée dans les conclusions ultérieures de la société requérante, constitue une prétention nouvelle comme telle irrecevable en vertu de l'article R.411-37 du code de la propriété intellectuelle dont les dispositions réalisent la mise en oeuvre du principe de la concentration des moyens.
Il résulte en effet des dispositions des articles L. 411-4 et R.411-19 du code de la propriété intellectuelle que les recours formés contre les décisions du directeur général de l'INPI statuant sur une opposition à une demande d'enregistrement de marque sont des recours en annulation, dépourvus d'effet dévolutif, et non pas des recours en réformation déférant à la cour l'entier litige en fait comme en droit.
Cependant, si la société requérante indique improprement dans sa déclaration de recours du 1er février 2023 et dans ses premières conclusions du 14 avril 2023 demander 'l'infirmation' de la décision contestée du directeur général de l'INPI et le 'rejet de l'opposition', il demeure qu'elle a formé son recours régulièrement et dans le respect des conditions, notamment de délais, prescrites par les dispositions du code de la propriété intellectuelle. Le recours est en conséquence recevable, étant en outre observé que dans ses conclusions ultérieures la société requérante, sans présenter de moyens nouveaux dans sa critique de la décision attaquée, l'a justement requalifié en une demande d'annulation qui ne saurait être regardée comme une prétention nouvelle. Il convient d'observer en outre que la société Cabinet Lexia est d'autant plus mal venue en sa contestation qu'elle-même demande improprement dans ses conclusions ci-dessus visées de 'confirmer' la décision objet du recours.
Sur la recevabilité des pièces n°2 à 8 de la société Jurisystem
La société Cabinet Lexia soutient que ces pièces sont irrecevables faute d'avoir été soumises au directeur général de l'INPI dans le cadre de la procédure d'opposition.
La société Jurisystem réplique que ces pièces sont recevables et que décider du contraire reviendrait à rompre l'égalité des armes entre les parties au procès. Elle estime, subsidiairement, que les pièces n°1, 4, 5, 6, 7 bis et 8 sont en toute hypothèse recevables.
Or, ainsi qu'il l'a été précédemment rappelé, le présent recours est un recours en annulation dépourvu d'effet dévolutif . En conséquence, la cour saisie d'un tel recours est appelée soit, à annuler la décision attaquée, soit à rejeter le recours, et doit statuer en l'état des moyens soulevés et des pièces produites dans le cadre de la procédure d'opposition ayant abouti à la décision critiquée. Il s'ensuit que les parties ne sont pas autorisées à produire devant la cour des pièces nouvelles qui n'auraient pas été préalablement soumises au directeur général de l'INPI sans que cela ne constitue une rupture de l'égalité des armes, l'interdiction étant pareillement applicable à chacune des parties au recours.
Il ressort de l'examen de la procédure que la société Jurisystem a produit devant le directeur général de l'INPI, en défense à l'opposition, les seules pièces suivantes:
Pièce n°1: Extrait Site internet www.[07].fr
Pièce n°2: Prénom [I], extraits internet.
Elle produit devant la cour ces mêmes pièces sous les n°1 et 7 bis du bordereau.
En conséquence, la pièce contestée n°7 bis, préalablement soumise au directeur général de l'INPI, est recevable et la demande de la société Cabinet Lexia est mal fondée en ce qui la concerne.
Les pièces n°2, 3, 4, 5, 6, 7 et 8 de la société Jurisystem , nouvellement produites devant la cour, sont en revanche irrecevables.
Sur le fond
La société Cabinet Lexia a invoqué, au soutien de son opposition à la demande d'enregistrement, des droits antérieurs de marque et de dénomination sociale. L'antériorité des droits opposés n'est pas discutée.
- sur l'opposition fondée sur la marque antérieure LEXIA,
Il n'est pas utilement contesté par la société requérante que les 'Services juridiques ; médiation ; recherches judiciaires; conseils en propriété intellectuelle' de la demande d'enregistrement sont identiques ou similaires, ainsi qu'il a été retenu par le directeur général de l'INPI, aux 'Services juridiques et judiciaires; conseil, représentation et assistance juridique ; négociations juridiques ; assistance et représentation judiciaire' visés par la marque antérieure.
En effet, son observation selon laquelle le site [I].fr qu'elle exploite ne proposerait que la mise en relation d'internautes avec des avocats, tandis que le Cabinet Lexia fournirait des prestations d'avocat, est dénuée de toute pertinence s'agissant en la cause de comparer les services tels qu'ils sont libellés dans l'enregistrement de la marque, sans qu'il y ait lieu de connaître des conditions d'exploitation de ces services qui sont indifférentes.
Sur la comparaison des signes, il importe de rappeler que les signes en conflit sont des signes verbaux, respectivement constitués des dénominations LEXIA pour la marque antérieure et [I].FR pour la demande d'enregistrement.
Ces signes n'étant pas identiques, il importe de rechercher s'il existe un risque de confusion, qui doit être apprécié globalement à la lumière de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce. Cette appréciation globale doit être fondée, en ce qui concerne la similitude visuelle, phonétique ou conceptuelle des signes en présence, sur l'impression d'ensemble produites par ceux-ci en tenant compte de leurs éléments dominants et distinctifs. Il est à cet égard précisé que le risque de confusion comprend le risque d'association, c'est -à-dire le risque que le consommateur perçoive les signes en présence comme des déclinaisons de marques servant à désigner différentes gammes de services provenant d'une même entreprise ou d'entreprises économiquement liées.
Il importe de relever d'emblée que l'extension '. FR', purement usuelle, ne présente au sein du signe [I].FR aucun caractère distinctif ni dominant de sorte que la comparaison portera sur les signes LEXIA et [I].
Au plan visuel, il apparaît que le signe LEXIA constitutif de la marque antérieure se retrouve tout entier englobé dans le signe [I] de la demande d'enregistrement. Il en résulte une impression d'ensemble de ressemblance entre les signes, qui n'est pas significativement altérée par l'adjonction de la lettre A en tête du signe second dès lors que les signes, composés d'un nombre de lettres très proche ( 4 lettres / 5 lettres), conservent un ordre de longueur très voisin.
Cependant, au plan phonétique, la présence de la lettre A en attaque du signe [I] n'est pas indifférente. En effet, une place particulière est conférée à cette lettre qui sera prononcée en premier lieu et très distinctement des syllabes LEX- IA qui lui font suite. Ainsi, les rythmes respectifs seront différents dès lors que la lettre A en attaque du signe fera l'objet d'une émission sonore à part entière. Ces éléments de différence entre les signes en conflit demeurent perceptibles, même s'ils partagent en commun la séquence LEXIA.
Au plan conceptuel enfin, si le signe LEXIA peut suggérer un rapport avec la loi par référence au terme latin 'lex', le signe [I] sera d'emblée rapproché du prénom féminin [I] sans être aucunement associé au domaine du droit et des services juridiques. En effet, le signe LEXIA se trouve privé de toute charge évocatrice propre dès lors qu'il est introduit dans le signe [I] dans lequel il se fond pour former un tout qui sera perçu comme le prénom féminin '[I]'. En conséquence, les signes en présence se distinguent radicalement l'un de l'autre au plan conceptuel .
Il résulte de cette comparaison globale que les différences entre les signes sont prépondérantes, la ressemblance au plan visuel n'étant pas suffisante à combler les différences qui les opposent au plan phonétique et au plan conceptuel.
En l'absence de similitude entre les signes en conflit , et nonobstant le fort degré de similitude entre les services, le risque de confusion, incluant le risque d'association, n'est pas avéré. En effet, le consommateur moyen de la catégorie de services concernés, à savoir des services juridiques de haute technicité et aux enjeux importants, est un consommateur particulièrement attentif et vigilant quant au choix de son prestataire, qui, en présence des signes opposés, ne sera pas enclin à les confondre ou à les percevoir comme des déclinaisons de marques servant à désigner différentes gammes de services provenant d'une même entreprise ou d'entreprises économiquement liées.
- sur l'opposition fondée sur la dénomination sociale antérieure CABINET LEXIA,
Il n'est pas contesté que cette dénomination sociale est attachée à l'exercice de la 'profession d'avocat' par un cabinet d'avocat et il n'est pas davantage contesté qu'un tel service est similaire à ceux visés dans la demande d'enregistrement.
Les développements qui précèdent s'appliquent à la comparaison entre les signes en conflit CABINET LEXIA et [I].FR ce dont il suit que les ressemblances liées à la présence de l'élément commun LEXIA sont insuffisantes à caractériser un risque de confusion ou d'association entre les signes en cause.
Le recours de la société Jurisystem contre la décision du directeur général de l'INPI du 26 janvier 2023 qui rejette partiellement sa demande d'enregistrement doit être en conséquence être accueilli et cette décision annulée.
L'équité ne commande pas de faire droit aux demandes respectivement formées au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
La procédure de recours contre une décision du directeur général de l'INPI ne donne pas lieu à condamnation aux dépens.
PAR CES MOTIFS :
Statuant par arrêt contradictoire,
Déclare recevable le recours de la société Jurisystem,
Déclare irrecevables les pièces n°2, 3, 4, 5, 6, 7 et 8 de la société Jurisystem,
Annule la décision du directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle du 26 janvier 2023,
Rejette les demandes formées au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Dit n'y avoir lieu à condamnation aux dépens,
Dit que le présent arrêt sera notifié par lettre recommandée avec avis de réception par les soins du greffier aux parties et au directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle.